18 février 2014

[Abbé François Laisney, fsspx] Le bien de l’autorité

SOURCE - Abbé François Laisney, fsspx - 18 février 2014

Est-ce que la vérité est au-dessus de l’autorité ou l’autorité au-dessus de la vérité? Quelles sont les relations entre les deux ?

Même au niveau naturel, l’homme a besoin de l’autorité pour apprendre la vérité : tous les enfants apprennent d’abord sur l’autorité de leurs parents et de leurs enseignants, et ce n’est que plus tard qu’ils seront capables de comprendre par eux-mêmes ce qu’ils auront appris par autorité. Même chez les adultes, il y a beaucoup de vérités qu’ils ne connaissent que par voie d’autorité : combien d’adultes sont capables de démontrer que la surface d’un disque est πR2? La plupart ne le savent que sur l’autorité de leur professeur d’école. Cependant à ce niveau naturel, l’homme est capable d’atteindre une certaine connaissance de la réalité (vérité) sans autorité.

Mais au niveau surnaturel, l’homme ne peut pas atteindre la connaissance des réalités surnaturelles (comme la Trinité des Personnes en Dieu) sans la Révélation. Ainsi St Thomas d’Aquin enseigne : « Il est certain que notre doctrine doit user d'arguments d'autorité ; et cela lui est souverainement propre du fait que les principes de la doctrine sacrée nous viennent de la révélation, et qu'ainsi on doit croire à l'autorité de ceux par qui la révélation a été faite. Mais cela ne déroge nullement à sa dignité, car si l'argument d'autorité fondé sur la raison humaine est le plus faible, celui qui est fondé sur la révélation divine est de tous le plus efficace. » (Ia q.1 a.8 ad2m).

Quand Dieu parle, l’homme doit croire. C’est là le « principe du dogme » qui fut si important pour le Cardinal Newman : « d’abord le principe du dogme : c’est mon combat contre le libéralisme ; j’appelle par libéralisme le principe antidogmatique et ses développements… Depuis l’âge de quinze ans, le dogme a été le principe fondamental de ma religion ; je ne connais pas d’autre religion ; je ne peux accepter d’autre sorte de religion ; une religion qui ne serait que sentiment est pour moi un rêve et une moquerie » (Apologia, chp.2).

La vérité révélée doit être proposée avec autorité ; ainsi l’Ecriture seule n’est pas suffisante. Si quelqu’un s’appuie sur son interprétation personnelle, il ne peut pas avoir la Foi Catholique, la vraie Foi. En effet, d’où vient l’autorité de la bible, si ce n’est de l’Eglise Catholique ? St Augustin enseigne : « je ne croirais pas aux Evangiles si l’autorité de l’Eglise Catholique ne m’y engageait pas » (Contra Ep. Fund., 5,6). Sans cette autorité, la foi n’est qu’une opinion. Ainsi St Paul dit : « comment croire sans d'abord entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ? Et comment prêcher sans être d'abord envoyé ? » (Rom. 10:14-15). Notre Seigneur Jésus Christ a prêché avec autorité (Mt. 7:29), et Il a envoyé ses Apôtres les dotant de sa propre autorité : « qui vous écoute, M’écoute » (Luc 10:16). Un prédicateur sans « mission » n’a pas d’autorité, et n’est pas en position de prêcher la vraie Foi ! Ainsi l’autorité est essentielle à la connaissance de la vérité révélée.

Or le rejet de l’autorité est la marque du libéralisme, le cœur de la philosophie moderne. On le voit et chez ceux dotés d’autorité, qui ne savent pas comment en user (par ex. le Credo de Paul VI en 1968 n’est que sa profession de Foi : il ne l’impose pas), et chez ceux qui sont soumis à l’autorité, qui ont du ressentiment contre tout ordre. D’où le drame de Vatican II, quand les évêques ont voulu proposer la Foi à l’homme moderne dans le langage de l’homme moderne, sans jugement solennel, sans définition, sans utiliser le magistère suprême.

Dans la confusion qui s’en suivit, comment est-ce qu’un fidèle peut discerner ce qu’il doit croire ? La foi n’est pas la réponse à une autorité humaine, mais à l’autorité de Dieu : d’où la nécessité que ceux qui ont reçu autorité dans l’Eglise soient transparents à Notre Seigneur Jésus Christ, de telle sorte que les fidèles puissent voir Jésus parlant en lui. Or la transparence consiste essentiellement dans la transmission fidèle de ce qui est reçu : une vitre est transparente lorsque l’image qu’on y voit ne vient pas d’elle (comme d’un écran TV), mais vient de derrière et passe à travers la vitre sans transformation. Alors il est clair que ce qu’il enseigne n’est pas son opinion propre, mais vient du Christ à travers les siècles de Foi. Ainsi la nouveauté est le signe sûr de l’hérésie, et la fidélité à la Tradition le signe sûr de l’orthodoxie.

Mais qu’arrive-t-il si un fidèle est trompé dans ce discernement et sans faute est amené à croire certaines erreurs parce qu’elles sont enseignées par ceux qui sont dotés d’autorité dans l’Eglise aujourd’hui ? Si l’objet de sa foi est « ce que l’Eglise Catholique croit et enseigne » pour le motif que Dieu l’a révélé et confié à l’Eglise, alors même qu’il se trompe sur le contenu exact de cette foi, il a la vraie Foi. Même certains saints se sont trompés sur le contenu exact de la Foi, même St Thomas dont la notion de la Conception Immaculée de Marie était inexacte, ou St Cyprien sur la réitération du baptême. Mais comme St Augustin l’enseigne, c’est son amour de l’unité de l’Eglise qui l’a sauvé, i.e. le fait qu’il mettait la Foi de l’Eglise au-dessus de sa pensée personnelle (de Baptismo 6 :1,2-2,3).

Cependant si quelqu’un rejette l’autorité de l’Eglise Catholique, même s’il continue de tenir certaines vérités que l’Eglise enseigne, il juge qu’elles sont révélées par jugement propre (faillible) et non plus « parce qu’elles sont révélées par l’autorité de Dieu et enseignées par l’Eglise (infaillible) », il a perdu le motif même de la Foi, il a perdu la vertu de Foi. Vraiment l’autorité est indispensable à la vraie Foi !

L’autorité est aussi nécessaire pour la perfection évangélique. En effet St Thomas enseigne – avec toute la Tradition de l’Eglise – que la perfection religieuse consiste principalement dans l’imitation du Christ, et spécialement de son obéissance (IIaIIae q.186 a.5) ; or pour obéir il faut un supérieur doté d’autorité. C’est en effet une grande bénédiction : il est souvent difficile de discerner quelle est la Volonté de Dieu sur nous dans les circonstances concrètes de la vie. Comment le simple fidèle peut-il discerner s’il fait la volonté de Dieu ou sa volonté propre ? C’est là que l’autorité entre en jeu : quand on obéit l’autorité légitime, et surtout l’autorité religieuse, alors on sait que l’on fait la volonté de Dieu. Même s’il y a faute du côté du supérieur, du moment que ce qui est commandé n’est pas intrinsèquement mauvais, c’est bien d’obéir. L’exemple typique est celui d’une nomination dans un ordre religieux ; ou, dans le cas de Mgr Lefebvre, quand il a été nommé évêque de Tulle, il y eut peut-être faute chez ceux qui l’ont rejeté dans un petit diocèse (étant archevêque, on aurait dû lui donner un archidiocèse), mais il était bien d’obéir, ce qu’il a fait avec une grande humilité et sans se plaindre.

Enlevez l’autorité et vous enlevez l’obéissance religieuse, vous enlevez la perfection religieuse, la perfection chrétienne !

Même quant à l’autorité des pouvoirs civils, l’Eglise a toujours soutenu le principe d’autorité. Le Cardinal Pie disait : « Pour la conscience éclairée d'un ministre de l'Eglise, l'hostilité envers les gouvernements n'est pas possible, parce qu'elle irait contre l'esprit même de l'Eglise, qui est un esprit éminemment patient et conservateur, et qui, lors même qu'il s'accommode le moins de certains actes et de certaines tendances du pouvoir, ne va pas jusqu'à méconnaître le bien qui peut encore se faire à l'aide de l'autorité existante. » Et son commentateur d’ajouter :« Remarquons ces nuances. L'âme de Mgr Pie est là. Il a tellement le culte de l'autorité qu'il la respecte en tous ceux qui la détiennent, et, quand son devoir l'oblige à se dresser contre eux, il est des moyens de défense auxquels il ne veut point recourir, parce qu'en atteignant les hommes, ils blesseraient le pouvoir. » (Card. Pie, pages choisies, p. cii).

A notre époque, dans une telle crise d’autorité, on ne doit pas rejeter l’autorité elle-même sous prétexte qu’on en abuse ou qu’on la méprise. On doit discerner quand elle fait encore son devoir (de pourvoir au bien commun : Rom. 13:1-5) tout en résistant à ses abus (quand elle va contre la Loi de Dieu : Act. 5:29). Ceux qui sont dotés d’autorité (un père de famille, un supérieur religieux, etc.) doivent s’efforcer « d’être trouvés fidèles » (1 Cor. 4:2). Ceux qui ont la grâce d’avoir un bon supérieur – bien qu’imparfait – doivent remercier Dieu pour cela et s’efforcer de pratiquer d’autant mieux la vertu d’obéissance. Calomnier l’autorité (par ex. en disant qu’elle est « en train de préférer les Papes errants à l’inerrante Tradition », ce qui certainement faux), c’est nuire gravement en minant le grand principe d’autorité, si nécessaire à la Foi et à la vertu.

Abbé François Laisney