12 février 2014

[Abbé Thomas Kocik / New Liturgical Movement] Réformer l’irréformable?

SOURCE - Version française d'un texte paru en anglais sur New Liturgical Movement - 12 février 2014

Cela pourrait être une preuve de la patience exemplaire de la part de l’éditeur de NLM, Jeffrey Tucker, que je sois toujours compté parmi les contributeurs de ce blogue [NDLR: New Liturgical Movement]. Plus de deux ans ont passés depuis que j’ai publié quelque chose sur la «réforme de la réforme». Bien que je me considère comme un auteur capable, je ne suis pas un écrivain très rapide et les demandes du ministère en paroisse ne facilitent pas non plus l’écriture de mes ruminations liturgiques pour ceux qui s’y intéressent. Mais cela n’explique qu’en partie le hiatus.

J’ai l’impression que tout ce qui peut être dit en termes généraux à propos de cette «réforme de la réforme», son origine, ses objectifs, sa portée et méthodologie, les divers propositions avancées dans son intérêt (si ce n’est pas en son nom), ses partisans et ses critiques, ait déjà pas mal été énoncé. Même si le mouvement est difficile à cerner (est-il semblable à ce «nouveau mouvement liturgique» ou bien est-il seulement qu’une étape?), ces objectifs furent bien résumés il y a quelques années par le prélat ceylanais qui affirma que le temps était venu «d’identifier et de corriger les orientations et décisions erronées qui furent prises, apprécier avec courage la tradition liturgique du passé et s’assurer que l’Église puisse redécouvrir les vrais racines de sa richesse et grandeur spirituelles même si cela signifie qu’il faille réformer la réforme elle-même…»

Bien avant que Joseph Ratzinger ne devienne le Pape Benoît XVI, il évaluait d’un œil critique la réforme de la liturgie suite à Vatican II, identifiant les aspects de la réforme qui ne trouvaient que peu ou pas de justification dans la constitution liturgique du Concile, Sacrosanctum Concilium (SC) et qui minait le vrai esprit de la liturgie. Comme Pape, il était de son pouvoir de trouver un remède à ces déficiences – «les orientations et décisions erronées» – de la réforme à l’échelle universelle non seulement par ses enseignements et son exemple liturgique personnel, mais aussi en légiférant. Il accentua la beauté de la liturgie, promut les trésors liturgiques et musicaux de l’Église occidentale (incluant bien sûr l’usus antiquior du rite romain) et introduisit une continuité plus tangible avec la tradition dans le cadre des célébrations papales (e.g. «l’arrangement bénédictin» de l’autel, offrir la messe ad orientem dans la chapelle Sixtine et dans d’autres chapelles, administrer la Sainte Communion aux fidèles sur leurs langues et à genoux). Son successeur, le Pape François, est un homme différent avec une personnalité et un style différents et ses priorités sont clairement orientées vers d’autres aspects de la vie de l’Église. Je ne retiens pas mon souffle en anticipant de futurs progrès officiels selon les orientations de Benoît XVI, qui a bien mérité ce titre dont il fut affublé, celui de «père du nouveau mouvement liturgique».

Mais supposons à toutes fins pratiques, et peut-être per impossibile, que la «réforme de la réforme» devait recevoir un appui institutionnel substantiel. Même si cela était le cas, je doute que l’entreprise serait faisable; si par ce terme on entend réformer l’ordre actuel de la liturgie pour la ramener substantiellement dans le cadre de la tradition qui a lentement évolué et qu’elle déplaça. Ce qui me pousse à dire ceci n’est pas une éruption de ressentiment causée par l’abdication papale de l’année dernière. Comme tout mouvement, la «réforme de la réforme» repose sur ses propres principes et non pas sur un pape ni des partisans. Non, la «réforme de la réforme» n’est pas réalisable parce que la discontinuité matérielle, entre les deux formes du rite romain présentement en usage, est beaucoup plus grande et profonde que je ne l’avait imaginée. Pendant la décennie qui s’est écoulée depuis la publication de mon livre, La réforme de la réforme? Un débat liturgique (Ignatius Press, 2003), qui traite presque exclusivement du rite de la Messe, un nombre important d’études académiques, plus spécialement celles de László Dobszay (†2011) et Lauren Pristas, m’ont éveillé au travail bâclé que le Consilium de Paul VI a infligé à tout l’édifice liturgique de l’Église latine: la Messe, l’Office divin, les rites des sacrements, les sacramentels, les bénédictions et autres rituels du Rituel romain, etc. Peu importe ce qui peut être dit de la réforme liturgique – ces bénéfices pastoraux, sa légitimité, ses racines dans un ressourcement théologique, son statut hégémonique, etc. – un fait reste: elle ne représente pas un développement organique de la liturgie que Vatican II (et quatre siècles plus tôt, le Concile de Trente) avait héritée.

Il y a des ruptures importantes dans le contenu et la forme qui ne peuvent être remédiées simplement par la restauration de la primauté du chant grégorien comme musique du rite romain, un usage accru du latin et améliorer les traductions en vernaculaires des textes liturgiques en latin, utiliser le Canon romain plus fréquemment (voire exclusivement), réorienter l’autel et rescinder certaines permissions. Aussi important soit-il de célébrer les rites réformés correctement, avec révérence et de manière à souligner la continuité avec la tradition de l’Église, de telles mesures laissent intact le contenu essentiel des rites. Toute future tentative de réconciliation liturgique ou de renouveau dans la continuité de la tradition, aura à prendre en compte la révision complète des Propres de la Messe; le remplacement des prières de l’Offertoire et leurs compositions modernes; l’abandon du très ancien cycle annuel romain des épîtres et évangiles du dimanche; le reclassement radical du calendrier des saints; l’abolition de l’ancien Octave de la Pentecôte, de la saison d’avant Carême du Septuagésime et des dimanches après l’Épiphanie et la Pentecôte; la dissolution de la structure séculaire des Heures; et tellement plus encore. Rapprocher la forme ancienne et la forme nouvelle de la liturgie requerrait beaucoup plus de chemin pour cette dernière; tellement, qu’il me semble plus honnête de parler d’un renversement graduel de la réforme (jusqu’au point où elle sera de nouveau reliée à la tradition liturgique dont le Concile hérita) plutôt qu’une réforme de la réforme.

Le désir des Pères conciliaires était double: permettre des innovations «que si l’utilité de l’Église les exige vraiment et certainement» et de s’assurer «que les formes nouvelles sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique» (SC, 23). Ce désir pouvait être réalisé, mais pas en prenant les rites promulgués par Paul VI comme un point de départ pour arriver à une version réformée organiquement de l’ancien rite romain; ce serait comme essayer de remettre ensemble les morceaux d’un lustre vitré éclaté. Ce qui est nécessaire n’est pas une «réforme de la réforme», mais plutôt une adaptation prudente de la liturgie tridentine selon les principes établis par Sacrosanctum Concilium (comme cela fut le cas dans l’immédiat après sa promulgation en 1963), en utilisant ce que nous avons appris de l’expérience des 50 dernières années. Pendant ce temps, des améliorations peuvent être apportées ici et là dans l’ars celebrandi de la forme ordinaire. Mais la route pour réaliser un futur viable pour le rite romain traditionnel – et ainsi réaliser la vision liturgique de Vatican II, qui commanda une adaptation modérée de ce rite, pas sa destruction – est la célébration belle et convenable de la forme extraordinaire, dans un nombre croissant d’endroits, en consacrant tous nos efforts à promouvoir ce principe essentiel (compris correctement) de participation «pleine, consciente et active» des fidèles.

[NDLR: Pour des raisons d'espace nous n'avons pas inclus les notes en bas de page. Celles-ci sont essentiellement des notes mentionnant des références sur le sujet. Pour les consulter, veuillez vous référer à l'article original.]