Le symbolique avant tout… - Michel Cazenave |
02 novembre 2006 - temoignagechretien.fr - propos recueillis par Jérôme Anciberro |
Le symbolique avant tout… Que pensez-vous d’une éventuelle réintroduction de l’ancienne liturgie catholique ? Michel Cazenave : Du point de vue théologique, sur la question de la place de l’Église dans le monde, Vatican II a apporté quelque chose de formidablement nouveau et de positif. Mais du point de vue liturgique, Vatican II m’a effondré. Je me souviens d’une messe de mariage que j’ai dû quitter parce que j’étais pris d’un fou rire. La messe, ce n’est pas un feu de camp de boy-scout. Le rite est ce qui, par le biais d’une mise en acte symbolique, permet au croyant d’avoir accès à ce qui est au-delà de l’ordre de la pensée, de toucher ce qui est intouchable, de voir ce qui est invisible. La liturgie qui a été mise en œuvre après Vatican II a été à mon avis d’une pauvreté ridicule. En quoi ? Prenez les chants – j’allais dire les chansons, c’est vous dire… Chanter du Georges Brassens un peu spirituel, ou d’autres choses du même style, est-ce vraiment la même chose que de chanter un cantique ? Je ne dis pas qu’il faut chanter du grégorien partout et tout le temps. La créativité peut avoir sa part, même dans la liturgie. Mais je suis désolé, je ne ressens plus le sacré dans les messes telles qu’elles sont dites aujourd’hui. Et ce que je demande à l’Église, même si je ne me confesse pas chrétien, c’est au moins de nous transmettre le sacré. Regardez le latin. Partout, les rites ont toujours été célébrés dans une langue morte. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est que d’une manière ou d’une autre, ces langues participent du mystère. Comment expliquez-vous que l’attachement à l’ancienne liturgie soit souvent corrélé à une vision du monde très conservatrice ? C’est ce qu’on pourrait appeler l’immense paresse de la pensée, voire la haine de la pensée. On considère qu’à partir du moment où l’on a un point de vue sur un problème, cela s’étend à tous les problèmes. Il n’y a plus de pensée complexe. Du coup, dans le cas présent, on regrette tout de l’ancien temps. J’aimerais que l’on sache différencier les plans de réalité, les domaines dont on prétend traiter. La religion ne relève pas que de la forme, c’est aussi de la pensée. C’est l’évaluation de ce que les puissances divines nous demandent. à mon avis, il n’y pas de religion s’il n’y a pas de pensée, c’est-à-dire une théologie critique, qui se reprend sans arrêt elle-même. Cela, le catholicisme a su le faire. Mais, malheureusement, en perdant le symbolique. Tandis que la religion orthodoxe, elle, a gardé le symbolique. Mais je n’ai pas l’impression que la pensée critique soit son fort… L’accent mis sur la pensée critique n’a-t-il pas nécessairement pour conséquence une perte symbolique ? Pourquoi ? Cela relève encore du monolithisme des positions. Une pensée critique – une pensée qui examine, qui soupèse – n’est pas forcément sceptique. Elle permet de garder au symbolique son sens véritable. C’est d’ailleurs pourquoi je pense que les traditionalistes chrétiens ne sont pas forcément très réceptifs aux symboles puisqu’ils les lisent littéralement… Comprenez-vous l’inquiétude des catholiques conciliaires face à la possibilité d’un double rite ? Franchement non. Revenons à ce qu’a été le christianisme vivant à ses débuts : il y avait un rite, une liturgie et presque une théologie par église. Le monolithisme de l’Église catholique tient à la conversion de Constantin, au césaro-papisme. Ce chemin est particulier. On n’était pas obligé de le suivre. C’est un trait frappant de la tradition occidentale ; on ne peut penser que sous le mode de l’alternative : ou bien… ou bien… On n’est pas capable de penser en même temps l’unité et la multiplicité. Tout se passe comme si l’unité écrasait la multiplicité, et que la multiplicité devait faire voler l’unité en éclats. Comprenez-vous la réticence face à certains symboles, comme le prêtre dos au peuple ? Je comprends très bien cette idée du prêtre qui crée un espace commun en étant face aux fidèles, créant ainsi une communauté orante. Mais je comprends aussi parfaitement cette image du prêtre tournant le dos à l’assemblée, qui est le berger qui mène le troupeau. Je ne vois pas pourquoi il faudrait choisir l’un plutôt que l’autre. Mais il faut tout de même comprendre le symbole. Le prêtre de dos n’est qu’un berger qui fait corps avec son troupeau. Ce n’est pas quelqu’un qui se trouve dans un espace séparé, qui aurait le contact avec la divinité et par lequel les éclats du divin atteindraient l’assemblée. Si on le considère comme une sorte de chef à part, on ne comprend plus le symbole. Et j’ai bien peur que les traditionalistes soient souvent dans ce cas. C’est la nostalgie de l’Église comme pouvoir structurant de la société qui transparaît dans cette incompréhension. Du coup, l’inquiétude de certains catholiques face à la montée du traditionalisme peut se comprendre… En effet. Ce qui est en jeu, ce n’est pas une querelle théologique ou symbolique. Pour parler brutalement, c’est une querelle politique. Quel est le statut de l’Église ? Quel est le statut de la foi dans la société ? On voit très bien qu’il y a, derrière le traditionalisme, une nostalgie de l’Église qui édicterait les lois de la société, en particulier ses lois éthiques. C’est cela qui est difficile dans les confrontations d’idées : on est dépendant des questions qui sont posées. D’une certaine manière, à partir du moment où les traditionalistes pensent à un certain degré, on est obligé de répondre au même degré. Lorsque je propose de dépasser la querelle liturgique, je mets évidemment entre parenthèses la question du traditionalisme politique qui, lui, ne m’intéresse pas du tout et contre lequel je pourrais éventuellement me battre. Comment envisagez-vous la place du catholicisme dans la société ? Ce qui me gêne beaucoup dans le noyau dur catholique, c’est cette tendance à prendre toute parole du magistère comme relevant du dogme… Cela dit, le christianisme me paraît aujourd’hui un ensemble très flou. Le catholicisme aussi. Dogmatiquement, je pense que les catholiques ne sont justement pas très catholiques. Je connais par exemple des gens profondément croyants, qui ne croient pas vraiment que Jésus est le fils de Dieu. Vous êtes assez d’accord avec Benoît XVI sur ce plan-là… Oui, sauf que moi, je ne le regrette pas : je le constate. En même temps, il est normal que l’Église affirme ses positions. C’est même son devoir. Je me bats éventuellement contre ce que dit le magistère, mais il ne ferait pas son devoir s’il ne le disait pas. Je ne vois aucune société vivante dans laquelle le religieux n’ait pas sa place. Il est donc normal que l’Église catholique ait sa place et toute sa place, c’est-à-dire parmi les autres courants religieux. Michel Cazenave est philosophe et écrivain. Il produit aussi l’émission "Les vivants et les dieux", tous les samedis à 23 heures sur France culture. |