Pourquoi Benoît XVI fait de la réconciliation avec les « intégristes » une priorité |
09 novembre 2006 - Analyse de Guillaume Tabard * - lefigaro.fr |
Pétitions, lettres et interviews d'évêques parlant de choix « grave » ou « préoccupant »... La simple perspective d'une « libéralisation » du rite tridentin, c'est-à-dire de la célébration de la messe selon le missel de Pie V, en vigueur jusqu'en 1969, suscite la polémique au sein de l'Église de France. En cherchant à mettre un terme à la dissidence lefebvriste, Benoît XVI aurait-il déclenché ou réveillé une crise au sein de l'Église ? À l'inverse, la vivacité des réactions traduit-elle la persistance du vieux « complexe antiromain » en France, celui qu'avait diagnostiqué le théologien Urs von Balthasar ? Il y a dans, cette affaire, beaucoup de confusions. Pour bien des chrétiens, et a fortiori pour l'ensemble de l'opinion publique, prise à témoin du débat, les questions de liturgie sont des questions « techniques ». Dès lors, on parle de « retour de la messe en latin », expression impropre puisque le latin reste la langue officielle de la liturgie catholique et qu'une messe selon le rite de Paul VI peut tout aussi bien être célébrée en latin. Parler de « rite latin » est tout aussi faux puisque l'expression ne renvoie pas à un clivage historique (avant ou après le concile), mais à une différence géographique et culturelle avec les « rites orientaux ». Surtout, même sur la base du texte qui circule, il ne serait nullement question de remplacer la messe de Paul VI par celle de saint Pie V, mais simplement de généraliser la possibilité de célébrer la seconde. Autrement dit, pour les fidèles de la première, l'écrasante majorité des pratiquants, rien ne serait changé. L'autre source de confusion vient de ce que les réactions sont venues avant la décision. Certes, certains, à Rome, comme le cardinal Castrillon Hoyos, président de la commission Ecclesia Dei chargée du rapprochement avec les lefebvristes, poussent à une solution rapide et très généreuse et ont utilisé des vecteurs de communication faisant fi de la concertation avec les évêques les plus directement concernés. Mais les précisions apportées dimanche à Lourdes par le cardinal Ricard ont rappelé, utilement mais tardivement, que Benoît XVI n'était pas homme à imposer sans dialoguer. Il n'en est pas moins vrai qu'en rouvrant la question du retour plénier dans l'Église des lefebvristes, Benoit XVI a assumé le risque de turbulences, à ses yeux moins graves que l'acceptation d'une rupture définitive. L'ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi n'a jamais pris son parti de l'échec in extremis des négociations de 1988. La création, à cette époque, de la Fraternité Saint-Pierre et la reconnaissance de communautés attachées au missel de saint Pie V, ont permis à certains « traditionalistes » de rester en pleine communion avec Rome. Mais sans vider les rangs de ce que l'on a appelé les « intégristes ». Certains, au sein de l'Église, s'en sont accommodés, voire réjouis ; d'autres ont tablé sur une érosion numérique de cette sensibilité. Il n'en a rien été. La Fraternité Saint Pie X compte 450 prêtres. En France, les lefebvristes sont estimés à 35 000. Quelle communauté, quelle famille religieuse peut se targuer d'une mouvance de pareille ampleur ? Pour Benoît XVI, l'impératif est spirituel avant que d'être arithmétique. Le Pape sait que plus les années passeront, plus la réconciliation sera impossible, il y a urgence. La question du prix à payer pour cette réconciliation n'est pas mineure et les évêques qui se sont exprimés ont raison de souligner que le « schisme » (dont les « intégristes » contestent la réalité au regard du droit canon) ne repose pas uniquement sur des questions liturgiques et que les lefébvristes ne peuvent oublier que l'Église est fondée sur les évêques, successeurs des apôtres. D'une certaine façon, Benoît XVI est dans la position du père de la célèbre parabole de l'enfant prodigue : en « tuant le veau gras » pour le fils qui s'est rebellé, il s'attire les foudres du fils qui est resté fidèle. On peut s'étonner par ailleurs de trouver les plus hostiles à l'égard de ces catholiques séparés de Rome (« Pourquoi cet homme devait rester dehors », titrait La Vie au lendemain de la réintégration de l'abbé Laguérie) parmi les plus ouverts au dialogue avec les autres confessions chrétiennes et les autres religions. Il est également paradoxal que ceux qui s'inquiètent de la coexistence de deux missels et défendent mordicus l'unité liturgique au sein de l'Église ne se soient pas émus jusqu'à présent de l'extrême diversité née des libertés prises au nom de la « créativité ». Le pari de Benoît XVI est en fait double : mettre un terme à la division entre catholiques, d'une part, et favoriser un meilleur respect, par tous, des règles liturgiques, d'autre part. « La différence entre la liturgie selon les livres nouveaux, comme elle est pratiquée en fait, est souvent plus grande que celle entre la liturgie ancienne et la liturgie nouvelle, célébrées toutes les deux selon les livres liturgiques prescrits » , faisait remarquer le cardinal Ratzinger en 1998. Devenu Pape, il ne veut pas plus d'un « camaïeu liturgique » où chacun façonnerait les célébrations à son goût, mais que partout, quel que soit le missel utilisé, la liturgie soit vécue comme une oeuvre du Christ et non comme une mise en scène humaine. Certes, les abus les plus criants des années 1970 ont presque tous disparu. Mais les intentions droites d'aujourd'hui s'accompagnent encore parfois d'un manque de formation quant à la signification profonde de la liturgie ; Benoît XVI veut pallier ce manque. Le cardinal Barbarin le rappelait lundi dans Le Figaro : « Relisons attentivement la constitution du concile sur la liturgie qui demande aux célébrants une grande humilité. » * Rédacteur en chef adjoint au Figaro Le Pape est dans la position du père de la parabole de l'enfant prodigue : en voulant le retour du fils rebelle, il s'attire les foudres du fils fidèle |