| Tradis : un triomphe en trompe l’oeil | 
| 4 novembre 2006 - Jean Molard - Golias - golias.ouvaton.org | 
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 ON choisit sa chapelle, sa       tradition, ses prêtres et on se choisit entre gens du même bord, on se       coopte par affinité, comme dans un club : on y professe les mêmes       valeurs, on y partage les mêmes sensibilités sociales ou politiques et       on y parle, en plus du latin, la même langue. Ce petit monde fait se rassembler universitaires, cadres d’entreprise,       fonctionnaires, étudiants, militaires, mères de bonne famille aussi,       sans oublier tous les scouts, actifs ou retraités, des troupes de Saint       Ceci ou de Sainte Cela (les chapelles scoutes sont aussi nombreuses que       les groupes tradis). Vous voyez, rien que du beau monde. Il en résulte des "communautés" socialement       très homogènes, que viennent pourtant traverser régulièrement, sur un       point ou un autre, les tensions signalées plus haut. Et l’intransigeance       congénitale des acteurs transforment ces tensions en des haines féroces       et de nouveaux éclatements , d’où naissent de nouveaux groupes. Car il       est aujourd’hui très facile, pour peu que l’on fasse un peu de bruit,       de créer sa propre entreprise ecclésiastique : au moindre       problème, avec une poignée de disciples, on se met à son compte... Nous       venons de le voir, Laguérie et ses trois-quatre acolytes, pas plus, ont       démarré leur PME (Petite et Minuscule Eglise)... Tout ce petit monde a pris ses habitudes de messes, de       liturgies, de dévotions, de rencontres bien codées avec des abbés qui       sont adulés (jusqu’au jour où ils deviennent des "traîtres"       comme récemment à Saint-Georges de Lyon). Chez ces gens-là, on a des moyens et de la culture, on       sait s’organiser des célébrations liturgiques qui ne peuvent qu’être       de qualité, avec grandes orgues et vêtements liturgiques richement       brodés (pour chanter Veni Creator, il faut avoir chasuble d’or...       gémissait-on, autrefois, pas très loin de Saint Georges)... C’est ainsi que nos tradis, par petites coteries bien       délimitées, se retrouvent chaque dimanche pour "leur messe       authentique", coupés des millions d’autres, ceux que nous       appellerons les "chrétiens de droit commun", qui constituent       pourtant l’essentiel de l’Eglise d’aujourd’hui, et sans qui ces       intégristes ne seraient plus que de petites sectes s’entre-dévorant et       complètement ignorées de l’opinion. L’actualité a fait éclater leur bulle isolante et les       tradis, surpris et inquiets, découvrent que ces chrétiens du "tout       venant" ne les aiment guère, ou plutôt n’aiment guère ce qu’ils       représentent : le retour au passé, la fermeture au monde et à l’œcuménisme,       le refus de l’esprit du concile. Même de jeunes prêtres, pourtant nés après le Concile,       ont eu besoin de dire qu’ils ne veulent pas de ce retour en arrière.       Les tradis, tellement aveuglés par la certitude d’être les seuls       détenteurs de la Vérité, ont simplement oublié que la rébellion de       Marcel Lefebvre a été un échec en ce qu’elle n’a jamais réussi à       mordre un peu largement sur le monde catholique... Après vingt ans, le mouvement lefebvriste n’a fait       basculer dans sa chapelle qu’une partie peu conséquente de ce monde       catho. Pourtant les tradis n’ont cessé de s’agiter, de faire du       bruit. Ils ne craignent pas de manifester, ils processionnent en grande       tenue, ils pélerinent de Paris à Chartres (et en sens contraire selon       les sensibilités), ils protestent vigoureusement, le plus souvent       possible, contre les dérives de cette société maudite (et celles de l’Eglise       conciliaire), toutes deux bien évidemment aux mains de Satan. Rien n’y a fait.       Ils n’ont jamais mordu sur le monde catho. Ils ont beaucoup de prêtres,       et des prêtres jeunes, qui viennent des familles tradis. C’est vrai.       Mais ce sont les fidèles qui leur manquent... Au moment de la rupture de Lefebvre, aucune paroisse n’est       passée dans le camp des rebelles avec armes, bagages et clergé. Et       aujourd’hui, la masse des pratiquants réguliers et occasionnels ne se       reconnaît pas dans les revendications des tradis. On a pu lire sur leurs       forums et autres blogs, ce qui semble être pour eux une découverte et       qui leur pose question : pourquoi donc les catholiques détestent-ils       autant la messe de Pie V (le mot "détester" a été       utilisé) ? Et quand ils parlent ainsi du monde catholique, ils ne       visent plus seulement quelques progressistes excités, une poignée de       soixante-huitards attardés, des évêques dévoyés et modernistes ou       quelques gauchistes trotskistes (ils adorent tous ces termes), qui sont       leurs cibles habituelles, non ils découvrent que la masse des chrétiens       de France n’a pas envie d’un retour en arrière... Ils auraient dû s’en       douter... Prenons le cas de Lyon : l’église Saint Georges a       toujours été assez grande pour accueillir tous les fidèles qui veulent       la messe de Pie V, même en tenant compte du nombre des messes qui y sont       célébrées le dimanche. L’édifice n’est pas Saint Pierre de Rome et       pourtant on a rarement vu l’assistance déborder sur le trottoir. Que       sur Lyon ou même Paris et leur région quelques messes suffisent pour les       fidèles attachées aux rites de Pie V, c’est une situation à comparer       aux dizaines et dizaines de milliers de pratiquants parisiens ou lyonnais. Tout catholique a la possibilité d’aller à la messe de       Pie V. Pourquoi ne sont-ils pas plus nombreux à s’y rendre ? Tout       simplement parce qu’ils n’en veulent pas. Sinon des déplacements de       pratiquants auraient eu lieu au cours de ces années passées et petit à       petit les paroisses conciliaires se seraient vidées au profit des       regroupements tradis... Or, si les églises       conciliaires se sont effectivement appauvries, ce n’est pas pour autant       que les églises tradis se sont remplies, parce que le départ des       premières n’est pas dû aux raisons mises en avant par les disciples de       Lefebvre... Les tradis font le constat cruel pour eux que les cathos d’aujourd’hui       sont attachés à leurs célébrations dites de Paul VI, messes en       français, mais aussi sacrements de baptême, mariage et également       célébrations des funérailles, moments qui rassemblent avec les croyants       des hommes et des femmes parfois bien éloignés de la foi. Ces       célébrations deviennent ainsi souvent l’occasion d’une annonce       "basique" de la Bonne Nouvelle... Les chrétiens d’aujourd’hui       aiment parler à Dieu dans leur langue de tous les jours, ils aiment que       le message chrétien résonne dans le monde moderne, ils veulent qu’il       parle aux oreilles et au cœur de leurs contemporains en des termes qui ne       les fassent pas fuir immédiatement. Combien d’incroyants ont été       remués par ce qu’ils avaient entendu lors de telle ou telle cérémonie       religieuse, profondément spirituelle et dans le même temps chargée d’humanité. Il faut voir, pourtant, avec quel mépris les tradis       parlent des célébrations "conciliaires", pour en dénoncer les       dérives et les "niaiseries" (sic). Tout y passe, depuis la       tenue liturgique du célébrant jusqu’aux textes, aux sermons, et       surtout aux cantiques (entre nous, on pourrait faire un florilège des       cantiques d’avant le concile, directement hérités du XIX° siècle. Ce       ne serait pas triste non plus et les chasseurs de niaiseries pourraient y       faire large emplette...). Ce mépris et cette       prétention sont révélatrices de la différence profonde entre un groupe       tradi et une paroisse chrétienne de plein vent. Si les chapelles tradies sont faites de gens qui       choisissent et se choisissent, les paroisses, elles, sont ouvertes à       tous, même si évidemment il y a des déplacements en fonction des       sensibilités de chacun. Les tradis se sentent tellement bien entre eux et       sécurisés par le petit cocon de leur intégrisme qu’ils ont perdu l’habitude       de vivre leur foi dans l’immense diversité du monde des croyants. Ils       sont devenus ( ou ils l’étaient déjà au départ) incapables de vivre       dans une communauté "plurielle" qui est à l’image de l’Eglise       (et de la société) d’aujourd’hui. L’exemple de Saint Georges est, sur ce point, très       révélateur. Les tradis ne veulent pas des autres, y compris des tradis       de la chapelle d’à-côté qui ne pensent pas exactement comme eux.       Comment peuvent-ils digérer le fait que "les autres " ne       veulent pas d’eux, sauf à penser que l’ensemble du monde catho,       évêques, prêtres et laïcs, sont tous des apostats ? Pour       répondre à cette question qui ébranlerait tout homme un peu sensé, ils       sont obligés d’en appeler à Satan : personne ne nous aime, parce       que nous sommes dans la Vérité. Or Satan n’aime pas la Vérité et il       a pris possession de l’Eglise lors de Vatican II. Plus nous sommes       critiqués, plus nous sommes sûrs d’avoir raison. La       perversion parano a blindé les certitudes. Le syndrome du martyre n’est       pas loin ! Que les choses soient claires au moment où même Rome       semble vouloir revenir sur des acquis conciliaires : les cathos dans       leur immense majorité, sont attachés à la messe actuelle et à ce qu’a       apporté le Concile et ils sauront les défendre, tout en poursuivant le       travail de réflexion et de recherche. Et Golias continuera à travailler, avec tous les       chercheurs de Dieu, sur la foi, la théologie, le sens à donner à notre       vie, la place des sacrements... Si les tradis veulent bien sortir de la       citadelle de leurs certitudes, ils pourront peut-être trouver une place       dans cette recherche. | 
