10 novembre 2014

[Abbé Bertrand Lacroix, fssp - FSSP Besançon] La prière du pauvre fantassin / Centenaire 1914-1918

SOURCE - Abbé Bertrand Lacroix, fssp - FSSP Besançon - novembre 2014
La prière du pauvre fantassin / Centenaire 1914-1918

Dans la plupart de nos familles demeure encore le souvenir de jeunes gens, de pères, de fils, qui offrirent leurs vies il y a maintenant un siècle dans une guerre particulièrement violente et douloureuse. Entre 1914 et 1918 ce furent parfois des fratries entières qui périrent et ne revinrent jamais au domicile familial. La grandeur de leur sacrifice reste, dans l’histoire de notre pays, comme mystérieuse et troublante. Le mois de novembre étant désigné, dans la liturgie de l’Eglise à la prière pour les fidèles défunts, il semble opportun, en cette année qui commémore le centenaire de la grande guerre, que nous nous souvenions, que nous priions pour ces français, pour ces fils de l’Eglise, tombés au cœur des combats, parfois agonisants le cœur tourné vers Dieu. Ne les oublions-pas !

Aussi pour nourrir nos mémoires, et notre piété, voici une prière composée par le Père Paul Doncœur, célèbre aumônier militaire au zèle infatigable, qui vécut cette guerre au coude à coude avec les troupes engagées sur le front :

« Et maintenant que je m‘en vais mourir, mon Jésus, je veux vous faire ma dernière prière… Je ne peux pas faire le signe de Croix, mon Dieu. Mes bras sont cloués à la terre. Mais tout mon corps, mon Jésus, étendu avec ses bras ouverts est-ce qu’il ne fait pas comme un grand signe de Croix à la face du Ciel ?... Comme nous voici, bon Jésus, réduits au même point ! Vous sur votre Croix, moi sur la mienne de terre sanglante…J’ai soif !... Mon Dieu, pardonnez-moi mes offenses… Merci d’être si doucement auprès de moi… Tout est fini, je rends mon âme dans vos mains. »

Et voici l’apparition de Jésus-Christ sur le plateau :

« Mon Fils ! Debout, c’est le Réveil ! Tu viens de tomber frappé au milieu de ta course, tourbillonnant sous le coup, puis écrasé violemment sur la terre caillouteuse que déchirent les obus. Et tu t’es couché dans un trou pour mourir. Et tu t’es endormi dans un soupir, sur le rude lit des terres ouvertes, des terres brûlantes qui boivent encore ton sang tiède. Et ton cœur a cessé de battre et ta poitrine lasse est retombée dans le silence… Mon Fils ! Debout, c’est le Réveil ! N’aie pas peur ! Ecoute, mon fils, cette paix ! Les bruits d’enfer du canon ont cessé. Le chant des balles et le claquement des fusils s’est tu. L’odeur des âcres fumées s’est envolée. Respire l’air serein du matin éternel. Le jour radieux s’est pour toi levé. Regarde ! Ouvre tes yeux. Lève tes paupières qui ne pleureront plus. Apaise l’épouvante de ton regard fixé sur les horribles visions. Détends, mon fils, tes lèvres raidies dans le suprême appel. Souris ! Donne ta main, ne crains pas la douleur aigüe de tes blessures d’hier. Dresse-toi, et regarde ! C’est moi, Jésus. Jésus, que tout enfant ta maman t’a appris à bénir. Jésus, de toutes tes prières. Jésus de la crèche, Jésus de la Croix. Jésus que tu as tant abandonné jadis, et tant offensé, mais que tu as tant imité depuis, et tant reproduit. Jésus que tu ne croyais pas si proche et qui était là, tout près de toi. J’étais près de toi toujours ! J’ai tout vu, tout compté, tout retenu. Toutes les minutes de ton martyre, toutes tes blessures, toutes les gouttes de sang de tes plaies. Toutes les écorchures de tes pieds meurtris aux longues étapes, et toutes les morsures des courroies coupant tes épaules. Toutes tes soifs aux soirs d’attaque, et les eaux mortes que tu buvais avec fièvre à l’étang de Vaux dans la nuit, ou au canal du Loivre, ou au trou d’obus rempli de pluie. Toutes tes faims ; les longs calvaires des corvées de soupe dans la nuit affreuse au Mort-Homme entre deux combats. Toutes tes insomnies ; et les rudes sommeils pris dans les niches sous la maigre protection de la toile de tente. J’ai tout compté, mon fils ! J’ai tout vu : ton grand Sacrifice, et tes moindres peines ! Et c’est moi qui vais tout te rendre ! Debout, mon fils ! C’est moi qui viens te prendre pour te conduire chez mon Père. Mon fils, debout ! C’est la Paix, c’est Le Ciel ! »

Abbé Bertrand Lacroix