Le début du mois de novembre est marqué par la prière pour les défunts. Le jour de la commémoration de tous les fidèles défunts, qui tombe le lundi 3 novembre cette année, l’Église permet à ses prêtres de célébrer trois messes des défunts. Le même jour, on peut gagner une indulgence plénière applicable aux Ames du Purgatoire (en visitant une église et en récitant un Pater et un Credo), ainsi que chaque jour, du 1er au 8 novembre (en visitant un cimetière et en priant pour les défunts). Le mois de novembre, c’est aussi le mois de la commémoration de l’armistice de la Grande Guerre, avec la cérémonie du 11 novembre.
Ce contexte liturgique de la prière pour les fidèles défunts et ce souvenir de la Grande Guerre nous amènent à nous poser une question : quel profit notre vie chrétienne peut-elle retirer du culte de la mémoire de la guerre de 14-18 ?
Commençons par une évidence : la Grande Guerre a eu lieu et elle a puissamment modifié l’histoire nationale et internationale, de même qu’elle a marqué au fer rouge nos familles, par la participation massive et sanglante de leurs membres à ce conflit.
La lecture des documents pontificaux de Benoît XV relatifs à ce conflit ainsi que l’étude de l’activité du pape durant ces événements permettent d’affirmer que cette guerre fratricide fut le suicide de l’Europe.
Parmi les contemporains du conflit, le maréchal Lyautey a une analyse intéressante. Apprenant le déclenchement de la guerre, il s’écrie : «Ils sont complètement fous! Une guerre entre Européens, c’est une guerre civile, la plus monumentale ânerie que le monde n’ait jamais faite.» Lyautey ne s’était pas réjoui de l’entrée en guerre de la France en 1914, mais il fallait alors pour penser ainsi une singulière indépendance d’esprit. En janvier 1919, il écrit : «Il m’est impossible de partager l’ivresse générale. J’estime que cette fin a été des plus mal menées au point de vue des grands intérêts et de l’avenir du pays.» Lyautey condamne aussi la dislocation de l’empire austro-hongrois.
La saignée irréparable infligée à la Nation l’affectait d’autant plus qu’il lui semblait que beaucoup de ces hécatombes auraient pu être évitées. Il fustigeait le gaspillage, l’éparpillement des responsabilités, l’absence de commandement unifié, autant de dysfonctionnements contre lesquels il ne cessait de se battre et qui, en 1917, précipitèrent sa chute du ministère de la Guerre. L’incompréhension fut totale entre lui et les députés au cours de sa brève expérience de ministre de la Guerre.
Mais 14-18, c’est aussi des Français, catholiques pour la plupart, plongés du jour au lendemain dans l’horreur de la guerre, sans qu’on leur ait laissé le choix. Cette épreuve révéla ce dont ils étaient capables grâce à leur éducation, leur formation, leurs vertus, et, pour beaucoup, leur vie chrétienne. Le sens du devoir jusqu’à l’oubli complet de soi et jusqu’au sacrifice de sa vie dans des conditions de guerre inhumaines et inconnues jusqu’alors : voilà l’exemple éminemment chrétien que nous donnent en masse les Poilus.
Si l’Église déteste la guerre, fléau de Dieu et conséquence du péché des hommes, elle y accompagne ses enfants, les poussant à l’héroïsme des vertus chrétiennes pratiquées dans des circonstances extrêmes. La guerre de 14-18 n’est pas une gloire, c’est un suicide de l’Occident. Sa brutalité inédite est une barbarie qui la fait condamner. Mais nos Poilus, pris dans l’engrenage, sont, eux, une gloire sur le plan de leur comportement personnel. « Ce que nous avons fait, c’est plus qu’on ne pouvait demander à des hommes, et nous l’avons fait », écrit Maurice Genevoix, ancien combattant, grièvement blessé aux Éparges en 1915.
Pour nous catholiques, il ne s’agit donc pas de faire de cette guerre une croisade, mais de reconnaître la grandeur dont ces hommes furent capables dans l’épreuve, au nom du devoir et de l’amour de la patrie. La mémoire de cette guerre atroce, dont nul ne conteste le caractère dramatiquement sanglant et proprement inhumain, ainsi que l’enjeu politique destructeur, doit nous permettre de garder confiance dans l’adversité et de nous rappeler nos racines matérielles et spirituelles. La leçon morale, cent ans après, est toujours valable.
Abbé Joël Malassagne