26 février 2010

[La Contre-Réforme Catholique] La meilleure part: prêtre, victime avec le Christ

SOURCE - La Contre-Réforme Catholique - Mars 2010
« Ô Christ, mon pauvre Dieu, te voilà tout seul, abandonné dans ton église de campagne dont le clocher menace ruine, tout seul dans ta maison mal balayée où n’entre personne, et tu entends dehors, le dimanche, le travail du dimanche qui se moque de toi...

« Alors, je viens ! Pour être avec toi un sans-foyer. Je viens pour être haï comme tu l’es, pour être, comme tu l’es, lépreux rejeté du groupe humain, cet homme isolé, singulier, cet homme en robe que les autres du village tiennent à l’écart et regardent en ricanant quand il passe.

« Je viens pour avoir besoin d’ouvrage, n’en pas trouver et me faire traiter de fainéant par les ivrognes et même, plus ou moins, par les gens raisonnables.

« Me voici... je viens, je passerai pour ignorant, pour fou... La calomnie m’épiera derrière la porte – “ un homme pareil aux autres... il fait ses coups en dessous ” – on mentira pour me nuire.

« Mais je viens, mon pauvre Maître, je viens à Toi, parce que tous t’ont abandonné... je viens... Et tous les deux, Toi dans ton église en détresse, moi à côté, dans ma maison vide – méconnu, Toi, méprisé, moi – nous serons tous les deux compagnons de misère. » (Marie Noël, Notes intimes)

ORAISON FUNÈBRE DU PÈRE RAYMOND ZAMBELLI
RECTEUR ÉMÉRITE DES SANCTUAIRES DE LISIEUX ET DE LOURDES
(Sermon de la Messe de Requiem du jeudi 18 février 2010)


Mes chers amis,

Quand me parvint la nouvelle de la mort du Père et que frère Bruno me proposa de célébrer la messe d’inhumation en cette chapelle de la communauté, c’est alors que me revint en mémoire cette admirable page de Bossuet que j’aimerais vous lire car elle nous introduit immédiatement et magistralement dans le mystère de la mort chrétienne :

« Il n’y a rien de plus grand dans l’univers que Jésus-Christ.

« Il n’y a rien de plus grand dans Jésus-Christ que son Sacrifice.

« Il n’y a rien de plus grand dans son Sacrifice que son dernier soupir et que le moment précieux qui sépara son âme de son corps.

« Tous les enfants des promesses prirent alors leurs places avec le Sauveur, et devenant avec Lui des victimes, leur mort qui n’aurait pu être jusque-là qu’une peine du péché, fut changée en celle de Jésus-Christ en son Sacrifice.

« La mort des chrétiens, consacrés dans le Baptême pour être des victimes, est devenue dans celle de Jésus-Christ, un Sacrifice parfait ; et de son oblation avec la leur, il ne s’est fait qu’une seule oblation.

« C’est donc là que toutes les agonies du monde se terminent. Jésus-Christ est le Souverain Prêtre de nos morts et jusqu’à la fin des siècles il perpétue son agonie et son Sacrifice dans la mort des fidèles ! »

Mes chers amis, quel heureux siècle où l’on s’exprimait de la sorte pour traduire les vérités de la foi catholique !

Il ne m’appartient pas de retracer ici la vie de cet homme exceptionnel que fut l’abbé Georges de Nantes ni de prononcer son panégyrique. D’autres, qui l’ont mieux connu, auront à cœur de le faire comme un légitime devoir de mémoire et de reconnaissance.

La liturgie des défunts nous convie à la retenue et à la sobriété pour ne pas perdre de vue l’essentiel. Et cet essentiel est contenu dans cette prière confiante et cette douce supplication que nous adressons à Dieu si riche en miséricorde, dans l’oraison de cette messe :

« Seigneur, à qui seul appartient de juger et de pardonner, nous te prions pour l’âme de notre frère Georges. » Tout est dit en si peu de mots : « Seigneur, à qui seul appartient de juger et de pardonner. »

Lorsque j’étais recteur du Sanctuaire de Lisieux, il me fut donné d’accueillir à maintes reprises les membres de la CRC venus en pèlerinage auprès d’une sainte que l’abbé de Nantes leur avait fait découvrir et aimer : la Petite Thérèse. À cette occasion il tint à me rencontrer et m’ouvrit son cœur sacerdotal. Il me sut gré de lui avoir accordé à Lisieux ce qu’il considérait comme une sorte de privilège et de grâce insigne. Il s’ensuivit, entre lui et moi, une correspondance que je conserve précieusement.

La Providence m’ayant ensuite conduit à Lourdes pour y être le recteur des Sanctuaires, j’eus à nouveau l’occasion de revoir et d’accueillir chaque année ces mêmes pèlerins, toujours plus nombreux, surtout en 2008 pour leur mémorable pèlerinage à l’occasion du 150e anniversaire des apparitions de l’Immaculée.

C’est ainsi que des liens de profonde estime et de grande cordialité se sont tissés au fil des ans jusqu’à ce que me soit donnée la joie d’être invité et accueilli dans cette maison Saint-Joseph à Saint-Parres.

En échangeant régulièrement avec les uns et les autres, quel ne fut pas un jour leur étonnement et le mien, de faire une découverte. On s’aperçut que le prêtre qui avait le plus marqué l’abbé Georges de Nantes et dont il disait qu’il lui avait tout appris et qu’il lui devait tout, était le même prêtre dont je devais faire la connaissance vingt ans plus tard dans des conditions analogues. Georges de Nantes l’avait connu pendant ses années de séminaire à Issy-les-Moulineaux, et moi pendant mes années de séminaire à Bayeux. Louis Vimal était donc ce prêtre de la Compagnie de Saint-Sulpice à qui nous devions de nous avoir initiés à la théologie, aux Pères de l’Église, à la splendeur de la liturgie, au monde des arts et de la poésie, il me suffit d’évoquer la petite dame d’Auxerre, Marie Noël, c’est lui qui sut nous faire partager sa passion pour le grand Siècle des âmes, nous apprendre à goûter Bossuet et par-dessus tout : Blaise Pascal, Auvergnat comme lui. Nous avions donc eu, en quelque sorte, en la personne de ce sulpicien surdoué et atypique, le même père nourricier. Cela crée nécessairement des liens profonds et durables...

Pour revenir à mes dernières rencontres avec l’abbé de Nantes au soir de sa vie, je conserverai toujours le souvenir ému de ma première visite dans sa chambre qui lui tenait lieu d’infirmerie.

Alité, aphasique, réduit à l’immobilité, il ne pouvait plus communiquer que par le regard, mais quel regard ! Je le vois entouré par ses frères qui se relayaient à son chevet comme autant d’anges gardiens. Il régnait dans cette chambre un climat de paix, de sérénité, de tendresse, de charité prévenante et de prière qui était son véritable oxygène, tant il est vrai qu’on ne peut vivre ni survivre sans amour. Là est le secret de cette improbable longévité qui lui a permis de demeurer parmi vous jusqu’à cette aube du 15 février où la Sainte Vierge est venue le chercher comme l’a écrit si justement frère Bruno dans l’annonce qu’il nous fit de sa mort.

En face de lui, en effet, il pouvait contempler nuit et jour la statue de Notre-Dame de Fatima pour laquelle il avait une si grande dévotion. Nul doute qu’elle a dû souvent lui murmurer à l’oreille ce qu’elle avait confié à Lucie le 13 juin 1917 :

« Ne te décourage pas. Je ne t’abandonnerai jamais ! Mon Cœur Immaculé sera ton refuge et le chemin qui te conduira jusqu’à Dieu. »

Même s’il descendait régulièrement à la chapelle, sa chambre était son oratoire. Son lit lui tenait lieu de patène où dans le silence et le mystère il pouvait s’offrir à l’Amour Miséricordieux du Bon Dieu et lui renouveler cette offrande à chaque battement de son cœur comme la Petite Thérèse nous l’a enseigné. Désormais, il se présente à nous sous les traits de la Sainte Enfance et de la Sainte Face. Il était devenu pauvre, confiant et abandonné comme un enfant. Il remplissait la condition posée par Jésus pour entrer dans le Royaume : redevenir un enfant.

Et dans sa configuration au Christ souffrant et crucifié dont il partagea la kénose, il vivait les recommandations de l’apôtre Paul à son disciple Timothée :

« Si nous mourons avec Lui, avec Lui nous vivrons.
« Si nous souffrons avec Lui, avec Lui nous régnerons. » (2 Tm 2, 11-12)

C’est sans doute de cette manière qu’il a obtenu pour lui-même, pour les siens, ses “ chéris ”, et pour l’Église tant de précieuses grâces.

Que de surprises nous aurons dans l’au-delà !

C’est précisément, – et au-delà des apparences –, cet autre monde dont l’Immaculée parlait à Bernadette dans le creux du rocher de Massabielle, le 18 février 1858, quand elle lui fit cette confidence :

« Je ne vous promets pas d’être heureuse en ce monde mais dans l’autre. »

En ce jour anniversaire de cette promesse de la Vierge Marie, prions la Petite Bernadette, dont c’est la fête, de nous affermir dans l’Espérance de cet autre monde.

Il me faut conclure, ou plus exactement j’aimerais que ce soit le Père lui-même qui s’adresse à nous pour nous livrer un ultime message. Il nous suffit pour cela d’ouvrir “ Mémoires et Récits ” au chapitre intitulé : “ Saintes âmes, saintes maisons ” :

« Il n’y a pas deux races d’hommes, les saints, les élus qui ont fui le combat et ne connaissent plus aucune de nos misères, et nous les gens du monde assaillis de tentations, pécheurs par nécessité. Il n’y a pas non plus des pharisiens là-bas, qui dissimulent leurs chutes, et les publicains que nous sommes, qui se confessent et recommencent. Il y a le corps fraternel de l’Église militante, dont tous doivent connaître l’épreuve, plus ou moins certes, à la mesure de la grâce et de leurs forces. Mais dont les uns prient beaucoup, les autres peu. Et chacun à toute heure reçoit du Père céleste, de Jésus crucifié et de sa sainte Mère, les secours qu’il demande pour demeurer fidèle et devenir saint, s’il le veut. J’ai eu des parents et des maîtres qui vivaient ainsi, et si je n’ai pas suivi, ou seulement suivi de loin leur exemple, en ma jeunesse légère, que Dieu me le pardonne. »

Écoutons-le dans la page célèbre de “ L’enterrement à Chônas ” :

« ... Ce que je pense déjà, revenant de l’église à la maison, ce que je pense toujours, c’est que pour traiter ce grand drame, unique et pourtant universel, de la mort du paysan, ou de sa femme, ou de son enfant, on n’a jamais inventé, on n’inventera jamais un ensemble de rites et de chants aussi majestueux, aussi simple, aussi pauvre de moyens, aussi riche de signification, affreusement pathétique et plein de mystique allégresse, que cette liturgie de ce temps-là, qui nous venait du fond des âges.

« Oserais-je vous dire que, dès cette époque lointaine, je me faisais une joie de mon propre enterrement, savourant en tous leurs détails exquis, les gestes tendres, les chants si doux que l’Église ferait alors sur mon corps, comme d’une mère, comme d’une épouse pour son bien-aimé ? Qu’il est doux de mourir, pensais-je, entre les bras de l’Église !

« Le mystère de l’arrachement d’un mort à la puissance des ténèbres qui le retient captif et sa rédemption par l’Hostie immaculée de la messe, offerte pour son salut, n’étaient-ils pas déjà, pour mes regards d’enfant, le spectacle même de son exaltation et de son entrée dans la béatitude éternelle du Père ? » Amen.

ALLOCUTION DE FRÈRE BRUNO DE JÉSUS AU CIMETIÈRE

« Bienheureux les persécutés pour la justice. » (Mt 5, 10) Toute la vie de notre Père fut une croix et un martyre, comme celle de Notre-Seigneur et pour la même raison : dans la pensée de l’enfer où vont les âmes des pauvres pécheurs. Et comme Notre-Seigneur mort condamné par les autorités juives, il s’est opposé de toutes ses forces, publiquement, aux forces de l’enfer déchaînées jusque dans l’Église, entouré d’une poignée de frères et de sœurs, et d’une petite “ phalange ” de disciples et d’amis. En butte à la haine et au mépris de la hiérarchie de l’Église, au silence gêné, ou assassin, des collègues et confrères, sauf exception courageuse et tellement réconfortante. Merci, cher Père !

Son fait est sans précédent parce qu’on ne connaît point, en deux mille ans d’Église, de procès intenté à un Pape, à un Concile, comme ceux qu’il a intentés par des actes explicites d’accusation, qui soit demeuré en suspens, sans réponse, sans jugement ! En attendant l’infaillible jugement du souverain Juge, ce silence, pour ne pas dire cette forfaiture, consacre l’abbé de Nantes, notre Père et fondateur des Petits frères et Petites sœurs du Sacré-Cœur, non seulement légitime fidèle de l’Église et vrai prêtre de Jésus-Christ, mais encore confesseur et docteur de la foi catholique romaine en nos temps d’apostasie.

Il n’est pas mort. Il est entré dans la vie, comme un petit enfant, à la ressemblance du bienheureux Louis Martin dont la “ démence ” faisait dire à la petite Thérèse en 1889 : « Papa, c’est le petit enfant du Bon Dieu. » À l’intention de ceux qui avaient partagé son humiliation, elle ajoutait : « Le bon Dieu, pour lui épargner de grandes souffrances, veut que nous souffrions pour lui ! »

Et en 1894, à sa sœur Léonie : « La mort de Papa ne me fait pas l’effet d’une mort mais d’une véritable vie. Je le retrouve après six ans d’absence (!), je le sens autour de moi me regardant et me protégeant. »

Bien chers frères et sœurs, amis phalangistes, ne sommes-nous pas plus unis encore maintenant que nous regardons les Cieux pour y découvrir un Père, sans oublier mère Marie-Noël, et frère Hugues et ses parents et grands-parents, bref, toute la Phalange de l’Immaculée que nous y reformerons bientôt autour de lui, notre Père bien-aimé, comme nous la formons dès ici-bas dans le Cœur Immaculé de Marie, car la vie est si brève ! Et alors, nous serons unis pour ne plus nous séparer, et nous serons heureux d’avoir combattu comme de bons et fidèles serviteurs pour que le Fils de l’Homme, quand il reviendra, trouve encore la foi sur la terre... Ainsi soit-il !