SOURCE - Lettre 217 de Paix Liturgique - 14 février 2010
Nous vous livrons cette semaine un numéro tout à fait exceptionnel de notre lettre de "Paix liturgique" en pensant que le dossier ardu que nous vous présentons aujourd'hui répondra aux attentes des centaines de groupes de demandeurs d'application des bienfaits du motu proprio "Summorum Pontificum" qui ont bien souvent l'impression d'être ignorés par des pasteurs qui ne les comprennent pas ou pire qui ne les aiment pas, en leur rappelant le Droit et la pratique spirituelle de notre Sainte Mère l'Église : voici le document.
Nous avons souvent insisté, et il nous semble utile de le faire à nouveau : le Motu Proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007 a établi un ensemble de règles pour l’exercice d’un droit, qualifiable de droit spirituel de nature cultuelle des fidèles laïcs comme on le verra plus loin, droit dont la Lettre apostolique constate l’existence. Ces règles, tous les intervenants, ministres du culte et fidèles laïcs, doivent les respecter avec soin pour bien adhérer à l’esprit du législateur, en l’espèce du Législateur Suprême, le Souverain Pontife. Il y va du sensus Ecclesiae, du sens de l’Église.
Un droit des fidèles laïcs d’une particulière importance
Il faut rappeler que le Droit de l’Église a des particularités notables qui tiennent à la nature divino-humaine de l’unique Épouse du Christ :
1/ Ce Droit de l’Église attache une particulière importance à tout ce qui touche à la distribution des sacrements, et donc à la manière dont ils sont célébrés. Du rituel sacramentel, qui est de fait le lien principal, mystique et institutionnel à la fois, d’un fidèle du Christ avec l’Église, émanent les droits et devoirs les plus sacrés.
2/ Ce Droit de l’Église, comme devrait l’être tout système législatif, mais a fortiori parce qu’il émane de la Mère la plus maternelle, vise le bien de tous avec une spéciale sollicitude. Ainsi, Summorum Pontificum expose ses motifs : « De nombreux fidèles se sont attachés et continuent à être attachés avec un tel amour et une telle passion aux formes liturgiques précédentes, qui avaient profondément imprégné leur culture et leur esprit » qu’ont été édictées les dispositions de 1984, puis de 1988, et « les prières instantes de ces fidèles ayant été déjà longuement pesées », c’est ce nouveau texte qui est publié.
3/ Ce Droit de l’Église, bien plus encore que tous les corpus législatifs soucieux de justice et d’équité, écarte avec le plus grand soin l’arbitraire : les voies de recours contre des décisions – ou des absences de décisions – qui pourraient causer un tort injuste aux personnes et aux communautés sont dans l’Église nombreuses et très faciles à mettre en œuvre. Le Code de Droit canonique promulgué en 1983 a d’ailleurs encore renforcé ce souci traditionnel de préserver au maximum le droit des personnes dans l’Église.
4/ Ce Droit de l’Église, comme la sainte liturgie, mais d’une autre manière, a un rapport avec la doctrine qu’elle est chargée d’enseigner. Tout dans l’Église est mission. Tout est évangélisation. Lors donc que la Lettre apostolique en forme de Motu Proprio déclare, après 40 ans de quasi abrogation pratique et idéologique, que le missel traditionnel « jamais abrogé » doit être « honoré en raison de son usage vénérable et antique », tout le monde comprend que les règles posées pour traduire cette affirmation entendent se rattacher à la tradition vivante de l’Église, celle qui au long des siècles explicite avec le magistère vivant le contenu du Dépôt de la foi.
Il faut d’ailleurs remarquer que le deuxième Motu Proprio concernant la forme extraordinaire du rite romain, à savoir le Motu proprio Ecclesiae unitatem, du 2 juillet 2009, réaménageant le rôle de la Commission Pontificale Ecclesia Dei, qui a été suivi de la nomination d’un nouveau Secrétaire, Mgr Guido Pozzo, renforce de fait ces particularités « catholiques et romaines » du droit à la célébration de la messe et des sacrements en cette forme ancienne. En effet, Ecclesiae unitatem a eu pour but de rattacher directement la Commission Ecclesia Dei à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dont le Préfet est devenu le Président. Cela, était-il expliqué par le Pape lui-même, permettait plus aisément d’ouvrir des discussions doctrinales avec la Fraternité Saint-Pie X .
Mais en outre, cela rattachait l’ensemble des instituts érigés pour former et regrouper des prêtres voués à la forme extraordinaire du rite romain à un organisme particulièrement proche du Pape, la Congrégation pour la Doctrine de la foi, à laquelle on donne couramment son nom ancien de Saint-Office. Et surtout, toutes les questions soulevées par la mise en œuvre dans les paroisses du droit des fidèles à la célébration de la liturgie sous sa forme ancienne relevaient de la sorte de la plus éminente des Congrégations, celle que l’on nommait jadis la Suprema, institutionnellement chargée d’aider le Pape à exprimer la foi de Pierre.
Quant à la nature du droit dont il est question dans Summorum Pontificum, elle se rattache au canon 214 du Code de Droit canonique, concernant le droit de rendre un culte à Dieu selon son rite liturgique : « Les fidèles ont le droit de rendre le culte à Dieu selon les dispositions de leur rite propre approuvé par les Pasteurs légitimes de l’Église, et de suivre leur forme propre de vie spirituelle qui soit toutefois conforme à la doctrine de l’Église ». Summorum Pontificum peut être considéré comme une précision et une interprétation de ce droit cultuel fondamental dans l’Église. Le Motu Proprio de 2007 traite en effet de deux « formes » à l’intérieur du rite romain : au maximum, on pourrait dire que la forme extraordinaire du rite romain jouit, par analogie, des mêmes droits qu’un autre rite latin (le rite mozarabe, par exemple), dont les fidèles ne relèvent pas d’une juridiction particulière, comme les fidèles des rites orientaux, mais sont soumis aux Ordinaires de rite romain ; au minimum, elle doit être considérée comme une « forme propre de vie spirituelle ». La véritable qualification est vraisemblablement une innovation juridique, qui s’inscrit à titre de précision entre les deux, à savoir entre rite liturgique et forme de vie spirituelle : la forme extraordinaire du rite romain serait alors une forme spirituelle de nature rituelle. Mais même en s’en tenant à l’hypothèse minimale, la forme extraordinaire du rite romain bénéficie du droit à une « forme spirituelle propre » – en l’espèce de nature cultuelle – que le Code de Droit canonique, dans le canon 214, assimile à un droit à un « rite liturgique » propre. On est donc, au minimum, en présence d’un droit spirituel de nature cultuelle devant être respecté à l’égal d’un rite liturgique propre.
Parce qu’il est de nature cultuelle, ce droit confirmé et d’une certaine manière relevé par les dernières dispositions du Souverain Pontife, touche à l’expression de la foi des fidèles du Christ, clercs et laïcs. D’autant que ce droit est universel : tout prêtre régulier ou séculier latin peut célébrer la messe selon le missel antique (art. 2) ; toute communauté ou institut religieux peut en bénéficier (art. 3) ; tout fidèle laïc individuellement (art. 4) ou en groupe (art. 5) peut en jouir. Et enfin parce ce que ce droit est un droit « de la vie », il destiné à s’appliquer dans le cadre de l’existence religieuse normale de tout fidèle laïc, la paroisse (art. 5).
Le processus de mise en œuvre de ce droit dans le cadre paroissial
De manière très sensible, le style de la Commission a changé depuis juillet 2009, se calquant sur les usages, la prudence, la rigueur administrative curiale, mais aussi la fermeté de ce « ministère » du Pape qu’est la « Suprême » Congrégation. Plus que jamais, il faut donc que tous s’attachent à respecter méticuleusement le processus soigneusement édicté par Summorum Pontificum. Nous avons déjà recommandé, et nous le faisons ici à nouveau, de réitérer ce processus s’il a été engagé sans succès avant juillet 2009 ou s’il s’est perdu dans les sables.
Nous rappelons que le processus pour obtenir que le droit à la célébration selon la forme extraordinaire comporte normalement un seul acte (1°/ la « demande » au curé ), mais qu’il peut comprendre deux étapes (2°/ la « demande » au curé et l’« information » à l’évêque, lorsque la « demande » n’a pas abouti), ou bien encore qu’il peut se dérouler en trois stades (3°/ la « demande » au curé, l’« information » à l’évêque et l’acte consistant à « en référer » à la Commission Ecclesia Dei, lorsque la « demande » et l’« information » ont été vaines) :
1°/ La « demande » faite au curé :
En premier lieu, il convient donc que le « groupe stable de fidèles » attachés à la liturgie antérieure fasse au curé de la paroisse (et non à l’évêque) une demande de célébration de messe selon la forme extraordinaire que le curé « accueillera volontiers » (art. 5 § 1). En soi le curé ne peut refuser l’application de ce droit spirituel de nature cultuelle des fidèles laïcs. Il peut seulement faire valoir des difficultés pratiques, généralement provisoires, que l’évêque aura soin de l’aider à résoudre (cf. 2°).
Aucun mode n’est prévu, aucun n’est interdit, pour que le groupe se reconnaisse comme tel et prenne la décision commune de faire une demande au curé du lieu. L’importance du groupe n’est aucunement spécifiée. En fait, le texte suppose la constitution, de n’importe quelle manière, sous quelque initiative que l’on voudra, d’une association de fait (1) – mais rien n’interdit la constitution canonique d’une « association de fidèles » –, dont l’ensemble des membres ou certains d’entre eux vont faire une demande courtoise à leur pasteur. Rien n’empêche au reste – l’esprit du texte le suppose même – que, dans le meilleur des cas, le curé organise lui-même la demande en interrogeant ses paroissiens, ou en suscitant la création d’un groupe de demandeurs, ou mieux encore en reconnaissant l’existence potentielle de ces demandeurs. Encore une fois, il s’agit uniquement pour le curé de la mise en œuvre en fonction de son inventio – de la mise au jour – par la demande des fidèles laïcs d’un droit spirituel de nature cultuelle préexistant. Les sondages réalisés sur ce thème, avant même la parution du Motu Proprio (sondage commandé par Le Pèlerin en décembre 2006) et a fortiori les sondages réalisés après le 7 juillet 2007 (sondage CSA de septembre 2008, confirmé par des sondages diocèse par diocèse), montrent qu’un tiers des fidèles assisteraient volontiers à cette forme de célébration si elle était normalement proposée dans le cadre des messes paroissiales.
La manière de la demande – comme il est largement d’usage dans le droit de l’Église – n’a pas à revêtir des formes particulières pour être licite et encore moins valide : la demande peut être faite par une lettre, ou oralement. Dans les cas les plus difficiles – mais généralement la prudence et les bons usages le déconseilleront –, on pourrait imaginer la requête par le moyen d’une lettre recommandée avec accusé de réception, ou d’un avocat ecclésiastique ou encore d’un officier ministériel civil. Inversement, dans les cas les plus aisés, le curé lui-même se contentera d’une demande implicite qu’il croira déceler chez certains de ses paroissiens.
Un refus pur et simple de la part du curé, notamment pour des raisons « idéologiques » (par exemple, un prétendu trouble de la « communion » des paroissiens, alors que le Motu Proprio vise au contraire à favoriser la communion dans la diversité au sein de toute l’Église et donc au sein de toutes les paroisses) serait un déni de justice indiscutable.
2°/ L’« information » transmise à l’évêque du refus du curé :
Si le groupe de fidèles n’obtient pas du curé la satisfaction de sa demande, il doit en informer l’évêque diocésain. Celui-ci « est instamment prié d’exaucer ce désir » (art. 7).
Ici encore, le refus du curé n’a pas à être constaté selon des formes particulières : il peut résulter d’une lettre, d’un refus oral, de l’écoulement d’un laps de temps sans réception d’une réponse.
De même, l’information peut être transmise à l’évêque par lettre, ou oralement. On pourrait aussi dans les cas les plus difficiles penser à des requêtes plus formelles. Mais inversement, il serait normal que l’évêque s’inquiète de lui-même du désir des fidèles de son diocèse avant même que lui soit parvenue une quelconque « information » (éventuellement, il pourrait aider ce désir à s’exprimer) et qu’il invite instamment ses curés à considérer favorablement cette aspiration, même implicite, en les encourageant à proposer d’eux-mêmes la célébration de la messe en forme extraordinaire dans leurs paroisses.
3°/ L’acte consistant à « en référer » à la Commission Ecclesia Dei lorsque l’évêque n’a pu pourvoir à la demande non remplie par le curé :
Si l’évêque ne pourvoit pas à cette forme de célébration, il faut « en référer » à la Commission Ecclesia Dei. Cet acte est posé soit par le groupe demandeur (art. 7), mais il peut aussi être le fait de l’évêque lui-même (art. 8).
Il importe de noter que le Motu Proprio – peut-être pour ménager les susceptibilités épiscopales, mais aussi par sens ecclésial – suppose qu’il n’y a pas a priori de mauvaise volonté chez l’évêque concernant un droit spirituel de nature cultuelle des fidèles laïcs. Si l’évêque ne pourvoit pas, c’est qu’« il ne peut pas » le faire (art. 7) et que « pour différentes raisons, [il] en est empêché » (art. 8). En réalité, un refus « idéologique » par l’évêque de célébrations paroissiales (par exemple au prétexte que la « communion » serait troublée, ou que les prêtres du diocèse manifesteraient de l’hostilité) serait un déni de justice beaucoup plus grave encore que celui du curé de paroisse, et le texte n’ose pas l’envisager expressément.
Cette impossibilité pratique (ou idéologique) que manifeste l’évêque de pouvoir à l’exercice du droit n’a pas non plus à être constatée selon des formes particulières : elle peut être signifiée par une lettre de l’évêque au curé qui la transmettra aux fidèles, ou par une lettre directement adressée par l’évêque ou l’un de ses collaborateurs aux fidèles, ou bien encore oralement, à moins que ce ne soit par une absence de réponse durant un certain temps.
S’agissant pour des fidèles laïcs d’« en référer » à la Commission Pontificale compétente, aucun formalisme n’est non plus requis. Cependant, pour des raisons de commodité et de facilité d’étude du dossier, c’est une lettre qu’il convient d’envoyer au Secrétaire de la Commission Pontificale (2). Il est recommandé qu’elle soit brève, respectueuse à l’endroit du curé et de l’évêque même si les laïcs ont constaté un déni de justice caractérisé. Elle a uniquement pour but de décrire sobrement et factuellement les deux étapes précédentes et leur inaboutissement.
Supposant la bonne volonté de l’évêque, le Motu Proprio prévoit alors que la Commission « lui fournira conseil et aide ». Concrètement, on voit mal quels moyens pratiques de mise en œuvre auxquels ni le curé ni l’évêque n’ont pensés, la Commission va pouvoir alors imaginer dans ses bureaux romains. Essentiellement, si la difficulté avancée pour ne pas pourvoir au droit des fidèles est l’incompétence du curé ou sa surcharge, elle peut conseiller d’user des services de tel prêtre idoine (art. 5 § 4), prêtre du diocèse, prêtre d’un autre diocèse ou prêtre d’un institut relevant de la Commission Pontificale Ecclesia Dei ou d’un autre institut. En réalité, on comprend que la Commission usera surtout de son poids moral pour inviter fortement à l’évêque à pourvoir à la demande du droit des fidèles laïcs que le curé aurait dû « accueillir volontiers » et qu’il était, lui l’évêque, « instamment prié d’exaucer ».
Les recours contentieux éventuellement envisageables
On reste, jusque-là (2°/ et 3°/), dans le domaine qu’en droit pénal ou administratif laïc, on qualifierait de recours « gracieux ». Mais si, après avoir suivi ce processus en trois étapes, il advenait que des demandes de groupes de fidèles ne soient toujours pas remplies, que conviendrait-il de faire, cette fois du point de vue contentieux ? Car un droit des fidèles d’un registre tellement élevé, aussi clairement et aussi solennellement affirmé par un document pontifical, ne saurait être méprisé.
Il est vrai cependant que l’on se trouve dans un domaine très sensible, qui pour l’heure change beaucoup d’habitudes et heurte bien des mentalités abusivement installées, et qui par ailleurs n’est pas encore pleinement « rodé ». C’est donc pour ordre que nous évoquons ici en quelques mots les moyens contentieux qui existent, et qui plus qu’en tout autre domaine, il sera naturel d’exercer dans le futur. Mais nous invitons pour l’instant à la patience avant que soient clairement dégagés par les canonistes les moyens de faire exercer ce droit contre des dénis de justice, et avant de s’engager dans cette voie contentieuse. Ces moyens pourront être de deux sortes :
1. L’usage par la Commission Pontificale d’un pouvoir d’obliger : il est probable que des textes ou instructions à venir préciseront le droit de coaction que la Commission Pontificale Ecclesia Dei, qui fait désormais partie de la Congrégation pour la Doctrine de la foi et qui participe de son pouvoir juridictionnel, pourra exercer sur un évêque ou/et sur un curé coupable de déni de justice : cette Commission, dit l’art. 12, « exercera l’autorité du Saint-Siège en veillant à l’observance et à l’application de ces dispositions ».
2. D’autres recours pourront ensuite ou conjointement être mis en œuvre :
a) Devant le Conseil Pontifical des Textes Législatifs.
b) Concernant le refus du curé, devant l’officialité diocésaine, avec appel possible devant l’officialité d’appel, et enfin recours éventuel devant un Tribunal romain.
Le curé de paroisse, garant-né de l’application de ce droit sacramentel des fidèles laïcs
Canoniquement, tout le dispositif du Motu Proprio Summorum Pontificum repose donc sur le curé de paroisse, dont le devoir de pasteur, correspondant au droit spirituel de nature cultuelle des fidèles dont il s’agit, consiste à « accueillir volontiers leur demande ».
On pourrait croire que le Motu Proprio, tenant compte de la mauvaise volonté d’un certain nombre d’évêque à appliquer les textes de 1984 et de 1988 (Quattuor abhinc annos. Ecclesia Dei adflicta) passe par-dessus la tête de ces évêques pour que le Pape ait désormais un peu plus de chance d’être obéi. C’est bien possible, mais on peut dire aussi que s’agissant d’un droit liturgique reconnu à tous les fidèles latins et non d’un privilège, il relève directement de la vie paroissiale normale, et donc de l’administration propre du curé. Le culte étant essentiellement pour les fidèles laïcs le culte dominical, la mise en œuvre de ce droit spirituel de nature cultuelle concerne la messe dominicale de la paroisse (art. 5 § 2). Le curé n’a pas plus à demander de permission particulière dans ce cas à l’administration diocésaine que pour organiser son calendrier cultuel hebdomadaire : de même qu’il décide que c’est la messe de telle heure qui sera une messe chantée, et celle de telle autre heure qui sera une messe lue, il peut régler que la messe dominicale de telle heure sera célébrée en forme extraordinaire.
Il est certes normal que pour l’ensemble de cette organisation (la célébration des messes du samedi soir ; la célébration en forme extraordinaire ; la célébration « tournante » dans les diverses églises dont il a la charge ; etc.), il tienne informé ses supérieurs hiérarchiques. Le Motu Proprio rappelle donc, comme il le ferait à propos de tout autre domaine relevant de cette organisation que l’exercice de « la sollicitude pastorale de la paroisse » est placé « sous le gouvernement de l’Évêque selon les normes du canon 392, en évitant la discorde et en favorisant l’unité de toute l’Église » (art. 5 § 1) (3). Mais il est incontestable que la responsabilité d’« accueillir volontiers » la requête de mise en œuvre du droit des fidèles revient au curé et qu’il ne saurait s’en décharger sur personne d’autre.
Au curé, ou à celui qui en tient lieu. Car c’est un problème qui préoccupe vivement les canonistes romains et que des affaires contentieuses futures concernant des dénis de justice à propos de l’exercice de ce droit spirituel de nature cultuelle des fidèles laïcs pourraient mettre en lumière : les droits du curé ont été amenuisés par les évêques depuis le Concile. Le principe demeure certes celui de la traditionnelle inamovibilité du curé (que l’adage populaire traduisait : « Le curé est pape dans sa paroisse »). Mais les Conférences des évêques de chaque pays ont reçu la faculté d’y déroger. C’est le cas en France : les curés sont désormais nommés ad tempus, ce qui déséquilibre notablement la structure de la vie diocésaine traditionnelle : l’évêque postconciliaire français a de fait beaucoup plus de pouvoir sur ses curés par le jeu des nominations que n’avait l’évêque traditionnel. Par ailleurs, il arrive fréquemment que les évêques ne nomment plus de curés, mais seulement des administrateurs paroissiaux, ce qui rend ces prêtres plus dépendants encore de l’administration diocésaine. Enfin, quid des « regroupements paroissiaux », dont il n’est pas toujours très clair qu’ils constituent des paroisses juridiquement parlant ?
Nous ne saurions trop insister à nouveau en conclusion : nous invitons les fidèles laïcs qui ont déjà fait des demandes engagées avant juillet 2009 qui n'ont pas abouti à reprendre à frais nouveaux, posément, le processus de requête de messe en forme extraordinaire.
En définitive, tous doivent avoir bien présent à l’esprit que c’est le curé de paroisse ou celui qui en tient lieu qui est la clé du dispositif législatif organisé par le Motu Proprio Summorum Pontificum pour mettre en œuvre le droit spirituel de nature cultuelle des fidèles laïcs à la célébration de la messe en sa forme traditionnelle. Ce qui est normal, puisque par définition c’est lui qui a la cure des âmes qui lui sont confiées et qu’il en répondra au tribunal de Dieu.
(1) Can. 215 – Les fidèles ont la liberté de fonder et de diriger librement des associations ayant pour but la charité ou la piété, ou encore destinées à promouvoir la vocation chrétienne dans le monde, ainsi que de se réunir afin de poursuivre ensemble ces mêmes fins.
(2) Par la poste : Rev Mons Pozzo, Secrétaire de la Commission Pontificale Ecclesia Dei, SCV 00120 Città del Vaticano – ou par fax : 00 39/6 698 8 34 12.
(3) On notera d’ailleurs que la référence au canon 392 urge gravement le devoir de l’évêque de pourvoir à la demande de mise en œuvre du droit que le curé n’aurait pas rempli : «Can. 392 – § 1. Parce qu’il doit défendre l’unité de l’Église tout entière, l’Évêque est tenu de promouvoir la discipline commune à toute l’Église et en conséquence il est tenu d’urger l’observation de toutes les lois ecclésiastiques. § 2. Il veillera à ce que des abus ne se glissent pas dans la discipline ecclésiastique, surtout en ce qui concerne le ministère de la parole, la célébration des sacrements et des sacramentaux, le culte de Dieu et des saints, ainsi que l’administration des biens»
Nous vous livrons cette semaine un numéro tout à fait exceptionnel de notre lettre de "Paix liturgique" en pensant que le dossier ardu que nous vous présentons aujourd'hui répondra aux attentes des centaines de groupes de demandeurs d'application des bienfaits du motu proprio "Summorum Pontificum" qui ont bien souvent l'impression d'être ignorés par des pasteurs qui ne les comprennent pas ou pire qui ne les aiment pas, en leur rappelant le Droit et la pratique spirituelle de notre Sainte Mère l'Église : voici le document.
Nous avons souvent insisté, et il nous semble utile de le faire à nouveau : le Motu Proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007 a établi un ensemble de règles pour l’exercice d’un droit, qualifiable de droit spirituel de nature cultuelle des fidèles laïcs comme on le verra plus loin, droit dont la Lettre apostolique constate l’existence. Ces règles, tous les intervenants, ministres du culte et fidèles laïcs, doivent les respecter avec soin pour bien adhérer à l’esprit du législateur, en l’espèce du Législateur Suprême, le Souverain Pontife. Il y va du sensus Ecclesiae, du sens de l’Église.
Un droit des fidèles laïcs d’une particulière importance
Il faut rappeler que le Droit de l’Église a des particularités notables qui tiennent à la nature divino-humaine de l’unique Épouse du Christ :
1/ Ce Droit de l’Église attache une particulière importance à tout ce qui touche à la distribution des sacrements, et donc à la manière dont ils sont célébrés. Du rituel sacramentel, qui est de fait le lien principal, mystique et institutionnel à la fois, d’un fidèle du Christ avec l’Église, émanent les droits et devoirs les plus sacrés.
2/ Ce Droit de l’Église, comme devrait l’être tout système législatif, mais a fortiori parce qu’il émane de la Mère la plus maternelle, vise le bien de tous avec une spéciale sollicitude. Ainsi, Summorum Pontificum expose ses motifs : « De nombreux fidèles se sont attachés et continuent à être attachés avec un tel amour et une telle passion aux formes liturgiques précédentes, qui avaient profondément imprégné leur culture et leur esprit » qu’ont été édictées les dispositions de 1984, puis de 1988, et « les prières instantes de ces fidèles ayant été déjà longuement pesées », c’est ce nouveau texte qui est publié.
3/ Ce Droit de l’Église, bien plus encore que tous les corpus législatifs soucieux de justice et d’équité, écarte avec le plus grand soin l’arbitraire : les voies de recours contre des décisions – ou des absences de décisions – qui pourraient causer un tort injuste aux personnes et aux communautés sont dans l’Église nombreuses et très faciles à mettre en œuvre. Le Code de Droit canonique promulgué en 1983 a d’ailleurs encore renforcé ce souci traditionnel de préserver au maximum le droit des personnes dans l’Église.
4/ Ce Droit de l’Église, comme la sainte liturgie, mais d’une autre manière, a un rapport avec la doctrine qu’elle est chargée d’enseigner. Tout dans l’Église est mission. Tout est évangélisation. Lors donc que la Lettre apostolique en forme de Motu Proprio déclare, après 40 ans de quasi abrogation pratique et idéologique, que le missel traditionnel « jamais abrogé » doit être « honoré en raison de son usage vénérable et antique », tout le monde comprend que les règles posées pour traduire cette affirmation entendent se rattacher à la tradition vivante de l’Église, celle qui au long des siècles explicite avec le magistère vivant le contenu du Dépôt de la foi.
Il faut d’ailleurs remarquer que le deuxième Motu Proprio concernant la forme extraordinaire du rite romain, à savoir le Motu proprio Ecclesiae unitatem, du 2 juillet 2009, réaménageant le rôle de la Commission Pontificale Ecclesia Dei, qui a été suivi de la nomination d’un nouveau Secrétaire, Mgr Guido Pozzo, renforce de fait ces particularités « catholiques et romaines » du droit à la célébration de la messe et des sacrements en cette forme ancienne. En effet, Ecclesiae unitatem a eu pour but de rattacher directement la Commission Ecclesia Dei à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dont le Préfet est devenu le Président. Cela, était-il expliqué par le Pape lui-même, permettait plus aisément d’ouvrir des discussions doctrinales avec la Fraternité Saint-Pie X .
Mais en outre, cela rattachait l’ensemble des instituts érigés pour former et regrouper des prêtres voués à la forme extraordinaire du rite romain à un organisme particulièrement proche du Pape, la Congrégation pour la Doctrine de la foi, à laquelle on donne couramment son nom ancien de Saint-Office. Et surtout, toutes les questions soulevées par la mise en œuvre dans les paroisses du droit des fidèles à la célébration de la liturgie sous sa forme ancienne relevaient de la sorte de la plus éminente des Congrégations, celle que l’on nommait jadis la Suprema, institutionnellement chargée d’aider le Pape à exprimer la foi de Pierre.
Quant à la nature du droit dont il est question dans Summorum Pontificum, elle se rattache au canon 214 du Code de Droit canonique, concernant le droit de rendre un culte à Dieu selon son rite liturgique : « Les fidèles ont le droit de rendre le culte à Dieu selon les dispositions de leur rite propre approuvé par les Pasteurs légitimes de l’Église, et de suivre leur forme propre de vie spirituelle qui soit toutefois conforme à la doctrine de l’Église ». Summorum Pontificum peut être considéré comme une précision et une interprétation de ce droit cultuel fondamental dans l’Église. Le Motu Proprio de 2007 traite en effet de deux « formes » à l’intérieur du rite romain : au maximum, on pourrait dire que la forme extraordinaire du rite romain jouit, par analogie, des mêmes droits qu’un autre rite latin (le rite mozarabe, par exemple), dont les fidèles ne relèvent pas d’une juridiction particulière, comme les fidèles des rites orientaux, mais sont soumis aux Ordinaires de rite romain ; au minimum, elle doit être considérée comme une « forme propre de vie spirituelle ». La véritable qualification est vraisemblablement une innovation juridique, qui s’inscrit à titre de précision entre les deux, à savoir entre rite liturgique et forme de vie spirituelle : la forme extraordinaire du rite romain serait alors une forme spirituelle de nature rituelle. Mais même en s’en tenant à l’hypothèse minimale, la forme extraordinaire du rite romain bénéficie du droit à une « forme spirituelle propre » – en l’espèce de nature cultuelle – que le Code de Droit canonique, dans le canon 214, assimile à un droit à un « rite liturgique » propre. On est donc, au minimum, en présence d’un droit spirituel de nature cultuelle devant être respecté à l’égal d’un rite liturgique propre.
Parce qu’il est de nature cultuelle, ce droit confirmé et d’une certaine manière relevé par les dernières dispositions du Souverain Pontife, touche à l’expression de la foi des fidèles du Christ, clercs et laïcs. D’autant que ce droit est universel : tout prêtre régulier ou séculier latin peut célébrer la messe selon le missel antique (art. 2) ; toute communauté ou institut religieux peut en bénéficier (art. 3) ; tout fidèle laïc individuellement (art. 4) ou en groupe (art. 5) peut en jouir. Et enfin parce ce que ce droit est un droit « de la vie », il destiné à s’appliquer dans le cadre de l’existence religieuse normale de tout fidèle laïc, la paroisse (art. 5).
Le processus de mise en œuvre de ce droit dans le cadre paroissial
De manière très sensible, le style de la Commission a changé depuis juillet 2009, se calquant sur les usages, la prudence, la rigueur administrative curiale, mais aussi la fermeté de ce « ministère » du Pape qu’est la « Suprême » Congrégation. Plus que jamais, il faut donc que tous s’attachent à respecter méticuleusement le processus soigneusement édicté par Summorum Pontificum. Nous avons déjà recommandé, et nous le faisons ici à nouveau, de réitérer ce processus s’il a été engagé sans succès avant juillet 2009 ou s’il s’est perdu dans les sables.
Nous rappelons que le processus pour obtenir que le droit à la célébration selon la forme extraordinaire comporte normalement un seul acte (1°/ la « demande » au curé ), mais qu’il peut comprendre deux étapes (2°/ la « demande » au curé et l’« information » à l’évêque, lorsque la « demande » n’a pas abouti), ou bien encore qu’il peut se dérouler en trois stades (3°/ la « demande » au curé, l’« information » à l’évêque et l’acte consistant à « en référer » à la Commission Ecclesia Dei, lorsque la « demande » et l’« information » ont été vaines) :
1°/ La « demande » faite au curé :
En premier lieu, il convient donc que le « groupe stable de fidèles » attachés à la liturgie antérieure fasse au curé de la paroisse (et non à l’évêque) une demande de célébration de messe selon la forme extraordinaire que le curé « accueillera volontiers » (art. 5 § 1). En soi le curé ne peut refuser l’application de ce droit spirituel de nature cultuelle des fidèles laïcs. Il peut seulement faire valoir des difficultés pratiques, généralement provisoires, que l’évêque aura soin de l’aider à résoudre (cf. 2°).
Aucun mode n’est prévu, aucun n’est interdit, pour que le groupe se reconnaisse comme tel et prenne la décision commune de faire une demande au curé du lieu. L’importance du groupe n’est aucunement spécifiée. En fait, le texte suppose la constitution, de n’importe quelle manière, sous quelque initiative que l’on voudra, d’une association de fait (1) – mais rien n’interdit la constitution canonique d’une « association de fidèles » –, dont l’ensemble des membres ou certains d’entre eux vont faire une demande courtoise à leur pasteur. Rien n’empêche au reste – l’esprit du texte le suppose même – que, dans le meilleur des cas, le curé organise lui-même la demande en interrogeant ses paroissiens, ou en suscitant la création d’un groupe de demandeurs, ou mieux encore en reconnaissant l’existence potentielle de ces demandeurs. Encore une fois, il s’agit uniquement pour le curé de la mise en œuvre en fonction de son inventio – de la mise au jour – par la demande des fidèles laïcs d’un droit spirituel de nature cultuelle préexistant. Les sondages réalisés sur ce thème, avant même la parution du Motu Proprio (sondage commandé par Le Pèlerin en décembre 2006) et a fortiori les sondages réalisés après le 7 juillet 2007 (sondage CSA de septembre 2008, confirmé par des sondages diocèse par diocèse), montrent qu’un tiers des fidèles assisteraient volontiers à cette forme de célébration si elle était normalement proposée dans le cadre des messes paroissiales.
La manière de la demande – comme il est largement d’usage dans le droit de l’Église – n’a pas à revêtir des formes particulières pour être licite et encore moins valide : la demande peut être faite par une lettre, ou oralement. Dans les cas les plus difficiles – mais généralement la prudence et les bons usages le déconseilleront –, on pourrait imaginer la requête par le moyen d’une lettre recommandée avec accusé de réception, ou d’un avocat ecclésiastique ou encore d’un officier ministériel civil. Inversement, dans les cas les plus aisés, le curé lui-même se contentera d’une demande implicite qu’il croira déceler chez certains de ses paroissiens.
Un refus pur et simple de la part du curé, notamment pour des raisons « idéologiques » (par exemple, un prétendu trouble de la « communion » des paroissiens, alors que le Motu Proprio vise au contraire à favoriser la communion dans la diversité au sein de toute l’Église et donc au sein de toutes les paroisses) serait un déni de justice indiscutable.
2°/ L’« information » transmise à l’évêque du refus du curé :
Si le groupe de fidèles n’obtient pas du curé la satisfaction de sa demande, il doit en informer l’évêque diocésain. Celui-ci « est instamment prié d’exaucer ce désir » (art. 7).
Ici encore, le refus du curé n’a pas à être constaté selon des formes particulières : il peut résulter d’une lettre, d’un refus oral, de l’écoulement d’un laps de temps sans réception d’une réponse.
De même, l’information peut être transmise à l’évêque par lettre, ou oralement. On pourrait aussi dans les cas les plus difficiles penser à des requêtes plus formelles. Mais inversement, il serait normal que l’évêque s’inquiète de lui-même du désir des fidèles de son diocèse avant même que lui soit parvenue une quelconque « information » (éventuellement, il pourrait aider ce désir à s’exprimer) et qu’il invite instamment ses curés à considérer favorablement cette aspiration, même implicite, en les encourageant à proposer d’eux-mêmes la célébration de la messe en forme extraordinaire dans leurs paroisses.
3°/ L’acte consistant à « en référer » à la Commission Ecclesia Dei lorsque l’évêque n’a pu pourvoir à la demande non remplie par le curé :
Si l’évêque ne pourvoit pas à cette forme de célébration, il faut « en référer » à la Commission Ecclesia Dei. Cet acte est posé soit par le groupe demandeur (art. 7), mais il peut aussi être le fait de l’évêque lui-même (art. 8).
Il importe de noter que le Motu Proprio – peut-être pour ménager les susceptibilités épiscopales, mais aussi par sens ecclésial – suppose qu’il n’y a pas a priori de mauvaise volonté chez l’évêque concernant un droit spirituel de nature cultuelle des fidèles laïcs. Si l’évêque ne pourvoit pas, c’est qu’« il ne peut pas » le faire (art. 7) et que « pour différentes raisons, [il] en est empêché » (art. 8). En réalité, un refus « idéologique » par l’évêque de célébrations paroissiales (par exemple au prétexte que la « communion » serait troublée, ou que les prêtres du diocèse manifesteraient de l’hostilité) serait un déni de justice beaucoup plus grave encore que celui du curé de paroisse, et le texte n’ose pas l’envisager expressément.
Cette impossibilité pratique (ou idéologique) que manifeste l’évêque de pouvoir à l’exercice du droit n’a pas non plus à être constatée selon des formes particulières : elle peut être signifiée par une lettre de l’évêque au curé qui la transmettra aux fidèles, ou par une lettre directement adressée par l’évêque ou l’un de ses collaborateurs aux fidèles, ou bien encore oralement, à moins que ce ne soit par une absence de réponse durant un certain temps.
S’agissant pour des fidèles laïcs d’« en référer » à la Commission Pontificale compétente, aucun formalisme n’est non plus requis. Cependant, pour des raisons de commodité et de facilité d’étude du dossier, c’est une lettre qu’il convient d’envoyer au Secrétaire de la Commission Pontificale (2). Il est recommandé qu’elle soit brève, respectueuse à l’endroit du curé et de l’évêque même si les laïcs ont constaté un déni de justice caractérisé. Elle a uniquement pour but de décrire sobrement et factuellement les deux étapes précédentes et leur inaboutissement.
Supposant la bonne volonté de l’évêque, le Motu Proprio prévoit alors que la Commission « lui fournira conseil et aide ». Concrètement, on voit mal quels moyens pratiques de mise en œuvre auxquels ni le curé ni l’évêque n’ont pensés, la Commission va pouvoir alors imaginer dans ses bureaux romains. Essentiellement, si la difficulté avancée pour ne pas pourvoir au droit des fidèles est l’incompétence du curé ou sa surcharge, elle peut conseiller d’user des services de tel prêtre idoine (art. 5 § 4), prêtre du diocèse, prêtre d’un autre diocèse ou prêtre d’un institut relevant de la Commission Pontificale Ecclesia Dei ou d’un autre institut. En réalité, on comprend que la Commission usera surtout de son poids moral pour inviter fortement à l’évêque à pourvoir à la demande du droit des fidèles laïcs que le curé aurait dû « accueillir volontiers » et qu’il était, lui l’évêque, « instamment prié d’exaucer ».
Les recours contentieux éventuellement envisageables
On reste, jusque-là (2°/ et 3°/), dans le domaine qu’en droit pénal ou administratif laïc, on qualifierait de recours « gracieux ». Mais si, après avoir suivi ce processus en trois étapes, il advenait que des demandes de groupes de fidèles ne soient toujours pas remplies, que conviendrait-il de faire, cette fois du point de vue contentieux ? Car un droit des fidèles d’un registre tellement élevé, aussi clairement et aussi solennellement affirmé par un document pontifical, ne saurait être méprisé.
Il est vrai cependant que l’on se trouve dans un domaine très sensible, qui pour l’heure change beaucoup d’habitudes et heurte bien des mentalités abusivement installées, et qui par ailleurs n’est pas encore pleinement « rodé ». C’est donc pour ordre que nous évoquons ici en quelques mots les moyens contentieux qui existent, et qui plus qu’en tout autre domaine, il sera naturel d’exercer dans le futur. Mais nous invitons pour l’instant à la patience avant que soient clairement dégagés par les canonistes les moyens de faire exercer ce droit contre des dénis de justice, et avant de s’engager dans cette voie contentieuse. Ces moyens pourront être de deux sortes :
1. L’usage par la Commission Pontificale d’un pouvoir d’obliger : il est probable que des textes ou instructions à venir préciseront le droit de coaction que la Commission Pontificale Ecclesia Dei, qui fait désormais partie de la Congrégation pour la Doctrine de la foi et qui participe de son pouvoir juridictionnel, pourra exercer sur un évêque ou/et sur un curé coupable de déni de justice : cette Commission, dit l’art. 12, « exercera l’autorité du Saint-Siège en veillant à l’observance et à l’application de ces dispositions ».
2. D’autres recours pourront ensuite ou conjointement être mis en œuvre :
a) Devant le Conseil Pontifical des Textes Législatifs.
b) Concernant le refus du curé, devant l’officialité diocésaine, avec appel possible devant l’officialité d’appel, et enfin recours éventuel devant un Tribunal romain.
Le curé de paroisse, garant-né de l’application de ce droit sacramentel des fidèles laïcs
Canoniquement, tout le dispositif du Motu Proprio Summorum Pontificum repose donc sur le curé de paroisse, dont le devoir de pasteur, correspondant au droit spirituel de nature cultuelle des fidèles dont il s’agit, consiste à « accueillir volontiers leur demande ».
On pourrait croire que le Motu Proprio, tenant compte de la mauvaise volonté d’un certain nombre d’évêque à appliquer les textes de 1984 et de 1988 (Quattuor abhinc annos. Ecclesia Dei adflicta) passe par-dessus la tête de ces évêques pour que le Pape ait désormais un peu plus de chance d’être obéi. C’est bien possible, mais on peut dire aussi que s’agissant d’un droit liturgique reconnu à tous les fidèles latins et non d’un privilège, il relève directement de la vie paroissiale normale, et donc de l’administration propre du curé. Le culte étant essentiellement pour les fidèles laïcs le culte dominical, la mise en œuvre de ce droit spirituel de nature cultuelle concerne la messe dominicale de la paroisse (art. 5 § 2). Le curé n’a pas plus à demander de permission particulière dans ce cas à l’administration diocésaine que pour organiser son calendrier cultuel hebdomadaire : de même qu’il décide que c’est la messe de telle heure qui sera une messe chantée, et celle de telle autre heure qui sera une messe lue, il peut régler que la messe dominicale de telle heure sera célébrée en forme extraordinaire.
Il est certes normal que pour l’ensemble de cette organisation (la célébration des messes du samedi soir ; la célébration en forme extraordinaire ; la célébration « tournante » dans les diverses églises dont il a la charge ; etc.), il tienne informé ses supérieurs hiérarchiques. Le Motu Proprio rappelle donc, comme il le ferait à propos de tout autre domaine relevant de cette organisation que l’exercice de « la sollicitude pastorale de la paroisse » est placé « sous le gouvernement de l’Évêque selon les normes du canon 392, en évitant la discorde et en favorisant l’unité de toute l’Église » (art. 5 § 1) (3). Mais il est incontestable que la responsabilité d’« accueillir volontiers » la requête de mise en œuvre du droit des fidèles revient au curé et qu’il ne saurait s’en décharger sur personne d’autre.
Au curé, ou à celui qui en tient lieu. Car c’est un problème qui préoccupe vivement les canonistes romains et que des affaires contentieuses futures concernant des dénis de justice à propos de l’exercice de ce droit spirituel de nature cultuelle des fidèles laïcs pourraient mettre en lumière : les droits du curé ont été amenuisés par les évêques depuis le Concile. Le principe demeure certes celui de la traditionnelle inamovibilité du curé (que l’adage populaire traduisait : « Le curé est pape dans sa paroisse »). Mais les Conférences des évêques de chaque pays ont reçu la faculté d’y déroger. C’est le cas en France : les curés sont désormais nommés ad tempus, ce qui déséquilibre notablement la structure de la vie diocésaine traditionnelle : l’évêque postconciliaire français a de fait beaucoup plus de pouvoir sur ses curés par le jeu des nominations que n’avait l’évêque traditionnel. Par ailleurs, il arrive fréquemment que les évêques ne nomment plus de curés, mais seulement des administrateurs paroissiaux, ce qui rend ces prêtres plus dépendants encore de l’administration diocésaine. Enfin, quid des « regroupements paroissiaux », dont il n’est pas toujours très clair qu’ils constituent des paroisses juridiquement parlant ?
Nous ne saurions trop insister à nouveau en conclusion : nous invitons les fidèles laïcs qui ont déjà fait des demandes engagées avant juillet 2009 qui n'ont pas abouti à reprendre à frais nouveaux, posément, le processus de requête de messe en forme extraordinaire.
En définitive, tous doivent avoir bien présent à l’esprit que c’est le curé de paroisse ou celui qui en tient lieu qui est la clé du dispositif législatif organisé par le Motu Proprio Summorum Pontificum pour mettre en œuvre le droit spirituel de nature cultuelle des fidèles laïcs à la célébration de la messe en sa forme traditionnelle. Ce qui est normal, puisque par définition c’est lui qui a la cure des âmes qui lui sont confiées et qu’il en répondra au tribunal de Dieu.
(1) Can. 215 – Les fidèles ont la liberté de fonder et de diriger librement des associations ayant pour but la charité ou la piété, ou encore destinées à promouvoir la vocation chrétienne dans le monde, ainsi que de se réunir afin de poursuivre ensemble ces mêmes fins.
(2) Par la poste : Rev Mons Pozzo, Secrétaire de la Commission Pontificale Ecclesia Dei, SCV 00120 Città del Vaticano – ou par fax : 00 39/6 698 8 34 12.
(3) On notera d’ailleurs que la référence au canon 392 urge gravement le devoir de l’évêque de pourvoir à la demande de mise en œuvre du droit que le curé n’aurait pas rempli : «Can. 392 – § 1. Parce qu’il doit défendre l’unité de l’Église tout entière, l’Évêque est tenu de promouvoir la discipline commune à toute l’Église et en conséquence il est tenu d’urger l’observation de toutes les lois ecclésiastiques. § 2. Il veillera à ce que des abus ne se glissent pas dans la discipline ecclésiastique, surtout en ce qui concerne le ministère de la parole, la célébration des sacrements et des sacramentaux, le culte de Dieu et des saints, ainsi que l’administration des biens»