13 juin 2014

[Dominicains d'Avrillé - Le Sel de la Terre] Un ordre naturel et surnaturel - La doctrine avant la pratique

SOURCE - Dominicains d'Avrillé - Le Sel de la Terre - Printemps 2014

Entre les trois personnes de la Sainte Trinité, il y a un ordre. La deuxième personne est le Fils, la troisième le Saint-Esprit. Le Fils procède par voie d’intelligence, comme le Verbe de Dieu. Le Saint-Esprit procède par voie d’amour, comme l’Amour qui unit le Père et le Fils. Cet ordre surnaturel se retrouve dans la nature : l’intelligence précède la volonté, la connaissance précède l’amour, le vrai précède le bien. Ce principe s’exprime de différentes manières dans la philosophie scolastique: « Nihil volitum nisi præcognitum (rien n’est voulu qui n’est d’abord connu) », « ignoti nulla cupido (on ne peut désirer ce qu’on ne connaît pas) », etc. De ce principe découle que la doctrine précède la discipline, le dogme précède la morale. C’est ainsi que les épîtres de saint Paul commencent par une partie dogmatique avant la partie morale, que les conciles commencent par des décrets dogmatiques avant les décrets disciplinaires, que la Prima Pars de la Somme théologique précède la Secunda Pars (contenant la théologie morale), etc. 

Cette prééminence de la doctrine sur la pratique est un ordre naturel et surnaturel. Il se peut toutefois que, dans le temps et en raison de certaines circonstances, on doive commencer par la pratique avant la doctrine. Par exemple, on ne commence pas l’éducation d’un enfant en l’instruisant, car dans les premières années il n’est pas encore capable d’être instruit. On commence par la pratique : ses parents lui apprennent à faire le signe de croix bien avant de lui parler des mystères de la Sainte Trinité et de la rédemption. De même, pour une personne qu’on veut amener à la foi catholique, on commencera généralement par capter sa sympathie et sa bonne volonté par quelque procédé aimable avant de lui faire un cours de catéchisme. Il faut donc distinguer l’ordre naturel (et surnaturel) : la doctrine a toujours le premier rang ; et l’ordre de temps : la doctrine peut passer parfois en second, mais à condition, bien sûr, de ne pas subir de détriment.

Dans le cadre des relations avec Rome, Mgr Lefebvre a commencé par demander une solution pratique (« laissez-nous faire l’expérience de la Tradition »), tout en prenant des précautions pour ne pas subir l’influence néfaste de la Rome néomoderniste et tout en continuant de dénoncer les erreurs du Concile. Il pensait que l’exemple de la réussite de la Tradition serait un argument fort pour convaincre les autorités romaines de revenir à cette Tradition. Mgr Lefebvre était un homme réaliste, pratique, et il utilisait les moyens les meilleurs pour arriver au but désiré, sans rien sacrifier des principes. Puis, après l’échec des négociations de 1987-1988, Mgr Lefebvre prit la résolution de commencer par s’assurer que les autorités romaines qui lui demandaient l’obéissance professaient la saine doctrine (concrètement, qu’elles reconnaissaient les grandes encycliques des papes des deux derniers siècles). Il avait pris conscience que faire passer (dans le temps) la pratique avant la doctrine entraînait un danger pour la doctrine. Mgr Lefebvre était un homme pratique, certes, mais il n’était pas pragmatique (au sens de celui qui accorde plus d’importance à la pratique qu’à la doctrine).
Ordre entre la charité et la foi
On pourrait objecter que la charité est plus importante que la foi (1 Co 13, 13). Or la charité est une vertu de la volonté, qui se porte sur le bien, tandis que la foi est une vertu de l’intelligence, qui se porte sur le vrai. Donc il semble que la volonté soit supérieure à l’intelligence et le bien plus important que le vrai. A cela il faut répondre que cette supériorité de la charité sur la foi tient à l’imperfection de la foi. La foi est une connaissance obscure : on croit ce qu’on ne voit pas. La supériorité de la charité sur la foi est donc une supériorité provisoire, due aux circonstances, «per accidens» comme le dit la philosophie. Mais au ciel la vision béatifique reprendra la première place. Le bonheur du ciel consiste essentiellement à voir Dieu face à face et, conséquemment, à l’aimer. Au ciel, l’intelligence retrouvera sa première place, selon l’ordre naturel et surnaturel.

On pourrait comparer la foi et la charité à un tonneau rempli de vin. Le vin (la charité) a plus de valeur que le tonneau (la foi), mais il ne peut se conserver sans le tonneau. Pour que la comparaison soit plus adéquate, il faudrait que le vin ne puisse se mettre que dans un certain type de tonneau, les « tonneaux catholiques ». A notre baptême, nous avons reçu la foi et la charité, le vin dans le tonneau. Ce vin et ce tonneau sont appelés à grandir. Le péché véniel gâte quelque peu le vin, le péché mortel le transforme en vinaigre. Quant à l’hérésie, elle brise le tonneau et le mal est bien plus grave. La foi est donc le premier bien que nous demandons à l’Église de Dieu ; La cérémonie du baptême commence par ces mots : « Que demandez-vous à l’Église de Dieu ? — La foi. » En effet, c’est par la foi et avec elle que nous recevons la charité, et c’est pour cela que l’Église a toujours eu le plus grand soin de préserver la foi des chrétiens. Dans la situation actuelle où l’Église conciliaire met en péril la foi des chrétiens (par la nouvelle liturgie, par l’oecuménisme, etc.), il est nécessaire d’assurer une certaine protection des fidèles qui ont gardé la vraie foi. Cette protection, c’est la Providence elle-même qui l’a établie en permettant que les autorités romaines persécutent les traditionalistes, voire prétendent les « excommunier ». Mgr Lefebvre disait de l’Église conciliaire qu’elle avait le SIDA spirituel. Nous devons la charité à tous, même aux malades du SIDA, mais il faut en même temps prendre les précautions nécessaires pour ne pas subir la contagion.

En résumé : la charité est meilleure que la foi, mais son exercice ne doit jamais mettre en péril la foi. Et la charité ne pouvant exister sans la foi, la première charité est la charité de la vérité : donner la vraie foi aux intelligences pour que la charité puisse venir dans les coeurs.