14 juin 2014

[Bellaigue - Lettre aux amis et Bienfaiteurs - Fr. Placide, o.s.b., Prieur] "Le 19 juin 1854, le père Jean-Baptiste Muard..."

SOURCE - Bellaigue - Lettre aux amis et Bienfaiteurs - Fr. Placide, o.s.b., Prieur - juin 2014

Chers amis et bienfaiteurs,

Le 19 juin 1854, le père Jean-Baptiste Muard, fondateur de notre branche bénédictine, rendait son âme à Dieu. "Je ne sais ce que le ciel me réserve, a-t-il dit, mais je n'ai aucune inquiétude sur l'avenir de mon œuvre. Au reste, ce n'est pas mon œuvre, c'est celle de Notre-Seigneur. Après les articles de la foi, je n'ai aucune conviction plus profonde." Et à ses moines qui lui demandaient ses dernières volontés, il répétait : "Je ne suis pas fondateur. C'est le Sacré-Cœur".

Le père Muard a été avant tout l'homme d'un grand amour, celui du Cœur de Jésus. Son œuvre monastique en sera profondément marquée. "Notre œuvre, a-t-il écrit, a commencé sous le Patronage du Cœur de Jésus. Elle est comme sortie du Cœur de Jésus. Le Cœur de Jésus a été donné comme garantie du succès de notre œuvre. Il me semble que ce serait une injure à faire à ce Cœur qui nous a manifesté tant de bonté, accordé tant de grâces, que de ne pas le faire l'unique Patron de notre œuvre. Et cette pensée m'occupe sans cesse. Je me sens comme doucement entraîné vers le Cœur de Jésus. Il me semble que c'est Sa Volonté que nous soyons à Lui, tout à Lui."

L'itinéraire spirituel du père Muard traduit l'amour passionné du Christ qui le possède. "Je me sens inspiré, disait-il, de n'aimer que Jésus." "Le caractère de la sainteté du père Muard, écrit son disciple Dom Romain Banquet, est à la fois le caractère le plus direct, le plus étendu, le plus sûr de toute sainteté chrétienne: l'amour divin. Il suffit de jeter un regard sur tous les détails de son existence pour aboutir à cette conclusion." En effet, de la paroisse aux missions diocésaines, des missions à la contemplation dans la solitude, l'action la plus dévorante auprès des âmes, doublée, comme si elle n'y suffisait pas, d'une pénitence très austère, n'a été dans la vie de ce grand contemplatif du Sacré-Cœur que l'expression de la flamme intérieure qui le consumait.

Agissant à l'inverse des raisonnements humains, le père Muard, dans son désir de gagner le monde entier à l'amour du Christ, se retire dans le "désert", à la recherche du silence et du dépouillement, pour y trouver Dieu seul, " Dieu que je voudrais aimer à tout prix?", dira-t-il. C'est une contradiction que l'on jugerait absurde. Pourtant, la découverte du père Muard fut précisément celle de l'insuffisance de tout apostolat direct, s'il ne s'appuie sur le témoignage de la sainteté. Pour conduire les hommes à ce Dieu qui a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique (Jean, III, 16), il faut que d'autres hommes - les moines - rendent témoignage à cet amour en s'efforçant de mener une vie authentiquement évangélique, centrée sur la charité, tout orientée vers le ciel d'où ils attendent le retour glorieux de leur Seigneur; témoignage en somme d'une vie donnée à l'amour de Jésus-Christ. 

L'œuvre monastique du père Muard n'a rien d'original. "Nous voulons, disait-il, embrasser la vie des anciens religieux, vie pauvre, humble et mortifiée. Et la Règle de saint Benoît nous la présente dans sa perfection." Il n'a pas eu l'intention de créer une nouvelle forme de vie religieuse, mais simplement de revenir à la Règle bénédictine dans sa simplicité première. "Ce n'est pas une nuance de l'Ordre de saint Benoît qu'il a voulu établir", précise Dom Romain. "Il a pris la Règle telle qu'elle est, et, à cause de sa préoccupation de pénitence et d'austérité, il a voulu la pratiquer autant que possible dans sa rigueur primitive."
En ce 160ème anniversaire de sa mort, il s'agit pour nous, ses enfants, d'être fidèles à l'appel divin qui nous a attirés au monastère, comme l'a été le père Muard lorsque, passionné du Christ, il laissait tout pour le suivre au désert. Puissions-nous, aidés de ses prières, animés de son zèle, nous donner, comme lui, à l'œuvre de la rédemption du monde tout d'abord par la pauvreté et l'humilité de la Croix, dans une vie de prière toute cachée avec le Christ en Dieu. Et "que le Cœur de Jésus nous suffise !" (Père Muard).
Fr. Placide, o.s.b., Prieur

R. P. Muard: Repères biographiques
24 avril 1809: naissance de Jean-Baptiste Muard à Vireaux (Yonne), de Claude Muard, scieur de long, et Catherine Paillot, fille de vigneron, tous deux assez éloignés de la pratique religieuse.

Septembre 1823: entrée au petit séminaire d'Auxerre. Il désire les missions, le martyre.

24 mai 1834: ordonné prêtre par l'archevêque de Sens, il est nommé curé de Joux-la-Ville. Il renouvelle sa paroisse, se dépensant en marches, prières nocturnes, jeûnes, et aumônes.

11 mai 1838: il est nommé curé de Saint-Martin d'Avallon, une des plus importantes paroisses du diocèse. Son zèle lui suggère de fonder une société de missionnaires diocésains.

13 décembre 1839: " J'étais à midi dans ma stalle à côté de l'autel. Je demandais à Dieu de me faire connaître sa volonté... et il me sembla qu'à trois ou quatre reprises Dieu me disait : Je veux que vous soyez un saint... et je demandais à Dieu la grâce d'arriver à la sainteté qu'il attendait de moi. Alors je me trouvais comme transporté en esprit au milieu de l'autel... Je vis s'ouvrir le tabernacle et Notre-Seigneur sortir à moitié et me faire une croix sur le front avec l'index de la main droite... il me fit avec le même doigt une croix sur le cœur... une croix sur la bouche.?" Le sens des trois croix lui est révélé : l'intelligence et l'intrépidité données aux futurs missionnaires ; l'amour de Dieu et des âmes ; le don de la parole. Le prêtre demande des garanties : "?Mon Cœur, répond aussitôt Jésus... en paraissant le tenir dans sa main et me le présenter... et je sentis le Cœur de Jésus toucher mon cœur comme si mon Sauveur l'eût approché du mien et l'eût réellement touché. Je me sentis ensuite dans un détachement absolu des créatures, je ne pouvais comprendre comment on pouvait tenir à la terre. Parents, amis, tout cela fut pour moi comme n'étant pas. Dans cette séparation absolue des créatures, Jésus me fit connaître qu'il me tiendrait lieu de tout cela, qu'il serait mon père et la Sainte Vierge ma mère. "

Juillet 1843: il s'installe dans l'ancienne abbaye cistercienne de Pontigny avec 4 autres prêtres. La nouvelle communauté prend le nom de Prêtres auxiliaires de Pontigny, plus tard Société des Pères de Saint-Edme. Mais ses aspirations à une plus grande ascèse et à la sainteté missionnaire, surtout devant la détresse spirituelle de son temps, ne sont pas satisfaites. De nouveau, il songe aux missions lointaines, au martyre...

25 avril 1845: Il reçoit, tout en cheminant, " la vue distincte d'un projet comme tout formé, d'une société religieuse nécessaire dans le siècle où nous vivons pour opérer quelque bien... "

septembre 1848: départ à pied pour l'Italie avec deux compagnons, en quête d'une Règle ancienne qui convienne à l'œuvre. Le curé d'Ars, chez qui ils font halte, les assure du secours divin. " Faites tout ce que ce prêtre vous dira, dit-il à l'un des compagnons, suivez-le en aveugle. " Et à l'autre, à six reprises : " Vous êtes bien heureux ".

13 octobre 1848: après un séjour à Rome, sans résultat, ils atteignent Subiaco et se présentent à l'abbé, Dom de Fazy, qui les installe dans un ermitage... Le P. Muard décide d'adopter la règle de saint Benoît. A Noël, au cours de la messe, Jésus lui confirme sa volonté sur l'œuvre naissante, lui promet "qu'elle fleurirait dans son Eglise, qu'elle serait une école de martyrs et de confesseurs de la foi pour le temps de son dernier avènement, que les membres de cette société devaient être des saints et de grands saints".

14 octobre 1849: arrivée à la Trappe d'Aiguebelle pour y suivre, sous la houlette de Dom Orsise, un noviciat de six mois. Ce dernier dira de lui : " J'ai connu bien peu d'hommes aussi unis à Dieu et aussi morts à eux-mêmes. " Il décide d'adopter plusieurs coutumes cisterciennes. 

2 juillet 1850: installation de la petite Communauté des Bénédictins du Cœur de Jésus sur le site de la Pierre-qui-Vire, près de Saint-Léger, au cœur du Morvan. Trois ans après, ils seront plus de vingt.

19 juin 1854: épuisé par son labeur missionnaire incessant, miné par la fièvre et les austérités, il rend son âme à Dieu, âgé de quarante-cinq ans, entouré de ses moines.