10 juin 2014

[Paix Liturgique] Les funérailles: une occasion d'évangéliser à ne pas perdre!

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 443 - 10 juin 2014

Dans notre lettre 440, nous avons développé quelques réflexions à propos de la réforme du rite des funérailles et de ses conséquences sur l’abandon progressif de la prédication à propos des fins dernières de l’homme et, donc, sur la doctrine du salut. Cette semaine, nous appuyant sur les réactions de nos lecteurs, nous nous arrêtons sur certaines « choses vues et entendues », parmi les plus significatives, à l’occasion des enterrements dans nos paroisses. Prendre conscience du nombre d’occasions d’évangélisation qui se perdent lors des funérailles modernes – lorsqu’elles sont encore célébrées... –, c’est aussi rappeler que, grâce au Motu Proprio de Benoît XVI, les funérailles traditionnelles ont retrouvé droit de cité dans nos églises.
I – QUAND LE SACRÉ LE CÈDE AU PROFANE
«Dans les funérailles chrétiennes, nous ne nous réunissons pas pour rendre hommage aux défunts, mais pour louer Dieu et prier pour les défunts. La foi chrétienne, cependant, nous révèle le vrai sens de la mort et suscite l’espérance.» (L’Effort camerounais, journal de la Conférence épiscopale camerounaise).

Combien de fois entend-on, au contraire, que la messe des funérailles est célébrée « en l’honneur du défunt », ou au mieux « à la mémoire du défunt », telle la messe pour l’enterrement du général Jaruzelski, dernier dirigeant communiste polonais, dans la cathédrale de Varsovie, le 30 mai 2014, pour lequel les deux expressions ont été employées ? Faut-il vraiment aller jusqu’au Cameroun pour s’entendre rappeler le sens des funérailles chrétiennes ? Oui, si l’on en juge par ces quelques exemples, loin d’être exhaustifs, pris dans nos paroisses de France.
a) Santo subito ou le mort, ce héros
C’est le reflet le plus banal de la perte du sens des funérailles chrétiens. L’enterrement qui devient « enciellement », comme nous le relevions dans notre lettre 440. La vision surnaturelle du décès comme retour de l’âme du défunt auprès du Divin Juge disparaît au profit de la célébration de la vie terrestre du mort. Souvent, reconnaissons-le, ce sont les familles qui sont responsables de cette apologie du mort (1). Mais peu de prêtres ou de laïcs en charge des funérailles les freinent dans cette approche erronée, et certains même les encouragent. Du coup, non seulement on ne prie plus pour le repos de l’âme de l’être disparu mais on en arrive, parfois, à présenter le défunt – qui éventuellement ne mettait pas les pieds à l’église et vivait de la manière la plus païenne – comme exemple d’« amitié », d’« humanité », de « dévouement », de « joie de vivre », de « tolérance », etc., et de le prier pour les nécessités terrestres des vivants.
b) Sur les notes de « Highway to Hell »
En 2008 et 2009, des enquêtes des pompes funèbres anglaises et australiennes révélaient que la plupart des chants demandés lors des enterrements étaient profanes. Dans un cas comme dans l’autre le titre « Highway to Hell » – « Autoroute vers l’Enfer » ! – du groupe AC/DC figurait dans le « top 10 ». Certes, il ne s’agissait pas là, dans un cas comme dans l’autre, d’une étude menée exclusivement lors de funérailles catholiques mais, par contagion et par ignorance, de tels chants ont bel et bien contaminé les obsèques catholiques. De nombreux évêques, toutefois, ont pris conscience du problème et publié des décrets rappelant les normes liturgiques et interdisant expressément tout chant profane lors des célébrations. Reste qu’il est difficile de corriger les mauvaises habitudes, surtout quand le sens même des funérailles chrétiennes n’est pas rappelé aux familles et que certains responsables laïcs de la préparation des funérailles estiment qu’il est « normal de passer des chansons ou de la musique profane dans l’église, car il s’agit de montrer qu’on a de la compassion pour la famille et les amis du défunt ». (2)
c) On enterre bien les francs-maçons...
Ce qui est dit pour la musique vaut aussi pour les interventions orales qui viennent souvent s’insérer dans la liturgie au point, parfois, d’empiéter sur les lectures. Poésies, évocation de souvenirs intimes, histoires drôles, diffusion d’enregistrement de la voix du défunt, déballage de linge sale familial, etc. : tout y passe ! On ne prie pas pour le défunt mais on raconte sa vie. Cette « profanation » liturgique, au sens littéral du terme, atteint son paroxysme lorsque le geste est joint à la parole. Ainsi, des objets chers au défunt – son ballon de foot, sa guitare, etc. – sont parfois posés sur ou à côté du cercueil. Cette paganisation des funérailles chrétiennes vire au scandale public lorsque ces objets rappellent explicitement l’engagement du défunt contre l’Église et, en particulier, son appartenance à la franc-maçonnerie. Un exemple parmi d’autres : le 14 novembre 2013 ont été célébrées en la cathédrale de Perpignan les obsèques d’un élu local, franc-maçon notoire, dont le cercueil portait ostensiblement les signes de son obédience... (3)
d) … mais pas les inconnus !
« Votre grand-mère n’était pas paroissienne, je n’ai pas le temps de l’enterrer, voyez avec l’équipe funérailles. » Cette phrase, prononcée par un curé à l'un de nos lecteurs, résume bien tout le drame du rapport entre de nombreux curés d’aujourd’hui et le peuple catholique. Pyramide des âges oblige, le nombre de funérailles à célébrer demeure constant malgré la déchristianisation de la population, et ce alors même que le nombre des prêtres ne cesse de diminuer. De fait, la célébration des funérailles apparaît pour de nombreux prêtres comme une contrainte dont ils n’ont parfois aucun scrupule à se libérer. Le résultat est bien entendu de nourrir le désarroi et l’incompréhension des familles et, pour peu qu’elles soient déjà éloignées de l’Église, de les en séparer encore davantage. Il est vrai que dans certains ensembles pastoraux ruraux, où le prêtre dessert trente ou quarante paroisses, il lui est pratiquement impossible de célébrer tous les enterrements. Mais des solutions peuvent être trouvées, et ont d’ailleurs été expérimentées dans certains diocèses, par exemple celle de l’utilisation de prêtres traditionalistes auxquels on se refuse pour l’instant à donner un vrai service paroissial.
II – DES RESPONSABILITÉS PARTAGÉES
Comme on l’a dit, les responsabilités sont partagées. Les prêtres cèdent bien souvent à la « demande » des usagers de la liturgie, qu’ils soient chrétiens pratiquants ou non pratiquants, voire areligieux. Il y a en effet une tendance lourde de la société contemporaine à bannir tout signe de deuil. Ainsi les pompes funèbres ont-elles abandonné la couleur noire en France pour la remplacer par le gris, jugé moins traumatisant. Et le succès de la crémation des cadavres, plus qu’une pratique hostile au catholicisme qui jusque-là la réprouvait, tient au fait qu’il s’agit pour nos contemporains, au-delà d’une question d’argent, d’effacer au plus vite de leur esprit l’aspect dégradant de la mort et la pensée du sort que la nature réserve au cadavre.

La liturgie habituelle des paroisses s’adapte malheureusement à ce climat, en même temps qu’elle le favorise. Par exemple en adoptant le violet, mais aussi parfois le blanc (!), de préférence au noir ; ou bien en choisissant des chants à tonalité festive, que ce soit par leur musique ou par leurs paroles.

Couleur blanche des ornements, chant festif et lumignon posé sur le cercueil participent de la diffusion de la croyance fausse que la gloire du ciel est automatiquement acquise. Surtout si la prédication devient un discours minimal sur les fins dernières, pour ne pas dire une absence de discours. Partant du principe erroné que l’assemblée n’est pas disposée à entendre la catéchèse de l’Église sur ces questions – notamment parce qu’elle compterait de nombreux non pratiquants voire non croyants –, le contenu délivré par de nombreux prêtres durant la cérémonie, et manifesté par la cérémonie elle-même, est celui de l’annonce d’une joyeuse entrée au ciel du défunt si celui-ci était pratiquant, ou, s’il était éloigné de la pratique des sacrements, de considérations à tonalité humaniste ne risquant de choquer personne.

Quant à la notion de « scandale » que peut éventuellement avoir donné le défunt – s’il est mort dans une situation de péché public –, elle est désormais inconnue. On enterre en effet de manière aussi « festive », avec tous les honneurs de la liturgie, aussi bien un homme politique pourvoyeur de lois immorales, un mari indigne ou un artiste blasphémateur qu’un chrétien fidèle. Le scandale – au sens strict du terme : mauvais exemple moral – est alors dans le fait qu’un pécheur notoire, mort sans avoir manifesté de repentance, est considéré comme s’il s’était « endormi dans le Seigneur ».

Mais, comme en témoigne un prêtre diocésain : « Il est difficile de résister à la pression des familles qui, ne connaissant pas le sens des funérailles chrétiennes, prétendent introduire des éléments profanes, parfois même provocateurs, dans les cérémonies d’enterrement. Souvent, les proches du défunt s’étonnent de mon refus d’insérer dans la cérémonie des témoignages sans référence au catholicisme, donnés par des amis dépourvus de toute préoccupation surnaturelle. Le modèle "liturgique", entre guillemets, donné par la télévision, et notamment par les téléfilms américains, est dévastateur. Bien des gens confondent la "liturgie" syncrétiste hollywoodienne vue à la télé, avec la liturgie catholique...».
III – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Si, comme l’affirme le Service national de la pastorale liturgique et sacramentelle de la Conférence des évêques de France, « la célébration des sépultures est devenue, du fait des circonstances, l’un des analyseurs privilégiés de la nécessité pour l’Église de respecter la volonté du concile Vatican II concernant la participation des baptisés aux actions liturgiques », alors il faudrait ajouter aux figures des fidèles ignorants et des prêtres désemparés, celles des laïcs membres des équipes funérailles, souvent chargés, si ce n’est de la cérémonie elle-même, au moins de l’accueil des familles. Et, à écouter le témoignage d’un de nos lecteurs, organiste, on peut s’interroger sur la qualité d’un certain nombre de préparations par les équipes de funérailles : « Régulièrement, j’entends les laïcs responsables des funérailles me dire de ne pas "exagérer" avec le grégorien pour justifier des choix musicaux vulgaires : "Vous comprenez, les gens n’ont pas le niveau", m’explique-t-on parfois. Pourtant je vous assure que très souvent les fidèles viennent me remercier à l’issue de la messe pour la beauté de l’accompagnement. Parce que "cela aurait plu au défunt", mais aussi parce que "ça aide à prier". Parfois, les laïcs en charge des funérailles me disent aussi que "ce n’est pas la peine de vous donner du mal car il n’y aura personne à la cérémonie"... Comme si c’était l’importance numérique ou sociale de l’assemblée qui devait décider de la qualité de la cérémonie!»

2) Si la majorité des familles se méprend sur le sens des funérailles chrétiennes, il en reste toutefois de nombreuses, même éloignées de l’Église, qui cultivent encore le désir d’une cérémonie digne et belle. Comme en réponse aux jugements (qui pourraient apparaître comme trop hâtifs) rapportés au paragraphe précédent, un lecteur nous rappelle que « Faites quelques chose de priant, s’il vous plaît!» est une requête souvent entendue dans les sacristies. Une requête qui, en réalité, n’est pas surprenante tant la perte d’un être proche peut raviver les souvenirs de catéchisme et la saine crainte du jugement de Dieu. C’est d’ailleurs parce que les funérailles, plus encore que le baptême, sont une occasion unique de réveiller le désir du retour vers Dieu, mû au fond du cœur de tous par la grâce qui ne manque jamais, qu’il est déplorable qu’elles soient de nos jours à ce point profanées (au sens, une fois encore, de rendues profanes).

Si, comme le répète le pape François, la nouvelle évangélisation passe certainement par le fait de « sortir » de nos églises et de nos habitudes, elle doit aussi profiter des rares moments où nos contemporains « du dehors » entrent dans les lieux de culte. Le soin apporté à la liturgie des funérailles et à la prédication qui l’accompagne, devrait redevenir un souci pastoral prioritaire des prêtres. À cet égard, la pratique de la liturgie traditionnelle représente à coup sûr un instrument providentiel pour aider ces prêtres à retrouver le vrai sens des funérailles chrétiennes.

3) « Quelle belle cérémonie ! Merci pour votre sermon M. l’abbé, merci à la chorale. » Cette réaction, entendue à la sortie d’un cimetière l’été dernier en Bourgogne, à la fin d’une cérémonie de funérailles traditionnelle, résume bien le sentiment éprouvé par les personnes amenées à l’enterrement d’un de leurs proches selon cette liturgie. Les témoignages en ce sens sont innombrables et unanimes. L’intéressant, en l’occurrence, est que ce jour-là, se substituant à un prêtre Ecclesia Dei empêché, c’était un prêtre diocésain qui officiait et qui a pu recevoir ces remerciements auxquels les prêtres traditionnels sont habitués.

Ceci illustre bien comment, ici aussi, le Motu Proprio Summorum Pontificum a changé la donne : alors que de nombreuses familles ont souffert de se voir refuser, des années 1970 jusqu’aux années 2000, une église pour y célébrer la messe d’enterrement d’un de leurs proches parce qu’elles – ou le défunt lui-même – avaient la volonté que cette messe soit célébrée dans le rite traditionnel, non seulement les funérailles traditionnelles ont droit de cité dans les églises diocésaines mais il est aussi possible de voir un prêtre diocésain les célébrer en personne, prêcher sur les fins dernières et le salut de nos âmes... et emporter l’adhésion de l’assemblée.

Lors d’une conférence de presse donnée le jour de la parution du Motu Proprio Summorum Pontificum, le 7 juillet 2007, à Paris, avenue de Breteuil, au siège de la CEF, le cardinal Ricard, alors président de la Conférence des Evêques, avait évoqué l’éventuel refus opposé à un demandeur du baptême, du mariage, ou de funérailles selon l’ancien rituel. Dans ce cas, disait-il, il faut que les demandeurs fassent recours à la Commission Ecclesia Dei. Mais le cardinal avait immédiatement apporté une nuance en remarquant que pour des funérailles, la famille n’a pas le temps suffisant pour un recours : il fallait donc que l’on soit particulièrement favorable à ces demandes.

N’est-ce pas là un très beau fruit de cet enrichissement mutuel des deux formes du rite romain ? Dans ce même sens, des réflexions ont été lancées pour élaborer une pastorale spécifique de funérailles traditionnelles : il s’agirait, par exemple, pour des groupes de chantres et grands clercs (ou pour des groupes de pénitents existants en certains lieux), de proposer, avec l’aide d’un prêtre, de célébrer des funérailles en chant grégorien et selon la forme extraordinaire aux familles qui en feraient la demande.

4) En tout cas, chers amis, prêtres, quelle que soit la forme liturgique que vous pratiquez, ne manquez pas de prendre les obsèques comme une occasion unique de rencontrer des âmes toutes disposées à s’interroger sur la voie du salut et, donc, comme un des temps les plus propices à leur conversion et à leur retour à la grâce.
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(1) On pourrait objecter que les grandes oraisons funèbres (Bossuet, Massillon, etc.) usaient souvent de dithyrambe pour rendre hommage au défunt. Mais il faut noter que les fins dernières étaient toujours rappelées, parfois de manière si terrible qu’on ne la supporterait pas aujourd’hui, et qu’en outre, l’oraison funèbre n’était pas considérée comme une homélie, mais comme un discours sacré prononcé in nigris (en soutane, sans surplis) par l’orateur sacré, non pas après l’évangile, mais à la fin de la cérémonie, avant l’absoute.

(2) Propos d’une formatrice liturgique du diocèse d’Auch rapportés par l’association Pro Liturgia en 2011.

(3) Lorsqu’en 1865, Mgr Darboy, archevêque de Paris, crut bon de donner l’absoute, aux Invalides, pour l’enterrement du maréchal Magnan, Grand Maître du Grand Orient, le pape Pie IX déplora, par une lettre du 26 octobre 1865, cet acte religieux accompli alors « …que le défunt, pendant sa vie, avait eu le malheur de remplir la charge de cette secte proscrite, vulgairement appelée du nom de Grand Orient ».