7 juin 2014

[juin 2014] [Cardinal Burke] La «Communion dans la main» au cœur de la crise de l’Église (préface)

SOURCE - Cardinal Burke - 7 juin 2014

Voici la Préface du Cardinal américain Raymond Leo Burke, Préfet du Tribunal de la Signature apostolique, du livre «CORPUS CHRISTI : la Communion dans la main au cœur de la crise de l’Église» de Mgr Athanasius Schneider, Évêque auxiliaire Catholique au Kazakhstan, qui plaide avec vigueur et clarté pour l’abandon de la pratique de la communion dans la main, née comme une tolérance qui s’est abusivement généralisée et est devenue la « règle » depuis les années 70, selon un processus bien connu de la subversion des normes.
La « Communion dans la main » au cœur de la crise de l’Église :

Rien n’est plus important dans la vie d’un catholique que la sainte Eucharistie. Le décret sur la vie et le ministère des prêtres du IIe concile du Vatican, s’inspirant d’un texte de saint Thomas d’Aquin, déclarait : « La sainte Eucharistie contient tout le trésor spirituel de l’Église, à savoir le Christ Lui-même, notre Pâque, le Pain vivant, Lui dont la chair, vivifiée et vivifiant par l’Esprit Saint, donne la vie aux hommes, les invitant et les conduisant à offrir, en union avec Lui, leur propre vie, leur travail, toute la création ». Ce même texte continue ainsi : « On voit donc alors comment l’Eucharistie est bien la source et le sommet de toute l’évangélisation : tandis que les catéchumènes sont progressivement conduits à y participer, les fidèles, déjà marqués par le baptême et la confirmation, trouvent en recevant l’Eucharistie leur insertion plénière dans le Corps du Christ ».

La sainte Eucharistie est le mystère par excellence de la Foi. À travers l’action de la sainte Messe, le Christ, assis en gloire à la droite du Père, descend sur les autels des églises et des chapelles du monde entier pour rendre à nouveau présent son sacrifice sur le Calvaire, sacrifice unique par lequel l’homme est sauvé du péché et parvient à la vie dans le Christ grâce à l’effusion du Saint-Esprit. C’est par la sainte Eucharistie que la vie quotidienne d’un catholique reçoit à la fois inspiration et force.

Uni de cœur avec le Christ dans le sacrifice eucharistique, le catholique fervent est appelé à n’être qu’un avec Lui à chaque instant de chacune de ses journées, portant la Croix et participant ainsi au travail incessant et sans prix de son Amour pur et généreux pour tous les hommes, au-delà de toute frontière. Recevant du Cœur Eucharistique de Jésus l’aliment céleste de son Corps, de son Sang, de son Âme et de sa Divinité, nous sommes fortifiés pour vivre de façon extraordinaire les circonstances ordinaires de la vie quotidienne. C’est pourquoi, au-delà de l’obligation grave de participer chaque dimanche au Saint Sacrifice de la Messe, les catholiques sont invités à participer à la sainte Messe tous les jours, lorsque cela est possible.

À partir du moment où l’on a compris la réalité de la sainte Eucharistie – c’est-à-dire, qu’il s’agit du Corps, du Sang, de l’Âme et de la Divinité du Christ donnés à l’homme comme pain céleste pour le soutenir spirituellement dans son pèlerinage terrestre et comme gage de sa destinée aux noces célestes de l’Agneau (Ap 19, 9), – l’on commence aussi à comprendre la profonde révérence qu’il faut pour traiter et recevoir la sainte Eucharistie. Ainsi, au long des siècles, les fidèles ont fait la génuflexion en arrivant devant le Saint Sacrement et se sont agenouillés en adoration devant la Présence Réelle de Notre Seigneur dans la sainte Eucharistie. De la même façon, sauf circonstances extraordinaires, seul le prêtre ou le diacre touchait la sainte Hostie ou le calice contenant le Précieux Sang. Une des impressions les plus frappantes de mon enfance est cette grande délicatesse envers le Saint Sacrement que m’ont enseignée mes parents, notre curé et les religieuses de nos écoles catholiques. Je me souviens particulièrement des avertissements minutieux qui m’ont été donnés, avant d’être admis à aider le prêtre comme servant de messe, sur la révérence due à la Présence Réelle.

Les signes de Foi eucharistique se manifestaient également dans la beauté de l’architecture et de l’ameublement des églises et des chapelles, dans la qualité des ornements, vases et linges servant au sacrifice eucharistique, et dans la langue et la musique spéciales – ou plutôt sacrées – employées dans le Culte divin. Dans l’attention réservée au Corps et au Sang du Christ, l’Église s’est toujours souciée d’imiter davantage l’exemple de Marie, sœur de Lazare, qui a oint Jésus avec de l’huile très précieuse juste avant sa Passion et sa Mort. Alors que Judas le traître contestait ce geste de profonde vénération et d’amour, comme un gaspillage de ressources qui auraient pu être utilisées pour s’occuper des pauvres, Notre Seigneur répondit que Marie avait agi d’une manière juste et noble, témoignant de la révérence à son Corps, qu’il devait sacrifier pour accomplir le salut éternel du genre humain (Jn 12, 1-8).

Dans ce sens, j’ai toujours été très inspiré par l’exemple de saint François d’Assise qui a pratiqué les plus grandes austérités dans sa vie religieuse de consacré, tout en insistant pour que le plus grand soin fût apporté à honorer le Saint Sacrement, même de façon somptueuse, et à n’utiliser que les matériaux les plus précieux pour le culte eucharistique. Saint François n’a pas hésité à avertir les prêtres (que leur office oblige d’abord à rendre honneur au Très Saint Sacrement), à propos de leurs manques d’égard envers cette réalité sacrée entre toutes.

Parmi tous les riches aspects de la Foi et de la pratique eucharistiques, primordiale est certainement la manière dont les fidèles reçoivent le Corps du Christ dans la sainte Communion. Au moment de la sainte Communion, le fidèle, bien conscient de son indignité et se repentant de tous ses péchés, se présente devant le Seigneur qui, dans son amour sans fin et sans mesure, offre son Corps comme aliment céleste pour que nous le recevions. Je me rappelle bien, dans mon enfance, la diligence dont faisaient preuve mes parents, ainsi que les prêtres et les religieuses de l’école catholique, pour préparer les enfants à recevoir pour la première fois la sainte Communion. Je me souviens aussi des fréquents rappels à la révérence et à l’amour qu’il nous fallait démontrer en recevant la sainte Communion et en faisant notre action de grâces immédiatement après la réception du sacrement.

À l’époque de ma Première Communion, le 13 mai 1956, la sainte Hostie se recevait à la Sainte Table, sur les lèvres et à genoux, les mains recouvertes d’une nappe. Cette manière de recevoir la sainte Communion m’a toujours frappé comme étant l’expression la plus haute de l’enfance spirituelle enseignée par Notre Seigneur (Mt 18, 1-4), et dont sainte Thérèse de Lisieux est l’une des figures les plus remarquables. À cette même époque de ma vie, mon père était gravement malade et il devait rester alité à la maison : il mourut au mois de juillet 1956. Je me rappelle la grande préparation et l’attention qu’il manifestait chaque fois que le prêtre venait lui porter la sainte Communion. L’on dressait une petite table à côté de son lit avec un crucifix, des cierges et une nappe spéciale. L’on accueillait le prêtre en silence à la porte avec un cierge allumé et, même si mon père ne pouvait pas se lever, tous restaient à genoux pendant la cérémonie.

Des années plus tard, en mai 1969, la pratique de recevoir la Communion dans la main a été autorisée, au jugement des Conférences épiscopales, en parallèle avec la pratique multiséculaire de recevoir la communion directement sur les lèvres. L’un des arguments avancés pour introduire cette deuxième option était l’existence d’un usage antique de recevoir la sainte Communion dans la main. Dans le même temps, l’instruction de la Congrégation pour le Culte Divin, qui permettait la pratique de la réception de la sainte Communion dans la main, soulignait le fait que la tradition multiséculaire de recevoir la Communion sur la langue devait être préservée en raison du respect des fidèles envers la sainte Eucharistie qu’exprime cette pratique. En ce sens, il est intéressant de noter que le Pape Paul VI (durant le pontificat duquel la permission de recevoir la sainte Communion dans la main a été donnée), dans sa lettre encyclique « Mysterium Fidei » sur la doctrine et le culte du Très Saint Sacrement promulguée quatre années avant la concession de cette permission, se réfère à un usage antique des moines vivant dans la solitude, ainsi que des chrétiens persécutés, selon lequel ils prenaient la sainte Communion avec leurs propres mains. Néanmoins, le Pape ajoute aussitôt que cette référence à un usage d’autrefois ne remet pas en question la discipline qui s’est répandue par la suite concernant la manière de recevoir la sainte Communion.

La pratique traditionnelle est mieux comprise à la lumière de l’herméneutique de la réforme dans la continuité, opposée à l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture, dont a parlé le Pape Benoît XVI dans son discours de Noël 2005 à la Curie romaine. Dans l’herméneutique de la continuité, l’unique Église « grandit dans le temps et (…) se développe, restant cependant toujours la même. » Ainsi, la pratique traditionnelle de recevoir la sainte Communion manifeste-t-elle une croissance et un développement tant de la Foi eucharistique que de l’expression de révérence envers le Très Saint Sacrement. L’on pourrait dire par rapport à la manière traditionnelle de communier ce que le Pape Benoît XVI disait par rapport à l’Adoration eucharistique dans son Exhortation Apostolique post-synodale Sacramentum Caritatis: «L’Adoration eucharistique n’est rien d’autre que le développement explicite de la célébration eucharistique, qui est en elle-même le plus grand acte d’adoration de l’Église».

Malheureusement, l’entreprise de rétablissement de l’antique usage survint précisément à un moment où de nombreux abus liturgiques avaient gravement diminué la révérence et la dévotion dues au Saint Sacrement. En outre, l’époque était à une sécularisation et à un relativisme croissants, dont les effets furent dévastateurs dans l’Église. Qui plus est, la « restauration » de cette pratique fut incomplète, puisqu’elle se borna à la réception de la Communion dans la main sans toutefois incorporer les autres détails très riches de l’usage antique. À la suite de cela, la réception de la sainte Communion est devenue l’occasion de négligences – voire même d’irrévérences effectives – et, dans quelques cas particulièrement déplorables, le Saint Sacrement reçu dans la main n’est pas consommé mais au contraire soumis à des formes d’abus, jusqu’au cas extrême où des personnes emportent le Corps du Christ pour Le profaner plus tard au cours d’une « messe noire ». Dans ma propre expérience pastorale, les cas où la sainte Hostie est laissée dans un livre de chants ou en d’autres endroits, ou même emportée à la maison pour la dévotion privée – cela me déplaît de devoir le signaler –, n’ont pas été rares. Il est également attristant d’avoir vu assez fréquemment des communiants arracher littéralement l’Hostie de mes mains plutôt que de recevoir le Corps du Christ de manière convenable.

Mgr Athanasius Schneider, pasteur d’âmes exemplaire, a fait face avec un amour courageux à la situation actuelle quant à la réception de la sainte Communion dans le rite romain. Puisant en sa propre et riche connaissance de la foi et de la pratique eucharistiques en un temps de persécution dans son pays natal, il a été poussé à étudier en profondeur cet antique usage de recevoir la sainte Communion dans la main, ainsi que son actuelle restauration. De façon claire et soignée, il explique le soin qu’avait la pratique antique d’éviter tout ce qui peut suggérer l’auto-communion – en soulignant l’aspect infantile de la Communion – ; et d’empêcher que même une seule parcelle ne soit perdue, et ainsi sujette à profanation. Il décrit aussi brièvement les étapes de l’introduction de l’usage actuel, qui diffère de manière importante de la vieille pratique de l’Antiquité.

Il présente ensuite soigneusement les conséquences les plus graves de la pratique actuelle de réception de la communion dans la main :
  1. la réduction ou la disparition de tout geste de révérence et d’adoration ;
  2. l’emploi pour la réception de la sainte Communion d’un geste habituellement utilisé pour la consommation des aliments ordinaires, d’où résulte une perte de Foi en la Présence Réelle, surtout parmi les enfants et les jeunes ;
  3. la perte abondante de parcelles de la sainte Hostie et leur profanation consécutive, surtout en l’absence de plateau lors de la distribution de la sainte Communion ;
  4. un autre phénomène qui se répand de plus en plus : le vol des saintes Espèces.
Prenant en considération toutes ces conséquences, Mgr Schneider dit à bon droit que la justice, – c’est-à-dire le respect du droit du Christ d’être reçu dans la sainte Communion avec la révérence et l’amour convenables, et de celui des fidèles de recevoir la sainte Communion d’une manière qui exprime au mieux l’adoration révérencielle, – exige que la pratique actuelle concernant la réception de la sainte Communion dans le rite romain soit sérieusement étudiée en vue d’une réforme dont le besoin se fait lourdement sentir.

Un aspect tout à fait impérieux de la présentation de Mgr Schneider regarde le droit du Christ, le ius Christi. En nous rappelant l’humilité totale de l’amour du Christ qui se donne à nous dans la petite Hostie, fragile par nature, Mgr Schneider nous remet à l’esprit la grave obligation de protéger et d’adorer Notre Seigneur. En effet, dans la sainte Communion, il se fait, en raison de son amour incessant et incommensurable pour l’homme, le plus petit, le plus faible, le plus délicat d’entre nous. Les yeux de la Foi reconnaissent la Présence Réelle dans les parcelles, même les plus petites, de la sainte Hostie et nous conduisent ainsi à l’Adoration amoureuse.

Il ne me reste qu’à remercier Mgr Athanasius Schneider pour sa minutieuse étude de la question de la réception de la sainte Communion, expression prééminente de la foi eucharistique. Son étude est remplie du plus profond amour de Jésus Eucharistie, amour dans lequel il a été formé à une époque où l’Église était sous le coup de la persécution dans son pays. J’espère que l’étude présentée par ce volume inspirera une Foi eucharistique toujours plus profonde et plus ardente chez le lecteur. J’espère aussi que ce livre servira d’occasion pour renouveler le mode de réception de la sainte Communion, discipline qui dispose le communiant à reconnaître pleinement le Corps, le Sang, l’Âme et la Divinité du Christ et, ainsi, à recevoir Jésus Eucharistie avec une révérence et une adoration amoureuses. C’est dans cette réception révérencielle et amoureuse de Notre Seigneur dans la sainte Communion que nous devons puiser la force de transformer et renouveler nos vies personnelles et notre société, avec la force de l’Évangile, comme le faisaient les premiers chrétiens.

Puisse l’étude du livre de Mgr Schneider amener les fidèles, au moment de la sainte Communion, à reconnaître la Présence Réelle du Seigneur ressuscité et à faire leurs les paroles de saint Jean l’Évangéliste à saint Pierre, lorsque le Seigneur ressuscité apparut aux disciples sur les bords du lac de Tibériade au cours de la pêche miraculeuse : « C’est le Seigneur ! » (Jn 21, 7).

Raymond Leo Cardinal BURKE - Rome, le 7 juin 2014, Vigile de la Pentecôte