[Par M. l'abbé Pio Pace pour Rorate Caeli. Nous présentons ici la version française; l'original peut être trouvé sur le site de Rorate Caeli ici.]
L’accession de François au trône de saint Pierre a-t-elle vraiment changé les choses en profondeur? A l’examen, il apparaît que ce pontificat est beaucoup moins novateur qu’on ne l’a cru lorsqu’il a commencé.
Pontificat moins novateur qu’on ne l’a cru
Les « gestes » multiples (ne plus habiter les appartements pontificaux, simplicité affichée), s’avèrent sans grande conséquence sur l’institution papale. Quant aux déclarations surprenantes au moyen de petites phrases sur des sujets médiatiquement sensibles, elles ne semblent pas avoir été suivies d’effets institutionnels ou magistériels. Dans le domaine crucial des nominations épiscopales et cardinalices, il en est de très bonnes, il en est de très fâcheuses, tout comme sous le pontificat précédent; la tendance générale des épiscopats continuant à se fixer sur une ligne généralement modérée.
La fameuse réforme de la Curie apparaîtra nécessairement comme très décevante à ceux qui imaginaient un chambardement de type Vatican II: elle se réduira à la fusion d’un certain nombre de dicastères, à la création de quelques autres, avec une affirmation de collégialité, mais sur fond de personnalisation du pouvoir comme jamais. Comme le remarque Sandro Magister, dans son blogue Chiesa, malgré les attaques virulentes contre la Curie et contre son personnel à l’époque du dernier conclave, les principaux chefs de dicastères sont assurés de rester en place. En fait, l’Eglise n’a plus la capacité, ni les réserves humaines, pour opérer un bouleversement semblable à celui du Concile.
En somme, le nouveau pape semble avoir cru qu’il possédait la clé de la réalisation de Vatican II grâce à un charisme de « retour à l’Evangile », mais les réalités de la crise sont persistantes: à ce sujet considérons les récentes ordinations pour Rome, avec 2 prêtres seulement pour le diocèse : il n’y a aucun « effet François » en ce domaine, le plus important pour l’avenir de l’Eglise (en effet, un effet qui demande plus de temps, et pourtant il n’y a pas non plus d’effet perceptible dans d’autres domaines).
Mais après ce pontificat ?
L’élection du pape Bergoglio s’explique comme une réaction vis-à-vis du pontificat précédent. Ceux qui ont élu le pape François ont tous voulu « tourner la page » pour des motifs divers : tourner la page d’un pontificat trop restaurationiste, d’un gouvernement impuissant, d’une papauté cible de toutes les attaques, d’une mauvaise gestion
financière. Mais il est bien possible que François soit le dernier de série des pontifes somme toute « triomphalistes » de l’après-Concile, consacrés par les récentes canonisations.
En fait, peu d’entre les électeurs de Jorge Bergoglio le connaissaient vraiment. Passé le premier moment de surprise heureuse ou agacée, il est devenu évident que l’agitation peu efficace à laquelle ils assistent, les coups médiatiques, les incertitudes cultivées comme mode de gouvernement, les approximations voire même les bévues doctrinales, l’absence d’expression de la doctrine magistérielle, indisposent aujourd’hui beaucoup de hauts prélats. Tout cela peut produire deux effets après ce pontificat:
A coup sûr, une recherche de « sécurité » : les électeurs ne voudront pas se jeter dans d’autres hasards et choisiront un candidat mieux armé du point de vue théorique, ayant une image plus « modérée », et qui sera un administrateur moins brouillon.
Et surtout, une manifestation de réalisme : d’une manière ou d’une autre, on va vers une figure de papauté réellement plus modeste, mieux en phase avec ce qu’est réellement l’Eglise dans le monde contemporain. Le temps d’une papauté vitrine brillant, mais trompeuse d’un catholicisme prodigieusement affaibli ne peut se maintenir très
longtemps.
L’affaire des Franciscains de l’Immaculée comme symptôme
Ce réalisme ira-t-il jusqu’à faire un lucide inventaire des erreurs du demi-siècle écoulé ? Rien pour l’instant n’indique qu’on veuille prendre à bras le corps les problèmes qui demeurent et qui s’aggravent: crise dramatique des vocations, évaporation du Credo et des dogmes, banalisation de la liturgie. Pour que quelque chose change vraiment, la question majeure est : existe-t-il des hommes d’Eglise pour une nouvelle donne ?
Par ailleurs, il ne faut pas se rassurer trop vite du fait que rien ne change sous le pape François. Demeurer en l’état dans une situation de déclin provoque par le fait-même une accentuation de ce déclin. Et puis, un autre scénario, beaucoup plus inquiétant peut être imaginé pour la fin du pontificat actuel. Le trouble et les incertitudes apportés sur une question comme celle de l’indissolubilité du mariage sont déjà ravageurs, même s’ils ne sont pas suivis de décisions institutionnelles en un sens libéral.
Il y a plus : des tentatives de réduction à la norme de « l’esprit du Concile » ne sont pas à exclure. La remise au pas des Franciscains de l’Immaculée pourrait parfaitement s’étendre à l’ensemble du catholicisme traditionnel. Sous quelle forme ? Tout simplement par une mise en veilleuse de la dynamique Summorum Pontificum, à savoir celle de la reconnaissance d’un droit de cité accordée à toute une frange du catholicisme qui se trouve, au moins liturgiquement, en réaction contre « l’esprit du Concile ». Il faut avoir bien présent à l’esprit que, pour François, l’autorisation de célébrer la messe traditionnelle n’est une tolérance accordée par Benoît XVI à une minorité en voie de disparition : « Il s’agit d’une sorte de mode, et si c’est une mode, c’est une chose à laquelle il ne faut pas tellement faire attention » (audience avec les évêques tchèques). Que ce sentiment du Pape repose sur une méconnaissance étonnante de la réalité concernée n’est pas le problème. Le problème est que le Pape ait cette opinion.
Très concrètement, la disparition de la petite Commission Ecclesia Dei est tout à fait possible lors du remaniement des dicastères qui se dessine. Il est vrai que, du point de vue de la célébration de la messe traditionnelle, cette Commission n’a jamais exercé de véritable activité de protection ou de promotion, mais sa disparition aurait une portée symbolique hautement négative : si elle se produisait ce serait un véritable coup de tonnerre. Quant au transfert de sa compétence sur l’ensemble des communautés Ecclesia Dei à la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique, dont le cardinal Braz de Aviz est le préfet, et Mgr Rodriguez Carballo le secrétaire, elle serait désastreuse pour cette frange du catholicisme.