28 juin 2014

[Lettre à Nos Frères Prêtres / FSSPX France] Le prêtre à l'autel

SOURCELettre à Nos Frères Prêtres / District de France de la FSSPX - n°62 - juin 2014

Pour la justification des pécheurs, pour la sanctification des âmes, Jésus a tout organisé autour de cette fontaine de vie qu’est le sacrifice du Calvaire. Il fonde l’Église, il transmet son sacerdoce, il institue les sacrements pour faire part aux hommes des mérites infinis du Calvaire. Or le sacrifice du Calvaire est renouvelé chaque jour sur l’autel par le sacrifice de la messe, source de la grâce, source de la vie chrétienne, source de la Chrétienté.
Le sacrifice, prière par excellence
Le sacrifice est ce qu’il y a de plus essentiel dans la vie humaine. L’acte le plus important d’une créature humaine normale, c’est-à-dire de quelqu’un qui croit en Dieu, qui reconnaît Dieu comme le Créateur de toutes choses, c’est d’exprimer cette reconnaissance de Dieu tout-puissant par le sacrifice, par l’oblation, par l’immolation d’un être qui signifie l’oblation de l’homme lui-même à Dieu. Pour manifester vraiment l’entière donation qu’on fait de cette chose à Dieu et pour qu’elle ne puisse plus servir à un usage profane, on la détruit. Cet objet sacré est détruit pour montrer qu’on le donne complètement à Dieu en signe de notre propre donation complète. Le sacrifice confère ainsi sa véritable dimension à l’homme, sa véritable place par rapport à Dieu.
Le sacrifice, acte principal de la vertu de religion
Saint Thomas montre très clairement que la vertu de religion, qui est une vertu annexe à la vertu de justice, nous relie à Dieu, et il précise (Somme de théologie, II-II, q. 81, a. 1) : «La religion, au sens propre, implique l’idée de sacrifice».

Nous avons besoin d’exercer notre vertu de religion. Cette vertu de religion est ce qu’il y a de plus intime dans l’homme, déjà au point de vue naturel, car elle est l’expression de ce que nous sommes vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis de notre prochain. Rendre les devoirs que nous devons à Dieu, à notre prochain, c’est exercer la vertu de justice. Nous avons des devoirs à exercer vis-à-vis de Dieu, et le premier devoir, c’est précisément la vertu de religion, c’est-à-dire l’adoration de Dieu. L’enfant naissant, s’il était conscient de ce qu’il est, de ce qu’il doit à Dieu, devrait déjà dans son coeur adorer Dieu, remercier Dieu de l’avoir créé, et cela même simplement au point de vue naturel. C’est d’ailleurs ce que les parents doivent inculquer à leurs enfants dès qu’ils sont capables de comprendre qu’ils sont des créatures de Dieu.

Cette vertu de religion s’exerce surtout par l’adoration intérieure. Toutefois, étant simultanément corps et âme, nous avons besoin d’adoration extérieure. Si nous n’exprimons pas sensiblement ce sentiment d’adoration vis-à-vis de Dieu, nous risquons de perdre nos dispositions d’adoration intérieure qui ne sont pas autre chose que notre soumission, l’oblation de nous-mêmes à Dieu, qui fait que nous soumettons toute notre volonté, notre intelligence, tout ce que nous sommes à ce Dieu qui nous a créés et qui nous attend pour l’éternité.

Or, si la vertu de religion doit s’exercer même sur le simple plan naturel, à plus forte raison doitelle s’exercer sur le plan surnaturel. Dieu a voulu venir parmi nous. Il s’est incarné, voulant en quelque sorte lui-même nous montrer comment l’homme religieux, la créature, doit se comporter vis-à-vis de lui. Notre-Seigneur est venu sur la terre ; il a prié, il a adoré son Père ; il a manifesté ce qu’était la religion ; finalement, il s’est donné tout entier en sacrifice à son Père sur la Croix ; il s’est offert totalement, complètement pour la gloire de son Père et le salut des âmes.
Le sacrifice du Christ renouvelé sur l’autel
Le sacrifice de la Croix, dit le catéchisme du concile de Trente, fut infiniment agréable à Dieu. Le sacrifice de la Croix, à peine Jésus-Christ l’eut-il offert que la colère et l’indignation de son Père furent entièrement apaisées. Aussi l’Apôtre a-t-il soin de nous faire remarquer que la mort du Sauveur fut un vrai sacrifice. « Jésus-Christ nous a aimés, dit-il, et il s’est livré lui-même pour nous, en s’offrant à Dieu comme une victime et une oblation d’agréable odeur » (Ep 5, 2).

La Passion de Notre-Seigneur est donc un véritable sacrifice. C’est une vérité de foi définie au concile d’Éphèse et au concile de Trente. Le concile d’Éphèse dit : « Nous avons un Pontife et un Apôtre qui s’est offert lui-même en odeur de suavité pour nous ». Et le concile de Trente affirme : « Le Christ s’est offert sur l’autel de la croix » ; « par sa mort, il s’est offert à Dieu son Père pour nous racheter », « pour qu’il réalise la Rédemption de tous les hommes ».

Les conséquences du fait que la Passion est un véritable sacrifice sont  immenses, parce que cela élargit ce mystère aux dimensions de toute l’histoire de l’humanité, de toute l’histoire de la Création, de tout ce qui peut précéder ou suivre ce sacrifice offert à la louange et à la gloire de Dieu.

D’une certaine manière, on peut dire qu’il n’y a qu’un sacrifice, qu’un Prêtre, qu’une Victime et qu’une oblation avec le peuple fidèle, qui s’est réalisée au sacrifice de la Croix : il n’y a pas deux sacrifices de la Croix. Mais Dieu a voulu que ce sacerdoce, ce sacrifice, cette Victime et cette oblation continuent, afin que l’effet de son sacrifice se poursuive dans le temps.

Le sacrifice du Calvaire devient, sur l’autel, le sacrifice de la messe, lequel, en même temps qu’il réalise le sacrifice de la Croix, réalise aussi le sacrement  de l’Eucharistie, qui nous rend participants à la divine Victime, Jésus crucifié. C’est donc autour du sacrifice de la messe que s’organisera l’Église, Corps mystique de Notre-Seigneur, que vivra le sacerdoce pour édifier ce Corps mystique, qui par la prédication attirera les âmes à se purifier dans les eaux du baptême pour être dignes de participer au sacrifice eucharistique de Jésus, à la manducation de la divine Victime, et s’unir ainsi toujours plus à la Trinité sainte, inaugurant déjà ici-bas la vie céleste et éternelle.
La grande prière de l’Église
Si Notre-Seigneur transmet la vérité à l’Église par la foi, c’est pour en faire une Église priante, car Jésus fut le grand priant. Au cours de son existence terrestre et maintenant encore dans le Ciel, il est toujours présent pour prier pour nous (He 7, 25). Jésus est le grand priant. Alors l’Église aussi, à son image, doit être la grande priante. La foi qui ne conduirait pas à la prière serait une foi morte.

Quelle est donc cette prière que Jésus a transmise à son Église ? Il est évident que c’est le saint sacrifice de la messe, comme la grande prière de Notre Seigneur Jésus-Christ fut son Calvaire. C’est sur la croix qu’il a été le plus grand priant, et c’est le sacrifice de la messe qui est la grande prière de l’Église, prière à laquelle l’Église demande que tous les fidèles s’associent intimement, profondément, adorant Dieu, adorant Notre Seigneur Jésus-Christ, adorant notre Créateur, adorant notre Rédempteur.

Quelle magnifique prière que celle que Jésus a transmise à son Église ! Et, dans cette prière, il a voulu que nous participions à son corps, à son sang, à son âme, à sa divinité, afin de devenir nous aussi des priants comme lui ; que toute notre vie soit une prière, une offrande, un chant, un cantique d’action de grâces.
Le but du sacerdoce
Les paroles que le prêtre prononce lors de la consécration constituent à la fois la réactuation du sacrifice de Notre-Seigneur et la réalisation de ce sacrement extraordinaire, admirable, divin qu’est l’Eucharistie, présence de Notre Seigneur Jésus-Christ destinée à être reçue par nous en nourriture.

Voilà, en définitive, le coeur, l’essence, le but même de l’ordination : le saint sacrifice de la messe. C’est bien ce que dit le concile de Trente : le but du sacerdoce est de consacrer, offrir, administrer. « Consacrer » signifie réaliser l’Eucharistie, faire venir Jésus, qui est Dieu, sur l’autel, l’offrir de nouveau à Dieu son Père pour le salut des âmes, et le donner aux âmes.

Lorsqu’il prononce les paroles de la consécration, le prêtre fait descendre sur l’autel Notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu. Pauvre créature, petite créature insignifiante, il a le pouvoir par ses paroles de faire descendre celui qui est le Créateur de toutes choses, le Rédempteur de l’univers. Comme la très sainte Vierge par son Fiat a pu faire descendre dans son sein le Fils de Dieu, ainsi le prêtre, chaque fois qu’il prononce les paroles de la consécration, fait descendre sur nos autels Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même. C’est là le pouvoir du prêtre, pouvoir incroyable, inimaginable. Que Notre-Seigneur ait donné ce pouvoir à des créatures est un acte de sa toutepuissance et de sa grande charité, afin que s’applique sa Rédemption.
La clé de l’apostolat
La seule grande prière, c’est le saint sacrifice de la messe. C’est le coeur de l’apostolat du prêtre. On ne comprend rien à l’apostolat si on ne comprend pas ce qu’est le sacrifice de la messe, parce que le saint sacrifice de la messe est la grande prière de Notre-Seigneur. C’est là que tout prêtre trouve la source de tout son apostolat, et le zèle dont il a besoin pour aller prêcher aux âmes et les attirer vers l’autel.

Le saint sacrifice de la messe manifeste les étapes que tout chrétien doit franchir pour parvenir à la sainteté. Une âme qui monte vers Dieu commence par la vie purgative, poursuit par la vie illuminative, pour en arriver à la vie unitive. Ce sont les étapes que les auteurs spirituels donnent pour arriver à l’union à Dieu. La messe exprime parfaitement ces trois étapes.

La première partie de la messe consiste en lectures de l’Écriture et en chants spirituels. C’est la messe de ceux qui se purifient pour se détacher des choses de ce monde afin que Dieu puisse agréer leur prière. Elle représente la vie purgative. Puis on arrive au sommet du sacrifice, au moment de la consécration. Cette partie correspond à la vie illuminative. Nous contemplons Dieu dans la sainte Eucharistie. Jésus est là, présent dans sa gloire, entouré de tous les saints du Ciel. Enfin, on passe à l’union à Jésus dans la sainte communion. Cette dernière partie de la messe correspond à la vie unitive. Elle aboutit à une vie d’amour, d’union, d’attachement, de dévouement total à Notre-Seigneur. Le chrétien alors n’a plus qu’un désir, ne plus s’appartenir, être tout à Notre-Seigneur, être son apôtre afin de donner Jésus aux âmes. Voilà ce qu’exprime la messe et ce qu’elle réalise.
La source de la civilisation chrétienne
Parce que le sacrifice de la messe est la source de la sanctification du chrétien, il est logiquement aussi la source de la civilisation chrétienne, de la Chrétienté, c’est-à-dire de la cité terrestre qui rassemble les chrétiens. Cela a toujours été compris ainsi à toutes les époques. Il ne peut pas y avoir de civilisation chrétienne sans autel, sans messe, ce n’est pas possible. Pourquoi ? Parce que la famille est la cellule de base de toute société, et que la famille est sanctifiée au Calvaire, elle est sanctifiée au saint sacrifice de la messe.

De l’autel naissent ainsi les vertus familiales, naît l’ambiance chrétienne de la famille. Et si la famille est foncièrement chrétienne, alors par conséquence la société sera chrétienne aussi. Les vertus, non seulement familiales, mais également sociales, civiques, politiques, toutes ces vertus-là découleront du sacrifice de la messe.

C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner de ce que nos ancêtres aient construit des églises magnifiques : ils comprenaient que de ces églises découlaient tous les bienfaits sur la famille et sur la société, même les bienfaits purement politiques, économiques.

Lorsque la foi, lorsque l’Église revit dans un pays, ce pays-là se porte mieux économiquement, politiquement, socialement. Parce que la vertu de justice est rétablie, et que la justice c’est l’ordre véritable. Et cette vertu de justice est même complétée, renforcée, élargie par la vertu de charité, qui ne se contente pas de ce qui est dû, mais qui donne davantage, en surabondance, par amour surnaturel de Dieu et du prochain.

L’histoire de la civilisation chrétienne trouve ainsi son fondement et son développement, sa vitalité dans la grande prière publique de l’Église qui infuse l’esprit de justice, l’esprit de charité à ceux qui en vivent. Toutes les initiatives charitables et saintes ont leur origine dans l’esprit qui nous est donné par le sacrifice de l’autel, et par tout ce qui en découle.