15 juin 2014

[Pierre-Olivier Arduin - La Nef] Liberté d'enseignement

SOURCE - Pierre-Olivier Arduin - La Nef - juin 2014
La polémique déclenchée après l’intervention de l’association Alliance Vita au lycée catholique Gerson soulève de façon inquiétante la question de la liberté d’enseignement de l’Église. 
 
À l’origine de la cabale menée contre ce lycée parisien, quelques parents qui ont dénoncé le soi-disant discours « intégriste » d’intervenants extérieurs sur des thématiques de bioéthique pendant un cours de catéchisme (dont un membre de la direction diocésaine de l’enseignement catholique de Paris aurait précisé, pour tenter d’apaiser les esprits, qu’il était « non obligatoire »). Des propos « obscurantistes » y auraient été tenus sur l’avortement et, pire, la pilule du lendemain aurait été assimilée à un « meurtre ». En diligentant dans la foulée une enquête et une inspection, la mairie de Paris et le ministère de l’Éducation nationale ont fait de la surenchère dans l’intimidation. Car ne nous y trompons pas, derrière cette affaire, c’est la possibilité même de continuer à transmettre la vérité qui est en jeu. Oui, l’avortement est un « crime abominable » selon l’expression même du concile Vatican II (Gaudium et spes, n. 51) qu’a reprise le pape François dans un discours très ferme le 11 avril dernier (1). Oui, la pilule du lendemain peut conduire, selon l’instruction Dignitas personae promulguée par Benoît XVI en 2008, à « l’avortement d’un embryon », et constitue dès lors « un meurtre direct » et « un acte gravement immoral » (Dignitas personae, n. 23 sur les produits interceptifs). 

Cette tentative de bâillonner l’enseignement moral de l’Église s’inscrit dans une stratégie plus globale, comme en témoigne l’attaque inouïe lancée le 5 février contre le Vatican par le Comité des Nations-Unies sur les droits des enfants. L’intellectuel italien Massimo Introvigne a évoqué à ce sujet une « déclaration de guerre de l’ONU à l’encontre de l’Église » (2). Dans son rapport officiel, cette commission somme en effet le Saint-Siège d’engager des réformes urgentes, à commencer par supprimer de ses établissements les manuels scolaires contrevenant à l’« égalité de genre », revoir le concept ambigu de « complémentarité naturelle entre l’homme et la femme », « reconsidérer sa position sur l’avortement » en « réécrivant le Code de droit canonique » pour y faire figurer les circonstances dans lesquelles il serait dorénavant permis, garantir aux adolescents scolarisés dans ses écoles un accès à la contraception et aux services de santé reproductive… Pour ces « experts » de l’ONU, l’Église doit impérativement changer son enseignement auprès des jeunes en matière de « doctrine sur l’homosexualité, l’avortement et la contraception».
 
Face à cette mise sous tutelle programmée du Magistère catholique, il nous faut redécouvrir les grands textes de l’Église sur l’éducation, notamment la Déclaration Gravissimum Educationis du concile Vatican II dont nous fêterons l’année prochaine le cinquantenaire, ainsi que la remarquable instruction sur « L’école catholique au seuil du troisième millénaire » publiée à la demande de saint Jean-Paul II avant le Jubilé de l’An 2000. Ces documents – auxquels il faut ajouter les innombrables discours de Benoît XVI sur l’urgence de l’éducation et l’allocution « coup-de-poing » du pape François contre l’« endoctrinement » scolaire des enfants le 11 avril (3) – exhortent les parents et les professeurs à défendre sans compromis l’identité de l’école catholique avec « un projet éducatif fondé sur la personne même de Jésus-Christ » et « une adhésion claire à l’Autorité magistérielle de l’Église en matière de foi et de morale ». 

Plusieurs lignes de force ressortent avec une actualité brûlante de ces textes fondamentaux : prendre conscience que l’école catholique doit être une « instance critique de la société » et une « frontière avancée de la préoccupation éducative de la communauté chrétienne », donner consistance à la « dimension ecclésiale de l’école catholique » qui n’est pas une caractéristique surajoutée mais doit pénétrer toute son action éducative et enseignante, honorer le « droit des élèves et de leurs parents » à bénéficier d’une éducation morale fidèle à la loi naturelle et au magistère de l’Église, conjuguer foi et raison dans chacune des matières enseignées en présentant explicitement « à côté des connaissances à acquérir des vérités morales à assimiler ». C’est en effet dans « chaque discipline » que doit émerger une « vision chrétienne du monde, de la vie et de la culture ». À ce titre, les enjeux scientifiques, éthiques et philosophiques du respect de la vie humaine depuis sa conception jusqu’à son terme naturel ne devraient pas être relégués par principe à des temps de « catéchisme non obligatoire » mais faire d’abord l’objet d’un enseignement rigoureux (pendant les cours de SVT et philosophie notamment) dispensé par des professeurs « fidèles au message de l’Église, compétents, cohérents, convaincus, maîtres de savoir et de vie ». Il est urgent de revenir à la source de ces textes magistériels, de les lire, de les travailler pour affronter avec courage les défis qui nous attendent dans ce domaine capital de l’éducation des nouvelles générations.P.-O. A. 
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(1) Pape François, « Discours au mouvement italien pour la vie », 11 avril 2014. 
(2) Massimo Introvigne, « L’ONU dichiara guerra alla chiesa », La Nuova Bussola Quotidiana, février 2014. 
(3) Pape François, « Discours au Bureau international catholique de l’enfance », 11 avril 2014.