25 septembre 2009

[Cal Castrillon Hoyos] Entretien du cardinal Castrillon Hoyos à la Süddeutsche Zeitung

SOURCE - Cardinal Hoyos - Sueddeutsche Zeitung - version française mise en ligne par le blog "La crise Intégriste" de Nicolas Senèze - 25 septembre 2009
En Allemagne vous avez été sévèrement critiqué...

En Allemagne ? Qui m'a critiqué en Allemagne ?

On vous présente comme le principal responsable du scandale lié à Richard Williamson, membre de la Fraternité Saint-Pie-X, en début d'année.

Ce qui a été dit ne m'intéresse pas le moins du monde. Pour moi, c'est un signe qu'un pays, qu'une presse et qu'un public, que je considère au fond comme honnêtes, sont mal informés.

Que voulez-vous dire ?

Je veux dire qu'on ne semble pas savoir de quoi il s'agit et ce en quoi consiste le droit de l'Église. Cela veut dire qu'on se laisse prendre dans un tourbillon médiatique ou bien dans une sensibilité locale, que nous comprenons et respectons.

Et donc, de quoi s'agit-il ?

Mgr Marcel Lefebvre a commis un acte de rébellion quand, en 1988, il a ordonné quatre évêques sans mandat pontifical. C'était un acte schismatique, en conséquence, les quatre membres de la Fraternité Saint-Pie-X ont été excommunié avec Mgr Lefebvre. C'est tout. Tant Jean-Paul II que Benoît XVI se sont engagés pour résoudre ce conflit. Pour le reste, ce qui a été dit repose sur une ignorance fondamentale des intentions et des actions du pape.

Même au Vatican, le processus de rapprochement de la Fraternité Saint-Pie-X est critiqué.

Le seul but du pape était de réduire le schisme. Mgr Lefebvre était mort et ceux qui ont été ordonnés par lui demandaient la levée de l'excommunication. Le pape a accepté, après de longues consultations. Et nous, évêques, nous devons soutenir le pape, surtout quand il s'agit d'un thème aussi fondamental que celui de l'unité.

Quel a été votre rôle dans le rapprochement avec la Fraternité Saint-Pie-X ?

En l'an 2000 a commencé un dialogue entre Rome et la Fraternité sacerdotale, dialogue suivi de très près par le cardinal Ratzinger. Après une réunion menée en 2001 par Jean-Paul II, tous les cardinaux présents se sont prononcés en faveur de ce processus. Ils ont expliqué que les frères excommuniés n'étaient pas eux-mêmes hérétiques ou schismatiques, bien qu'ils aient commis un acte schismatique. En ce qui concerne leur relation avec le concile Vatican II, on a souligné des difficultés de certaines interprétations la liberté religieuse et l'oecuménisme. La Commission Ecclesia Dei, que j'ai présidé de 2000 à juillet dernier, devait analyser cette problématique, rien d'autre.

Partagez-vous les positions de la FSSPX ?

Les membres de la FSSPX pensent qu'ils défendent la vérité à propos de la Sainte Tradition et qu'ils ne peuvent pas être excommuniés pour cela. Cela peut se comprendre, même si je ne partage pas cette opinion. Mais il est indiscutable qu'ils ont violé une loi fondamentale de l'Église.

Vous êtes-vous déjà demandé si vos décisions pouvaient avoir des conséquences politiques ?

L'excommunication de quatre évêques n'est pas un acte politique. C'est un acte de miséricorde. Il y a donc un problème théologico-pastoral, et pas une interférence de l'Église dans la sphère politique. Aussi cela ne m'inquiète-t-il pas. Mon travail n'est pas de juger un frère évêque : cela est la mission de la Congrégagtion pour les évêques et de la Congrégation pour la Doctrine de la foi.

Mais l'Église catholique a bien une opinion sur l'antisémitisme et l'Holocauste ?

Le rejet par l'Église de la violence extrêmement injuste à laquelle a été soumis le peuple juif est tout à fait clair. Un tel génocide racial est un crime contre l'humanité immoral.

Pourquoi alors n'avez-vous pas stoppé la levée de l'excommunication d'un négationniste de l'Holocauste ?

Mgr Williamson avait été excommunié à cause de son ordination épiscopale illégitime, pas à cause de ses théories, jugements ou déclarations à propos de l'Holocauste. Voir les choses différemment est une erreur allemande.

Est-ce seulement une sensibilité allemande , Il existe bien d'autres opinions dans l'Église.

En effet, dans l'Église, il y a eu aussi des réactions critiques. C'est ce que le pape a indiqué dans une lettre adressée à tous les évêques du monde. Mais le pape n'est bien sûr pas seul : il est pour ainsi dire entouré de l'ensemble de l'épiscopat. Il n'a pas agit par ignorance. Le fait que d'autres facteurs soient venus s'ajouter est un autre sujet.

Vous dites que vous n'étiez pas au courant de l'interview de Mgr Williamson. Qu'aurait fait le pape s'il en avait eu connaissance ?

Je ne veux risquer aucune hypothèse à propos de ce que le pape aurait dû faire. Je me réfère juste à ce qu'il savait au moment où la levée des excommunications a été rendue publique. À ce moment, aucun d'entre nous ne savait rien à propos des déclarations de Mgr Williamson. Aucun d'entre nous ! Et personne n'avait l'obligation de le savoir !

Dès 1989, Mgr Williamson niait dans un sermon le gazage des juifs. N'aurait-on pas pus avoir cela ?

Ne dites pas « dès ». À l'époque, Mgr Williamson était un jeune évêque qui agissait à l'extérieur de l'Église et sans légitimité juridique. En 1989, le jeune évêque donnait son avis à propos d'un livre qui proposait une analyse historique de l'Holocauste que beaucoup d'entre nous ne partagent pas. Mais tout le monde doit-il connaître ce livre ? Personne n'est obligé d'avoir lu tous les ouvrages qui paraissent, et encore moins quand il s'agit de thèmes aussi spécifiques.

Les mots de Williamson étaient clairs : «Aucun juif n'a été tué dans les chambres à gaz ! Tout cela étaient des mensonges, mensonges, mensonges ! Les juifs ont inventé l'Holocauste». De 1987 à 1991, vous avait été président du Conseil épiscopal latino-américain : à cette époque, déjà, la position de Williamson était connue en Argentine. Et malgré tout, vous ne saviez rien ?

À l'époque, j'en savais autant sur lui que sur Maradona. Je n'ai appris l'existence de Maradona que quand j'étais à Rome. Je n'ai appris des choses sur Williamson qu'en 2000. ce que je peux dire de toute façon c'est que ni la Curie, ni la Congrégation pour les évêques, ni la Secrétairerie d'État, ni les nonciatures, ni les épiscopats canadien, allemand, suisse, autrichien, français ou hollandais, n'ont dit quoique ce soit de l'opinion de Mgr Williamson à la Commission Ecclesia Dei.

Pas même en janvier 2009 ?

Je sais juste que la télévision suédoise l'a interrogé à l'occasion d'une ordination diaconale, et je n'ai été informé de ces déclarations que le 5 février. Le nonce en a informé la Secrétairerie d'État et m'a transmis des informations dans une enveloppe scellée que j'ai conservée.

Dès le 21 janvier, un fax est arrivé au Vatican rendant compte de l'interview de Williamson.

Nous ne l'avons appris que le 5 février. Je me suis déjà posée cette question plusieurs fois : si l'interview a été faite fin 2008, pourquoi n'a-t-elle été diffusée que le 21 janvier. Apparemment, on a attendu que le décret sur la levée de l'excommunication, dont la processus avait été gardé secret, soit signé le 14 janvier. Pourquoi cela ?

Qu'en pensez-vous ?

Je n'aime pas les spéculations.

Aujourd'hui, l'évêque de Stockholm, Mgr Anders Arborelius, affirme qu'il avait déjà informé la nonciature de Stockholm sur la négation de l'Holocauste par Mgr Williamson dès novembre 2008.

Je regrette cette déclaration très douteuse, parce qu'elle est fausse. Diffuser cette information est une calomnie. Nous conservons tous les documents que nous recevons sous forme numérique. Mgr Arborelius devrais dire comment à qui et quand il a communiqué cela, et si cela a été fait par écrit ou oralement.

Dès 2008, le Spiegel avait déjà parlé de Williamson : personne ne le lit au Vatican ?

Il est possible que la section allemande de la Secrétairerie d'État aie eu connaissance de cet article. Je ne sais pas.

Mgr Fellay, le supérieur général de la Fraternité Saint-Pie-X, connaissait déjà l'interview de Mgr Williamson, si on en croit une lettre qu'il a envoyée le 21 janvier à la chaine suédoise pour empêcher la diffusion de l'interview.

Je ne sais rien à ce sujet.

Mgr Williamson dit que vous l'auriez rencontré au cours d'un déjeuner.

J'étais depuis peu de temps président de la Commission Ecclesia Dei quand j'ai rencontré un petit groupe de personnes, en plein été, en habit sacerdotal. J'ai demandé à mon secrétaire d'enquêter sur ce groupe et il s'est avéré que c'était des disciples de Mgr Lefebvre. Je l'ai invité chez moi.

Quelle a été votre impression le concernant ?

Que ce sont des gens bien, mais trop fixé sur ce qui était la source de tout mal dans le monde: la réforme de la messe selon le Concile. En voulant décontracter l'ambiance, j'ai dit pour plaisanter que si je pouvais choisir une langue pour la messe, je choisirais l'araméen, la langue du Christ, que je ne savais pas qui avait eu la mauvaise idée d'échanger la langue du Christ contre la langue des persécuteurs. Ils ont trouvé que c'était une mauvaise blague. Après cette visite, il y a eu un dialogue avec Jean-Paul II et un autre, en août 2005, avec Benoît XVI

Que pensiez-vous alors de Mgr Williamson ?

C'est un homme honnête mais curieux. Pas bête, plutôt obsessionnel, et têtu.

Un homme honnête ?

Il dit ce qu'il pense. Il ne m'est pas apparu comme un homme essayant de tromper les autres. Plutôt comme un homme simple qui représente des positions extrêmes. En tout état de cause, un homme d'une foi simple et sincère.

Quand le scandale a éclaté, même le porte-parole du Vatican vous a publiquement attaqué.

Le P. Lombardi a fait à une journaliste française un commentaire hasardeux à mon sujet, mais il a retiré sa déclaration. Il s'est excusé auprès de moi et on doit souligner le point suivant : à ce moment-là il n'a pas agi à la demande du pape.

Le cardinal Giovanni Battista Re s'est senti trahi par vous.

Pour autant que je sache, il n'a jamais affirmé cela, mais je sais bien les mots imprudents que la presse lui a attribué à mon sujet. Pour cette raison, je lui ai écrit une lettre dans laquelle je lui dit que si quelqu'un devait être au courant des propos de Williamson, c'était lui. Il a été pendant de longues années à la Secrétairerie d'État et aujourd'hui il est à la tête de la Congrégation pour les évêques et a le devoir de surveiller les évêques.

Le scandale a-t-il changé votre relation avec le pape ?

Évidemment qu'elles ont changé, et en bien ! Nous avons toujours travaillé main dans la main. J'ai une grande affection pour lui, pas seulement parce qu'il est le Vicaire du Christ, mais aussi parce qu'il est un théologien de premier ordre, un défenseur de la foi et un ami qui a toujours eu confiance en moi. cela n'a pas changé.

Vous avez dit une fois que le débat sur l'existence des chambres à gaz n'était pas un problème moral mais historique. pouvez-vous vous expliquer ?

Le génocide du peuple juif est un acte qui est moralement condamnable, au même titre que les tortures. Mais dire qu'il y a eu cinq mort au lieu de dix, n'est pas un jugement moral mais une erreur historique.

Williamson nie qu'on a essayé d'anéantir le peuple juif.

Selon moi, il n'a jamais nié le génocide contre les juifs. Il le réduit. C'est une question historique. le problème moral se situe exclusivement au niveau du génocide raciste.

Qu'aurait fait le Vatican si Williamson n'avait pas minimiser l'Holocauste, mais s'il l'avait nié ?

Le négationnisme n'affecte pas l'essence de l'Église. Il s'agit d'un problème qui peut être résolu. C'est le même problème que celui des gens qui ne rejettent pas le terrorisme ou qui défendent et pratiquent des avortements. Mgr Williamson est encore soumis à l'autorité de la Fraternité Saint-Pie-X, mais elle peut aller jusqu'à lui interdire d'entrer dans une église, d'y célébrer des messes, pour manque de jugement.

Recommenceriez-vous de la même manière ?

Exactement !

Vous sentez-vous blessé par les médias ?

J'ai toujours eu à faire avec les médias. Par conséquent, je me suis durci le cuir. Je n'ai jamais demandé de rectificatif parce que c'est inutile. La vérité a son propre chemin. Et le seule vérité, c'est ce que je viens de vous dire.

Recueillis par Camilo Jiménez (Traduction grâce à l'aide précieuse d'Anna Latron)