26 janvier 2009





Après la main tendue aux intégristes, l’Eglise de France s’interroge
26/01/2009 - la-croix.com
Interloqués, évêques, prêtres et laïcs attendent des précisions de la part de Rome Fidèles et loyaux, mais interloqués. La majorité des évêques français ont été surpris en apprenant vendredi la levée par Benoît XVI de l’excommunication des quatre évêques intégristes. Rien, dans les contacts entre Rome et Paris, ne laissait prévoir cette décision. Et nulle lettre du pape n’est venue leur réserver la primeur, comme pour le Motu proprio de 2007…

Dans une déclaration, le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux, membre de la Commission pontificale Ecclesia Dei, explique : « À un moment, la question du texte même du Concile Vatican II comme document magistériel de première importance devra être posée. Elle est fondamentale. Mais toutes les difficultés ne seront pas forcément de type doctrinal. D’autres, de type culturel et politique, peuvent aussi émerger. Les derniers propos, inacceptables, de Mgr Williamson, niant le drame de l’extermination des Juifs, en sont un exemple. »

Archevêque de Clermont et vice-président de la conférence épiscopale, Mgr Hippolyte Simon risque une hypothèse paradoxale : « Le pape a accordé aux intégristes tout ce qu’ils veulent sur la forme des rites, mais sur le fond, sur le Concile, lorsqu’il a affirmé qu’il n’existe pas deux rites, mais deux formes d’un même rite, il a ruiné leur argumentaire. » Vatican II reste donc à accepter dans sa totalité. : « Suis-je encore excommunié par eux ? », risque Mgr Simon, pour qui le test de cet éventuel retour, incertain à ses yeux en raison des dissensions internes des lefebvristes, restera leur concélébration autour de l’évêque pour la messe chrismale.
"Calomniés de manière hautaine et orgueilleuse"
Mgr François Garnier, archevêque de Cambrai, voit dans ce geste une « épreuve pour beaucoup de prêtres et de laïcs, qui s’épuisent à faire passer le vrai sens de Vatican II. Ils souffrent car ils se sont sentis calomniés de manière hautaine et orgueilleuse. » Il reconnaît : « C’est quand le pardon est le plus difficile qu’il est nécessaire. Mais cela suppose l’humilité des deux parties : je ne la vois pas du côté des intégristes, qui depuis 40 ans, n’ont cessé de mépriser les prêtres et la plupart des évêques. Leur orgueil est écrasant pour ceux qui, dans la fidélité au pape, ont mis en œuvre les orientations du Concile. »

À l’autre bout de la France, Mgr Marc Aillet, nouvel évêque de Bayonne, note : « Benoît XVI travaille à l’unité, en direction des chrétiens séparés comme de ce groupe contestataire. Le décret ne résout pas tout, mais permet un pas vers la réconciliation. Nous devons l’accueillir avec confiance. Le Saint-Père a dû recevoir des gages. » Réagissant aux propos négationnistes de Mgr Williamson, Mgr Aillet les juge « très graves » : « Mgr Fellay s’en est désolidarisé au nom de la Fraternité Saint-Pie-X. »

Sur ce point, Mgr Maurice Gardès, archevêque d’Auch et en charge du dialogue judéo-chrétien, ne cache pas son « étonnement » : « Ces déclarations vont à l’encontre de tout le travail entrepris depuis le Concile en direction de nos frères juifs. On ne peut être chrétien en niant l’anéantissement de 6 millions de juifs. Nos amis juifs ne peuvent que se sentir méprisés par la décision de l’Église d’accepter en son sein un évêque qui défend une thèse négationniste. Quelles exigences ont été posées ? Quelles conditions ? Je ne sais pas. Il est étonnant que la décision n’a pas été accompagnée de manière explicite de l’énoncé de conditions. »
"Les extrêmistes se disqualifient d’eux-mêmes"
Mgr Éric Aumonier, évêque de Versailles, insiste sur l’indispensable unité : « Benoît XVI, comme Jean-Paul II, ne peut se faire à l’idée que subsiste une déchirure dans le tissu de l’Église sans qu’on ait tout essayé pour y remédier et que l’unité se fasse dans la vérité. C’est pourquoi les excommunications ont été levées. » Mais, reconnaît-il, « il faudra du temps pour que tous les catholiques adhèrent de manière ferme et totale au magistère de l’Église tel qu’il s’exprime aujourd’hui. »

Un supérieur de séminaire, qui souhaite rester anonyme, dit son amertume : « Du côté du jeune clergé, cela va renforcer la tendance à chercher dans un passé fantasmatique et folklorique un moyen de trouver une identité. »

La réaction du producteur de télévision Thierry Bizot, nouveau venu à la foi (1), traduit un nouveau rapport à l’institution : « Cette levée d’excommunication ne me touche pas vraiment : dans cent ans, on aura oublié tout cela. Les extrêmistes se disqualifient d’eux-mêmes. Je respecte le pape et l’Eglise, mais je n’ai pas le petit doigt sur la couture du pantalon. »

Jérôme Vignon, président des Semaines sociales de France, voit dans la décision du pape « un contraste avec son discours aux Bernardins, à distance de l’intégrisme et du relativisme. Si ces évêques ne font aucun geste de réconciliation, la communion ne sera pas respectée. Du côté des laïcs, je crains un scepticisme envers la hiérarchie. »

Cette décision « ne fait pas bondir de joie » Claire Escaffre, directrice adjointe des Aumôneries de l’enseignement public : « Les jeunes ont du mal à comprendre les divisions qui ne sont souvent pour eux que des arguties. » De l’autre côté des générations, Guy Villaros, président du Mouvement chrétien des retraités, insiste : « Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un schisme. Les évêques de la Fraternité Saint-Pie-X doivent donner la preuve qu’ils acceptent Vatican II. »

SERVICE RELIGION

(1) Catholique anonyme, Seuil, 2008.