30 janvier 2009





Traditionalistes ? Voire…
30 janvier 2009 - Emmanuel Pic - la-croix.com
Une paroissienne d’un certain âge me racontait l’autre jour combien elle avait été surprise, assistant aux obsèques d’une de ses amies selon l’« ancien rite », de ne pas y retrouver la liturgie qu’elle avait connue autrefois. Tout y était, pourtant : le latin, les chants, les vêtements liturgiques… Mais il y manquait quelque chose qu’elle n’a pas su nommer avec précision, quelque chose comme l’esprit de son enfance.
Cette dame avait mis le doigt sur quelque chose qui me frappe beaucoup, et qui concerne aussi bien la mouvance lefebvriste que d’autres mouvements d’Eglise un peu vite qualifiés de « traditionalistes » (je me garde bien de mettre les deux sur le même plan). Ce traditionalisme-là est revisité par des gens, souvent jeunes, qui n’ont pas connu la messe de toujours. Ils découvrent dans des lectures, à travers des enseignements, ce qui était autrefois transmis par l’action liturgique et l’habitus qu’elle créait dans le peuple chrétien.
Le soin apporté à la beauté de la liturgie, au détail – au risque de tomber dans le rubricisme - , et surtout la réflexion et l’importance accordées au sens de ce qui se vit dans l’action liturgique, tout cela était absent des préoccupations des catholiques d’autrefois : on se contentait, alors (et sauf exceptions notables bien sûr) de se laisser porter par ce qui se vivait dans l’Eglise, sans trop réfléchir au pourquoi du comment.
De ce point de vue-là, le traditionalisme rejoint le fondamentalisme, car tous deux sont des manifestations paradoxales de la modernité dans le champ du religieux : ils sont des expressions, à la fois, de la liberté qui est donnée à chacun de construire sa propre démarche spirituelle comme il l’entend ; et, sans aucun doute, d’une inquiétude vis-à-vis d’un monde perçu comme dangereux.
En ce sens, l’excommunication n’est certainement pas une solution. Elle aboutit à marginaliser davantage des populations qui ont déjà tendance à s’estimer ostracisées injustement, et concourent au morcellement du paysage religieux.
Une autre voie me semble préférable, celle de la compréhension et de l’analyse du phénomène, en le resituant dans ce grand mouvement dans lequel nous sommes embarqués sans trop savoir où nous allons et auquel nous donnons le nom commode de “modernité”.
Un mouvement qui transforme de fond en comble notre rapport à l’autorité et aux dogmes : sous ce rapport, il est frappant de constater que le lefebvrisme a été d’abord un refus d’adhérer aux décisions d’un concile, et d’obéir au magistère de l’Eglise ; position éminemment “moderne”, qui ne peut se fonder en dernière analyse que sur la revendication d’une liberté de conscience totale vis-à-vis de l’enseignement romain.
Un mouvement qui, du même coup, touche à notre compréhension de l’Eglise : puisque nous ne pouvons nous opposer à un mouvement aussi profond, nous devons trouver un moyen de vivre ensemble, dans une diversité qui frise parfois l’éclatement. Ce vivre ensemble passe évidemment par le dialogue, et non par l’exclusion. C’est en ce sens que doit se comprendre la levée des excommunications qui frappaient les quatre évêques : un indispensable préalable au dialogue, qui va s’ouvrir maintenant sur les questions vraiment fondamentales qui touchent à la réception du concile Vatican II.
Emmanuel Pic