30 janvier 2009






Saint Pierre et ses brebis galeuses
30.01.09 - Caroline Fourest - lemonde.fr
L'un des quatre évêques intégristes réintégrés par Benoît XVI, Mgr Williamson, est ouvertement négationniste. Qui peut feindre la surprise ? Il ne s'agit pas d'une première. Mais de l'énième main tendue à l'extrême droite anti-Vatican II, intolérante et antisémite, sous prétexte de retrouver l'"unité de l'Eglise". Cette "unité" est rarement invoquée pour réhabiliter les théologiens de la libération excommuniés, ou même pour adoucir l'amertume des catholiques de gauche placardisés. Entre la tentation moderniste et la tentation intégriste, le nouveau pape préfère combattre la première et courir après la seconde. La Fraternité Saint Pie X n'a jamais caché son enthousiasme : "C'est un pape traditionaliste !" Le compliment est exagéré mais mérité.
Benoît XVI aura fait plus de concessions en quatre ans que Jean Paul II en vingt-sept. Réhabilitation de la messe en latin, que l'on peut désormais célébrer comme "rite propre", messes tournées vers l'Orient et non plus vers les fidèles, réhabilitation de la prière pour la conversion des Juifs, réaffirmation du dogme au détriment de l'oecuménisme... Vatican II, ce "concile inspiré par le diable", selon l'expression lefebvriste consacrée, est en lambeaux. Presque tous les voeux de ses détracteurs ont été exaucés. Il ne restait plus qu'une exigence pour sceller la réconciliation : la remise en cause de l'excommunication des quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre. Voilà qui est fait.
Bernard Fellay, l'un des quatre évêques réintégrés, étant le successeur de Lefebvre, sa Fraternité entre dans le giron de l'Eglise. Or elle compte bien d'autres brebis galeuses que Richard Williamson. Bernard Tissier de Mallerais, également réintégré, a fait partie du comité d'honneur de l'Union des nations de l'Europe chrétienne, au côté de membres du Front national. L'organisation avait l'habitude de se rendre à Auschwitz pour célébrer le "plus grand génocide de tous les temps". Non pas celui des Juifs, bien sûr. Mais celui des foetus avortés.
L'Eglise parisienne de la Fraternité, Saint-Nicolas-du-Chardonnet organise volontiers des offices à la mémoire d'écrivains négationnistes comme Maurice Bardèche. Son ancien curé, Philippe Laguérie, grand admirateur du milicien Paul Touvier, fait partie des toutes premières brebis traditionalistes réintégrées par Benoît XVI, grâce à un Institut dit du "Bon pasteur" taillé sur mesure. D'où il a pu baptiser un enfant de Dieudonné à la demande de son parrain, Jean-Marie Le Pen. Persuadé que les Juifs exercent une forme de "dictature" à travers la "banque et les médias", le bon pasteur est hostile à toute forme de dialogue avec le judaïsme : "On ne flirte pas avec cette secte !"
Ces discours extrémistes n'ont rien d'exceptionnel parmi les nouveaux soldats du pape. Les catholiques traditionalistes rejettent souvent l'oecuménisme de Vatican II par nostalgie pour l'antijudaïsme chrétien, ce bon vieux temps où l'on pouvait prier pour l'âme du juif déïcide. Leurs militants français s'inscrivent donc logiquement dans la plus pure tradition maurrassienne. Certes, d'autres catholiques ouvertement d'extrême droite, comme Bernard Antony, de Chrétienté-solidarité (élu FN), ou don Gérard Calvet, du monastère du Barroux, se sont ralliés à l'Eglise du temps de Jean Paul II.
Mais à l'époque, quand le monastère du Barroux se remettait à prier pour le "Juif perfide", cela faisait désordre et le Vatican intervenait. Aujourd'hui, la prière pour la conversion des juifs est parfaitement tolérée. Sa formulation a été atténuée mais son esprit restauré.
Les rabbins italiens qui ont osé protester contre cette prière se sont vus sèchement éconduits par le Cardinal Kasper, pourtant chargé du dialogue interreligieux : "De notre point de vue, elle est tout à fait correcte sur le plan théologique. C'est simplement difficile pour les Juifs de l'accepter."
Le ton du "dialogue" est donné.

Article paru dans l'édition du 31.01.09