25 janvier 2009





Comment le pape ouvre la porte aux intégristes
25/01/2009 - Isabelle de Gaulmyn - la-croix.com
Le décret voulu par Benoît XVI levant l’excommunication des quatre évêques intégristes ordonnés en 1988 par Mgr Lefebvre pose six questions essentielles

Ce décret signifie-t-il le retour à la pleine communion des intégristes ?
Non, il ne concerne que les quatre évêques. Comme le précise le texte, ce n’est qu’un pas vers le retour à la pleine communion de toute la Fraternité. L’excommunication, acte individuel, a été provoquée en 1988 parce que ces évêques étaient consacrés sans mandat pontifical. Pour eux, Benoît XVI a donc considéré que les conditions de cette levée étaient réunies : par la lettre envoyée au pape en décembre dernier, Mgr Bernard Fellay donnait le signe manifeste de sa volonté de réparer le scandale créé par leur faute. Il convient de préciser que cela n’a aucun rapport avec la situation des divorcés remariés : la confusion vient du mot communion. Mais les divorcés remariés ne sont pas « excommuniés », c’est-à-dire qu’ils ne sont pas exclus de la communauté de l’Église. Simplement, ils ne peuvent pas communier, c’est-à-dire approcher de la table eucharistique. Ils font évidemment pleinement parti de l’Église.
Quelles conséquences pour la Fraternité Saint-Pie-X ?
Aucune pour l’instant. Les quatre évêques, eux, sont désormais en pleine communion avec l’Église catholique. C’est-à-dire qu’ils acceptent le ministère du pape et des évêques. Le décret cite ainsi cette assurance donnée par Mgr Bernard Fellay au pape : « Nous croyons fermement au Primat de Pierre et à ses prérogatives. » Ils peuvent donc maintenant dispenser des sacrements de manière tout à fait licite, et ont, en quelque sorte, le statut d’évêques émérites (à la retraite), en attendant qu’on leur attribue un siège titulaire. Et la Fraternité elle-même ? La question reste entière. L’ordination de ces 500 prêtres de la Fraternité est considérée comme valide par l’Église catholique (il ne faudra pas en refaire une autre), mais illicite. Juridiquement, ils sont toujours « suspens ». En allant à la Fraternité Saint-Pie-X, ils ont posé un acte schismatique, et les sacrements qu’ils peuvent dispenser (baptême, communion…) sont illicites.
Tout va dépendre de leur attitude désormais : soit ils acceptent explicitement la décision des évêques de la Fraternité, soit ils la refusent, et restent dans une posture schismatique. Mais alors, ils n’auront plus de hiérarchie épiscopale vers laquelle se tourner. C’est pourquoi il était, aux yeux de Rome, très important que les quatre évêques de la Fraternité soient réintégrés ensemble. S’il en était resté un, les prêtres les plus « durs » auraient pu aller vers lui, ce dernier aurait continué à ordonner de nouveaux prêtres, créant dès lors un nouveau schisme…
Que va-t-il se passer maintenant ?
Tout dépend des prêtres. Pour être de nouveau en pleine communion, ils doivent déclarer qu’ils suivent les quatre évêques. Mais il faudra ensuite leur trouver une structure. On pense à Rome à une prélature, comme pour l’Opus Dei. Sans doute, avec la Fraternité Saint-Pie-X, cette prélature non territoriale aurait-elle une base rituelle, on y célébrerait uniquement selon la forme dite extraordinaire du rite romain. Cette semaine, le Cardinal Darion Castrillon Hoyos, président de la Commission Ecclesia Dei, qui s’occupe de cette réintégration, devrait s’en expliquer publiquement dans la presse. Cette réintégration passe-t-elle par une reconnaissance des enseignements de Vatican II ?
C’est tout le problème. Le décret publié samedi ne parle pas de Vatican II, mais il évoque de manière indirecte le « problème posé à l’origine ». Pas plus que, selon nos informations, la lettre envoyée par le cardinal Tarcisio Bertone aux responsables de la Curie, dans laquelle il explicite ce geste. Une absence qui en inquiète plus d’un, à Rome. « Il y a des courants qui refusent le Concile, en s’appuyant sur le fameux troisième secret de Fatima, parlant d’une apostasie silencieuse de l’Église. Leur capacité de nuisance ne doit pas être sous-estimée », note un membre de la Curie. De ce point de vue, la mention par Mgr Fellay dans sa lettre aux fidèles de « l’apostasie silencieuse » est claire. Le refus des enseignements du Concile est la véritable cause de la rupture des intégristes. Pour la constitution de l’Institut du Bon-Pasteur par d’anciens membres de la Fraternité, en 2006, ses membres se sont explicitement engagés « à propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant des réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliable avec la Tradition (…) à avoir une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège apostolique, en évitant toute polémique ».
Rien de tel, selon nos sources, cette fois : « Vatican II n’est pas un dogme de foi », dit-on. À partir du moment où les évêques et prêtres de la Fraternité reconnaissent l’enseignement de l’Église, et le magistère du pape, cela vaudrait reconnaissance implicite.
On peut cependant noter que, en rendant public ce décret 50 ans après l’annonce du Concile par Jean XXIII, le pape marque bien sa volonté de situer cela dans une attitude conciliaire. C’est la lecture qu’en faisait ce week-end L’Osservatore Romano, en liant clairement les deux événements. De même, dimanche soir, lors des vêpres œcuméniques, Benoît XVI devait souligner l’aspect positif qu’a constitué, pour l’Église, la convocation de ce concile.
Cela signifie-t-il que l’Église accepte de nouveau l’antisémitisme ?
Les déclarations négationnistes de Mgr Richard Williamson, l’un des évêques concernés par la levée d’excommunication, sont venues jeter le trouble. Aux yeux de la communauté juive, le pape, avec ce geste, revient sur les grands acquis du dialogue, en acceptant au sein de l’Église des personnes clairement antisémites. Le P. Federico Lombardi, porte-parole du Vatican, a expliqué que l’Église réprouvait évidemment ce type de déclarations, mais que cela n’entrait pas en ligne de compte dans la levée de l’excommunication : celle-ci n’a pas été prononcée pour propos antisémites. Sa levée ne les concerne pas plus.

Mais ces propos de Mgr Williamson posent le problème de la sensibilité politique de responsables de la Fraternité. Cette dimension est totalement ignorée à Rome, où l’on ne veut connaître que le problème ecclésial. Mais elle est présente à l’esprit des épiscopats français ou allemands, qui savent la réalité des liaisons d’une partie de la Fraternité avec l’univers de l’extrême droite française ou allemande. S’il n’est pas question d’interdire le seuil de l’Église en fonction des opinions politiques, certaines idéologies proférées par des membres de la hiérarchie ecclésiale sont plus problématiques.

 

S’agit-il d’une décision de Benoît XVI ?
Sans aucun doute, il s’agit d’une décision personnelle, a insisté le Père Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, devant les journalistes. En 1988, le cardinal Ratzinger, qui menait les négociations, a été profondément blessé par leur rupture. Né dans un pays partagé par deux confessions, préoccupé par l’unité de l’Église, il sait qu’un schisme se résorbe rarement. Et il est sensible, comme une partie de la Curie, au fait que cette Fraternité compte beaucoup de vocations, alors que les prêtres manquent cruellement. Depuis le début de son pontificat, il ne ménage pas ses efforts. Quelques mois après son élection (août 2005), il reçoit Mgr Bernard Fellay. Son discours devant la Curie (décembre 2006) replace Vatican II dans la tradition de l’Église, pour répondre aux critiques intégristes. Enfin, le Motu proprio (juillet 2007) libéralise la messe selon le rite de saint Pie V, ce qui était la demande de la Fraternité. Dernier pape du Concile, Benoît XVI estime sans doute qu’il est de son devoir de résorber les divisions qui ont suivi, et d’en donner la bonne interprétation.
Isabelle DE GAULMYN, à Rome