23 janvier 2009





Un pardon contestable - éditorial
23.01.09 - lemonde.fr
Benoît XVI a franchi le Rubicon. Fidèle à une volonté de réconciliation au sein de l'Eglise catholique affirmée dès le début de son pontificat, le pape s'apprête à lever le décret d'excommunication des quatre évêques intégristes ordonnés, en 1988, par Mgr Marcel Lefebvre. Par cet acte, réservé au pape, l'évêque d'Ecône avait bâti son Eglise, fondée sur un rejet total du concile Vatican II, de l'oecuménisme et de la liberté religieuse. L'excommunication prononcée par Jean Paul II avait consacré le schisme avec les intégristes. En juillet 2007, Benoît XVI avait fait un premier pas dans la voie du pardon des intégristes, en publiant le motu proprio Summorum Pontificum autorisant les 480 prêtres de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X de Mgr Lefebvre à célébrer la messe en latin selon le rite dit "de saint Pie V", antérieur à Vatican II. Les intégristes - divisés en plusieurs chapelles plus ou moins prêtes à réintégrer l'Eglise - en avaient fait un préalable à tout dialogue avec Rome. Mais ils avaient fait de la surenchère en posant comme autre condition la levée de leur excommunication.
La décision de Benoît XVI apparaît d'autant plus contestable qu'elle semble unilatérale, sans qu'en contrepartie la Fraternité ait manifesté la moindre repentance publique ou atténué son opposition à Vatican II et à la liberté religieuse. Le décret que s'apprête à prendre le pape tombe d'autant plus mal qu'un des quatre évêques concernés, le Britannique Richard Williamson, vient de tenir des propos négationnistes, niant la Shoah en assurant qu'"il n'y a pas eu de chambres à gaz" et que "pas un seul" juif n'y a péri.
Les modalités de ce pardon ne sont pas encore connues. La levée de l'excommunication touchera-t-elle les prêtres lefebvristes, qui ne pourront pas réintégrer l'Eglise romaine tant qu'ils resteront interdits de célébrer des sacrements ? La Fraternité voudrait obtenir un statut juridique particulier sur le modèle d'une "prélature personnelle", analogue à l'Opus Dei, qui ne rend des comptes qu'au pape. Benoît XVI exigera-t-il alors en contrepartie un acte d'allégeance à son autorité des anciens schismatiques ? Le retour des intégristes dans l'Eglise catholique risque de réveiller, notamment en France, où il suscite de fortes réticences, les démons de la discorde.

Article paru dans l'édition du 24.01.09