SOURCE - Abbé Thierry Gaudray, fsspx - L'Hermine - mars 2014
La ligne de crête que tiennent la Fraternité Saint -Pie X et les communautés amies ne se situe pas précisément entre la position de ceux qui se sont ralliés à la Rome nouvelle et celle des sédévacantistes, c'est-à-dire entre l'hérésie et l'hérésie, mais bien entre le schisme et l'hérésie.
C'est en effet tomber sous la condamnation des papes que de garder le silence devant les erreurs qu'ils ont combattues (position des ralliés dans le meilleur des cas). Par ailleurs, le catéchisme nous enseigne que l'Eglise est une société visible et qu'elle a promesse d'éternité. C'est donc se mettre en danger de devoir le contredire que d'admettre que l'Eglise puisse vivre depuis cinquante ans sans chef visible (position des sédévacantistes). La différence entre ces deux positions est que la première est déjà jugée (et condamnée), alors que la deuxième n'est à repousser qu'en raison des conséquences qui semblent bien en découler. Cette dernière pourrait donc être admise comme une simple opinion privée devant le mystère de l'apostasie de Rome. Elle est intolérable quand elle s'érige en certitude obsessionnelle au mépris de l'analyse beaucoup plus probable qui voit dans les papes conciliaires la maladie du libéralisme, et donc de vrais papes au service de la Révolution.
Le rallié et le sédévacantiste sont donc tous les deux du côté de l'hérésie. Ils ont aussi et surtout en commun de réduire la crise dans l'Eglise à une question d'autorité comme si l'aune avec laquelle devrait être mesuré le catholique n'était que l'obéissance au pape et non pas d'abord sa soumission à la Révélation par l'intermédiaire du magistère pontifical. Le père Calmel soulignait que l'Eglise n'était pas le Corps Mystique du pape. Celui-ci n'est qu'un moyen dont se sert le Bon Dieu pour confirmer les âmes dans la foi, comme il se sert du prêtre pour donner le sacrement. Que le pape n'ait plus l'intention de transmettre le dépôt révélé et il cesse par là même d'exercer un quelconque magistère (de même qu'un prêtre ne peut confectionner un sacrement s'il n'a pas l'intention de faire ce que fait l'Eglise par ce rite). La grande question n'est donc pas de savoir si François est pape pour pouvoir éventuellement lui obéir aveuglement, mais bien de rester fidèle au magistère de toujours sans l'appui de celui qui est aujourd'hui, autant que l'on puisse juger, le souverain pontife (mais non pas sans le soutien d'un clergé de suppléance suscité par la Providence). C'est une question de vérité et seulement en second lieu d'autorité. Et non pas de n'importe quelle vérité ! Il s'agit de la parole de Dieu qui nous a été fidèlement transmise par un magistère, certes passé, mais toujours vivant. Au jour du jugement, les papes seront là pour nous demander ce que nous aurons fait de leurs enseignements.
Quel est donc ce schisme que nous pourrions craindre comme nous fuyons l'hérésie avec tout ce qui pourrait nous y conduire ? Ce serait de passer de l'état de résistance face aux abus d'autorité dont nous souffrons aujourd'hui à celui d'une opposition systématique aux pasteurs légitimes. Le pape sera toujours un homme avec ses faiblesses. Nous devons aujourd'hui nous protéger d'un « magistère infidèle » (Mgr Lefebvre in "L'Eglise infiltrée par le modernisme" p. 117). Les textes du concile Vatican II sont « dangereux », plusieurs d'entre eux sont « équivoques, minés, piégés » (Mgr Lefebvre in "J'accuse le Concile" pp. 10 et 11). Mais quand le pape sera revenu aux enseignements de ses prédécesseurs, il faudra lui obéir comme il faut obéir à nos supérieurs actuels malgré d'éventuelles faiblesses et erreurs de gouvernement. Tant que la foi et la loi de Dieu sont sauves, la désobéissance est illégitime.
L'inquiétude de tomber un jour dans un schisme porte sur un futur qui semble bien lointain. Ce qui menace aujourd'hui les âmes, ce sont les compromissions avec les erreurs du concile. Comme nous l'écrivait Mgr Fellay le 16 janvier dernier (dans une lettre à l'ensemble des membres de la Fraternité), les faiblesses des ralliés ainsi que les persécutions dont souffrent ceux qui voudraient se rapprocher de la Tradition « montrent bien l'impossibilité et le danger suicidaire pour ceux qui voudraient arriver à un accord avec les autorités actuelles ». C'est pourquoi ce numéro de l'Hermine évoquera les dangers du ralliement selon les points que notre supérieur général nous rappelait dans cette même lettre, à savoir :
« a) que les premiers groupes Ecclesia Dei sont nés par décision de Rome en opposition avec la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X et pour nous faire disparaître, si c'était possible ;
b) qu'ils ont abandonné Mgr Lefebvre au milieu du combat et ainsi divisé le front uni de la Tradition ; que parmi eux, il se trouve d'ardents défenseurs des erreurs du concile Vatican II qu'ils ont autrefois combattues, en particulier la liberté religieuse, mais aussi l'oecuménisme, Assise, etc.; que leur silence en ces matières doctrinales est universel et délétère ;
c) que leur défense de la liturgie traditionnelle est entachée de leur participation à la nouvelle messe (au moins à la messe Chrismale) et de leur silence sur la nocivité du Novus ordo ;
d) qu'enfin leur apostolat reste très limité en raison des mesures drastiques qui leur sont imposées par les évêques locaux ;
e) qu'il existe cependant parmi eux beaucoup de bonnes volontés, de personnes et même de groupes qui, profitant de l'aubaine et arrivant du Novus Ordo, partagent nos convictions et méritent d'être aidés et soutenus dans leur rapprochement avec la Tradition ».
Que le Bon Dieu nous garde fidèles et nous fasse la grâce de nous retrouver tous dans la bienheureuse éternité dont la foi contient la substance ! Je vous bénis.
Abbé Thierry Gaudray
Source : L'Hermine n° 42 de mars 2014