SOURCE - DICI - 20 avril 2012
Faute d’information certaine sur
des faits avérés, la presse bâtit des hypothèses sur une imminente
reconnaissance canonique de la Fraternité Saint-Pie X. Les
journalistes tentent de donner un calendrier et s’efforcent de scruter
les raisons qu’aurait Benoît XVI d’accorder un statut canonique à la
Fraternité, malgré les divergences doctrinales reconnues de part et
d’autre.
Le magazine allemand Der Spiegel,
dans son édition en ligne du 15 avril 2012, croit savoir que la
décision du pape sera communiquée après son anniversaire (16 avril) :
« A la Secrétairerie d’Etat où certains documents ont fait l’objet de
fuite dans le public, comme des ‘Vatileaks’, cette lettre est classée
‘spécialement secrète’. L’affaire est traitée actuellement avec la
plus grande discrétion et ne devrait être publiée qu’après
l’anniversaire. (…)
La veille, 14 avril, le quotidien français Le Figaro
faisait part d’une réponse obtenue de source romaine :
« Officiellement, le Vatican attend la réponse de Mgr Bernard Fellay,
le chef de fil des lefebvristes. Sitôt reçue à Rome – ‘c’est une
affaire de jours et non plus de semaines’, indique-t-on au Vatican –,
elle sera ‘aussitôt’ analysée. Si elle est conforme aux attentes, le
Saint-Siège annoncera très vite un accord historique (…) »
Le 17 avril, le vaticaniste Andrea Tornielli affirme
dans la précipitation que Mgr Fellay a adressé une « réponse
positive » à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, alors qu’il
s’agit des clarifications que le Supérieur général de la Fraternité
Saint-Pie X a apportées à sa réponse au Préambule doctrinal, à la
demande du cardinal Levada, le 16 mars dernier. Clarifications qui
doivent être maintenant examinées par la Congrégation de la Foi et
soumises au jugement du pape.
Tous les observateurs
reconnaissent que les entretiens doctrinaux entre le Vatican et la
Fraternité Saint-Pie X ont manifesté un désaccord profond sur le
concile Vatican II. Le 14 avril, Jean Mercier de l’hebdomadaire progressiste La Vie,
dresse sur son blog ce tableau : « Le pape est-il vraiment dupe de la
bonne volonté des Lefebvristes de se réconcilier en profondeur avec
la Grande Eglise ? Sans préjuger de la pureté d’intention de ces
derniers, il est évident qu’ils n’ont jamais renié leur posture de
fond contre le Concile et qu’ils ne le feront jamais. La demande de
levée des excommunications ne s’est accompagnée d’aucun repentir sur
la désobéissance de 1988. Depuis, les évêques et prêtres intégristes
ont multiplié les déclarations attestant qu’ils ne sont jamais venus à
résipiscence et qu’ils veulent continuer leur combat contre le
Concile, et notamment la liberté religieuse, le dialogue
interreligieux et œcuménique.
« Selon toute vraisemblance, le
pape a accordé la levée des excommunications en 2009 en étant
conscient de cette absence de repentir – ce qui est contraire à ce qui
se passerait normalement dans le cadre du confessionnal, où la
contrition, même imparfaite, est exigée. Mais l’enjeu est ici plus
politique… Le pape ne se fait probablement guère d’illusion sur le
calcul stratégique de ceux, même les plus modérés, qui seraient prêts à
se rallier à Rome : mener une croisade au sein de l’Eglise pour la
ramener à la ‘vraie’ foi, en tablant sur l’usure ou l’effacement des
générations qui ont porté le Concile et l’après Concile.
« Benoît XVI a sans doute estimé
qu’il fallait fermer les yeux sur l’impénitence certaine de ses
interlocuteurs. Et il a décidé de passer outre ce qui est une réalité
incontournable : le désaccord total entre lui et les intégristes sur
des éléments essentiels comme la liberté religieuse, l’œcuménisme et
le dialogue avec les autres religions. Au risque de n’être pas compris
par sa base. »
Jean-Marie Guénois dans Le Figaro
des 14-15 avril propose le décryptage suivant : « L’échec apparent de
ces dernières (les discussions théologiques), il y a un an, avait
donné l’impression d’un échec total de la négociation. Le désaccord
doctrinal entre les lefebvristes et Rome à propos du concile Vatican
II est effectivement abyssal. On avait simplement oublié que l’objet
de ces échanges n’était pas de trouver un accord, mais d’établir la
liste des différences et de leur pourquoi.
« C’est donc en parfaite
connaissance de cause, et donc sans aucune ambiguïté, que Rome entend
sceller cette unité retrouvée avec Ecône, fief des lefebvristes en
Suisse. Elle passera probablement par l’attribution d’un statut
spécial – une ‘prélature personnelle’ – déjà expérimentée par l’Opus
Dei. Cette structure donne une véritable autonomie d’action dès lors
que la foi catholique est partagée. Son supérieur rend compte
directement au pape et non aux évêques.
« Mais la vraie ‘révolution’ que
Benoît XVI cherche à laisser aux yeux de l’histoire de l’Eglise
catholique est ailleurs. Elle touche non pas des aspects périphériques
de l’Eglise catholique. Ceux-ci font d’ailleurs déjà bondir les
groupes opposés à cette réconciliation. Lesdits ‘progressistes’ de
l’Eglise conciliaire qui voient les ‘acquis’ du concile Vatican II
remis en cause. Lesdits ‘ultras’ des rangs lefebvristes qui voient là
une trahison et une compromission avec la Rome moderniste.
« Cette révolution a pour
ambition une vision élargie de l’Eglise catholique. Le théologien
Benoît XVI n’a jamais admis qu’en 1962, la bimillénaire Eglise
catholique se coupe de la culture et de la force de son passé. Plus
qu’une réconciliation avec les lefebvristes, il vise donc, par ce
geste, une réconciliation de l’Eglise catholique avec elle-même. »
Le Spiegel en ligne du
15 avril, déjà cité, donne, sans indiquer ses sources, cette analyse
qui aurait cours à Rome : « Une appréciation différente du Concile
n’est ‘pas déterminante’ pour l’avenir de l’Eglise, parce que l’Eglise
est plus que le Concile. La Fraternité Saint-Pie X ne soutient plus
la position selon laquelle ce Concile devrait disparaître (elle ne l’a jamais soutenue,
NDLR), elle a juste sa propre et légitime compréhension de la
question. (…) Le cardinal allemand Josef Becker, qui a participé en
tant que consulteur de la Congrégation pour la doctrine de la foi aux
entretiens avec la FSSPX, a déclaré récemment que, même s’il est
difficile de concilier les deux positions, il faudrait ‘aussi essayer
de comprendre’ l’autre. Il a plaidé pour que l’Eglise, de toute façon,
se fasse un devoir de relire à nouveau tous les textes du Concile,
afin d’en avoir la pleine compréhension aujourd’hui. (…) »
Mgr Bernard Fellay
qui s’en tient uniquement à la réalité, écrivait le 14 avril aux
membres de la Fraternité Saint-Pie X : « La presse fait état de la
possibilité d’une issue positive imminente dans nos relations avec
Rome, sans écarter pour autant la menace d’une condamnation
définitive. La vérité est que rien n’est acquis, ni dans le sens d’une
reconnaissance canonique, ni dans le sens d’une rupture, et que nous
sommes dans l’expectative.
« Comme je l’ai écrit dans l’éditorial du dernier Cor unum
(bulletin de la Maison généralice de la FSSPX, NDLR) deux principes
nous guident : le premier est qu’il ne soit pas demandé à la
Fraternité des concessions qui touchent la foi et ce qui en découle
(liturgie, sacrements, morale, discipline). Le deuxième, qu’une réelle
liberté et autonomie d’action soient concédées à la Fraternité, qui
lui permette de vivre et de se développer concrètement. »
On comprend la prudence et la
vigilance du Supérieur général de la Fraternité, lorsqu’on sait que
sur plusieurs sites européens est actuellement diffusée une Note de la
Commission Ecclesia Dei, datée du 23 mars, après la visite canonique
de l’Institut du Bon Pasteur. – Dans ce document on peut lire que les
professeurs du séminaire de Courtalain doivent faire porter leurs
efforts « sur la transmission de l’intégralité du patrimoine de
l’Eglise, en insistant sur l’herméneutique du renouvellement dans la
continuité et en prenant pour support l’intégrité de la doctrine
catholique exposée par le Catéchisme de l’Eglise catholique »,
plutôt que sur « une « critique, même ‘sérieuse et constructive’, du
concile Vatican II ». Critique que le théologien John R.T. Lamont,
professeur à l’Institut catholique de Sydney, invite pourtant à faire,
en posant sur l’autorité magistérielle de Vatican II des questions qui
rejoignent celles de la Fraternité Saint-Pie X. (Lire Les questions d’un théologien)
Sources : Figaro/Vie/Spiegel/ – FSSPX-MG/DICI n°253 du 20/04/12