13 avril 2012

[cathorève] Intégristes : de l'art de minimiser la possible catastrophe

SOURCE -  cathoreve - 13 avril 2012

Né à Marseille il y a 46 ans, Laurent Touze est un élégant jeune homme de 46 ans. Prêtre de l'Opus Dei, il enseigne depuis 1988 la théologie spirituelle à l'Université pontificale de la Sainte-Croix, à Rome. Il est spécialiste du célibat sacerdotal. Détail amusant, il est un neveu du dominicain Jean Cardonnel (1921-2009), prédicateur d'un célèbre Carême révolutionnaire en 1968, avec le soutien de Témoignage chrétien.
 
Jeudi 12 avril, il était à Paris pour rencontrer quelques journalistes et leur parler des relations entre Rome et les traditionalistes à la lumière du Concile. Pour lui, si le schisme lefebvriste doit être résorbé, « c'est la dernière chance. En cas d'échec, ils deviendront une secte »
 
L'Abbé Touze n'a pas peur des paradoxes. Son décryptage de la Fraternité Saint-Pie X est sans concession. « Leur théologie commence à Grégoire XVI (1831-1846) et s'arrête à Pie XII.(1939-1958). Leurs manuels de références datent du début du XXe siècle. Leur attachement à la lettre des textes est presque pathologique ». Il liste les questions qui fâchent dans le Concile pour les traditionalistes : la liberté religieuse (« le point le plus important »), l’œcuménisme (« sur la validité des sacrements, ils devront bouger ») , le dialogue interreligieux et la collégialité épiscopale. De plus, « ils refusent également l'idée de sacerdoce commun des fidèles, une idée au cœur du Concile. Et qui était présente chez les Pères de l'Église ». Le catalogue est vaste, englobant la majorité des réformes marquantes de Vatican II.
 
Malgré ces nombreux points achoppement, l'Abbé Touze, comme tout le monde à Rome, prie ardemment pour un accord. Il s'agit avant tout que les brebis égarées réintègrent le bercail romain. Pour cela, il s'applique à mettre en exergue tous signes positifs dans l'interminable processus de discussion pour lequel le Vatican est allé au bout de son offre. Il fait remarquer que Mgr Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, a exhorté ses ouailles à l'obéissance durant la Semaine sainte.
 
Quand on l'interroge sur les dégâts prévisibles dans les diocèses français en cas de réintégration, le professeur avance l’arme juridique proposé par le Vatican : la prélature personnelle. Dans cette structure (utilisée pour l'Opus Dei), « le droit canon prévoit que les conférences épiscopales soient consultées avant que des équipes s'installent dans un pays ». Ce ne fut pas le cas pour l’intégration des dissidents traditionalistes ralliés, grâce à la commission pontificale Ecclesia Dei, dont l'Institut du Bon Pasteur (1). Cette procédure serait censée nous mettre à l'abri d'une catastrophe pastorale. On en doute.
 
Car comment donc prêtres et fidèles vont collaborer avec des impétrants qui les traitent d'hérétiques depuis des décennies ? Le prêtre de l'Opus Dei donne cette réponse désarmante. « Un ami prêtre a été nommé à Rome dans une paroisse dont un vicaire ne croit pas à la Résurrection ». Comprenez, la diversité des idées est grande dans l'Église. Certes, et cela ne date pas d'hier. De là à penser qu'il est concevable de faire cohabiter des prêtres conciliaires avec d'autres persuadés que ce qui s'est passé entre 1962 et 1965 fut une catastrophe pour l'Église de toujours, le pas est grand.
 
La différence majeure entre l’hypothétique arrivée des Lefebvristes dans l'Église romaine et la présence de quelques prêtres un peu hérétiques, vient du fait que ces derniers n'ont pas l'arrogance des premiers. L’Église peut, doit vivre, et vit depuis toujours une grande diversité.
 
Ainsi la présence de l'Opus dei en France, si elle a interrogé au début, est acceptée parce que ces membres partagent 99% des convictions de la majorité et acceptent la pluralité et le jeu collectif de la vie des diocèses.
 
L'expérience du Bon Pasteur est un échec cuisant dans ce domaine. L'intransigeance et la certitude de détenir l'unique vérité demeurent chez les prêtres et les fidèles de cet institut. L'argument de Don Laurent Touze (ainsi que les professeurs sont appelés en Italie) ne tient donc pas. En France, l'arrivée de Lefebvristes, sauf un très improbable reniement complet de leurs théories - de l'ordre du lavage de cerveau - seraient une catastrophe aux conséquences incommensurables.
 
Et si le jour funeste d'un accord à Rome devait arriver, je donnerais cher pour assister à la consultation canonique du cardinal Vingt-Trois, préalable à l'intégration dans nos diocèse de membres de la Fraternité. Comme son prédécesseur et mentor Jean-Marie Lustiger, le président de la Conférence des Évêques de France n'a jamais porté les lefebvristes dans son cœur. Osera-t-il dire non pour protéger une Église de France déjà fragile ou cédera-t-il devant Rome (voir un de mes billets précédents)?
 
Espérons que les tous prochains événements nous mettent à l'abri de cette funeste décision. Qu'on en finisse une fois pour toute avec ce mariage impossible et à éviter à tout prix.
 
(1) Leur installation à Bordeaux était prévue ad experimentum. Une commission d'évaluation doit rendre son avis cette année. On attend ses conclusions avec impatience. Sans se faire d'illusion sur la réelle liberté du diocèse de Bordeaux de dire ce qu'il pense vraiment de l'apport de l'abbé Laguérie et de ses troupes au service de tous.