9 janvier 2009

[Fideliter] Retraite inouïe dans les Pays Baltes - Témoignage de l'abbé Karl Stehlin

SOURCE - Fideliter n° 187 de janvier-février 2009 - Mise en ligne par la Porte Latine - Janvier 2009

Si la Lettonie et l’Estonie constituent des États distincts de la Russie, les prêtres qui, au nom de la Fraternité, assurent l’apostolat dans ces pays, sont les mêmes. Le récit très encourageant qu’on va lire ci-dessous relate deux retraites spirituelles prêchées à des pasteurs protestants. Une page épique du travail de la grâce.

Les bonnes relations qu’un pasteur luthérien d’Estonie entretenait avec nous, prêtres de la Fraternité et du prieuré de Kaunas, étaient déjà anciennes. Et cependant, rien ne laissait soupçonner l’initiative que ce pasteur prendrait un jour. Rien, si ce n’est l’intérêt que celui-ci manifestait pour l’enseignement traditionnel de l’Église catholique.

Ce pasteur luthérien nous surprit donc, et nous surprit agréablement, lorsqu’il nous invita à prêcher une retraite à quelques-uns de ses collègues en Estonie. Nous dîmes aussitôt oui, et je me rendis donc, au jour fixé, à l’endroit prévu pour accueillir les retraitants.

Et quel endroit ! Un presbytère luthérien… Lieu dans lequel un prêtre de la Tradition catholique allait prêcher les exercices de saint Ignace de Loyola à des âmes séduites par la doctrine de Luther !

Les retraitants n’étaient, certes, pas nombreux : sept en tout. Nous étions à la campagne. L’église du village datait du xiiie siècle. On était au mois de novembre 2007.

Je commençai donc ma prédication, et annonçai à tous, dès le premier jour, que nous réciterions tous les soirs le chapelet. L’un des pasteurs, venu quant à lui de Lettonie, montra du mécontentement, et le justifia en rappelant les arguments les plus habituels que l’on oppose à la dévotion mariale dans l’Église catholique. Je lui répondis en déposant dans ses mains un beau chapelet, et en reprenant les paroles de saint Louis-Marie Grignion de Montfort : « Après tout, lorsque vous direz le chapelet, vous ne ferez que réciter cinquante fois une prière très biblique, dont le centre n’est autre que Jésus. Car l’Ave maria culmine par ces mots : “Jésus… est béni.” »

« J’ai trouvé l’Immaculée ! »

Étonné, le pasteur accepta et le chapelet et le principe de prier ainsi. La retraite se passa fort bien, et se termina par de beaux fruits de rapprochement de plusieurs de ces pasteurs avec la doctrine traditionnelle de l’Église. Quant au pasteur letton dont je viens de parler, il s’écria devant tous, à la fin de la retraite : « J’ai trouvé ma Mère ! J’ai trouvé l’Immaculée ! Une des plus grandes grâces de ma vie ! » « Bon, me disais-je, ô Immaculée, si c’est comme ça, vous le prendrez en main. »

Par la suite, je perdis contact avec lui. Ses confrères pasteurs d’Estonie, qui avaient suivi la retraite, et avec lesquels j’eus des rencontres par la suite, ne surent pas trop me dire ce que leur collègue de Lettonie était devenu.

Grand silence, par conséquent… jusqu’au 11 janvier dernier.

Je reçus en effet, ce jourlà, un message de notre pasteur letton. Encore touché par la retraite qu’il avait suivie en Estonie, il me demandait si je ne pourrais pas en prêcher une nouvelle, toujours pour des pasteurs luthériens, cette fois en Lettonie ! Il se faisait fort d’inviter ses confrères, et insistait pour que la retraite fût selon les exercices de saint Ignace, parce qu’elle reprend durement le protestantisme et qu’on n’y trouve pas de paroles vides…

Il fallait bien entendu répondre à cette invitation. J’étais tout de même un peu inquiet, car mon correspondant m’annonçait que ses collègues, pasteurs en Lettonie, n’étaient pas autant « cryptocatholiques » que ceux auxquels j’avais apporté l’Évangile en Estonie, et que dans la retraite à venir il faudrait s’attendre à de nombreuses controverses. « Si c’est le cas, me disais-je, les retraitants ne seront guère nombreux : trois ou quatre, peut-être.»

Je débarquai, à la fin du mois d’avril 2008, à l’aéroport de Riga. Première surprise : le « curé » de la cathédrale luthérienne vint en personne me chercher. il m’amena dans une paroisse très ancienne, au fin fond du pays. Deuxième surprise : dix-neuf participants venaient écouter la retraite. On comptait sept laïcs, onze pasteurs luthériens, et même « l’archevêque » luthérien de Riga, patron de tous les luthériens de Lettonie !

Luthériens face à saint Ignace

Le pasteur letton qui organisait la retraite m’accueillit dans la maison de retraite. Il tenait dans sa main le chapelet que je lui avais offert en novembre 2006, et me dit : « Voyez, je suis resté fidèle à “elle“. Tous les jours je dis le chapelet, source de grâces pour ma vie personnelle et pour mon apostolat. » « Vos voies sont admirables, ô Immaculée » pensai-je.

Je leur prêchai donc une retraite entière de cinq jours. Les retraitants se réunissaient le matin pour dire Laudes, le soir pour Vêpres et la nuit pour Complies. Autant que je pus comprendre leur prière, ils utilisaient un bréviaire bénédictin en langue lettonnienne. Ils célébraient également chaque jour leur liturgie, qui a des ressemblances avec le Novus Ordo Missæ, bien que le célébrant soit, à l’autel, tourné vers Dieu et que la communion soit distribuée à genoux. Accueilli dans cette maison, l’organisation étant prise en charge par les pasteurs qui m’invitaient, j’observais.

Il est intéressant de savoir que « l’Église » luthérienne de Lettonie est considérée comme la plus conservatrice des communautés luthériennes du monde. Ses disciples prétendent avoir la succession apostolique (l’Église catholique ne la reconnaît pas, en réalité). La plupart des luthériens de Lettonie considèrent la prêtrise comme un sacrement, et pensent donc que leurs pasteurs célèbrent validement la messe. Au demeurant, leurs connaissances sont assez confuses car, sur de nombreux points de doctrine, la clarté manque chez eux.

Controverses

Je profitais des instructions que je délivrais pour exposer dans le détail les points de doctrine de controverse. Je m’attardais tout spécialement sur la très sainte Vierge Marie, la Tradition comme source de la Révélation, le Magistère de l’Église et le saint sacrifice. Pendant les temps libres, j’étais fréquemment visité. Cinq pasteurs, sur les onze, venaient me voir régulièrement. Ils me questionnaient sur la doctrine, la vie morale et la vie spirituelle. Lorsque je célébrais la messe, quelquesuns y assistaient – deux ou trois – et la suivaient avec un très grand intérêt.

Plusieurs priaient le chapelet en privé.

Quant à « l’archevêque » luthérien, il ne vint jamais me voir. Toutefois, il prenait des notes, pendant les instructions, sur un petit ordinateur qu’il avait apporté. A la fin de la retraite, il m’assura avoir ainsi composé quarante-cinq pages…

Lorsque les Exercices furent terminés, chacun des participants apporta son témoignage, comme on le fait, du reste, dans presque toutes les circonstances de ce genre.

Les interventions furent vraiment émouvantes. L’un des retraitants remercia pour les explications données sur le rôle de la sainte Vierge dans la vie chrétienne. Un autre exprima sa gratitude pour l’exposition claire que j’avais tâché d’apporter sur la doctrine du saint sacrifice. Tous étaient profondément heureux d’avoir entrevu une véritable direction pour la vie spirituelle, surtout en matière d’oraison et de lecture de la sainte Écriture.

Quelques-uns, de façon confidentielle, m’exprimèrent leur grand désir de se convertir et d’exercer leur ministère comme prêtres catholiques. Certains remerciaient leur prédicateur des éclairages que je leur avais apportés sur la crise de l’Église et les dangers de l’oecuménisme.

L’oecuménisme contre la conversion

Une question me brûlait les lèvres. Pourquoi s’étaient-ils ainsi adressés à un prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X ? Leur réponse me stupéfia : avec les catholiques « officiels », on ne peut avoir que des rencontres oecuméniques. Elles consistent à échanger de nombreuses paroles vides, et donnent l’impression que les catholiques veulent faire tout pour plaire aux protestants. Or, ce n’est pas ce que cherchent ces luthériens. Ils désirent la lumière sur de nombreux points qui, dans leur confession, sont ou bien confus ou bien contradictoires entre eux. Seul, m’avouaient-ils, un catholique de Tradition est capable de professer la doctrine catholique sans ambages, sans belles paroles mais en transmettant simplement ses convictions.

Finalement « l’archevêque » prit la parole devant tous :

« A tous mes pasteurs, au plus grand nombre de fidèles possible, il faut apporter cette retraite de saint Ignace. Elle transforme l’homme en quelques jours. Je ferai tout pour faire prêcher ces Exercices apostoliques. Rien n’est plus nécessaire, comme antidote contre le monde moderne et la perte de la foi.»

J’en étais là de mes ébahissements lorsque l’archevêque me conduisit personnellement à Riga. Le temps était venu pour moi de repartir. Les trois heures de trajet, dans la voiture, furent occupées par une conversation portant sur des points divers de la doctrine chrétienne. Il me conduisit chez lui, où nous prîmes une petite collation. Puis nous allâmes à l’aéroport. Il porta lui-même mes bagages jusqu’à l’enregistrement.

Avant de me dire adieu, il me demanda de revenir, de prêcher de nouveau cette retraite à un nombre plus élevé de pasteurs et de luthériens.

De retour au prieuré, je reçus, deux semaines plus tard, les remerciements du pasteur letton qui m’avait invité. Il me remercia encore pour ces jours de grâces.

J’appris, de sa bouche même, qu’un des participants laïcs s’était, après la retraite, converti au catholicisme. Comme la Fraternité Saint-Pie X n’est pas connue en Lettonie, ce retraitant s’est adressé à un prêtre « conservateur », qui l’a reçu au sein de l’Église.

Les pasteurs qui avaient suivi la retraite demandaient, de leur côté, qu’on leur envoyât des livres catholiques écrits en letton.

Il faut reconnaître que ces livres sont peu nombreux. Même les classiques de la spiritualité catholique sont ou bien difficiles ou bien impossibles à trouver dans ce pays. Il faudrait donc se mettre à l’édition, en letton, de l’Apologétique et de l’explication de la messe traditionnelle ainsi que de la littérature mariale.

Apostolat immense

Pour conclure, je dois dire que j’ai rarement rencontré un auditoire de retraitants si attentif et appliqué, avec une grande ferveur et une recherche sincère de la vérité. Quel crime, alors, que ce faux oecuménisme toujours ambiant qui ferme la porte aux gens de bonne volonté, et qui donne aux non catholiques une image parfaitement fausse de l’Église catholique !

Imaginez donc : ces pasteurs ont un grand désir de sauver les âmes, leurs églises ne sont pas encore aussi vides que celles des libéraux catholiques ou des protestants. Ils désirent être de bons pasteurs pour les âmes, ces milliers de personnes qui sont, comme la retraite le prouve, également ouverts à la vraie doctrine et à la vraie spiritualité. Mais l’Église catholique officielle leur interdit pratiquement la conversion. Nous touchons ici au mystère de l’iniquité le plus profond.

Que faire à présent ? Pouvoir être plus présent dans ces pays serait tellement important… Or, nous n’avons qu’une toute petite chapelle dans la capitale de l’Estonie. Elle est visitée deux fois par mois par un prêtre de notre prieuré. Cette chapelle a cependant un certain avenir, car elle réunit quelques jeunes familles, en tout quarante personnes. Quant à la Lettonie, il y a dans ce pays un prêtre ami uniate, chez qui nous réunissons irrégulièrement quelques personnes du rit latin pour leur dire la messe traditionnelle. Notre rêve est de pouvoir ouvrir une chapelle à Riga et de bénéficier d’un prêtre qui pourrait visiter régulièrement ces pays afin de commencer un apostolat sérieux. Pour le moment, nous n’avons ni prêtres ni moyens. Mais, après tout, lorsque nous avons commencé l’apostolat en Europe de l’Est, le nombre de prêtres était deux, et le nombre de moyens « s’élevait » à zéro ! Or, aujourd’hui nous comptons deux prieurés, dix prêtres, dix chapelles en Pologne, deux en Lituanie, une en Biélorussie, celle dont je viens de parler en Estonie, sans compter les relations que nous entretenons avec la Fraternité Saint-Josaphat en Ukraine.

Voilà la preuve que, lorsque les hommes ne trouvent pas de solutions à leurs difficultés, il y a toujours une personne qui la trouve, qui connaît l’issue, et vers celle-là nous nous tournons. Elle, qui écrase la tête du serpent, qui « a vaincu toutes les hérésies sur toute la terre », elle aura pitié des cris des âmes « dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort ». Comment, quand, avec qui et avec quoi ? Elle seule le sait.

A nous de demander le miracle…

Abbé Karl Stehlin, Supérieur de la Maison autonome des Pays de l'Est