5 septembre 2011

[Benjamin Coste - famillechretienne.fr] Entre les lefebvristes et Rome, un accord sera difficile à trouver

SOURCE - Benjamin Coste - famillechretienne.fr - 5 septembre 2011

Le 14 septembre, Mgr Fellay, supérieur de la Fraternité Saint-Pie-X, est attendu à Rome pour dresser le bilan de deux années de discussion doctrinale. Peu de personnes tablent sur une issue positive. En effet, les désaccords de fond portant notamment sur l’interprétation du concile Vatican II, l’unité de l’Église ou encore le dialogue interreligieux ne semblent toujours pas résolus. Plus grave, les héritiers de Mgr Lefebvre ont sévèrement critiqué la béatification de Jean-Paul II et reprochent à Benoît XVI de renouveler en octobre prochain le « scandale d’Assise ».

Après deux ans de discussions doctrinales entre les représentants de la Fraternité Saint-Pie-X et le Vatican, Mgr Bernard Fellay, supérieur de la communauté lefebvriste rencontrera le dimanche 14 septembre au Vatican le cardinal William Levada, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Durant ces deux années, Rome et les disciples de Mgr Lefebvre ont confronté leurs points de vue sur l’interprétation du concile Vatican II, mais aussi sur le concept de Tradition, le missel de Paul VI, l’unité de l’Église, l’œcuménisme et le rapport entre le christianisme et les religions non chrétiennes, ainsi que sur la liberté religieuse.

L'hypothèse d’un ordinariat pourrait être envisagée

Le 14 septembre, il sera temps de voir si un accord peut-être trouvé sur ces sujets. Les plus optimistes, ceux qui pensent qu’un accord est possible entre Rome et la Fraternité Saint-Pie-X, évoquent déjà la possible institution par le Vatican d’un ordinariat semblable à celui créé à l’intention des anglicans désirant rentrer en communion avec Rome. Une hypothèse relayée par le site Internet Vatican Insider, site d’informations appartenant au quotidien italien La Stampa spécialisé dans l’actualité de l’Église. De cette manière, la Fraternité dépendrait du Saint-Siège, et plus particulièrement de la Commission Ecclesia Dei, sans dépendre des évêques diocésains. Si tel était le cas, on imagine que la pilule serait dure à avaler pour l’épiscopat, dont certains membres se sont à peine remis de la levée des excommunications.

Jointe par téléphone par FC, la Fraternité Saint-Pie-X a, dans un premier temps, expliqué qu’elle ne s’exprimerait qu’à l’issue de la rencontre du 14 septembre… avant de finalement déclarer le 30 août dans un communiqué officiel que cette hypothèse – l’ordinariat – relevait « du virtuel » et « n’engageait que leurs auteurs ».

La béatification de Jean-Paul II critiquée par la Fraternité

Pour Nicolas Senèze, journaliste à La Croix et auteur de La Crise intégriste, une issue positive à ces discussions paraît très incertaine. « Les lefebvristes ont refusé tous les accords proposés par Rome depuis le début du schisme. De plus, depuis quelques mois, ils envoient des signaux qui laissent à penser qu’ils n’accepteront pas. » En effet, au moment de l’annonce de la béatification de Jean-Paul II en janvier 2011, le district de France de la Fraternité Saint-Pie-X a fait paraître un communiqué dans lequel il pose ouvertement la question : « Est-ce là un pontificat qui mérite une béatification ? »

De la même façon, les lefebvristes se sont élevés contre le « renouvellement du scandale d'Assise en octobre 2011 » . Nicolas Senèze poursuit : « Je ne vois pas Benoît XVI revenir sur le fond du concile Vatican II. Et, pour cette raison, je ne vois pas non plus la Fraternité signer, sauf à se faire tordre le bras ! Ou alors ils vont tenter de profiter au maximum d’éventuelles zones de flou dans le texte qui sera soumis à leur approbation ».

Pour le journaliste spécialiste du dossier, il n’est pas impossible que la Fraternité entende se servir d’un éventuel accord comme d’un moyen « pour faire triompher la vérité de la tradition catholique telle qu’ils l’envisagent ». Il en veut pour preuve une récente déclaration de Mgr de Galarreta, l’un des quatre évêques ordonnés par Mgr Fellay, prononcée lors des ordinations à Ecône : « Le peu de bien que nous ferons à Rome est beaucoup plus important qu’un bien plus grand que nous ferons ailleurs ».

D’après Nicolas Senèze, Rome n’est pas dupe : « Elle sait très bien à qui elle a à faire. Benoît XVI, alors cardinal, n’a pas réussi en 1988 à empêcher le schisme. Dans son grand désir d’unité et peut-être aussi parce qu’il souffre personnellement d’avoir échoué sur le dossier lefebvriste, Benoît XVI met beaucoup d’ardeur à faire rentrer la Fraternité Saint-Pie-X dans le giron de l’Église catholique ».

Les récentes déclarations de la Fraternité ne portent pas à l’optimisme

Comme son confrère, Gérard Leclerc, éditorialiste à France Catholique, ne croit pas vraiment à une issue positive le 14 septembre . « Ce serait une heureuse surprise, si néanmoins c’était le cas… » Il estime aussi que les récentes déclarations de la Fraternité ne portent pas à l’optimisme. Il s’attarde également sur la personnalité de Mgr Fellay : « Son double langage me frappe, parfois très dur ou, au contraire, semblant vouloir faire preuve de bonne volonté. C’est un homme anxieux des conséquences d’un accord, un homme divisé entre, d’un côté le souci de réintégrer l’Église et, de l’autre la fidélité à l’héritage de Mgr Lefebvre ».

Pour Gérard Leclerc, s’il ne s’agit pas encore de la rencontre de la dernière chance, néanmoins « l’Église arrive au bout de ce qu’elle peut faire. La levée des excommunications, sans aucun préalable, en est un des exemples les plus probants ».

De son côté, Christophe Geffroy espère « de tout cœur » un accord. Néanmoins, le directeur du mensuel catholique La Nef est assez pessimiste et suppose que celui-ci « n’interviendra pas sur le plan doctrinal, mais d’abord par la conversion des cœurs. En effet, dans une perspective chrétienne, une réconciliation ne peut s’opérer que dans la mesure où les deux parties le souhaitent vraiment et en donnent des signes tangibles ». Il s’interroge d’ailleurs sur la proportion des « pro » et des « anti » accord avec Rome au sein même de la Fraternité, car pour lui Mgr Fellay est d’abord soucieux d’éviter l’explosion de la Fraternité.

Pour lui, « la grâce de la communion retrouvée pourrait donner des grâces d’éclaircissement ». Il poursuit : « Si je souhaite ardemment cet accord, je suis aussi conscient des difficultés qu'il posera concrètement aux évêques et aux Églises locales, notamment celle de France, puisque la Fraternité Saint-Pie-X formera dans un premier temps une petite Église un peu à part dans les diocèses (ce qui est un vrai problème). Mais c’est sans doute le prix à payer pour que la génération suivante se sente pleinement à sa place et que prenne fin cette situation de rupture qui, faute d'accord, finira bel et bien en schisme incontesté ».  
 
Benjamin Coste