6 septembre 2011

[Disputationes Theologicae] Accords Rôme-Ecône: “Blaguait-on”?

SOURCE - Disputationes Theologicae - 6 septembre 2011

Note sur les développements d’une dispute théologico-ecclésiale 
 
Les bruits augmentent sur la possibilité d’un accord imminent entre la Fraternité Saint Pie X et le Saint-Siège, possibilité d’accord relative à la concession d’un Ordinariat personnel et à la convocation à Rome, prévue pour le 14 septembre, du Supérieur de la FSSPX et de ses deux assistants.
 
Naturellement, il est important de le rappeler, les bruits et les certitudes ne coïncident pas nécessairement– mais là, certains éléments sont réels. Dans un très bref délai, en effet, on a pu noter sur cette question plusieurs interventions : l’abbé Franz Schmidberger, Supérieur émérite de la FSSPX; Mgr Richard Williamson, l’un des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre, qui a confirmé la chose, mais avec un point de vue assez différent (dans le passé, rappelons-le, Mgr Bernard Fellay avait nié l’existence de divisions entre les évêques, attribuant cela à des rumeurs malveillantes venant de l’extérieur) ; enfin le Supérieur d’un district important comme celui d’Italie, don Davide Pagliarani, qui est lui aussi intervenu en donnant des réponses. C’est surtout cette dernière intervention qui nous pousse à revenir sur ce sujet, pour le motif que nous allons expliquer. Quoiqu’il en soit, la rencontre du 14 septembre est une chose certaine.
 
Quant à nous, nous ne pourrions que nous réjouir si la FSSPX faisait enfin ce qui, par ailleurs, est en substance le même choix que le nôtre (traité jusqu’à présent comme un choix de traîtres ; celui des “accordistes”, maltraités, punis et méprisés) : c'est-à-dire un accord substantiellement pratico-canonique  conjointement à la possibilité de « faire l’expérience de la Tradition » (selon la formule soutenue par Mgr Lefebvre pendant tant d’années, sans doute durant la majeure partie de sa résistance), et à l’attestation de l’existence de questions doctrinales sur lesquelles, en l’état actuel, il n’y a pas d’accord, mais intention de discuter.
 
Cependant, quant aux modalités de réalisation de ces éventuels accords, nous ne pouvons que remarquer un problème de clarté et de vérité et poser la question aux intéressés; ces derniers aspects devraient tenir particulièrement à cœur à la FSSPX si l’on en croit ses déclarations récurrentes.
 
Evidemment, nous ne répéterons pas ici tout ce que nous avons déjà dit: nos précédents articles, « L’échec des colloques doctrinaux avec la Fraternité Saint Pie X et la question d’un Ordinariat personnel (link)»  et « La nécessité théologique et ecclésiale d’une " troisième voie" : ni "spirale schismatique "ni "conformisme rallié" (link) », sont disponibles sur cette revue pour tous ceux qui veulent les consulter avec attention et objectivité. Dans ce cadre, nous allons donc nous concentrer sur les développements de l’article « L’échec des colloques doctrinaux » et sur le débat qui en a découlé.
Accord possible…
Comme indiqué plus haut, le Supérieur du District d’Italie a répliqué en ces termes à propos de l’évaluation de l’échec des discussions doctrinales:  
«Je pense que c'est une erreur de considérer que les entretiens ont échoué. Peut-être que ceux qui tirent ces conclusions sont ceux qui s'attendaient à que les entretiens aboutissent à un résultat étranger aux finalités des entretiens eux-mêmes. Le but des entretiens n'a jamais été de déboucher sur un accord concret, mais bien de rédiger un dossier clair et précis, qui souligne les positions doctrinales respectives à remettre au Pape et au Supérieur général de la Fraternité».
Quant à l’éventualité de la proposition prochaine d’un Ordinariat, « elle serait prise sereinement en considération […]»[1].
A son tour le district d’Allemagne affirme:
« Cependant la question du statut canonique n’a jusqu’à présent pas obtenu de réponse»[2].
De ces deux déclarations, il ressort que la réalisation d’un accord canonique devient possible; et cela alors que, comme dit même l’un des quatre évêques, craignant son acceptation : « tout le monde dit que les Discussions ont confirmé qu’aucun accord doctrinal n'est possible entre la FSSPX (…) et la Rome d'aujourd'hui ». Et l’évêque poursuit : « la situation après les Discussions est exactement la même qu'avant ».[3]
…malgré le réel échec des colloques doctrinaux
Nous observons que, en dépit de ce que nous avions écrit sur l’échec des colloques doctrinaux, on déclare aujourd’hui que leur finalité aurait seulement été de faire mieux connaître les positions respectives et qu’ils ne seraient donc pas une faillite, mais un succès. Or cela est insoutenable pour plusieurs raisons :
  1. Parce que des documentations mettant en évidence les positions respectives existaient depuis longtemps : par exemple, la réponse de Rome aux Dubia présentés par Mgr Lefebvre (1987); par exemple les études de Mgr de Castro Mayer (sur la Liberté religieuse et sur le Novus Ordo Missae) et de Mgr Fellay (sur l’œcuménisme actuel), respectivement en 1974 et en 2004 ; par exemple, les réponses argumentées écrites par Mgr Lefebvre à l’ex Saint-Office sur les questions controversées, au début du pontificat de S.S. Jean Paul II (et qui aujourd’hui ne sont pas du tout mises en valeur par la FSSPX elle-même, malgré les sollicitations écrites reçues récemment par un prêtre du clergé romain, qui avait assisté Mgr Lefebvre dans leur rédaction). S’il s’était agi seulement de compléter l’ensemble de ces écrits, alors l’accord aurait pu être signé depuis des années: en effet, comme nous l’avons écrit, Rome à l’époque avait déjà donné sa disponibilité à concéder en même temps deux choses : la régularisation canonique et une Commission bilatérale théologique d’approfondissement des points controversés. Ecône a donc changé d’avis? Ou apprécie-elle maintenant ce qu’elle avait méprisé il y a quelques années? Ou plutôt n’était-ce qu’une question publicitaire, pour donner une apparence de victoire sur une Rome, qui s’était enfin rendu à discuter?
  2. Parce que le résultat illustré ici-bas n’était certainement pas « étranger aux finalités des entretiens eux-mêmes » - comme affirmé aujourd’hui -, étant au contraire l’objectif déclaré par les autorités de la FSSPX. Les affirmations ne manquent pas, entre autre sur la nécessité préliminaire de la conversion de Rome, mais à titre d’exemple, nous nous bornerons à rapporter deux textes significatifs, le premier étant de Mgr Fellay - déjà sous le règne de Benoit XVI - le second la déclaration du Chapitre Général :
    • «nous envisageons trois étapes vers une solution de la crise: préalables, discussions, accords.(…) (Si Rome accorde les préalables) il conviendra de passer à la deuxième étape c'est-à-dire aux discussions (..) cette étape-là, celle des discussions sera difficile, houleuse et probablement assez longue (…). En tout cas, il est impossible et inconcevable de passer à la troisième étape, donc d’envisager des accords, avant que les discussions n’aient abouti à éclairer et corriger les principes de la crise”[4].
    • En effet, les contacts qu’elle entretient épisodiquement avec les autorités romaines ont pour unique but de les aider à se réapproprier la Tradition que l’Eglise ne peut renier sans perdre son identité, et non la recherche d’un avantage pour elle-même, ou d’arriver à un impossible accord purement pratique. Le jour où la Tradition retrouvera tous ses droits, « le problème de la réconciliation n’aura plus de raison d’être et l’Eglise retrouvera une nouvelle jeunesse »[5].
Nous demandons donc à la FSSPX de répondre publiquement aux questions suivantes : les principes de la crise sont-ils aujourd’hui, grâce aux discussions, non seulement “éclaircis”, mais aussi “corrigés”? La Tradition a-t-elle retrouvé aujourd’hui « tous » ses droits ? Entre Ecône et Rome y a-t-il accord sur la doctrine? Même si l’on se fonde sur ce qui a été dit à propos de la rencontre d’Assise, prévue juste en octobre, il semblerait bien que non….Comment donc expliquer qu’aujourd’hui la Fraternité ne semble pas exclure, au moins en principe, ce qu’hier elle avait décrit comme « impossible » et même « inconcevable » ? Peut-être s’est-on alors rendu compte que de telles déclarations étaient erronées ? Eh bien, dans le respect des droits de la vérité et par amour de la clarté, qu’ils le disent ouvertement. Jusqu’à présent Mgr Fellay n’a même pas expliqué pourquoi il avait d’abord affirmé[6]qu’il ne pouvait pas faire de demande écrite d’un retrait du décret d’excommunication, puisque que cela aurait dans tous les cas impliqué la reconnaissance de la validité des dites censures, et qu’ensuite il a fait cette demande écrite comme si de rien n’était.
Avec de tels présupposés, quel accord “doctrinal” est possible?
Dans le cas où l’on ne reconnaîtrait pas avoir choisi le plus modeste accord pratico-canonique, en essayant de cacher le changement de direction, le «demi-tour». Cela voudra signifier que l’éventuel accord serait encore présenté comme doctrinal, comme il a été prétendu dans maintes déclarations publiques, alimentant ainsi la confusion. Mais qu’on nous explique alors quel accord doctrinal pourra rester cohérent avec les positions rigides exposées de manière catégorique par les parties en dialogue durant ces dernières années, conséquence de la procédure choisie. Telle était en effet la teneur de la déclaration du Chapitre : 
«Si, après leur accomplissement, la Fraternité attend la possibilité de discussions doctrinales, c’est encore dans le seul but de faire résonner plus fortement dans l’Eglise la voix de la doctrine traditionnelle. En effet, les contacts qu’elle entretient épisodiquement avec les autorités romaines ont pour unique but de les aider à se réapproprier la Tradition que l’Eglise ne peut renier sans perdre son identité, et non la recherche d’un avantage pour elle-même, ou d’arriver à un impossible accord purement pratique. Le jour où la Tradition retrouvera tous ses droits, « le problème de la réconciliation n’aura plus de raison d’être et l’Eglise retrouvera une nouvelle jeunesse »[7].
Et les paroles de Mgr. Fellay:  
«Nous ne sommes pas disposés à avaler le poison que l’on trouve dans le concile»[8].
Ou encore les déclarations du Supérieur du district d’Italie:  
«Tout le monde sait que la Fraternité n’acceptera jamais ni l’art. 31, ni l’art. 19 [de l’Instruction “Universae Ecclesiae”]»[9].
Les exemples d’autres choses que des membres éminents de la Fraternité refusent publiquement, même de façon totale et catégorique, ne manquent pas; dans les articles de ce site on peut trouver des exemples, qui ne  sont point exhaustifs sur le sujet, mais qui sont néanmoins parfois déconcertants.
Telles étaient les conditions de la Secrétairerie d’Etat:  
«Comme cela a déjà été publié auparavant, le décret de la Congrégation pour les évêques, daté du 21 janvier 2009, a été un acte par lequel le Saint-Père répondait de façon bienveillante à des demandes répétées faites par le supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X.
Sa Sainteté a voulu lever un obstacle empêchant l'ouverture du dialogue. La peine très grave d'excommunication Latae sententiae, que les évêques en question ont encourue le 30 juin 1988, et qui a été ensuite formellement déclarée le 1er juillet de la même année, était la conséquence de leur ordination illégitime par Mgr Marcel Lefebvre (…).
La levée de l'excommunication a libéré les 4 évêques d'une peine canonique extrêmement grave mais n'a pas changé la situation juridique de la Fraternité Saint-Pie X qui, à l'heure actuelle, ne bénéficie d'aucune reconnaissance canonique dans l'Eglise catholique. Ajoutons que, les 4 évêques, bien que libérés de l'excommunication, n'ont pas de fonction canonique dans l'Eglise et n'y exercent pas licitement de ministère. La pleine reconnaissance du Concile Vatican II et du magistère des papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et du même Benoît XVI est la condition indispensable à une future reconnaissance de la Fraternité Saint-Pie X »[10].
Par honnêteté intellectuelle
Vu que la FSSPX considérait l’accord doctrinal même comme la condition “sine qua non” à la régularisation canonique, on pourrait au moins s’accorder sur le texte des déclarations? En effet l’original de la réponse de Mgr Fellay aux cinq points (« l’ultimatum ») de Rome ne résulte pas avoir été publié. Alors que sur un passage doctrinalement important de la lettre avec laquelle a été obtenue l’annulation du décret d’excommunication circulent deux versions publiées sur leurs presses respectives : selon l’une, Mgr Fellay et la FSSPX acceptent jusqu’à Vatican I ; selon l’autre ils acceptent jusqu’à Vatican II (ce dernier avec des réserves). Par leur nature les documents de ce genre sont des actes publics : comment est-il possible qu’aient circulé deux versions avec des passages entre guillemets différents entre eux ? Lequel des deux correspond à l’original ? Qu’a signé exactement Mgr Fellay ? Serait-il possible « dans l’intention d’une plus grande transparence possible » de publier les deux lettres ?
 
Une dernière considération. Si la FSSPX accepte la régularisation canonique, si en tout cas maintenant, par l’intermédiaire de ses membres les plus éminents, elle s’y montre disponible, et cela alors que « tout le monde dit que les discussions ont confirmé qu’aucun accord doctrinal n’est possible » – alors il ne reste que deux cas possibles. Ou bien la FSSPX a compris qu’elle s’était trompée dans le fait d’exclure, d’une façon qui était même ontologique, la régularisation sans accord doctrinal préalable et elle a changé d’avis (mais cela, par honnêteté intellectuelle il faut alors le déclarer). Ou bien elle a voulu « faire monter les enchères », en utilisant de telles matières doctrinales, pour de plus grandes concessions pratiques.
 
Dans cette deuxième et très grave éventualité, on pourrait expliquer l’oubli du Supérieur italien, qui dans l’entretien cité affirme: “l’unique prélat qui n’a jamais cessé de célébrer publiquement dans le rite traditionnel, à l’époque considéré de façon erronée comme abrogé et banni, a été le fondateur de la Fraternité Saint Pie X”. Sans rien enlever au “vénéré” Mgr Lefebvre, “un grand homme d’Eglise”[11],il faut cependant objecter : et Mgr de Castro Mayer ? Est-ce-que ce prélat « a cessé de célébrer publiquement dans le rite traditionnel » ? Ou se peut-il que, ne pouvant pas aujourd’hui instrumentaliser ce dernier en faveur de l’actuelle FSSPX, même s’il n’a jamais cessé, il convienne de ne pas s’en souvenir ?
 
Une autre question demande une réponse. Comment est-il possible que l’intervention de Mgr Williamson semble évoquer la présence « déjà en 2001 » de problèmes pratiques sur l’accord (à propos des nominations des futurs évêques et supérieurs de la FSSPX), alors que Mgr Fellay nous disait à cette époque que les propositions de Rome étaient très bonnes et très convenables pour la Fraternité sous l’aspect pratique, mais que celle-ci ne pouvait pas les accepter uniquement pour les motifs philosophico-théologiques mentionnés plus haut ?
 
Même pour chasser tout doute selon lequel les questions doctrinales auraient été instrumentalisées comme de la marchandise, pour obtenir des avantages très pratiques, tout en donnant en même temps l’impression de mépriser ces mêmes avantages pratiques, nous demandons publiquement à Mgr Fellay de reconnaître avec humilité et clarté que certaines affirmations du passé – avec les critères, les mentalités, et les attitudes connexes  – sont à corriger  profondément. 

La Rédaction de Disputationes Theologicae

[1]Intervista al Superiore del Distretto Italiano della FSSPX, tratta dal sito del Distretto italiano della  FSSPX, luglio 2011,http://www.sanpiox.it/public/index.php?option=com_content&view=article&id=323:intervista-a-don-davide-pagliarani&catid=35:info-sulla-fsspx&Itemid=123
[2]«[…], jedoch wurde die Frage nach dem kirchenrechtlichen Status bislang nicht beantwortet», (http://www.piusbruderschaft.de/startseite/archiv-news/734-beziehungen_zu_rom/5766-generaloberer-nach-rom-gebeten).
[3]Mons. R. Williamson, Commentaire Eleison 20 août 2011, http://tradinews.blogspot.com/2011/08/mgr-williamson-commentaire-eleison-les.html
[4]Mons. Fellay, in Fideliter n. 171, maggio-giugno 2006, pp. 40-41.
[5]Dichiarazione dell’ultimo Capitolo generale della FSSPX, fatta «nell’intento della più grande trasparenza possibile, e per evitare anche qualsiasi falsa speranza o illusione».
[6]Ad esempio, nell’omelia del 2 febbraio 2006 a Flavigny.
[7]Dichiarazione dell’ultimo Capitolo della FSSPX (cfr. nota 5).
[8]Omelia di mons. Fellay a Saint-Malô, nella S. Messa dell’Assunta 2008.
[9]Intervista al Superiore del Distretto italiano della FSSPX (cfr. nota 1).
[10]Nota della Segreteria di Stato Vaticana, 4 febbraio 2009.
[11]Secondo le espressioni del Pontefice regnante nell’udienza dell’estate 2005.