14 septembre 2011

[L'Union] Le père Kerjean : « Jésus ne parlait pas latin ! »

SOURCE - L'Union - 14 septembre 2011

Etienne Kerjean vient de quitter Liesse. Les dernières heures dans cette paroisse n'auront pas été les plus paisibles.

Etienne Kerjean, 57 ans, prêtre depuis 25 ans, mi-Breton mi-Picard aura passé trois ans au cœur de paroisse de Liesse, de ses 34 clochers et ses 13 500 habitants Il a pris son nouveau poste la semaine dernière, à Saint-Quentin. Trois fois moins d'églises, deux fois plus d'humains et lui tout seul au milieu de ça pour communiquer sa foi.

Etienne Kerjean a la voix qui porte. « Vous verrez », dit sa secrétaire, « il peut parler fort mais c'est quelqu'un qui aime écouter et débattre ». La voix est forte. Exact. « Le lundi, quand toute cette agitation a commencé, j'étais à Soissons en réunion dans le cadre de ma mission de vicaire épiscopal chargé de la formation des laïques du diocèse. Ce n'est pas facile de rentrer le soir, d'avoir fait ses heures et de gérer des choses pareilles. »
 
l'union : La famille Grégoire vous a appelé. Elle vous a expliqué qu'elle avait trouvé un prêtre pour célébrer en latin les funérailles de leur mère. C'était un vœu de la défunte mais vous avez refusé. C'est cela ?
Etienne Kerjean : Je n'ai pas refusé. Je préfère dire que je n'ai pas permis qu'un office soit célébré dans l'église par un prête qui appartient à une communauté qui se situe hors de l'église catholique.
Hors de l'église ? Concrètement, c'est-à-dire ?
Le prieuré de Prunay, auquel le prêtre choisi appartient est lui-même intégré à la Fraternité de Saint-Pie X, autrement dit, à un mouvement qui s'est placé hors de l'église catholique telle que voulue par Rome. Ce n'est pas de mon fait. Or il m'est impossible en tant que prêtre fidèle à l'église catholique, mais aussi en tant que républicain, puisque l'Église est propriété de la commune, d'y laisser entrer des personnes qui ne nous reconnaissent pas ! Nous devons tous être raisonnables. Et si j'ai à respecter les prêtres de cette Fraternité, ils doivent aussi me respecter, de même que tous les paroissiens que je côtoie.
Soit, mais les volontés de la défunte n'ont pu être suivies, elles ! Où est sa faute ?
C'est vrai que le corps de cette dame n'a pu entrer dans l'Eglise et j'en suis désolé. Mais il y a parfois des choses impossibles à réaliser. Si untel souhaite être incinéré et que ses cendres soient disséminées au-dessus de la tour Eiffel, on le lui refusera. Chacun a droit au respect et à la dignité et nous, pas moins que d'autres. Il faut cesser de considérer que parce que nous sommes catholiques, nous serions complètement passifs. À ce moment-là, je dois ouvrir l'église si des personnes de confession juive veulent célébrer dans notre lieu ? Ou alors moi, je peux aller officier dans une mosquée ? Allons… Chacun chez soi. Même si intellectuellement ce n'est pas parfait, on sait bien que ce terrain est délicat. D'ailleurs, pourquoi les funérailles n'ont pas été organisées au prieuré ? C'était une possibilité aussi !
Cela ne résout pas le fond, rien n'a été prévu pour coller aux volontés de la défunte. Une célébration en latin, par un prêtre catholique, ce n'était pas possible ?
Je me voyais mal revenir en urgence à mes études pour être prêt le jour dit. J'ai un collègue compétent, mais il est âgé et il ne se sentait pas en mesure d'assurer cet office. Nous sommes peu nombreux et dans un moment comme cela, nous n'avons pas de solution pour satisfaire des souhaits qui nous prennent de cours. Et puis le latin, entre nous… Je ne me souviens pas que Jésus parlait en latin, non ? En araméen, oui ! Soyons cohérents. Je comprends cette famille et la défunte, que je ne connaissais pas, voyait probablement une dimension magique dans une célébration en latin. J'ai beaucoup réfléchi et il m'a fallu être cohérent. Sur un sujet aussi douloureux, il faut que tout le monde le soit.