15 septembre 2011

[Martin Droit] Sans jouer à Madame Irma !

SOURCE - Martin Droit - 15 septembre 2011

Depuis quelques jours, le « Tradiland » et même les observateurs de l’Eglise catholique s’interrogent sur la rencontre du 14 septembre, entre le Cardinal Levada et la direction de la Fraternité Saint Pie X. A travers ces quelques lignes, je n’entends ni lire dans le marc de café, ni faire une démonstration scientifique par A + B, mais livrer mon impression du moment, au regard du droit canonique et de la praxis romaine que je crois connaître un peu.

Des faits, il ressort que Mgr Fellay, le Supérieur général de la FSSPX, s’est vu remettre le 14.09 un « préambule doctrinal » et une proposition de statut canonique conditionnée à l’acception dudit Préambule[1]. A coup sûr, ce dernier relève habilement ce qu'on appelle en classe de mathématiques du PPDC (le « plus petit dénominateur commun), c'est-à-dire que les deux parties peuvent s’entendre dessus. Reste adjoint à ce Préambule, la proposition de statut canonique. Et je crois que c’est au fond là-dessus que tout va se jouer. Pourquoi ?
Parce que tout d’abord, les longs de discussions théologiques entre les deux parties sont maintenant derrière nous. S’ils avaient abouti à une impasse, il n’y aurait pas eu la réunion du 14 ; et Rome n’a aucun intérêt à proposer un Préambule à priori inacceptable pour la FSSPX : Cela n’aurait aucun sens eu égard à tout ce qui s’est passé depuis le début de l’année 2008. C’est pourquoi tout se joue sur ce que l’on pourrait appeler les Articles organiques, la solution canonique.

Celle-ci se doit d’être acceptable pour tout le monde : Pour le Saint-Siège tout d’abord, qui ne doit pas donner l’impression d’offrir un « pont d’or » qui scandaliseraient les opposants à la « réintégration » de la FSSPX, d’où je crois qu'il faut exclure la solution de l’Ordinariat. Pour la Fraternité elle-même ensuite, qui n’acceptera pas une structure qui permette aux évêques diocésains de leur couper l’herbe sous le pied en suspendant ad casum tel prêtre ou empêchant la progression ou l’installation de cette communauté, d’où me semble-t-il qu'il faille écarter des propositions telles que la Prélature personnelle ou l’administration apostolique.
« Que reste-t-il ? » me rétorquera-t-on… Je puis vous assurer que le Code de droit canonique ne manque pas de ressources, et on ne prête pas assez attention à tout le panel existant : les prélatures territoriales ; les vicariats ou préfectures apostoliques ; les missions « sui iuris » ; etc. On me répondra que toutes ces structures ne concernent que les « terres de missions ». C’est oublier trop vite que les canons régissant toutes ses circonscriptions sont très superficiels, et qu'on peut y mettre toutes sortes d’aménagements spécifiques. Je pense notamment à la Prélature territoriale, que l’on a considérablement adaptée pour correspondre aux besoins de la Mission de France… et surtout à l’énigmatique « diocèse personnel » qui n’existe que sur le papier, et qui ne demande qu’à être pratiqué en cas de ‘coup dur’.
Bref, je fais confiance au Saint-Siège pour trouver une solution « sur-mesure », qui permettra de satisfaire les autorités romaines qui pourront répondre qu'il n’y a pas à paniquer et que la structure n’est pas un ‘boulevard’ du type Ordinariat, et la Fraternité qui aura l’opportunité de répondre qu'elle n’est pas tombée dans l’accord pratico-pratique, puisque sa structure lui permet de se maintenir et même de progresser sans avoir à quémander l’accord des autorités locales, ce dont personne ne peut se prévaloir aujourd'hui dans le « monde tradi ».

Et le « Tradiland » justement… Que va-t-il devenir dans ce cas de figure ? Car si la FSSPX n’a pas le monopole de la posture « tradi », il est n’en est pas moins vrai qu’elle en constitue la principale ‘Armada’. Et dès lors où elle serait canoniquement reconnue, quelle place peut-elle laisser aux autres sociétés ou instituts perçus, à tord ou à raison, comme concurrents ? La question mérite d’être posée, et je suis convaincu qu’elle l’est par les Supérieurs de ces dites communautés…
Je crois qu'il faut distinguer du point de vue canonique les sociétés reconnues de façon définitive, de celle ad probatum qui doivent encore faire leurs preuves (et elles sont nombreuses : Aux Etats-Unis - en Californie notamment -, en Autriche, en Allemagne - avec l’Oratoire Saint-Philippe-Néri, en Amérique du Sud - avec la Fraternity of Saint-John -, en France même avec l’IBP, etc.).
Pour les premières, il n’y a guère de souci à se poser : Ce que le Saint-Siège a reconnu de façon définitive, est quasi indestructible, sauf raison gravissime. Restera le problème de leur recrutement et de leur extension face au « paquebot FSSPX » une fois reconnu. Ils pourront soit opposer une spécificité propre, je pense à l’Institut du Christ-Roi qui a misé sur une liturgie qui l’a fait remarquer par rapport aux deux Fraternités, soit/et recruter de nouveaux séminaristes et membres grâce aux contacts personnels : Telle jeune vocation ayant connu telle communauté ; tel évêque ayant un contact privilégié avec telle société. Mais institutionnellement, il n’y a pas de doute que la FSSPX raflera la mise comme étant le phare de l’institut ‘tradi’ par excellence.
Pour les autres, ceux reconnus encore ad experimentum… c’est beaucoup plus compliqué ! Surtout s’ils n’arrivent pas à se développer ou marquer une spécificité claire et singulière. Rome leur répondra aisément que face à un manque de raison d’exister, ils devront rejoindre l’une des structures reconnues définitivement ou les diocèses. Ce serait même une garantie offerte par Rome face aux évêques peu enclins à la Tradition : « On va vous clarifier le terrain ! » Ces communautés, faute d’identité réelle auront du mal à survivre. Si elles invoquent l’argument de réflexion théologique ou doctrinale, on les renverra vers la toute-puissante et (nouvellement) légitime FSSPX ; si elles allèguent la liturgie, on les aiguillera vers l’Institut du Christ-Roi ; si elles avancent le canal historique de la fidélité romaine, il leur restera la Fraternité Saint-Pierre. Et surtout qu'elles ne mettent pas en avant l’argument humain du « il y a trop de blessures personnelles », car on n’a jamais vu Rome ériger ou maintenir quelque communauté pour raison de « mauvaise entente humaine ». Voilà donc un défi pour ces sociétés : Soit croître très très vite, soit se trouver une véritable identité. Sans quoi, il n’y a ni objectivement ni politiquement aucune raison de les laisser ‘vivoter’.

Certes, tout ça est pour l’heure pure conjecture, me dira-t-on ! Il n’empêche… Si la rencontre du 14 n’était qu’un jeu de dupes après de si longs mois de discussions théologiques… Pourquoi les deux parties se livrent avec autant de complaisance à la publicité (avant et après la rencontre, cf. la déclaration commune) de l’évènement ? Pourquoi présenter d’ores et déjà, avant même la ratification du Préambule, LA solution canonique ? Pourquoi le Cardinal Ricard dit-il sur les ondes radiophoniques que tout sera clair d’ici 6 mois, date à laquelle le Cardinal Levada prendra sa retraite, laissant ainsi son successeur vierge d’un tel dénouement pour les éventuels mécontents ?

Pourquoi ? Parce qu’à mon sens, tout est déjà fait… Et parce que l’Eglise unie me plait beaucoup plus que quand elle est déchirée, je m’en réjouis !

[1] Cf. La Communication sur la rencontre entre la Congr. Pour la Doctrine de la Foi et la Fraternité Saint-Pie X, 14.09.2011 (référencée 01275-03.01) et l’entretien accordé par Mgr Fellay à DICI (n°240 du 14/09/11).