22 septembre 2011

[Laurent Dandrieu - Valeurs Actuelles] Traditionalistes : un espoir historique

SOURCE - Laurent Dandrieu - Valeurs Actuelles - 22 septembre 2011

Rome a remis à Mgr Fellay un préambule doctrinal, prélude à une régularisation des lefebvristes. Il a quelques mois pour donner sa réponse.

C’est, on le sait, une affaire quasi personnelle pour Benoît XVI, qui a conscience d’être celui qui peut réduire la “fracture” traditionaliste. Depuis 2005, il a fait trois pas décisifs vers ceux-ci : le 7 juillet 2007, la libéralisation du rite traditionnel ; la levée, le 21 janvier 2009, de l’excommunication qui frappait Mgr Fellay et les trois autres évêques sacrés par Mgr Lefebvre ; enfin, d’octobre 2009 à avril 2011, la tenue de discussions visant à éclaircir le désaccord doctrinal entre Rome et les lefebvristes.

C’est pour tirer les conclusions de ce dialogue que Mgr Fellay a été reçu le 14 septembre par Mgr William Levada, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Celui-ci lui a remis le texte d’un préambule doctrinal, dont l’acceptation par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX), dit le communiqué du Vatican, sera la « base fondamentale de la pleine réconciliation avec le Siège apostolique ».

« Ce document, poursuit le communiqué, énonce certains des principes doctrinaux et des critères d’interprétation de la doctrine catholique nécessaires pour garantir la fidélité au magistère de l’Église et au sentire cum Ecclesia [le sentiment de communion ou la volonté d’épouser le point de vue de l’Église], tout en laissant ouvertes à une légitime discussion l’étude et l’explication théologiques d’expressions ou de formulations particulières présentes dans les textes du concile Vatican II et du magistère successif. » A aussi été évoquée la régularisation juridique de la FSSPX, en cas d’accord.

Tenu au secret dans l’attente de sa réponse, le supérieur de la FSSPX a seulement laissé filtrer « qu’on ne trouve pas, dans le préambule doctrinal, une distinction tranchée entre le domaine dogmatique intangible et le domaine pastoral soumis à discussion » : le document, en quelques pages, ne pouvait trop rentrer dans le détail théologique. Très proche de ces dossiers, l’archevêque de Bordeaux Mgr Ricard précise qu’il pourrait s’agir d’une reconnaissance générale de l’autorité du pape et du magistère, de la validité des nouveaux rites et d’un engagement à une « réflexion positive » pour interpréter le Concile dans cette « herméneutique de la continuité » demandée par Benoît XVI, c’est-à-dire en postulant qu’il ne pourrait être vu comme une rupture de la Tradition. Et ajoute que le préambule soumis à la FSSPX devrait être assez proche de ce qu’on avait déjà exigé de l’Institut du Bon-Pasteur, créé en 2006 pour des anciens de la Fraternité. À ceux qui s’inquiètent de la concession que constituerait la reconnaissance par le préambule d’une « légitime discussion » du Concile, il faut rappeler que les statuts de l’IBP engageaient déjà cet institut à une « critique sérieuse et constructive » de Vatican II.

Quant au statut proposé à la FSSPX, plusieurs solutions existent. On a d’abord parlé d’un ordinariat, sur le modèle proposé aux anglicans : soit une sorte de diocèse thématique, un peu comme le diocèse aux armées. Mais beaucoup d’évêques y sont opposés, car les activités de la Fraternité dans leur diocèse échapperaient à leur contrôle. Porte-parole du Vatican, le père Lombardi a évoqué une prélature personnelle, sur le modèle de l’Opus Dei : mais dans cette formule, la FSSPX ne pourrait exercer aucune mission sans autorisation du diocèse, ce qui, compte tenu de l’hostilité de nombre d’évêques, notamment français, rendrait son apostolat pratiquement impossible. Rome peut aussi avoir puisé dans le droit canon, au besoin en l’amendant, une solution médiane.

Benoît XVI est allé aussi loin qu’il lui était possible


La question est d’importance car, comme le fait remarquer un prêtre de la Fraternité, la décision de celle-ci dépend sans doute moins du contenu du préambule, que Rome aura eu soin de rédiger de façon qu’il soit difficilement refusable, que du sentiment qu’aura la FSSPX de pouvoir rentrer dans le rang sans perdre la possibilité d’être fidèle à elle-même. Pour ce même prêtre, « Mgr Fellay est très attentif à l’importance de ce moment, au kairos », c’est-à-dire à l’occasion unique qu’offre la volonté d’aboutir de Benoît XVI. Le fait même que le pape ait poursuivi ce processus malgré les critiques virulentes venues de la Fraternité, ces derniers mois, à propos de la béatification de Jean-Paul II ou de la prochaine rencontre interreligieuse d’Assise, montre bien sa détermination. Il a maintenant abattu toutes ses cartes. La donne est donc désormais à la Fraternité et aux quarante membres de son chapitre général, à qui appartient la décision finale. Mgr Fellay a quelques mois pour les convaincre qu’il s’agit là d’une chance historique et que, s’ils devaient fermer la porte, elle pourrait bien ne plus jamais se rouvrir.

Laurent Dandrieu