26 septembre 2011

[Golias] La balle est dans le camp des Lefebvristes

SOURCE - Golias - 26 septembre 2011

La venue à Rome de Mgr Bernard Fellay, évêque intégriste, sacré en 1988 par le schismatique Marcel Lefebvre, et surtout Supérieur Général de la Fraternité Saint Pie X a été l’occasion d’un nouveau développement dans les relations entre les intégristes et Rome. De sorte que la balle est bel et bien à présent dans le camp des Lefebvristes auxquels le Vatican a fait des propositions scandaleusement bienveillantes comme celle d’ériger une Prélature personnelle traditionaliste à l’instar de l’Opus Dei.

Le cardinal William Levada, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, a remis un texte de deux pages à l’épiscope Fellay. Contenant la proposition concrète d’ériger la Fraternité et prélature personnelle, ce qui aurait pour effet de lui donner une autonomie totale par rapport aux évêques. De fait, une immense majorité au sein du collège épiscopal ne voit pas d’un très bon oeil - c’est le moins que l’on puisse - la réintégration des intégristes. Selon nos sources, le cardinal Levada, dont les jours sont comptés au Vatican, n’était pas d’accord avec cet excès de complaisance. Le projet serait l’oeuvre de Mgr Guido Pozzo, 59 ans, un « monsignore » italien, Secrétaire de la Commission « Ecclesia Dei » et ultra-ratzingérien.

Levada et Pozzo - mais pas le Pape - ont rencontré Mgr Fellay lors d’une entrevue brève, courtoise mais malgré tout froide. Levada et Pozzo ont insisté sur les deux concessions importantes faites déjà de par le passé par Rome : une libéralisation assez large de la messe tridentine et la levée de l’excommunication des quatre évêques sacrés par le vieux Lefebvre en 1988. Quant à lui, Mgr Fellay aurait insisté sur la crise qui secoue encore l’Eglise. Disciplinaire et surtout doctrinale.

Néanmoins, le texte remis à Mgr Fellay n’évoque pas seulement l’aspect pratique mais trace un horizon doctrinal. Et, à cet égard, il fera certainement vivement débat au sein de la Fraternité. En effet, Rome n’a pas renoncé à exiger une adhésion respectueuse non seulement aux enseignements du Pape mais également du Collège des évêques. Certes à lire à la lumière de l’ensemble de la Tradition, mais dans un esprit d’obéissance, de docilité et de soumission. Le texte dit clairement que la pluralité des interprétations ne justifient pas de refuser l’enseignement du Magistère. En clair, si, selon Rome, Vatican II a pu être mal interprété et l’est toujours quelquefois, cela ne justifie aucunement la défiance à l’endroit des textes eux-mêles et encore moins leur refus. Nous touchons là un point grave de divergence entre Rome et Ecône. Car pour les intégristes, à supposer que Vatican II ne soit pas un mauvais, il demeure tout-de-même l’occasion de mauvaises interprétations. Donc, il les permet, et ce manque de clarté, déjà, justifie au moins sa critique. Un théologien romain de lavieille école, aujourd’hui octogénaire, Mgr Brunero Gherardini, argumentait d’ailleurs en ce sens. Or, à l’évidence, la congrégation pour la doctrine de la foi n’accepte pas ce type d’approche. Certes, le Concile Vatican II n’est ni infaillible, ni parfait. Ce nonobstant, il faut que tout catholique y adhère loyalement (dans la mesure d’une bonne compréhension et d’une interprétation juste) car il s’agit d’un acte pleinement autorisé d’un Magistère dit souvent « assisté » : on ne peut en conscience le refuser comme nocif. L’adhésion respectueuse à ce qu’il dit - sans écarter une certaine critique théologique - n’est donc pas facultative.

Rome ne soumet pas les intégristes à un ultimatum. Mgr Fellay se réserve le temps nécessaire pour consulter les principaux responsables de la Fraternité. Le Père Federico Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, insiste sur la prudence de Rome qui ne veut mettre le couteau sous la gorge des intégristes. Une volonté expresse de Benoît XVI.

En soi, cet accord, s’il se réalisait effectivement, serait purement et proprement scandaleux. En effet, il accorderait un privilège canonique rare à des dissidents insolents, qui loin de se repentir et d’aller à Canossa, entendent en réalité tirer profit d’un possible avantage stratégique pour Benoît XVI d’un nouveau renfort du camp réactionnaire contre l’aile d’ouverture (par exemple les prêtres autrichiens en révolte) afin de se voir concéder une reconnaissance de complaisance. C’est tout simplement indigne.

Mais l’affaire n’est pas encore dans le sac. Ce vilain marchandage pourrait déjà échouer en amont. Car parmi les trois évêques intégristes, Mgr Fellay est le seul qui le désire vraiment. Lamenace d’un schisme dans le schisme demeure. Et le jeune dominicain Charles Morerod, que l’on dit sur le point d’évêque nommé évêque de Lausanne et de Fribourg en Suisse, n’aurait pas non plus caché sa déception quant aux résultats de colloques doctrinaux qui, sans conduire à un clash (à cause de la courtoisie et de la patience des théologiens romains) n’ont même accouché de la moindre petite souris ! Les lefebvristes ne mettront pas d’eau dans leur vin. Enfin, la tenue cet automne d’une nouvelle rencontre des religions à Assise tombe singulièrement mal. Et pourrait susciter une nouvelle vague anti-Benoît XVI chez les intégristes.

Soyons francs : un tel accord qui équivaut au reniement total de la dynamique de Vatican II serait un malheur pour l’Eglise. Au ralliement des fanatiques de droite (mais pas de tous car des ultras feraient blocage) correspondrait bien entendu une hémorragie bien plus conséquente à gauche. Hémorragie difficile à évaluer quantitativement car tous ceux qui s’en vont ne constitueront pas un registre.
A long terme, de toute manière, l’hystérie intégriste, même ralliée, finirait par poser de tels problèmes, de telles tensions, qu’il y a fort à parier qu’un nouveau schisme éclaterait et que les ralliés d’un temps redeviendraient les intégristes d’un autre. Avec un éclatement encore plus fort de ce qui resterait encore de la communion catholique.

Mais d’un mal peut aussi sortir un bien. Le retour des intégristes dans le giron pourrait avoir l’effet d’un électrochoc. Et d’un réveil de très nombreux catholiques, peut-être majoritaires, y compris modérés ou même conservateurs, mais qui ne sauraient accepter que le Pape bénisse l’"infâme". Et la réforme entravée d’une Eglise sclérosée pourrait alors devenir révolution. Un Pape qui trahirait ainsi la communion de l’Eglise réelle (peuple de Dieu, assemblée christique)perdrait ainsi sa légitimité. On pourrait exiger la tenue d’un grand Concile pour le destituer. EDt s’il s’y oppose, c’est Benoît XVI lui-même qui deviendrait schismatique.