13 septembre 2011

[Céline Hoyeau - La Croix] Les lefebvristes français s’estiment « plus romains que bien des évêques »

SOURCE - Céline Hoyeau - La Croix - 13 septembre 2011

Les fidèles lefebvristes, que La Croix a rencontrés, souhaitent un accord avec Rome, tout en campant sur leurs positions. La grande majorité suivra Mgr Bernard Fellay, le supérieur de la FSPX et successeur de Mgr Lefebvre.

Inacceptable. Lorsque Caroline (1) a découvert les caricatures publiées dans le bulletin de sa paroisse, Saint-Nicolas-du-Chardonnet, son sang n’a fait qu’un tour. Cette mère de famille nombreuse de l’Ouest parisien s’est empressée d’exprimer son désaccord aux supérieurs de la Fraternité Saint-Pie-X (FSPX) .

À l’annonce de la rencontre interreligieuse d’Assise, les 26 et 27 octobre prochains, l’abbé Xavier Beauvais, curé de Saint-Nicolas, avait en effet republié les caricatures commandées à l’occasion de la première rencontre d’Assise en 1986 par Mgr Lefebvre, qui dénonçait alors l’œcuménisme et le dialogue interreligieux, en remplaçant comme il se doit Jean-Paul II par Benoît XVI. À ses côtés Satan, lui soufflant : « Tu es pour moi ».

FIDÉLITÉ AU PAPE

Vingt-cinq ans après, ces caricatures ont choqué de nombreux paroissiens, comme Caroline, mais sans ébranler, pour autant, leur attachement indéfectible à la Fraternité. Leur malaise traduit bien le paradoxe de leur position au moment où la FSPX et Rome tirent le bilan de leurs discussions doctrinales.

Si certains « ultras » n’ont pas de mots assez durs contre Rome, convaincus que tout accord serait un « piège », la plupart affirment avec une sincérité réelle leur fidélité au pape. « Si demain on attaquait Rome, on partirait le défendre aussitôt », s’enflamme l’un d’eux.

Et ce, d’autant plus volontiers que Benoît XVI n’a cessé de multiplier les gestes de bonne volonté à leur égard. Mais tous campent avec la même ténacité sur leurs positions, sûrs de mener « le bon combat » : ramener Rome à la vraie foi catholique, à la « Tradition » perdue avec le concile Vatican II.

« L’EGLISE DE TOUJOURS »

« La Fraternité est comme un phare dans une mer agitée », affirme Hugues, fonctionnaire de 45 ans en Normandie, revenu à la foi il y a 13 ans grâce à la FSPX. « On ne changera pas nos positions, car ce sont celles de l’Église de toujours. Nous ne sommes pas contre le pape, au contraire, nous lui obéissons encore plus en conservant intact le dépôt de la foi ! »

Affirmant lui aussi qu’il n’a pas à « rejoindre Rome » puisqu’il ne l’a « jamais quittée », Côme, professeur d’histoire de 30 ans, explique qu’il répond tout simplement à « une loi supérieure », celle du « salut des âmes ». « Lorsqu’une ambulance transporte un mourant, elle n’est pas hors la loi à griller un feu rouge », plaide ce jeune Parisien, qui garde avec dévotion une photographie de Benoît XVI dans son missel.

Que ce soient les lefebvristes de la première heure, choqués par « le catéchisme consternant de bêtises et les cérémonies affligeantes des années 1970 », leurs enfants éduqués au sein des écoles de la Fraternité, ou les fidèles plus récents qui ont été séduits par « la dignité de la messe de toujours » et « la pureté de la doctrine », le leitmotiv est le même : l’Église est en crise et la responsabilité en incombe au concile Vatican II.


PAS DE RÉCONCILIATION DE FAÇADE

Pour Côme, qui a connu aussi bien « la pastorale papier-crêpon à l’école que le catéchisme en questions-réponses de ‘la Tradition’», l’équation est sans équivoque : « Du côté de ma famille paternelle, style ‘Paul VI’, la plupart de mes 19 cousins ont abandonné la pratique dominicale. Du côté de ma mère, ‘Saint Pie V’, mes 35 cousins et moi allons tous à la messe tous les dimanches. » « La Fraternité déborde de vocations, signe qu’elle est une œuvre de Dieu », ajoute Caroline, dont le fils est prêtre de la FSPX.

Aussi les fidèles ne veulent-ils pas d’une « réconciliation de façade », qui trahirait « l’héritage de Mgr Lefebvre ». « Si Mgr Fellay signait un accord qui brade la doctrine, ce qui m’étonnerait franchement, des prêtres feraient scission et je les suivrais », avance Nicolas, 26 ans, à Vannes.

Car pour lui, « la Fraternité est la seule institution qui transmette la tradition de l’Église de manière pleine et entière. Depuis Vatican II, des écrits officiels sont en contradiction avec ce qui était écrit auparavant, des Pères de l’Église jusqu’à aujourd’hui. » Les a-t-il lus ? Oui, assure-t-il, mais « pas de manière brute » : « Je les lis via des prêtres qui les citent abondamment. »

VOLONTÉ DE RESTER INDÉPENDANT

Sur les discussions théologiques, les fidèles s’en remettent à leur clergé. Mgr Fellay bénéficie, de fait, d’une grande confiance. « Il a un grand amour de l’Église, affirme Caroline, et je suis persuadée, pour l’avoir reçu chez moi, qu’il n’a pas l’intention de quitter le bateau. S’il ne signe pas tout de suite, c’est sans doute car il a ses raisons. Nos prêtres ont des lumières et des grâces d’état que nous, simples fidèles, n’avons pas. »

Les fidèles se sentent encouragés par le climat actuel. « La levée des excommunications nous prouve que le combat de Mgr Lefebvre était légitime », relève Marie-Alix Doutrebente, qui participe depuis quinze ans à un groupe de dialogue informel entre catholiques des deux bords, le Grec (groupe de réflexion entre catholiques). « Des gens à Rome nous sont favorables. Ils sont bien conscients que l’Église traverse une véritable crise », croit savoir Hugues, citant Mgr Brunero Gherardini, prélat romain dont le dernier livre épingle le concile.

Les lefebvristes sont du reste convaincus d’être « plus romains que bien des évêques et prêtres français ». « Ils nous accusent de désobéissance, mais ils désobéissent à Rome en critiquant le pape… ça tend à relativiser notre ‘schisme’», plaide Nicolas. Faisant valoir les « vexations et injustices » subies depuis trente ans dans l’Église de France, la majorité souhaite une structure « la plus indépendante possible de l’épiscopat ».

MONTRER LE DROIT CHEMIN

Ils citent d’ailleurs volontiers le sort de l’ Institut du Bon Pasteur qu’il juge mal traité sur le terrain ou de la Fraternité Saint-Pierre, qui « a perdu sa liberté de parole ». « Je ne les entends jamais élever la voix lorsqu’il y a un scandale dans l’Église », déplore Nicolas.

Quelle que soit l’issue de la rencontre aujourd’hui à Rome, les lefebvristes comptent toujours montrer à l’Église le droit chemin. « Je me sens porteur d’une cause », affirme un étudiant en école de commerce à Paris, fidèle de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, qui invite régulièrement ses amis « conciliaires » à découvrir la messe traditionaliste : « J’ai eu la chance de grandir dans le dépôt de la foi de l’Église et j’ai le devoir de le transmettre. La Fraternité a un rôle à jouer pour l’avenir de l’Église. » Il n’a pour autant pas hésité à aller aux JMJ cet été pour y « témoigner de la fierté d’être catholique ».

(1) Certains prénoms ont été modifiés.

CÉLINE HOYEAU