17 septembre 2011

17 septembre 2011 [FSSPX Actualités] Le Concile Vatican II : un débat qui n’a pas eu lieu, par Mgr Brunero Gherardini

SOURCE - FSSPX Actualités - 17 septembre 2011

Ce livre fait suite au Concile Œcuménique Vatican II : un débat à ouvrir, paru en italien en 2009, et traduit depuis en français, en anglais, en allemand, en portugais et en espagnol. Dans ce nouvel ouvrage, Mgr Brunero Gherardini, chanoine de l’Archibasilique vaticane et directeur de la revue internationale de théologie Divinitas, ne se contente pas de déplorer que le débat sur le concile Vatican II n’ait pas eu lieu, il montre pourquoi il serait aujourd’hui plus que jamais indispensable. Et surtout il indique comment ce débat pourrait être ouvert, donnant au lecteur les premiers éléments d’une analyse rigoureuse, loin des invectives stériles et des ovations aveugles. Avec l’aimable autorisation des éditions du Courrier de Rome, nous publions ici en avant-première quelques extraits particulièrement éclairants sur l’« esprit du Concile » et sur son « contre-esprit ». Mgr Gherardini démontre que ce n’est pas seulement le post-concile qui est responsable de la crise actuelle dans l’Eglise, mais le Concile lui-même dont l’esprit contenait en germe ce « contre-esprit » (gegen-Geist) que Benoît XVI dénonce, en l’attribuant au seul post-concile. – Les passages soulignés en gras sont de la rédaction.

L’ancien professeur de l’Université pontificale du Latran indique d’abord en quoi il se rapproche et en quoi il se distingue de l’herméneutique proposée par celui qui était alors le cardinal Ratzinger, dans son Entretien sur la foi avec Vittorio Messori (Fayard,1985) :« Mes deux publications ont en commun avec l’herméneutique ratzingerienne, de souligner et de refuser le gegen-Geist (le contre-esprit du Concile), c’est-à-dire ce jugement absurde sur Vatican II qui a ignoré plus de vingt siècles d’histoire et a imposé une manière de voir radicalement différente de tout le cours de la Tradition ecclésiastique et de son contenu intégral. « Mes deux ouvrages ne disent pas que ce gegen-Geist a effacé, ou tenté de le faire, le vrai ‘esprit’ du Concile. Ils posent même la question, paradoxale et provocatrice, de savoir si l’authentique ‘esprit’ du Concile ne se serait finalement pas allié avec le ‘contre-esprit’. (p.24)

« Ainsi, à l’égard des valeurs traditionnelles, l’ ‘esprit du Concile’ était donc lui-même un gegen-Geist, avant même que celui-ci ne soit diffusé par les commentateurs concernés. L’ ‘esprit du Concile’ avait généralement opposé le Concile même à tout ce que l’Église avait jusque-là accrédité comme son pain quotidien, notamment aux conciles de Trente et de Vatican I.

On ne peut qu’être saisi par la présence de plusieurs phrases, disséminées çà et là dans certains documents, surtout dans les paragraphes stratégiques de l’innovation introduite, dans le seul but d’assurer une correspondance entre hier et aujourd’hui, qui en fait n’existe pas. » (p.30) « Il ne faut pas s’imaginer qu’il y ait eu un bouleversement général. Vatican II n’a pas innové sur l’ensemble des vérités contenues dans le Credo et définies par les conciles précédents. Le problème ne réside pas dans la quantité, mais dans la qualité. Ce n’est pas pour rien que l’on parle d’ ‘esprit’ et de ‘contre-esprit’ à l’intérieur du Concile. « La rupture, avant de porter sur des matières déterminées, a porté sur l’inspiration de fond.

On avait décrété un certain type d’ostracisme, mais pas envers l’une ou l’autre des vérités révélées et proposées comme telles par l’Église. Ce nouvel ostracisme s’attaquait à une certaine façon de présenter ces vérités. Il attaquait donc une méthodologie théologique, celle de la scolastique, que l’on ne tolérait plus. Avec un acharnement particulier contre le thomisme, considéré par beaucoup comme dépassé et désormais très éloigné de la sensibilité et des problématiques de l’homme moderne. « On n’avait pas perçu, ou pas voulu croire, que rejeter saint Thomas d’Aquin et sa méthode allait entraîner un effondrement doctrinal. L’ostracisme avait débuté en se faisant subtil, pénétrant, enveloppant.

Il ne mettait à la porte personne, ni aucune thèse théologique, et encore moins certains dogmes. Ce qu’il évinçait, c’est la mentalité qui en son temps avait défini et promulgué ces dogmes. « Ce fut donc une véritable rupture parce qu’elle était fortement voulue, comme une condition nécessaire, comme la seule manière qui permettrait de répondre à des attentes, des questions, restées jusque-là – c’est-à-dire depuis l’illuminisme – sans réponse. « Je me demande si vraiment tous les Pères conciliaires se rendaient compte qu’ils étaient objectivement en train de s’arracher à cette mentalité pluriséculaire qui jusqu’alors avait exprimé la motivation de fond de la vie, de la prière, de l’enseignement et du gouvernement de l’Église.

« Somme toute, ils proposaient à nouveau la mentalité moderniste, celle contre laquelle saint Pie X avait pourtant pris une position très nette en exprimant son intention de ‘instaurare omnia in Christo, restaurer tout dans le Christ’ (Éph 1, 10). C’était donc nettement une manifestation de gegen-Geist. » (p. 31-32) « Il est tout de même difficile d’ignorer que tout a commencé précisément à partir du concile Vatican II. Quelqu’un a fait observer que le concile Vatican II peut se comparer à l’outre d’Éole (qui, dans la légende grecque, renferme tous les vents contraires). C’est depuis Vatican II que s’est déchaîné cet ouragan que l’on a appelé ‘esprit du Concile’, un esprit dans lequel j’ai reconnu sans peine la présence du ‘contre’.

« Mais oui, ‘contre’ :
• contre la spiritualité qui a guidé l’Église des origines jusqu’à 1962 ;
• contre ses dogmes, réinterprétés non pas d’une manière ‘théologique’, mais ‘historiciste’;
• contre sa Tradition, supprimée comme source de Révélation et réinterprétée comme acceptation de ce que l’on rencontre sur sa route, surtout dans le pluralisme culturel moderne, qu’il soit ou non homogène par rapport à son statut ontologique.

« Si l’on veut continuer à inculper seulement le post-concile, qu’on le fasse certes, parce que de fait il n’est pas du tout dépourvu de torts. Mais il faudrait aussi ne pas oublier qu’il est le fils naturel du Concile, et que c’est dans le Concile qu’il a puisé ces principes sur lesquels, jusqu’à l’exaspération, il a ensuite fondé ses contenus les plus dévastateurs. » (p. 71) « Pourtant il faut dire quelques mots sur un aspect de l’aggiornamento conciliaire. La chose me tient particulièrement à cœur, parce qu’elle fait partie de la tradition tridentine, et parce qu’elle est conforme à la réalité sacramentelle du prêtre. C’est de lui en effet que je souhaite parler à présent.

« Aussi bien dans Lumen Gentium 28/1, qui dit textuellement : “Les prêtres [...] sont consacrés pour prêcher l’Évangile”, que dans Presbyterorum Ordinis 13/2, qui place volontairement le ministère de la Parole au premier rang des fonctions du prêtre, on note une nette modification de l’enseignement tridentin, d’après lequel le prêtre est ‘ad conficiendam eucharistiam’. Il est bien entendu destiné aussi à d’autres finalités, mais toutes placées après celle du sacrifice eucharistique. « Dans les textes de Vatican II, en revanche, tout ce qui n’a pas de rapport avec le ministère de la Parole passe au second plan, oubliant la condition du prêtre comme prolongement mystérique du Christ, et donc la fonction christique de sacrificateur et glorificateur du Père, qui se reflète sur le prêtre et en fonde la caractéristique première.

« Par conséquent, comment peut-il être cohérent de déclarer qu’un renversement tellement radical de la tradition tridentine est aussi parfaitement cohérent avec le magistère précédent, et constitue matière à validité infaillible, irréformable et dogmatique ? J’avoue avec candeur que je ne comprends pas. » (p. 82-83) Puis, Mgr Gherardini propose au théologien qui accepterait d’ « ouvrir le débat » une méthode de travail, et il l’invite pour commencer à distinguer quatre niveaux dans les documents conciliaires :

« Il me semble que pour commencer, et toujours après en avoir considéré toutes les implications, un bon critique devrait considérer le concile Vatican II sur quatre niveaux distincts :

a) le niveau générique du concile œcuménique en tant que concile œcuménique ;
b) le niveau spécifique en tant que pastoral ;
c) le niveau de la référence aux autres conciles ;
d) le niveau des innovations. » (p. 84) « Le concile Vatican II présente (…) un quatrième niveau, celui de ses innovations.

Si l’on se penche non pas sur chaque enseignement, mais sur l’esprit qui les a tous conçus et produits, on pourrait soutenir que le Concile a entièrement été un ‘quatrième’ niveau, ou encore que tout se retrouve sur ce niveau. Le ‘contre’, dont j’ai parlé en son temps, place qu’on le veuille ou non le concile Vatican II dans le cadre de l’innovation ; et même, d’une innovation singulière, la plus radicale, celle qui, avant de s’intéresser aux choses, a pris des allures ‘à la Garibaldi’, c’est-à-dire révolutionnaires ; et disons qu’avant d’en arriver concrètement à de surprenantes et manifestes ruptures, le ‘contre’ a été un ‘non’ tapageur et décidé contre l’inspiration de fond du magistère antérieur. Les innovations qui ont été successivement décidées en sont la conséquence logique.

« Un lecteur qui ne serait pas nécessairement spécialiste, mais qui aurait quelques notions historico-théologiques, saura les distinguer sans peine. Prenons d’un point de vue formel, le nouveau concept de ‘constitutio’ : il est à ce point nouveau qu’il a engendré des exemplaires de constitutions, dans lesquels le modèle constitutif disparaissait derrière un langage impropre et vague, volontairement dépourvu d’intentions définitoires, et souvent remplacé par le langage profane ; et ce, sur l’invitation du pape Roncalli, répétée ensuite par ses successeurs. De plus ce concept a ouvert les portes du ‘constitutif’ même à des éléments étrangers. « Il faut lire attentivement et sans idée préconçue Gaudium et Spes : on pourrait se demander, en somme, quel lien peut avoir la grande majorité des thèmes traités, non seulement dans la seconde partie, mais aussi dans la première partie de ce texte, avec la nature et l’activité apostolique spécifique de l’Église.

La nouveauté place l’Église au niveau des États et de leurs institutions ; elle fait de l’Église un intervenant parmi tant d’autres, et la dépouille non pas tant de sa fonction d’être la conscience critique de l’histoire, mais plutôt de sa nature de ‘sacramentum Christi’ et de la responsabilité qui en découle quant au salut éternel. L’Église devient ainsi une entité, en dialogue avec d’autres entités. L’Église promeut le dialogue pour réaliser des finalités certes élevées – le progrès, la paix – qui par ailleurs la détournent de sa tâche spécifique qui est de prêcher l’Évangile, d’actualiser et d’appliquer les mérites de la Rédemption et de propager le règne de Dieu : en somme, tout ce qui concerne la vie de la grâce, jusqu’au moment de la Parousie. » (p. 87-88)
Mgr Brunero Gherardini, Le Concile Vatican II : un débat qui n’a pas eu lieu, Ed. Courrier de Rome, 112 p. Le livre sera disponible aux Journées de la Tradition à Villepreux, les 1er et 2 octobre 2011. 
On pourra le commander début octobre au Courrier de Rome - B.P. 156 - F-78001 Versailles ou à courrierderome@wanadoo.fr (11 € + 3 € de frais de manutention et de port)