5 février 2009





Turbulences au Vatican
05-02-2009 - Laurent Dandrieu - valeursactuelles.com
Catholicisme. Cinq questions sur la polémique suscitée par la levée des excommunications pesant sur les évêques lefebvristes.

Benoît XVI pensait-il susciter un trouble de cette ampleur ? Certes, il sait le sujet sensible, mais nul ne pouvait imaginer qu’une télévision suédoise choisirait le moment précis de la levée de l’excommunication des quatre évêques lefebvristes pour diffuser les déclarations scandaleuses de Mgr Wil­liamson, enregistrées en no­vembre. Aussitôt, les médias multipliaient les titres sur la « réhabilitation d’un évêque négationniste ». L’émotion de la communauté juive poussait certains à quitter des instances de dialogue judéo-chrétien. Chez les catholiques, l’agitation n’était pas moindre. Dans le Monde, l’intellectuel Matthieu Grimpret signait une tribune disant sa « honte d’être catholique » (lire aussi en page 26). On le retrouvait au bas d’une pétition lancée par l’hebdomadaire catholique la Vie, intitulée “Pas de négationnistes dans l’Église !”, parmi les signatures de René Girard, Jean-Claude Guillebaud ou Jacques Delors. À Rome, l’opposition au pape relevait la tête. Même le gouvernement s’en mêlait, son porte-parole, Luc Chatel, se déclarant « pas sûr que cette réintégration [sic] soit la meilleure chose pour l’Église ». L’une des nombreuses confusions d’une affaire – volontairement ? – embrouillée. Tentons quelques éclaircissements.
Les lefebvristes sont-ils “réintégrés” ?
Pas encore. Les prêtres de la Fraternité Saint-Pie-X sont toujours “sus­pens”, les quatre évê­ques sans statut canonique. Rome et la Fraternité divergent sur la marche à suivre, Rome souhaitant d’abord parvenir à un accord juridique, la Frater­nité demandant des né­gociations doc­trinales préa­la­bles, que l’ab­bé Celier, l’une de ses têtes pensantes, voit durer « peut-être vingt ans ». Vatican II est-il bradé ?
Benoît XVI l’a répété à d’innom­brables reprises : le Concile reste pour lui une irremplaçable « boussole ». Mais, comme il l’a expliqué le 22 dé­cembre 2005, un faux “esprit du Concile” l’a trop longtemps vu comme une rupture, interprétation à laquelle Benoît XVI a entrepris de substituer une « herméneutique de la continuité ». C’est dans cet esprit que les anciens lefebvristes de l’Institut du Bon-Pasteur ont reçu mission du pape, en 2006, d’une « critique sérieuse et constructive » des points du Concile qui font difficulté. C’est dans cet esprit, sous la lumière de la Tradition, que Rome voudrait faire relire le Concile à la Fraternité. Rome a-t-elle des indulgences négationnistes ?
C’est la confusion voulue par les adversaires du pape, et par la pétition de la Vie, qui l’entretient tout en faisant mine de la dénoncer, selon l’écrivain catholique Gérard Leclerc, qui a refusé de la signer. Rien n’y fera, pas même la nouvelle dénonciation de la Shoah par le pape le 28 janvier, redisant sa « pleine et indiscutable solidarité » avec les juifs. Une confusion qui ­ch­oisit d’ignorer que la levée de l’excommunication ne concerne que les sacres épiscopaux pour laquelle elle avait été prononcée, et non tout ce que les impétrants ont pu dire ou faire par ailleurs. Mgr Williamson est-il représentatif des lefebvristes ?
Ce prélat provocateur, qui se présente dans son blog, dessin à l’appui, comme un “dinoscopus”, un évêque dinosaure, est en réalité marginalisé au sein de la Fraternité et en guerre froide avec son supérieur, Mgr Fellay, dont il est le principal opposant. Ce dernier a immédiatement condamné ses propos, qui ont semé la consternation au sein même de la Fraternité. Dans une interview à paraître dans Famille chrétienne, Mgr Fellay condamne tout antisémitisme, reprenant à son compte les propos de Pie XI : « Spirituellement, nous sommes des sémites. » Le pape a-t-il sacrifié l’œcuménisme au traditionalisme ?
Au contraire, Benoît XVI, depuis son élection, a progressé sur les deux fronts comme jamais auparavant. Accord avec les méthodistes, en 2006, sur la justification par la foi, accord avec les orthodoxes sur la primauté pontificale en 2007, prochain retour au bercail catholique de centaines de milliers d’anglicans : pour le pape, un recentrage sur la Tradition favorise une plus grande netteté du dialogue et est facteur d’unité, pas de division. C’est son pari, qui voit bien plus loin que les turbulences médiatiques présentes. Le 10 février à 21 h 30 sur la chaîne Histoire, Laurent Dandrieu débattra sur la levée des excommunications avec Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction de La Vie.