2 février 2009





Le réveil des catholiques
Jean-Pierre Denis - 02.02.09 - lemonde.fr
Un évêque négationniste peut-il être réintégré dans l'Eglise catholique ? En théorie, oui, puisque ses opinions, même les moins défendables, ne font pas de lui un hérétique. Moralement, non. Surtout si l'on en juge par l'émotion suscitée par les propos tenus par Mgr Williamson à la télévision suédoise, le 22 janvier. Une émotion considérable en France, où cinquante intellectuels catholiques, dont trois académiciens, ont signé dans La Vie un appel contre sa réintégration. Ce qui est devenu l'"affaire Williamson" intervient comme un révélateur. Depuis la fin des années 1960, l'Eglise est travaillée par un mouvement centrifuge d'une violence symbolique inouïe, que contient à grand-peine son système institutionnel, la papauté. Ce mouvement s'est traduit par un schisme (ultraminoritaire) et par une apostasie (massive). Le schisme intervient à droite : c'est la sécession, à partir de 1988, des disciples de Mgr Lefebvre, ceux-là mêmes dont Benoît XVI vient de lever l'excommunication fulminée par Jean Paul II.
Leur mouvement pèse moins qu'on ne veut le croire : 500 prêtres dans le monde, contre plus de 400 000 dans l'Eglise officielle. Mais, symboliquement, il charrie davantage, car il est lié à toute la tradition antirévolutionnaire et antimoderniste française. L'apostasie survient sur la gauche : c'est la fuite massive de fidèles déçus à la fois par l'encyclique Humanae vitae sur la contraception ou par certaines espérances utopiques d'un concile vu comme le grand soir du christianisme progressiste. Fuite douce ou amère, crise de la transmission, ralliement à la sécularisation... de ce côté non plus, le tableau n'est pas réjouissant.
Dans ce contexte, le délitement du catholicisme au sein de sociétés toujours moins réceptives à ses valeurs et à ses dogmes semble inéluctable. Or, ce que l'affaire Williamson révèle, c'est peut-être le contraire : une cohérence plus manifestée, quoique encore douloureuse. D'abord l'attachement des "déçus de gauche" (la génération 1968) à une religion que nombre d'entre eux ne cessent de critiquer depuis des décennies sans pouvoir ni vouloir s'en détacher complètement : c'est ce "je t'aime - moi non plus" que murmurent avec une troublante clarté les milliers de messages laissés sur Lavie. fr en soutien à la déclaration des intellectuels catholiques. Ensuite, la volonté de retour sincère des franges non politisées des traditionalistes, celles du moins qui se distinguent de l'extrême droite et qui poursuivent une quête spirituelle authentique.
Enfin, on peut noter le début d'une recomposition idéologique assez inattendue pour les analystes extérieurs, mais que l'on sent bien quand on observe depuis l'intérieur la planète catholique. D'un côté, la religion de la sortie de la religion chère à Marcel Gauchet, avec ses degrés divers : de l'indifférence à l'attachement "light", voire à ce que certains appellent "un christianisme de cafétéria", où chacun prend ce qu'il veut, quand il veut, comme il veut. On demeure ici dans la crise générale des institutions. De l'autre, un catholicisme réidentifié, rasant moins les murs, critique vis-à-vis de notre société... et se découvrant aussi, par-dessus ses courants longtemps antagonistes, des convergences essentielles. L'affaire Williamson a pu ainsi réunir pour la première fois dans une expression commune des militants attachés à la dimension sociale de l'Evangile, des intellectuels de la sphère lustigérienne, des proches de la doctrine Ratzinger, et une nouvelle génération de philosophes trentenaires, assumant en bloc et sans états d'âme leur fidélité, cette appartenance qui, dans notre société, peut friser la dissidence.
Le catholicisme français semble ainsi être en train de devenir pleinement adulte : ni construit en révolte ni confit en dévotion face à la figure du père, il assume plus aisément qu'il y a dix ans non seulement son christianisme, mais encore sa catholicité. Dans cette perspective, on peut souligner la profondeur spirituelle et intellectuelle, la portée universelle du discours de Benoît XVI aux Bernardins (septembre 2008) sans s'aveugler sur les dysfonctionnements politiques du pontificat. La voix retrouvée des intellectuels apparaît alors comme fondatrice d'un nouveau catholicisme, enfin désinhibé.

Jean-Pierre Denis est directeur de la rédaction du magazine La Vie