4 février 2009





Benoît XVI et les évêques intégristes : l'art de déplaire
04.02.09 - Stéphanie Le Bars - lemonde.fr
A la tête de l'Eglise catholique depuis bientôt quatre ans, le pape Benoît XVI poursuit sans aucun doute de nombreux objectifs spirituels, théologiques ou ecclésiaux, mais il en est un auquel il a depuis longtemps renoncé : plaire à ses contemporains. Sa décision de lever l'excommunication de quatre évêques intégristes au moment même où étaient portés sur la place publique les propos négationnistes de l'un d'entre eux illustre, une nouvelle fois, le fait que l'institution vaticane est une machine qui semble mettre un point d'honneur à s'abstraire des enjeux sociétaux, politiques ou médiatiques du moment. "Le pape n'est pas soumis tous les cinq ans au suffrage universel, il n'est pas en campagne électorale permanente", justifient ses défenseurs. Certes. Mais il est à la tête d'une communauté de plus d'un milliard de personnes, dont il peut difficilement ignorer les émois. Or une partie de cette communauté - notamment en Europe, et particulièrement en France et en Allemagne - est aujourd'hui troublée par la main qu'il tend à des catholiques schismatiques, jugés infréquentables autant pour leur rejet des acquis du concile Vatican II sur la liberté religieuse et le dialogue avec les autres confessions, que pour leur positionnement idéologique nourri d'une extrême droite confite dans son antisémitisme historique.
Tenaillés entre une foi qui les porte à la confiance envers leur Eglise et leurs convictions chrétiennes qu'ils jugent incompatibles avec les postures intégristes, nombre de catholiques s'interrogent sur les motivations du pape. Difficile en effet de comprendre les raisons pour lesquelles Benoît XVI prend le risque de ternir l'image d'une Eglise déjà mal en point en Europe, d'endommager des relations difficilement tissées depuis quarante ans avec les juifs et de faire fuir des fidèles lassés de se voir assimilés à un catholicisme rétrograde. Même si Benoît XVI considère que "l'Eglise est une barque qui prend l'eau de toutes parts", les dommages collatéraux paraissent immenses comparés au bénéfice supposé de la réintégration de quelque 150 000 ouailles et de centaines de prêtres de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X.
Parmi toutes les raisons avancées, certains voient dans la décision du pape la volonté quasi obsessionnelle de ce dernier de demeurer dans l'histoire et aux yeux de son Créateur comme celui qui sera parvenu à résorber un schisme. Benoît XVI, comme tout pape, voit l'Eglise comme un "corps mystique". L'enjeu premier est d'en reconstituer le tissu ecclésial. Dans cette optique intemporelle, l'unité des catholiques, aussi formelle soit-elle, n'aurait pas de prix. Le cardinal Ratzinger avait tenté dès 1988, l'année du schisme lefebvriste, d'éviter cette "blessure", convaincu que plus un schisme dure, plus la réconciliation est difficile.
Le pape fait aussi le pari, risqué, qu'"intégrer les intégristes" est possible, à condition qu'ils reconnaissent tous les acquis de Vatican II ou que, à tout le moins, ils adoptent, sur le sujet, un profil bas. Il s'appuie sur des précédents jugés fructueux, tels que la réintégration de l'abbé Philippe Laguérie, précédemment membre de la Fraternité, et désormais à la tête de l'Institut du Bon-Pasteur à Bordeaux.
Si Benoît XVI a toujours affirmé voir dans le concile Vatican II "une continuité" plus qu'une "rupture" avec la tradition de l'Eglise, sans doute peut-on lire aussi dans son désir de réhabiliter les intégristes une manière de souligner les limites du concile, et notamment l'un de ses buts affichés : la réconciliation entre l'Eglise et la modernité démocratique.
La peur qu'inspire à Benoît XVI la société moderne, son rejet de la "noirceur" du monde, sa proximité assumée avec le courant montant des catholiques identitaires et traditionalistes sur la sacralité des rites ou la primauté de la loi naturelle font de ce pape du XXIe siècle "un intransigeant tempéré", selon l'expression du sociologue des religions Philippe Portier. Ce que nombre de catholiques, pour ne pas parler de l'opinion publique dans son ensemble, analysent simplement comme une attitude de repli et d'enfermement sur soi. La libéralisation de la messe en latin, en 2007, fut déjà interprétée en ce sens, de même que le retour ostensible à des vêtements liturgiques d'un autre âge ou la nomination d'évêques "identitaires", à travers le monde.
Sur la forme, on a pu s'étonner de la "bourde" qu'aurait constitué cette annonce en termes de communication. Il paraît pourtant difficile de penser, comme certains veulent le faire croire, que le pape ne connaissait pas le fond culturel et idéologique sulfureux d'une partie des intégristes qu'il se dit prêt à accueillir, que son isolement au Vatican et son grand âge (82 ans en avril) l'empêcheraient de mesurer l'impact de ses décisions, que la curie qui l'environne et le conseille serait plus réactionnaire que lui-même...
Et si, en termes d'image, cette levée des excommunications peut être qualifiée de "Ratisbonne II" - allusion à la polémique soulevée par les propos de Benoît XVI lorsque, en septembre 2006, il avait assimilé l'islam à la violence -, sur le fond elle est sans doute plus grave pour l'Eglise catholique par ce qu'elle dit de son évolution actuelle et, semble-t-il, inéluctable.
Stéphanie Le Bars (Service Europe-France)