25 octobre 2006

[Aletheia n°99] Les deux catéchismes de saint Pie X

Aletheia n°99 - 25 octobre 2006

• Alors qu’il était encore curé de Salzano (1867-1875), le futur saint Pie X a rédigé un premier catéchisme qui s’inspirait du catéchisme publié par son évêque, Mgr Zinelli. Il s’agissait de l’adaptation personnelle d’un texte public. Le catéchisme rédigé par don Sarto, composé de 577 questions et réponses, est resté manuscrit jusqu’à sa publication, il y a une vingtaine d’années[1].

• Devenu pape, il fait publier, en 1905, un Abrégé de la doctrine chrétienne prescrit par S.S. le pape Pie X pour les diocèses de la province de Rome.

Ce catéchisme est issu du Compendio della Dottrina Cristiana ad uso delle diocesi del Piemonte, della Lombardia e della Liguria publié en 1896. Ce Compendio lui-même s’inspirait largement d’un catéchisme publié, en 1756, dans le diocèse de Mondovi par Mgr Casati (d’où son nom de Catechismo del Casati).

C’est cet Abrégé de la Doctrine chrétienne de 1905 qui a été réédité en 1967 par Jean Madiran, dans Itinéraires, sous le titre de Catéchisme de S. Pie X . En pleine crise des catéchismes, dans « la pénurie et le désarroi » de ces années d’après-concile, cette édition a nourri la foi d’innombrables familles, écoles et communautés. Elle a connu, jusqu’à aujourd’hui, plusieurs rééditions chez différents éditeurs.

• Saint Pie X, pourtant, n’était pas entièrement satisfait de cet Abrégé de 1905. Il le trouvait trop long (plus de 1500 questions et réponses si l’on prend en compte ses diverses parties). Le Pape voulait un catéchisme « beaucoup plus bref et plus adapté aux exigences actuelles »[2].

Dès 1909, il créa une Commission chargée de préparer un nouveau catéchisme. Cette Commission restreinte – elle ne comptait que trois membres – fut présidée par le P. Pietro Benedetti, des Missionnaires du Sacré-Cœur de Jésus ; Procureur général de sa congrégation, le P. Benedetti était aussi consulteur de la Congrégation consistoriale et consulteur de la Congrégation des Séminaires.

En deux ans, cinq versions successives furent rédigées et examinées par le Pape. En novembre 1911, un premier texte complet fut envoyé à une cinquantaine de cardinaux, d’évêques et de prélats italiens.

Il fut tenu compte des observations envoyées. Un nouveau texte fut mis au point, plusieurs fois corrigé encore et finalement promulgué en octobre 1912 sous le titre de Catéchisme de la Doctrine chrétienne publié par ordre de S.S. le Pape Pie X.

Plus court (433 questions et réponses), il est aussi structuré différemment, avec un plan plus simple (trois parties au lieu de cinq) et plus cohérent :

Abrégé de 1905:
1ère partie : Le Symbole des Apôtres
2e partie : La prière
3e partie : Les commandements
4e partie : Les sacrements
5e partie : Les vertus et les péchés

Catéchisme de 1912:
1ère partie : Les principales vérités de la Foi
2e partie : La morale chrétienne (commandements et vertus)
3e partie : Les moyens de la grâce (sacrements et prière)

La rédaction des réponses est, elle aussi, d’une édition à l’autre, plus simple, plus claire. On y retrouve davantage, disent les prêtres qui utilisent le Catéchisme de 1912, la limpidité de la terminologie thomiste.

Un seul exemple suffira : la réponse à la question « Qu’est-ce que l’Eucharistie ? ».

Abrégé de 1905: L’Eucharistie est un sacrement qui, par l’admirable changement de toute la substance du pain au Corps de Jésus-Christ et de celle du vin en son Sang précieux, contient vraiment, réellement et substantiellement le Corps, le Sang, l’Âme et la Divinité de Jésus-Christ Notre-Seigneur, sous les espèces du pain et du vin, pour être notre nourriture spirituelle.

Catéchisme de 1912: L’Eucharistie est un sacrement qui, sous les apparences du pain et du vin, contient réellement le Corps, le Sang, l’Âme et la Divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ pour être la nourriture des âmes.

Le Catéchisme de 1912 a été prescrit par s. Pie X, comme obligatoire, pour le diocèse de Rome et pour les diocèses de la province ecclésiastique de Rome. Il interdisait « que l’on y suive désormais un autre texte dans l’enseignement catéchistique ».

Pour les autres diocèses d’Italie, s. Pie X émettait le « vœu » que le Catéchisme « y soit pareillement adopté ». Chaque évêque d’Italie reçut un exemplaire de la part du Pape. En Italie, ce Catéchisme de 1912 resta très largement utilisé jusqu’aux années 1960 (mais le Libreria Editrice Vaticana ne le réédita plus après 1959).

Ce Catéchisme a connu deux traductions françaises en 1913 : à Paris, par la Maison de la Bonne Presse, et à Annecy. Il a été réédité en 2003 par les Publications du « Courrier de Rome ».

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Frère Roger « grand-maître franc-maçon »
Une erreur de lecture d’Avrillé

La dernière livraison de la revue trimestrielle des religieux installés à Avrillé[3] reproduit la diatribe anti-Benoît XVI lancée il y a huit mois, déjà, par deux revues américaines traditionalistes. Les religieux d’Avrillé en concluent à « l’impossibilité, dans l’état actuel des choses, d’un accord » entre Rome et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X[4].

Cette diatribe traditionaliste nord-américaine avait été traduite à la demande d’un groupe sédévacantiste français et diffusée sur leur site internet (Virgo-Maria.org), le 13 mars dernier, avant d’être reprise par le site tradi-œcuméniste qien.free.fr .

Les religieux d’Avrillé reproduisent cette traduction, avec quelques modifications, et en ajoutant quelques notes infrapaginales.

La note ajoutée la plus abondante (la note 10) est relative à frère Roger Schutz et à la question de sa catholicité. Rapportant, au bout de trois mois, l’information parue ici le 1er août, les religieux d’Avrillé en contestant la réalité[5].

Les religieux d’Avrillé apportent un argument tout à fait nouveau :

« … ajoutons que le frère Roger Schutz était aussi “grand-maître franc-maçon“ : l’information, cette fois, est publique, car parue dans Le Monde du 13 janvier 1996 (article de Régis Debray ”la culture de l’imbroglio ”). »

L’information, passée inaperçue, est considérable. Les religieux d’Avrillé, experts en « conjuration anti-chrétienne », savent sans doute ce qu’est un « grand-maître » dans la franc-maçonnerie : c’est le « Président d’une Obédience maçonnique ».

Roger Schutz n’aurait donc pas été seulement le fondateur de la Communauté protestante de Taizé mais aussi le « grand-maître » d’une obédience maçonnique qui resterait à déterminer.

Les religieux d’Avrillé donnent une référence précise à la nouvelle qu’ils répandent : un article paru dans le journal qui se prétend le « quotidien de référence » français.

L’article en question est paru le 13 janvier 1996. Depuis dix ans, cette information, très importante, aurait donc échappé à tous ceux qui s’intéressent à l’œcuménisme, à la franc-maçonnerie, à la crise de l’Eglise, etc.

Or, si l’on se reporte à l’article de Régis Debray cité en référence, on lit tout autre chose que ce qu’ont cru comprendre les religieux d’Avrillé.

Régis Debray, dans un long portrait de François Mitterrand, exposait avec quel art l’ancien Président de la république savait entretenir des relations très diverses et s’en servir.

Citons le texte :

« Quand une vie a pris en nœud tant de fils électriques, chaque faux pas vous met à la merci d’un court-circuit. Il faut à la fois relier et isoler – isoler au départ pour pouvoir recombiner les fils, à la sortie. La devise d’un pareil méli-mélo, c’est ”diviser pour survivre” ; complaire vient après ; régner, ce sera cadeau. Si Badinter rencontre Bousquet à déjeuner, Omar Bongo Mère Teresa au salon, ou le grand-maître franc-maçon Frère Roger de Taizé dans le vestibule, c’est le pataquès. Le patron doit avoir tous ces fers au feu, car chacun a sa compétence et aura, ou aura eu, sa circonstance. Pour que tous aient part au jeu, chaque pion doit pouvoir se convaincre qu’il est le chouchou du joueur d’échecs, le seul à détenir la vraie pensée du règne. »

On voit, par le texte, que les religieux d’Avrillé commettent un contre-sens énorme en prenant « grand-maître franc-maçon » pour un qualificatif de « Frère Roger de Taizé », alors qu’il ne s’agit que de ce qu’on appelle en rhétorique une figure de pensée, une hypotypose.

On comprend l’image : quel « pataquès » si dans l’antichambre du bureau présidentiel le grand-maître d’une obédience maçonnique avait croisé Frère Roger de Taizé ou si, dans le salon, Omar Bongo, le président gabonais converti à l’islam, avait croisé Mère Teresa, la « sainte » de Calcutta.

Régis Debray ne dit aucunement que Frère Roger était « grand-maître franc-maçon » , ou franc-maçon tout court. Les religieux d’Avrillé rectifieront-ils dans le prochain numéro de leur revue ?

On peut porter un regard critique sur l’itinéraire de frère Roger. Un catholique doit regretter l’ambiguïté qui a mené celui-ci à la communion catholique. Mais il n’est pas besoin d’affabuler sur son cas par une erreur de lecture.

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La messe de saint Pie V

À l’heure où un motu proprio romain est attendu qui libèrerait davantage, sinon complètement, l’usage du missel traditionnel, et même si à long terme (d’ici quelques décennies), une union des deux rites – traditionnel et montinien – se fera (c’est la pensée véritable de Benoît XVI), on tirera grand profit à lire l’ouvrage posthume du P. de Chivré (1902-1984).

En 1994, au 10e anniversaire de sa mort, Eric Bertinat et l’abbé Michel Simoulin consacraient au P. de Chivré un grand album de témoignages, de photos et de textes spirituels[6]. Aujourd’hui, l’abbé Simoulin publie le texte de 16 conférences sur la messe que le P. de Chivré avait données à Versailles et à Paris dans les années 1968-1970[7].

On ne résumera pas ces belles conférences du P. de Chivré. D’un style non classique et d’une grande originalité de pensée, ses exposés étaient autant des méditations destinées à entraîner les âmes vers le mystère que des exposés théologiques. On ne citera qu’un extrait de la première conférence (« La Messe est une activité ») pour donner envie d’aller lire la suite :

Le Christ est avant tout Action Créatrice. Dans ses miracles, Il restaure ce que la création première avait perdu, en y remettant ce à quoi elle a droit : la santé, la vie, la joie, la quantité nécessaire…, etc.

On peut dire de la Messe qu’elle fut Son suprême miracle, c’est-à-dire le miracle logique par rapport à tous les autres :

- D’abord, logique de plénitude : il ne s’agit pas de Sa propre personne.

- Ensuite, logique de réussite : il ne s’agit pas d’un résultat passager.

- Ensuite, logique de puissance : il est universel dans ses effets.

Cette logique termine une série inouïe d’affirmations sur la matière, jusqu’à passer de la transformation des apparences à la transformation de la substance matérielle en substance divine.

Yves Chiron

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[1] Catechismo di don Giuseppe Sarto Arciprete di Salzano, Cancelleria della Curia Vescovile di Treviso, 1985.

[2] Lettre au cardinal Merry Del Val, le 18 octobre 1912.

[3] Le Sel de la terre, (Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, 49240 Avrillé) n° 58, automne 2006, 15 euros le numéro.

[4] Rappelons que la position officielle de la FSSPX est différente. Un « accord » est possible avec Rome, dit le Supérieur du district de France de la FSSPX, par étapes et à certaines conditions :

– obtention des deux préalables que sont le retrait du décret des excommunications et la liberté pour tout prêtre de célébrer la messe de Saint-Pie V,

– résolution des questions doctrinales,

– recherche de la solution canonique la plus adaptée. (Communiqué du 3 avril 2006).

[5] Sur la controverse qui a suivi l’information d’Aletheia relayée par le Monde, l’article le plus complet et le plus objectif est celui de Savinien de Savigny, « ”Frère Roger” était-il catholique ? », qui vient de paraître dans Lectures françaises (D.P.F., B.P. 1, 86190 Chiré-en-Montreuil), n° 594, octobre 2006, 6,50 euros le numéro.

[6] Le R.P. de Chivré, frère prêcheur. Un père spirituel pour le XXe siècle, Les Cahiers du journal Controverses, n° 2, 1994, 80 pages.

[7] R.P. de Chivré, La Messe de saint Pie V. Commentaires théologiques et spirituels, Touraine Micro Edition (Le Gros Chêne, 37460 Chemillé-sur-Indrois), 222 pages, 22 euros (port compris).