28 octobre 2006

Les dessous de la querelle liturgique
28 octobre 2006 - Christian Terras, Romano Libero - Golias - golias.ouvaton.org
Les dessous de la querelle liturgique Christian Terras, Romano Libero, 28 octobre 2006
La libéralisation de la messe de Saint Pie V relève de l’arbre qui cache la forêt. En effet, loin de se réduire à n’être qu’une banale querelle de lutrin, le conflit des rites engage, en profondeur, non seulement toute une vision de la messe mais encore toute une conception de Dieu et de l’homme, du rapport entre eux. Sur ce point là comme sur beaucoup d’autres, une question particulière, loin de relever purement et simplement du goût des uns et des autres, exprime à sa façon un enjeu très profond et véritablement décisif. On peut volontiers parler d’une conception d’ensemble du christianisme. En opposition frontale avec l’esprit de tolérance et de libéralisme des lumières.
IL faut se souvenir qu’au début, Mgr Marcel Lefebvre lui-même était résigné à accepter le nouveau rite, tout comme le cardinal Alfredo Ottaviani, qui au début avait exprimé ses réserves. C’est le philosophe Jean Madiran qui avait critiqué la nouvelle, Dom Guillou et quelques autres. Le contexte de l’opposition virulente n’a donc rien de purement secondaire. La messe ancienne sert de drapeau, de point de ralliement pour tous ceux qui refusent les idées acceptées au Concile. En outre, des nostalgies de type affectif ou esthétique ont pu alors conquérir des fidèles qui sur le fond étaient moins radicaux.
Il faut donc bien comprendre que le combat que nous menons ici n’est pas simplement lié au rite de Saint Pie V en lui-même. Après tout, chacun n’est-il pas libre de cultiver tel ou tel goût, telle ou telle préférence ? En leur temps, Yves Congar et Hans Küng se prononcèrent bien pour la libéralisation de la liturgie tridentine, non par attachement envers elle, mais pour être cohérent jusqu’au bout avec le libéralisme. Certes, la théologie de l’ancienne messe, ignorant l’assemblée et la dimension de repas nous semble-t-elle surannée et déséquilibrée. En même temps, c’est surtout l’ensemble d’une vision de Dieu et de l’homme sous-jacente à la revendication traditionaliste qui nous dérange profondément. Il s’agit bien de rester fidèle à l’élan imprimé par le Concile Vatican II. Comme le dit Mgr André Lacrampe, archevêque de Besançon : "Vatican II, c’est aussi la tradition, je ne veux pas faire l’économie de ce texte".
Autour de la liturgie se joue toute une vision des choses, très large. Comme le note, Jean Rigal, théologien : "la liturgie, outre le fait qu’elle touche au visuel, au sentiment, à l’habitude, engage aussi toute une conception de l’Église et des ministères. Cela ne veut évidemment pas dire la même chose si le prêtre seul fait les lectures bibliques ou si des laïcs le font aussi. Ce n’est pas non plus la même chose s’il n’y a que des hommes qui distribuent la communion ou s’il y a aussi des femmes. Voilà pourquoi les polémiques autour de la liturgie sont souvent bien plus profondes qu’elles n’en ont l’air".
Pour situer l’engagement de Golias dans cette affaire, il me semble judicieux de reprendre à notre compte les excellentes réflexions de catholiques bordelais ; "est-il besoin de le préciser, ce n’est pas la messe en latin qui nous importe. Cette pratique camoufle mal les visées politiques fondamentalistes de ce groupe. C’est bien contre les dangers de l’intégrisme - qu(il soit d’ailleurs catholique, juif, musulman ou autre - que nous nous levons (....)La Fraternité Saint Pie X, excommuniée par le Pape en 1988, se manifeste par un attachement à des valeurs antidémocratiques, par sa haine de la laïcité, des Droits de l’homme et par une vision archaïque de la société (homophobie, vision rétrograde du rôle des femmes, dressage éducatif, opposition à la contraception, etc...). Elle soutient les commandos IBG ainsi que des mouvements de jeunesse paramilitaires comme celui de l’abbé Cottard, reconnu coupable de la mort de 5 personnes en 1999".
Il y a certainement une réelle différence entre les revendications traditionalistes françaises et les revendications étrangères, par exemple américaines ou allemandes. Dans le premier cas, l’aspect philosophique et idéologique se double d’une dimension politique très extrémiste, souvent polémique. La situation de l’abbaye du Barroux est emblématique à cet égard. On se souvient des sympathies de Mgr Lefebvre et de ses épigones pour le front national, du soutien accordé à Paul Touvier, de la nostalgie du régime de Vichy. Cet aspect de la question ne saurait être occulté. L’idéologie intégriste consiste bel et bien en une mixte de conservatisme religieux et de fascisme. L’abbé Laguérie rendit un hommage très remarqué à Paul Touvier en l’Église Saint Nicolas du Chardonnet. Il suffit de se rendre à la sortie d’une messe en ce lieu redoutable de l’intégrisme catholique pour entendre les commentaires haineux des assistants contre les juifs ou les francs maçons. Le quotidien "Présent", fondé et toujours dirigé par Jean Madiran, un octogénaire toujours hargneux, juxtapose les positions traditionalistes en matière liturgique et les invectives homophobes. Certes, Rome a quelque excuse d’être moins sensible à la spécificité française. En même temps, des hommes comme Mgr Martin Viviès, le prélat français de la Congrégation du clergé qui a beaucoup suivi le dossier devrait être plus conscient des ambiguïtés d’un mouvement " d’abord politique" peut-être, pour évoquer un slogan de Charles Maurras.
Il nous parait donc essentiel, sans oublier de traiter de la question liturgique en tant que telle, de discerner les enjeux idéologiques, anthropologiques et politiques qui se cachent derrière elle. Ce jeudi 26 février s’ouvre un colloque de prestige à l’Institut catholique de Paris. Des vêpres solennelles présidées par le cardinal Francis Arinze marquent la première soirée avec un prélat en chape, une sacralité somptueuse et une bénédiction à l’ancienne, en latin. Nous voulons simplement noter là un fait facile à constater par tous : une sensibilité liturgique classique et traditionnelle peut sans difficulté trouver son compte dans l’Église dite conciliaire. La dissidence intégriste s’origine donc bien ailleurs : en une vision idéologique perverse du catholicisme, politisée. La pente naturellement intransigeante du catholicisme y est alors poussée jusqu’à l’extrême. C’est à la lumière de ces enjeux d’ensemble que nous pouvons mieux comprendre les tenants et les aboutissants d’une affaire qui n’a rien d’anecdotique. Au contraire. Le dossier qui va suivre entend toujours se référer à cet angle de vue général. Il comprendra les articles suivants :
* les critiques intégristes adressées à la nouvelle liturgie * l’indult : histoire d’une complaisance * le vrai visage de l’abbé Laguérie * réactions et silences en face d’une réconciliation bien douteuse ; * les intégristes et Paul Touvier ; * grandes tensions au sein de la famille traditionaliste ; la Fraternité Saint Pierre secouée