Les évolutions sur la liturgie inquiètent l'Église de France |
26 octobre 2006 - Jean-Marie Guenois - La Croix - la-croix.com |
Les évolutions sur la liturgie inquiètent l'Église de France Jeudi 26 octobre, l’ouverture du 50e anniversaire de l’Institut supérieur de liturgie à Paris a été l’occasion de nourrir au plus haut niveau le vif débat théologique en cours sur la réforme de la liturgie La scène liturgique s’agite et l’Église de France est au premier rang. À Rome jeudi 26 octobre, le président de la conférence des évêques, le cardinal Jean-Pierre Ricard était reçu en tête à tête par Benoît XVI. L’archevêque de Bordeaux venait lui faire part des inquiétudes qui traversent les communautés de l’Hexagone de voir une exception se transformer en règle où tout prêtre aurait désormais le droit de célébrer la messe selon le rite dit de saint Pie V. Comme il est d’usage, rien n’a filtré de ce rendez-vous, sinon qu’il a été question de « la situation française », mais lundi dernier, le cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris – pourtant sous le poids d’un lourd traitement médical – avait été reçu, notamment pour la même raison, par le pape. Actualité liturgique dense et épineuse qui a donné un relief inattendu à un colloque ouvert jeudi 26 octobre après-midi à Paris cette fois, dans les locaux de l’Institut catholique. Il s’agissait de célébrer le 50e anniversaire de l’Institut supérieur de liturgie. À huit jours de la session d’automne de la Conférence des évêques, cette rencontre prévue de longue date – où les inscriptions notamment épiscopales ont d’ailleurs subitement afflué – devient, involontairement et jusqu’à samedi, le théâtre des discussions liturgiques en cours. Involontairement car son organisateur, le P. Patrick Prétot, directeur de l’Institut de liturgie, est le premier à vouloir calmer le jeu. Il insiste en effet pour ne pas considérer « les rumeurs qui circulent comme des décisions ». Ce qui est annoncé, explique-t-il, « ne correspond pas à une réforme de la messe », ni à «un retour de l’ancienne liturgie» car « il n’est aucunement envisagé d’effacer l’œuvre de réforme liturgique accomplie à la suite de Vatican II ». "Craintes et questions des évêques" S’il ne sous-estime pas « l’impact psychologique » et la « tension délicate » qui suivraient une telle évolution dans les communautés, – Mgr Robert Le Gall, archevêque de Toulouse, a même parlé dans sa conférence des « craintes et des questions » des évêques –, cet expert précise : « Au cas où il s’avérerait qu’une telle décision soit prise, il faudrait donc trouver des moyens de régulation permettant aux évêques de jouer le rôle que leur attribuent les textes de Vatican II et le code de droit canonique. En d’autres termes, les rumeurs que nous connaissons sont beaucoup moins importantes que les conditions d’application qui accompagneraient une telle mesure, des conditions sur lesquelles nous ne connaissons absolument rien. » Il n’empêche, les interrogations comme les commentaires allaient bon train dans les couloirs de l’institut de la rue d’Assas. Et ce n’est pas la conférence introductive – littéralement ovationnée – jeudi après-midi, du chancelier de l’Institut catholique de Paris en titre, l’archevêque Mgr André Vingt-Trois, qui allait étouffer le débat puisqu’il a justement saisi cette occasion pour y apporter sa pierre. Saluant « la belle aventure de l’Institut supérieur de liturgie » et lui exprimant au nom de tous les évêques « sa reconnaissance », il a abordé de front la question de la réforme liturgique dans l’Église : « Les exagérations ou les maladresses qui ont accompagné sa mise en œuvre ne doivent pas dissimuler son enjeu, a-t-il lancé. La question primordiale n’est pas la question de la langue utilisée, mais la question de la légitimité de l’Église à décider des modalités de sa liturgie. Qui peut fixer les lectures autorisées ? Qui peut définir le calendrier liturgique ? Qui arrête les fêtes à célébrer, les saints à honorer, etc. ? Quelle est, à cet égard, la responsabilité de chaque évêque dans sa charge pastorale ? » Poursuivant son analyse, Mgr Vingt-Trois a constaté : « Chez nous, la liturgie a été instrumentalisée dans un débat d’un autre ordre. Sous certaines fantaisies ou certaines dérives liturgiques, on a pu reconnaître une autocélébration de l’assemblée elle-même substituée à la célébration de l’œuvre de Dieu, voire l’annonce d’un nouveau modèle d’Église. D’autre part, sous couvert de la mobilisation pour la défense d’une forme liturgique, c’est bien à une critique radicale du concile Vatican II que l’on a assisté, voire au rejet pur et simple de certaines de ses déclarations. Le refus des livres liturgiques régulièrement promulgués fut suivi de l’injure publique envers les papes et couronné par des faits de violence comme la prise de force d’une église paroissiale à Paris et une seconde tentative avortée de la part des mêmes auteurs. » Lutter contre l'ignorance Avant d’être liturgique, la question est, pour lui, celle du « sens de l’unité ecclésiale dans la communion avec le Siège de Pierre ». Elle pose « clairement la question de l’autorité d’un concile œcuménique et de ses déclarations votées par l’ensemble du collège épiscopal et promulguées par le premier des évêques, tête du collège ». L’enjeu est pour lui capital : « Si la controverse liturgique a joué aussi fortement ce rôle de paravent pour un autre débat, c’est bien parce que la liturgie est aussi un révélateur de l’expérience de la communion ecclésiale. Elle n’est pas un spectacle dont on pourrait critiquer à loisir le programme et la distribution et corriger les partitions. Elle est l’expression de la foi et de la communion de l’Église. » Venu spécialement de Rome, le cardinal Francis Arinze, d’origine africaine, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, tout en adressant « ses plus chaleureuses félicitations » à l’Institut, a placé sa vocation dans la lutte contre « l’ignorance », source à ses yeux des « abus liturgiques ». « Je ne parle de la France, que je ne connais pas suffisamment », a-t-il précisé, mais ces abus ont conduit à « cette froideur, cet horizontalisme qui met l’homme au centre de l’action liturgique, et aussi parfois à ce maniérisme ouvertement égocentrique que nos assemblées du dimanche sont parfois obligées de subir ». Rappelant l’importance de l’art de célébrer, il a fustigé des homélies qui seraient marquées par « des considérations d’ordre sociologique, psychologique, ou dans un style encore pire, politique ». Il a surtout insisté sur le rôle central du prêtre : «Si on affaiblit le rôle du prêtre ou si on ne l’apprécie pas suffisamment, une communauté locale catholique peut dangereusement sombrer dans l’idée qu’il est possible d’envisager une communauté sans prêtre. Or une telle pensée n’est pas conforme avec la conception authentique de l’Église instituée par le Christ.» Tout l’enjeu pour lui est de « rejeter la banalisation, la désacralisation et la sécularisation dans la liturgie ». Jean-Marie GUENOIS |