21 octobre 2006

La guerre liturgique est déclarée
Rachad Armanios - 21 octobre 2006 - Le Courrier - lecourrier.ch
MESSE - Le pape pourrait libéraliser la messe dite «en latin». Une main tendue aux intégristes, disciples de feu Mgr Lefebvre. Mais pas seulement...

Le 10 octobre, les médias ont eu vent d'une information qui a secoué l'Eglise catholique: le pape préparerait pour novembre ou décembre un texte visant à libéraliser la messe tridentine1, dite «de saint Pie V» ou «en latin». Pour la célébrer, il n'y aurait plus besoin de l'autorisation spéciale de l'évêque local, comme c'est le cas depuis la publication d'un indult (faveur) en 1984, puis d'un motu proprio (décret papal) de Jean Paul II en 1988. Selon le texte annoncé (aussi un motu proprio), la messe tridentine coexisterait en tant que «rite universel extraordinaire» au côté du «rite ordinaire», dit de Paul VI et instauré à la suite du concile Vatican II. Dans le monde catholique, cette perspective a suscité de fortes oppositions. Des cardinaux ont fait état de leurs craintes d'une remise en question du concile. Surtout, cette main tendue à la Fraternité Saint-Pie X (FSSPX), fondée par feu Mgr Lefebvre, excommunié en 1988 et qui a fondé un séminaire à Ecône (VS), inquiète. Si la messe «en latin» devait être libéralisée, cela pourrait lever l'un des préalables à une réintégration des schismatiques. Depuis le début de son pontificat, Benoît XVI cherche en effet à recréer l'unité de l'Eglise et a rencontré deux fois Mgr Fellay, successeur de Mgr Lefebvre à la tête de la FSSPX.
L'autre préalable posé par les traditionalistes, est que l'Eglise revienne sur l'excommunication de quatre de leurs évêques. Rome, de son côté, demande une reconnaissance de Vatican II, dont les orientations en faveur de la liberté religieuse et de l'oecuménisme sont à l'origine du schisme. Ancrée sur une Eglise immuable, la Fraternité tient aussi en horreur le dialogue interreligieux, le «modernisme», les «manquements» à la discipline ou les «abus» liturgiques.


«L'Eglise est en crise»

«On ne se mettra pas à genoux», a prévenu Mgr Fellay2, lors d'une conférence donnée à Villepreux (France) le 14 octobre. Alors que le siège de la FSSPX, à Menzingen (Zoug), se refuse de commenter un texte encore hypothétique et autour duquel beaucoup d'inconnues demeurent, leur supérieur met en garde de ne voir que le geste dans la main tendue de Rome. Car, fondamentalement, «rien n'a changé. L'Eglise est en crise. Un accord est aujourd'hui impossible (...). C'est tout un monde depuis Vatican II qui a été effacé de la réalité et qu'il faut réintroduire.» Et d'exiger une «libération» de la messe «sans conditions». Bombant le torse, les lefebvristes font aussi la fine bouche: la coexistence de deux rites nous obligerait à nous barricader, craint Mgr Fellay.
Pour d'autres, dont la Conférence des évêques suisses, une telle coexistence ne devrait pas poser problème. Grégory Solari, directeur des éditions Ad Solem et fondateur à Genève d'une communauté célébrant le rite préconciliaire, souligne à son tour qu'«on peut aimer cette messe sans adhérer aux idées des intégristes». Le rite tridentin n'est pas la propriété des traditionalistes, insiste-t-il.


Réformer la réforme

Au sein de l'Eglise, ce rite a continué d'être célébré même après Vatican II, explique-t-il. Par des traditionalistes qui n'ont pas suivi Lefebvre, et par des gens, comme M. Solari, qui ont découvert une liturgie dans laquelle leur foi pouvait vraiment s'épanouir. Dans toutes les grandes villes, des communautés se sont formées autour du rite tridentin. «Malgré de bonnes relations avec les diocèses, elles ont malheureusement toujours été assimilées au mouvement de contestation lefebvriste.»
Reste que M. Solari juge sévèrement la messe conciliaire, s'appuyant sur un certain Joseph Ratzinger: «Il a toujours dit que la réforme liturgique avait été mal faite et imposée brutalement. A la tête de la Congrégation de la foi, il plaidait déjà pour une réforme de la réforme sur la base du rite tridentin. C'est que, à force d'adapter le mystère pour qu'il soit compris par les gens, on l'a édulcoré. Au bout du compte, il n'y a plus de mystère, c'est presque un cirque. A l'autre extrême, les lefebvristes, restés au XVIIIe et XIXe siècles, caricaturent la messe.»


«Un peu court»

Au sein de l'Eglise, comme le montre une enquête de Témoignage Chrétien du 5 octobre, des cercles se sentant pousser des ailes dénoncent les «dérives» de la liturgie conciliaire. Des «abus» – tel ou tel aspect de l'office négligé, un nombre de lectures erroné, le port ou non de la chasuble... – qui seraient responsables de la baisse de la pratique dans les pays occidentaux.
Un peu court, juge le prêtre strasbourgeois Marcel Metzger: avant, c'était la pression sociale, pas la liturgie, qui remplissait les églises, dit-il, pointant les évolutions socioculturelles. D'ailleurs: «Si l'on veut de la solennité, si l'on aime le hiératisme (formalisme religieux), on peut les trouver dans les célébrations conciliaires», dont ni le latin ni le grégorien ne sont forcément exclus.
«Pourquoi la liturgie tridentine, du moment qu'on accepte Vatican II, poserait-elle problème au sein de l'Eglise? rétorque Grégory Solari. Parce qu'on ne comprend plus le sens de la liturgie. Parce qu'on a perdu la foi!»
Qu'on ne s'y trompe pas: ces guerres liturgiques n'ont rien d'une affaire de virgules. Qu'une laïque puisse donner la communion remet en cause la cohérence du sacerdoce masculin, s'insurge par exemple Grégory Solari. Et interroge sur la place laissée ou non aux laïcs. Des questions de fond...


1 En référence au concile de Trente au milieu du XVIe siècle.
2 Voir www.dici.org/accueil.php