15 octobre 2006

"Il faut s’attendre à la réintroduction du rite de saint Pie V"
Entretien avec Michel Kubler, rédacteur en chef religieux du journal La Croix - Sophie de Villeneuve - octobre 2006 - croire.com
Beaucoup d’observateurs, durant la première année de son pontificat, ont reproché au pape son silence. Et voici qu’en l’espace de quelques mois, il se fait beaucoup entendre !
Et il se fait entendre sur des choses importantes. Il y a d’abord eu la rencontre des familles à Valence cet été, rencontre qui, pour moi, est un des signes majeurs du changement de pontificat . Benoît XVI n’a rien condamné, il a tenu un discours très positif . En Espagne, il a dit « oui » à la vie, « oui » à la famille » et aimerait sans doute que ces paroles là soient davantage entendues.
Puis, ensuite, il y a eu le malentendu ou le quiproquo de Ratisbonne, même si on ne sait pas jusqu’à quel point Benoît XVI a vraiment voulu parler de l’islam à la faveur d’un discours beaucoup plus général sur foi et raison. Ce qui est sûr c’est que si on prend au pied de la lettre son discours, on s’aperçoit qu’ il s’agit d’une réflexion de haut vol, très articulée, très aride, sérieuse…Comment savoir si, en choisissant ce fameux contre exemple , il n’ en a pas profité pour lâcher une petite torpille en direction des musulmans ?
A côté de ces discours, Benoît XVI a t-il pris les décisions que l’on attendait, en particulier celles concernant des changements au sein de la Curie ?
Oui. Il a changé de secrétaire d’état , son collaborateur le plus proche, et a choisi, pour succéder au cardinal Sodano, le cardinal Bertone. Ce dernier est un homme de confiance, avec lequel il espère avancer vite, car il sait que le temps lui est compté. Le cardinal Bertone n’est pas un diplomate, contrairement à l’usage. C’est un intellectuel, un moraliste qui sait aussi agir au niveau diplomatique. C’est lui qui, dans la controverse de Ratisbonne, a calmé le jeu en envoyant les nonces dans le monde entier visiter les chefs d’état pour expliquer les paroles du pape. C’est lui également qui a réuni l’ensemble des ambassadeurs de pays musulmans à Castegandolfo. Il a contribué grandement à calmer les choses . Mais cette nomination n’est pas la seule. Benoît XVI met en place à de nombreux postes "des gens à lui" Et il va continuer, à des postes qui lui semble sensibles, notamment pour la liturgie.
On sait combien Benoît XVI est attaché à la liturgie. Pourquoi ?
Benoît XVI porte depuis toujours ce souci. C’est une passion chez lui, qu’il partage d’ailleurs avec son frère, prêtre à Ratisbonne et qui prend racine loin dans le temps ! Après 1968, il a été choqué par la manière dont la réforme liturgique était mise en œuvre. Il a eu le sentiment que l’on transformait l’eucharistie en "casse-croûte fraternel" et que l’aspect sacrifice du Christ était gommé au profit du repas amical. Ce à quoi tous les théologiens de l’eucharistie répondront que c’est les deux à la fois ! L’eucharistie noue dans un même mystère celui du Jeudi saint et celui du Vendredi saint. Pas étonnant qu’une tension coexiste ! Dans les années 70, il est vrai que l’on a mis beaucoup l’accent sur la dimension conviviale de l’eucharistie. C’était plus « l’Eglise qui fait l’eucharistie que l’eucharistie qui fait l’Eglise » comme le disait le père de Lubac. Il est sûr que cette tension existera toujours !
Ce souci de la liturgie explique t-il la réintégration dans le diocèse de Bordeaux d’un groupuscule intégriste sous le nom de l’Institut du Bon Pasteur ?
Cette décision, qui date du 8 septembre dernier, a fait beaucoup de bruit. Mgr Ricard a du mal à faire accepter cela à son clergé et à son diocèse. Le siège de cette société dite apostolique et de droit pontifical n’a de compte à rendre qu’à Rome pour ses questions internes, mais dans l’exercice de son ministère elle relève de l’évêque du lieu. Mgr Ricard appelle donc ses diocésains à être accueillants et à avoir en même temps le souci de la charité et de la vérité. Il est vrai que Benoît XVI prend à rebrousse-poil un certain nombre de catholiques, aussi bien dans le clergé que parmi les fidèles.
Dans la lignée de cette décision, il faut s’attendre, on ne sait encore sous quelle forme ni à quelle échéance, à la réintroduction du rite de saint Pie V, le rite du concile de Trente. Ce rite serait réintroduit comme rite extraordinaire à côté de celui de Vatican II. Tout prêtre qui voudrait célébrer ce rite pourrait le faire sans autorisation spécifique de l’évêque. Aujourd’hui, célébrer selon le rite de saint Pie V est strictement réglementé. Les nouvelles dispositions que Benoît XVI aimerait rendre publiques, d’ici Noël sans doute, diraient que tout prêtre peut célébrer cette messe et que toute communauté y a droit.
Cette décision aura t-elle des conséquences sur la vie des communautés chrétiennes ?
On peut s’attendre à des tensions et il s’agira de voir comment ne pas faire éclater les communautés. Cette disposition instaure le bi-ritualisme dans l’Eglise catholique, ce qui n’est jamais très bon car cela instaure deux Eglises dans une. Cela aura en outre un gros impact dans des pays où il y a des communautés traditionalistes assez fortes : la France mais aussi l’Allemagne, la Suisse, la Belgique, l’Espagne, les Etats-Unis et une partie de l’Amérique Latine. Même si les groupes ne sont pas nombreux, ils sont agissants et savent faire du bruit. Ils vont crier victoire. Mais, encore une fois, il faut attendre quelle forme cette décision prendra.
Cette décision, si elle intervient, vous inquiète t-elle ?
Ce qui met mal à l’aise c’est que Benoît XVI conserve la même hantise que lorsqu’il était cardinal. Est ce vraiment en tant que pape , en ayant le souci de la communion dans l’Eglise, qu’il va promulguer une telle « réforme de la réforme » ? Va t-il agir en tant que théologien ou en tant que pasteur ? J’aimerais être sûr que la décision qu’il prendra soit dépassionnée et propre à ne pas raviver les passions dans l’Eglise. Autrement dit à ne pas faire plus de mal que de bien. Je nourris quelques craintes à ce sujet là.