SOURCE - Mgr Guerard des Lauriers - 12 avril 1979
“Monseigneur, nous ne voulons pas de cette paix”
« Monseigneur,
Vous précisez, dans cette lettre, quel pourrait être un protocole d’accord entre "Ecône" et "Rome" : Ecône que jusqu’à présent nous soutenons ; Rome à qui, en même temps que vous, nous résistons.
La loyauté qu’exige le service de la Vérité nous contraint de vous le déclarer : nous ne voulons pas de cette paix. Elle paraît être sage. Elle l’est en effet, comme Pilate voulut l’être. Jésus est déféré à Pilate, parce qu’il est censé avoir dit : « Je suis le Roi des Poldèves » Jean XIX, 21 ; alors que les Poldèves « n’ont pas d’autre roi que César » Jean XIX, 15.
En réalité, Jésus n’a pas à être soumis à Pilate pour une royauté « dont l’origine n’est pas de ce monde » Jean XVIII, 36. Et Jésus n’entend pas mourir pour conserver quoi que ce soit. Jésus entend ne mourir que pour « rendre témoignage à la Vérité » Jean XVIII, 35. Parce que Jésus «est la Vérité » Jean XIV, 6, quoiqu’il en paraisse, Pilate dépend de Jésus, non pas Jésus de Pilate. Excellence, vous soumettez la Messe au Pape, parce qu’elle trouble la célébration de la messe "innovée" (Paul VI dixit), comme Jésus troubla l’ordre pharisaïque «en enseignant dans toute la Judée » Luc XXIII, 5.
Or, EN RÉALITÉ, LA MESSE N’A PAS À ÊTRE SOUMISE AU PAPE, parce que le pape doit la respecter. Nous voulons, avec la grâce de Dieu, témoigner jusqu’au bout de la Vérité ; nous ne voulons pas d’une paix qui «diminue la Vérité » Psaume XI, 2.
Pilate use d’expédients pour sauver Jésus. Il échoue. Trois fois il échoue, afin de mettre providentiellement en évidence que témoigner de la Vérité n’est possible que dans l’absolue conformité à la Vérité.Pilate croit pouvoir s’en remettre à Hérode. Il est doublement joué : en escomptant que Jésus soit sauvé par qui voulait le faire mourir ; en «devenant l’ami d’Hérode » Luc XXIII, 12 : fausse unité, parce qu’unité contre Celui qui est la Vérité.
Monseigneur, vous vous en remettez au pape pour conserver la Messe. Et vous admettez qu’il puisse y avoir, dans l’Eglise, et inévitablement en fait dans la même église, la Messe qui est LA MESSE et la "messe innovée". Et vous escomptez que : « L’unité se retrouverait immédiatement au niveau de l’Evêque du lieu ».
Ainsi, l’unité de l’Eglise ne serait plus le rayonnement de l’unique Sacrifice «que le Christ a commis à son Epouse bien aimée » ? L’unité ne serait plus celle de «la Jérusalem céleste qui est libre et qui est notre mère » Gal IV, 26 ; elle se trouverait dégradée en juxtaposition sous la férule de l’inconditionnalité. Parodie de l’unité ! Sacrilège contre l’unité ! Monseigneur, nous ne voulons pas de cette paix, nous ne voulons pas de cette unité, qui seraient contraires à la Vérité, contraires à la sainteté de l’Eglise, contraires à la Liberté que seul donne l’Esprit de Vérité. Pilate, pour "sauver" Jésus, le compare à Barrabas (Marc XV,9). Comment Pilate, moquant la Justice dont il est censé être le représentant a-t-il pu compter qu’une foule indécise imposerait la justice à ceux qui la menaient ? Pilate ne put que se laver les mains (Matt. XXVII, 24).
Monseigneur, pour sauver la Messe qui est la Messe, vous la comparez à la messe "innovée", au nom de la Religion dont vous faites profession. Comment pouvez-vous compter qu’instruits par votre exemple les panurges aussi conciliants qu’oscillants qui vous suivent à moitié plutôt que la Vérité, vont restaurer le sens de la Religion vraie dans l’Eglise occupée par les "grands prêtres" du dieu de ? On ne soupe pas avec Satan. C’est l’enfer qui est pavé de ces bonnes intentions qui justifient le moyen par la fin, un mal certain par l’illusion du bien.
Monseigneur, nous ne voulons pas de cette paix qui sacrifie les exigences de la Religion « en Esprit et en Vérité » Jean IV, 23, aux éphémères satisfactions d’une possessive tranquillité.Pilate « n’a rien trouvé en Jésus qui méritât la mort » Luc XXIII, 15. C’est cependant bien « en faisant châtier Jésus » Luc, XXIII, 16, que Pilate escompte acheter aux Poldèves la libération de leur Prisonnier. L’ordre public vaut bien, n’est-ce pas, quelques coups de fouets, même immérités. Pilate échoue. Le seul résultat est que la Chair du Verbe incarné est déchirée, son Sang répandu, Lui-même humilié.
Monseigneur, s’il y avait dans l’Eglise, quod Deus avertat mais comme vous le souhaitez, la Messe qui est LA MESSE et la messe "innovée", les astucieuses consultations du "peuple de Dieu", chauffé à point et bien travaillé, tourneraient en dérision la Messe de la minorité. Le seul résultat serait que les pratiques sacrilèges fort répandues mais actuellement privées d’objet, auraient toute leur odieuse portée eu égard à la Présence réelle recouvrée. Monseigneur, y avez-vous songé ? La fausse sécurité, illusoirement fondée sur la soumission inconditionnelle à ceux qui ont tout fait pour détruire l’Eglise, devrait-elle donc être payée en infligeant au Christ crucifié l’achèvement d’une flagellation plus insolente qu’elle l’a jamais été ?
Monseigneur, nous ne voulons pas de cette paix qui serait chargée de tant de péchés. C’est à nous, à nous et non au Christ crucifié, qu’il incombe «d’achever » ( Col. I,24 ) ce dont, sans nous, la flagellation demeurerait privée. Monseigneur, votre protocole de paix donne le coup de grâce à la confiance qu’il ne nous est plus possible d’avoir en vous, ni pour la question de la Messe ni pour celle de l’ "autorité".
Vous avez célébré la "messe innovée", depuis le début d’avril 1969 jusqu’au 24 décembre 1970 .
Le 5 mai 1969, quelques amis qui vous vénéraient, dont faisait partie le signataire de ces lignes, étaient venus assister à la messe que vous célébriez à l’autel où repose la chasse de St Pie V, en la basilique romaine de Sainte Marie Majeure. Stupeur, scandale, douleur ! Sur le tombeau de St Pie V, c’est la "messe innovée" que vous avez célébrée ! A la sortie, sur le parvis, contraint par un questionnement à la fois respectueux et attristé, vous avez déclaré : « Si on voyait que Monseigneur Lefebvre célèbre la Messe traditionnelle, cela risquerait de scandaliser ».
"A ces mêmes amis, qui par vous encouragés travaillaient à l’élaboration du texte devenu ensuite la Lettre des Cardinaux BACCI et OTTAVIANI , vous avez donné de réconfortantes assurances : « Nous aurons six cents évêques ». Il y avait certes de quoi émouvoir le pape ! Or il n’y eut pas un seul évêque, pas un et même pas vous.
En fait, en réalité, vous étiez plus préoccupé de "ne pas scandaliser", que de défendre la Vérité. Nous nous prenons à craindre que votre lettre n°16 vous révèle inchangé.
Vous avez continué de célébrer la "messe innovée" à Fribourg, à Ecône. Les premiers espoirs cependant se concrétisaient : Bernard Tissier de Mallerais, Paul Aulagnier, Bernard Walz, trois autres. Le 24 décembre 1969, à la fin du repas de midi, le Père dominicain qui signe ces lignes et qui séjournait alors à Ecône, affectueusement ironisa :
« Monseigneur, il est dommage que, soutenant la Tradition, vous célébriez une dite "nouvelle messe" qui n’est pas la messe de la Tradition ». Cette simple observation mit littéralement le feu aux poudres. Les "six", tout votre vivant espoir, explosèrent. Chacun à sa façon, et tous ensemble, vous redirent la même chose : « comment fonder la fidélité à la Tradition, sur une "messe" qui a été "innovée" contre la Tradition ? » L’incident fut très véhément, et d’ailleurs très vite clos. Or, quoi qu’il en soit d’un lien causal qui relève du Saint Esprit et du for interne, en cette nuit du 24 au 25 décembre 1970, à la Messe de minuit, vous avez repris à la très grande joie de tous, le rite promulgué par saint Pie V.
Vous avez certainement suivi le Saint Esprit. Tout s’est passé comme si, hélas, vous aviez suivi vos troupes. Et, depuis lors, vous avez suivi la même tactique. Si vous ne souteniez la Messe traditionnelle, le Séminaire d’Ecône serait privé de finalité ; et ceux qui vous soutiennent se trouveraient dans l’obligation de vous déserter.
Mais jamais vous n’avez procédé sérieusement à un examen doctrinal de la "messe innovée". Vous en affirmez la validité, sans le justifier. Et vous avez donné des "consignes" dont nombre de fidèles et même de séminaristes formés à Ecône, ont pu tout tirer. Et voici que maintenant – tout cela n’est malheureusement que trop cohérent – vous admettez qu’il puisse y avoir, dans l’Eglise, Messe et messe. C’est l’œcuménisme "intra muros", le paroxysme du faux œcuménisme qui substitue une trompeuse union à la véritable unité, la soumission inconditionnelle à la Liberté normée par la Vérité.
Et pareillement, Monseigneur, vous admettez qu’il puisse y avoir une "interprétation traditionnelle de Vatican II", alors que vous avez écrit, Deo gratias et merci à vous, J’accuse le Concile.
Pourquoi refusez-vous d’énoncer clairement, au sujet de l’ "autorité", les principes auxquels renvoient inéluctablement vos judicieuses accusations ? alors qu’imitant à votre corps défendant les faux prophètes qui «conduisent dans la fosse » (Matt. XV, 14), vous annoncez une fausse paix suivie d’une fausse prospérité ! Il faut : soit se taire, soit parler. Et non pas, clamer l’erreur et taire la vérité. C’est avec une profonde douleur, croyez-le Monseigneur, que nous sommes obligés, en conscience, de vous le faire observer.
Nous ne pouvons plus vous faire confiance. Nous ne sommes pas "contre vous", et sommes encore "pour vous" ; nous ne pouvons plus "être avec vous". Vous comptez tout sauver par la Fraternité Saint Pie X ; toute l’Eglise, certes, vous saura gré de ce que vous avez fait. Mais, Monseigneur, vous promettez trop pour que ce soit vrai . Souvenez-vous des six cents évêques, dont vous n’avez pas été. Souvenez-vous que si, « le 5 mai 1975 vous avez tenu coûte que coûte [contre Rome] » ce fut en vous opposant à ceux sur qui maintenant vous pensez pouvoir vous appuyer, ceux dont vous êtes la victime parce que vous les suivez.
Nous ne pouvons plus, Monseigneur, "être avec vous".
Nous ne sommes "inconditionnels" que de la Vérité !
Jeudi Saint 12 avril 1979
M.L. Guérard des Lauriers o.p.
In memoriam :
pour un groupe de fidèles attachés à la Tradition
Jeudi Saint 3 avril 1969"