SOURCE - Abbé Angelo Citati, fsspx - Site du District D'Italie de la FSSPX - original paru en italien - 25 décembre 2017
La récente insertion dans le
Acta Apostolicæ Sedis, de la réponse du Pape François aux évêques de la région de Buenos Aires, dans laquelle le Souverain Pontife a loué l’interprétation que les Prélats argentins ont donné de l’exhortation post-synodale
Amoris lætitia, d’après laquelle ledit document autoriserait d’une manière définitive et sans équivoque la possibilité d’administrer le sacrement de l’Eucharistie aux divorcés remariés civilement fait actuellement couler beaucoup d’encre.
La lettre du Pontife a même été répertoriée sous le titre de « Magistère authentique ». Ce qui a poussé bon nombre de catholiques à se poser la question : mais suffit-il d’ajouter en marge d’un document, abstraction faite de son contenu, la qualification de « Magistère » pour qu’il le soit vraiment et s’impose ainsi comme règle prochaine de la foi à la conscience du catholique ?
Vu l’actualité du sujet, il ne sera pas inutile de rappeler quelques lignes rouges auxquelles il est bon de se conformer dans la crise actuelle dans l’Eglise, qui est en premier lieu une crise de l’autorité magistérielle.
1. Un sommet et deux extrêmes
Pour illustrer le fait que la vérité se trouve toujours entre deux extrêmes – non pas dans le sens communément considéré d’un point intermédiaire entre deux positions contraires – le père Réginald Garrigou-Lagrange, l’une de figures majeures du néothomisme du XXe siècle, a recours à une image des plus parlantes : celle du sommet d’une montagne qui se dresse au milieu des erreurs : « La vérité, dit le théologien dominicain, s’élève comme un sommet au milieu de ces deux extrêmes, qui représentent les déviations contraires de l’erreur ». [1]
L’image de Garrigou s’applique également dans notre cas. Le problème du Magistère peut en effet être résolu en ayant recours à deux positions extrêmes contraires, mais qui, comme nous allons le voir, comme toutes les thèses qui penchent trop d’un côté, finissent par avoir plusieurs points en commun.
2. L’extrême droite : le « magistèrevacantisme »
Le titre fera sans doute sourire le lecteur. En effet, c’est peut-être le seul « -isme » qui manquait encore parmi les nombreux qui constellent la galaxie traditionnaliste à l’époque postconciliaire (on a forgé le « sédévacantisme », le « sédéprivationisme », l’« anticonciliarisme », et sans doute beaucoup d’autres qui échappent à ceux qui, comme le soussigné, préfèrent généralement s’en tenir à un seul : le sain réalisme de la philosophia perennis). Et pourtant il correspond à une aptitude qui n’est guère absente, voire même plutôt diffuse dans ces milieux. Il s’agit de l’idée d’après laquelle après le Concile Vatican II, le Magistère aurait tout simplement cessé d’exister. Purement et simplement.
Cette thèse revêt différentes nuances selon la position ecclésiale de ceux qui la soutiennent (pour certains ce n’est qu’une conséquence logique du fait que, à partir du Concile, le Siège Apostolique serait vacant ; pour les autres, elle proviendrait de l’absence de volonté d’enseigner magistériellement de la part des Pontifes à partir de Paul VI), mais dans tous les cas, elle va à l’encontre du sensus Ecclesiæ d’une part et, plus simplement, du sens de la réalité.
Elle va à l’encontre du sens ecclésial car, si le Magistère est – comme l’enseigne Pie XII – la règle prochaine de la foi [2], il en ressort que l’Eglise, de la même manière qu’elle ne pourrait pas subsister sur une trop longue durée (comme les soixante années qui nous séparent du dernier Concile) sans un Pape régnant, elle ne pourrait pas non plus subsister sans le Magistère (exercé in actu). C’est pourquoi affirmer que depuis plus de cinquante ans le Magistère n’existe plus (excepté à l’état de pure puissance) ouvre les portes aux mêmes conséquences auxquelles conduit le sédévacantisme, à savoir remettre en question la promesse de Jésus-Christ à son Eglise : « Les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle » (Mt 16,18).
Elle va également à l’encontre du simple sens de la réalité, le sain réalisme, car ce n’est pas nous qui pouvons déterminer à priori, sur la base d’une thèse toute faite, quelle est l’autorité d’un texte promulgué par le Pape, mais c’est le Pape lui-même qui manifeste son intention (sa mens, selon le terme consacré) et c’est à nous qu’il revient de la recevoir comme telle. Or, il est certainement indéniable que la conception du Magistère a subi un profond changement au cours des dernières décennies (il suffit de penser, comme signes externes de ce changement, au fait que le nombre des interventions magistérielles a énormément augmenté, alors que leur solennité diminuait proportionnellement et qu’aux organes traditionnels d’autres, de plus en plus nombreux, se sont ajoutés, telles les différentes Commissions pontificales et théologiques, dont l’autorité n’est pas toujours tout-à-fait claire). Les arguments en faveur de cette thèse ne sont donc pas complètement dépourvus de fondement [3]. Cependant, leur limite réside dans la tentative de démontrer que cette nouvelle conception concerne tous les actes du Magistère postconciliaire sans exception, là où les faits semblent plutôt montrer le contraire, à savoir que même dans un contexte si confus on trouve encore des interventions officielles dont le contenu, le ton et la finalité manifestent clairement que le Pape entend faire réellement usage de son autorité magistérielle, de la manière et dans le sens traditionnel du mot [4].
Citons quelques exemples. Le Concile Vatican II « enseigne que, par la consécration épiscopale, est conférée la plénitude du sacrement de l’Ordre » (Lumen gentium, n. 22). Cet enseignement répondait d’ailleurs aux vota d’une large majorité des Pères conciliaires (dont Mgr Lefebvre) [5]. Ce n’est certes pas une définition de foi, mais affirmer qu’en ce point précis le Concile n’a pas engagé son autorité de Magistère authentique (il incombe ensuite aux théologiens de discuter de l’exacte note théologique : celle de doctrina catholica semblerait en tout cas, à première vue, la plus appropriée [6]) serait contre tout bon sens.
On peut citer un autre exemple manifeste, en restant dans les années du Concile : la proclamation solennelle, de la part de Paul VI, de Marie « Mère de l’Eglise », acte auquel « rien ne manquait […] pour qu’il soit vraiment inspiré de l’Esprit-Saint » , c’est pourquoi « jamais on n’en parlera assez, car, dans l’histoire de l’Eglise, le Concile Vatican II demeurera avant tout celui qui a proclamé Marie, Mère de l’Eglise » [7] (Mgr Lefebvre) ; ou encore (quelques années plus tard) le « Credo du Peuple de Dieu » du même Pontife, « un acte qui, du point de vue dogmatique, est plus important que tout le Concile […]. Ce Credo qui a été rédigé pour affirmer la foi de Pierre, et de la part du successeur de Pierre, a revêtu une solennité absolument extraordinaire. Car le Pape a manifesté son intention de le faire en tant que successeur de Pierre et […] en tant que vicaire du Christ […]. Par conséquent, il a fait là un acte qui engage la foi de l’Eglise. Ainsi, nous avons cette consolation et cette confiance de voir que le Saint-Esprit n’abandonne pas son Eglise ! » [8] (Mgr Lefebvre)
Plus récemment, on peut citer comme exemples le document (Ordinatio sacerdotalis) dans lequel Jean-Paul II a réaffirmé, par des termes dont la solennité n’a d’égale que chez les Pontifes préconciliaires [9], l’impossibilité de conférer le sacrement de l’ordre aux femmes, ainsi que les passages de l’encyclique Evangelium vitæ dans laquelle il rappelle la condamnation de l’avortement (à la différence des arguments philosophiques allégués dans le même document à l’appui de cette condamnation, qui ne se présentent pas nécessairement revêtus de la même autorité).
Comment le catholique qui reconnaît vraiment (c’est-à-dire avec toutes les conséquences que cela comporte) que le Pape est Pape et le Siège n’est pas vacant, pourrait-il nier le caractère magistériel de telles interventions [10]? Le fait que les mêmes documents présentent, en d’autres points, des doctrines différentes de celles du Magistère précédent, ne saurait pas non plus constituer une objection contre leur valeur magistérielle, car « il existe un Magistère ordinaire pastoral qui peut très bien contenir des erreurs ou exprimer de simples opinions. » [11] (Mgr Lefebvre)
3. L’extrême gauche : l’« absolutisme magistériel »
A l’opposé de l’excès que l’on vient de décrire se situe une conception quasi totalitaire et absolutiste du Magistère, d’après laquelle il suffirait que l’autorité légitime publie un document pour qu’il soit magistériel et, en tant que tel, s’impose à la conscience du catholique comme indiscutable. De cette manière, on prétend lever le doute du catholique perplexe face à des enseignements nouveaux qui contredisent ceux du Magistère précédent. Et c’est ainsi que, dans cette logique, on finit par affirmer que si le Pape écrit une lettre dans laquelle il affirme qu’il est juste de dire qu’avec Amoris lætitia il est désormais licite de donner la communion aux divorcés remariés, bien que ses prédécesseurs nous aient assuré le contraire, il suffit de répertorier cela comme « Magistère » dans les Actes du Saint-Siège pour qu’il en assume aussi l’autorité. Ou encore on prétend qu’un Concile, que les Pontifes qui l’ont convoqué et clos ont déclaré ne pas contenir de nouvelles définitions de foi, mais des documents à évaluer de manière différente selon les différents degrés d’autorité du Magistère [12], doit être accepté en bloc et partagé en tout point pour pouvoir être catholique.
On peut réfuter cette deuxième approche en rappelant deux principes d’une importance fondamentale.
Le premier est qu’un enseignement, pour être vraiment magistériel, doit être proposé avec une réelle autorité (et non pas simplement exprimer les opinions personnelles de celui qui la possède), cette autorité qui distinguait Jésus-Christ et sur laquelle le peuple fidèle ne se trompait pas : « Et ils étaient frappés de sa doctrine, car il enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes » (Mc 1,22). C’est cette autorité que Jésus a transmis à ses apôtres et à leurs successeurs, plus spécialement au successeur de Pierre. Quand le détenteur légitime de l’autorité exprime de simples opinions personnelles (même s’il le fait dans des contextes qui en soi, devraient normalement plutôt servir à transmettre un enseignement), celles-ci ne peuvent pas assumer une autorité magistérielle uniquement en raison du fait que, par la suite, on cherche à les imposer et à les présenter comme obligatoires [13]. L’autorité magistérielle ne doit ainsi pas être confondue avec l’autoritarisme coercitif des scribes et des pharisiens (d’hier et d’aujourd’hui) par lequel on prétend, en profitant de la fonction que l’on recouvre, que les fidèles adhèrent à une doctrine quelconque. Ceux qui détiennent le pouvoir magistériel ne peuvent ainsi pas se contenter de réclamer, de prétendre, de contraindre à adhérer à une doctrine pour promulguer un acte de Magistère. Il ne suffit pas d’écrire sur un texte : « Magistère authentique ». Il faut enseigner avec autorité, au nom et par l’autorité de Jésus-Christ, en montrant l’enracinement de cet enseignement dans la Tradition de l’Eglise et sa continuité avec les enseignements précédents du Magistère [14].
Le deuxième principe est qu’aux trois instances épistémologiques dont dispose le catholique pour connaître les vérités de sa foi et ainsi orienter sa propre conscience (la règle lointaine : Tradition et Ecriture, et la règle prochaine : la Magistère de l’Eglise), il ne faut pas oublier d’en ajouter une quatrième : sa raison. Non pas la déesse Raison des rationalistes, mais la raison humaine : un instrument de connaissance et d’évaluation des données connues que le croyant sait devoir à son Créateur et qui, justement parce que voulu par Dieu, non seulement n’est pas contredit ou annulé, mais est même présupposé par les règles – prochaine et lointaine – qui régissent sa conscience. Autrement dit : quand on demande au catholique d’adhérer à ce qui lui est proposé par le Magistère (et, à travers ce dernier, à ce qui est contenu dans l’Ecriture et la Tradition), il ne lui est pas du tout demandé d’abdiquer à l’usage de sa raison et aux lois qui la régissent.
La première desdites lois est le principe de non contradiction : « Il est impossible que le même attribut, en même temps, appartienne et n’appartienne pas au même objet et sous le même rapport » [15]. Il s’ensuit que si on lui propose de croire, quand bien même (en théorie) au nom de l’autorité magistérielle, à une proposition qui est en contradiction logique avec une proposition déjà enseignée par le Magistère (par exemple, si on lui demande de croire qu’il est licite de recevoir la communion tout en vivant more uxorio avec une personne avec laquelle on n’est pas marié sacramentellement), le catholique non seulement n’est pas tenu d’adhérer à une telle proposition, mais est même tenu en bonne conscience, dans la mesure où il connaît et constate la contradiction, de la refuser, quelle que soit l’autorité qui la lui propose : qu’il s’agisse de son curé, de son Evêque, du Pape, « fût-ce nous-mêmes ou un ange du ciel », comme le dit saint Paul [16]. Et ce faisant, il ne commet aucune erreur contre la doctrine catholique (comme c’est le cas normalement quand on s’oppose au Magistère authentique), car au sens strict, ces propositions ne peuvent pas s’accompagner du caractère contraignant lié à l’autorité magistérielle (bien qu’elles s’inscrivent dans le cadre de l’exercice de cette autorité de la part de son légitime détenteur), dans la mesure où le Magistère, qui les a déjà condamnées, ne peut pas se contredire.
Si l’on rétorque que le simple croyant n’est radicalement pas capable (au titre précisément de son appartenance à l’Ecclesia discens) d’évaluer l’éventuelle existence d’une contradiction de ce genre dans les actes qui lui sont proposés d’en haut, et que dans tous les cas il doit faire confiance de façon volontariste aux détenteurs de l’autorité magistérielle lorsqu’ils lui disent que cette contradiction n’existe pas, ceci ne revient-il pas à dire, en définitive, qu’adhérer au Magistère de l’Eglise, croire, être catholique signifie arrêter d’utiliser la raison, c’est-à-dire précisément ce dont les rationalistes accusent l’Eglise depuis plus de deux siècles ? [17]
Et cela ne serait-il pas un paradoxe de la part de ceux qui ont tenté justement, de leur propre aveu, de réconcilier l’Eglise – entreprise d’ailleurs chimérique – avec les principes de la révolution de 1789 ? Ce serait là d’un véritable paradoxe après avoir stigmatisé – en l’occurrence en revanche avec raison – le fait que « la foi a fini par être associée à l’obscurité. On a pensé pouvoir la conserver, trouver pour elle un espace pour la faire cohabiter avec la lumière de la raison. L’espace pour la foi s’ouvrait là où la raison ne pouvait pas éclairer, là où l’homme ne pouvait plus avoir de certitudes. Alors la foi a été comprise comme un saut dans le vide que nous accomplissons par manque de lumière, poussés par un sentiment aveugle ; ou comme une lumière subjective, capable peut-être de réchauffer le cœur, d’apporter une consolation privée, mais qui ne peut se proposer aux autres comme lumière objective et commune pour éclairer le chemin » (Pape François, Encyclique Lumen fidei, n. 3).
Il convient de remarquer, enfin, un autre aspect paradoxal : les cas ne sont pas rares où les mêmes personnes sont passées de l’un de ces deux extrêmes à l’autre, de l’affirmation que rien de ce qui a été fait depuis le Concile n’a de valeur magistérielle à celle que tout, de la première à la dernière ligne, doit être accepté, sous peine de ne pas être catholique. Et ce, parce que peut-être ces deux extrêmes, comme nous le disions au début, ont en commun beaucoup plus qu’il ne semblerait à première vue. Ils ont notamment en commun le défaut de ne pas vouloir voir de nuances dans la réalité, et de lire la réalité exclusivement à la lumière des principes qu’on trouve dans les vieux manuels préconciliaires d’ecclésiologie (pour l’époque très louables, mais de ce point de vue désormais en partie inactuels) [18]. Etre réaliste (au sens philosophique du mot) veut dire aussi admettre que peut-être la réalité (comme les dernières soixante années de l’histoire semblent le confirmer) est plus compliquée que les manuels [19].
4. Réponse à une objection : un « tradi-protestantisme » ?
On pourrait maintenant soulever une objection : affirmer qu’un chrétien peut refuser d’adhérer à des actes que l’autorité légitime lui propose, ne correspond-il pas, en fin de compte, à la position des protestants ? Les « catholiques traditionalistes » (comme les appelle désormais la vulgate commune) ne mettent-ils pas ainsi leur conscience au-dessus du Magistère de l’Eglise, tout comme le font les protestants, même pour en tirer des conclusions complètement opposées ? N’agissent-ils pas comme tous les hérétiques, qui ont toujours prétendu que le Magistère de l’Eglise trahissait les sources de la Révélation, comme par exemple les vieux-catholiques, qui soutenaient que l’infaillibilité du Pape enseignée par le premier Concile du Vatican contredisait la doctrine des Pères de l’Eglise ?
Comme toute objection, celle-ci n’est également pas totalement dépourvue de fondement. C’est probablement l’excessive désinvolture et le ton polémique ou offensant avec lequel parfois, dans les milieux traditionalistes, on passe au crible les textes du Magistère conciliaire et postconciliaire qui a pu contribuer à donner cette impression. Mais si l’on fait abstraction de ces excès (qui concernent en tout cas plus le mode que la substance), l’objection s’avère infondée.
Le principe sur lequel repose l’opposition protestante à l’autorité magistérielle est en effet un critère positif d’opposition : le protestant pense que chaque fidèle a, sous inspiration de l’Esprit-Saint, l’autorité de déterminer comment interpréter l’Ecriture. Et on peut dire de même des groupes hétérodoxes comme les vieux-catholiques, qui avancent la même prétention en référence toutefois à la Tradition (dont les Pères de l’Eglise font partie). Comme on le voit, dans les deux cas le critère consiste à considérer sa propre raison comme étant la règle prochaine pour l’interprétation et l’application de la règle lointaine (Ecriture et Tradition) de la foi.
Le refus des propositions contredisant le Magistère tel que nous l’avons exposé jusqu’ici repose en revanche sur un critère purement négatif : ce qui veut dire qu’on ne prétend pas remplacer la raison du croyant au Magistère comme règle prochaine de la foi (de telle sorte que ce soit elle qui établisse ce qui fait partie du depositum fidei et ce qui n’en fait pas partie, comme le veulent les protestants), mais qu’on se limite, justement parce qu’on adhère à toutes les propositions que la règle prochaine de la foi a fixé à ce sujet, à refuser celles qui les contredisent (quelle que soit la personne qui les propose). Le protestant, en somme, prétend dire à l’autorité ce qui fait partie de la Révélation ; le catholique (« traditionnaliste » si l’on veut, mais, considérée dans le bon sens, cette expression n’est qu’un pléonasme) se limite à lui rappeler que ce qu’elle-même a enseigné comme en faisant partie ne peut pas tout d’un coup en être exclu ou, au contraire, ce qu’elle-même a déclaré incompatible avec le dépôt de la foi ne peut pas soudainement en faire partie.
Ce n’est donc pas celui qui fait cette critique qui agit en protestant, mais c’est plutôt celui qui nierait cette possibilité de critique qui ferait ainsi du détenteur de l’autorité magistérielle une sorte de nouveau messie, lequel aurait l’autorité de changer même ce qui avait été enseigné précédemment comme une loi incontournable. La mission du Magistère, au contraire, est de transmettre, de développer, d’approfondir (ce sont les fameuses clés du royaume des cieux) et non pas d’inventer des choses nouvelles. Le seul qui a pu dire avec autorité (divine) : « On vous a dit, mais en vérité moi je vous dis… » c’est Jésus-Christ. Une fois close la Révélation avec la mort du dernier des apôtres [20], à personne – pas même à son Vicaire – il n’a donné le pouvoir de faire de même.
5. Sur le sommet de la montagne : trois lignes rouges
Pour conclure donc, et sans prétendre aucunement avoir ainsi résolu un problème aussi complexe, mais dans le seul but de disposer de quelques lignes de conduite pour ne pas faire naufrage en pleine mer de la crise actuelle, quel que soit notre rôle (fidèles laïcs, clercs ou théologiens), on peut, en abordant le problème de l’autorité du Magistère, s’en tenir à ces trois lignes rouges [21], qui vont nous aider à nous élever sur le sommet de la vérité catholique au-dessus des deux extrêmes opposés :
- même pendant et après le Concile Vatican II, le vrai Magistère n’a cessé d’exister et d’être réellement exercé et, lorsque cela se vérifie, on lui doit une vraie obéissance, selon les différents degrés d’assentiment au Magistère demandés par l’Eglise ;
- concernant les points (en soi, d’ailleurs, pas très nombreux [22]) où l’on peut constater que des textes du Magistère récent contiennent des propositions paraissant inconciliables avec des propositions déjà enseignées par le Magistère précédent, on peut s’en tenir sans scrupules aux enseignements du Magistère précédent, car ceux qui les contredisent ne sauraient avoir caractère contraignant ;
- pour tous les autres points, c’est-à-dire lorsque d’un côté il n’apparaît pas avec clarté si l’autorité exerce le pouvoir magistériel traditionnel, mais de l’autre on ne peut pas non plus démontrer une contradiction explicite avec le Magistère précédent, ces passages, avec la prudence requise et de la part de ceux qui en ont la compétence, doivent être interprétés à la lumière de la Tradition.
Un corollaire important doit toutefois être ajouté à tout cela : en effet, pour ne pas discréditer personnellement nos positions, nous devons éviter toute polémique inutile, toute insulte ou manque de respect vis-à-vis des autorités en place, en concentrant nos forces sur la solidité et la scientificité des arguments. Une critique théologique ainsi menée ne saurait qu’être positive pour l’Eglise. Ainsi, le problème de l’autorité magistérielle dans l’âge contemporain reste un chantier ouvert auquel tous ceux qui ne manquent pas de sensus Ecclesiæ et du sain réalisme peuvent collaborer, sans oublier toutefois que chacune de nos contributions (et cet article en tout premier lieu) devrait se conclure et toujours s’entendre salvo meliori iudicio Ecclesiæ.
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[NOTES]
[1] R. Garrigou-Lagrange O.P., Les trois âges de la vie intérieure, t. II, Editions du Cerf, Paris 1948, p. 376. Le fait que, dans le cas d’espèce, Garrigou applique ce principe surtout à la vie spirituelle ne signifie pas, d’ailleurs, qu’il n’est valable qu’en matière de spiritualité. Il ne faut pas oublier, en effet, que la théologie est une scientia una : sa division en différentes branches (dogmatique, morale, spiritualité etc.) opérée au cours des siècles, est fondée sur des raisons essentiellement pratiques et didactiques (cf. saint Thomas d’Aquin, Summa theologiæ, Ia, q. 1, a. 3).
[2] Cf. Pie XII, Encyclique Humani generis du 12 août 1950 : « Alors que ce magistère, en matière de foi et de mœurs, doit être pour tout théologien la règle prochaine et universelle de vérité, puisque le Seigneur Christ lui a confié le dépôt de la foi – les Saintes Ecritures et la divine Tradition – pour le conserver, le défendre et l'interpréter, cependant le devoir qu’ont les fidèles d’éviter aussi les erreurs plus ou moins proches de l’hérésie et pour cela de conserver les constitutions et les décrets par lesquels le Saint-Siège proscrit et interdit ces opinions qui faussent les esprits, est parfois aussi ignoré d’eux que s’il n’existait pas ». Les théologiens en tirent généralement la conclusion que la Sainte Ecriture et la Tradition constituent en revanche la « règle lointaine » de la foi, dont l’intelligence du fidèle ne peut donc pas s’inspirer directement pour en tirer des conclusions sur les vérités de la foi, mais toujours de façon indirecte, c’est-à-dire par l’intermédiaire d’une règle ultime (le Magistère) qui régit sa conscience d’une manière plus proche.
[3] D’autres signes intéressants de cette nouvelle conception du Magistère peuvent être envisagés dans certains passages tirés des textes magistériels eux-mêmes, comme par exemple de l’encyclique Ecclesiam suam de Paul VI, dans laquelle le Pontife déclarait vouloir donner à son ministère un but surtout dialogique et pastoral (cf. § 7 : « L’Eglise doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Eglise se fait parole ; l'Eglise se fait message ; l'Eglise se fait conversation »). Lorsque cette forme d’exercice « dialogique » du Magistère est mise en œuvre, on pourrait en effet se poser la question – au titre de simple hypothèse théologique – de savoir si ces actes peuvent réellement rentrer dans les catégories traditionnelles du Magistère. Cependant, même en admettant le bien-fondé de cette hypothèse, force est d’avouer que le simple fait que d’une part les Papes postconciliaires aient fait usage surtout de cet exercice « dialogique » du Magistère, n’empêche pas, de l’autre, qu’ils aient eu recours aussi, en d’autres circonstances, à la modalité traditionnelle d’exercice du Magistère.
[4] Le fait également que les Pontifes du Post-concile admettent le principe de la liberté religieuse tel qu’il est formulé par le Concile Vatican II en Dignitatis humanæ ne saurait constituer un argument à l’appui de cette thèse, car dans ce document, si on affirme le droit à ne pas être empêché d’exercer le culte religieux auquel on adhère en conscience, on ne nie certainement pas que le Magistère de l’Eglise a un caractère contraignant pour la conscience de ceux qui adhèrent au culte catholique.
[5] En effet, les théologiens avaient débattu pendant des siècles pour déterminer si l’épiscopat, considéré de manière distincte du presbytérat, est un sacrement. Et, déjà avant le Concile, Pie XII dans Sacramentum Ordinis, tout en ne tranchant pas la question d’une manière définitive, semble bien s’aligner sur la solution affirmative (cf. Francisco a Solá S.I., De sacramentis vitæ socialis christianæ, dans AA.VV., Sacræ theologiæ summa, BAC, Madrid 1957, vol. IV, pp. 596-607).
[6] Cfr. I. Salaverri S.I., De Ecclesia Christi, dans AA.VV., Sacræ theologiæ summa, BAC, Madrid 1962, vol. I, p. 793 : « “Doctrine catholique” au sens stricte est celle que le Magistère universel enseigne d’une manière purement authentique, c’est-à-dire par un acte d’une réelle autorité doctrinale, qui cependant n’exclut pas complètement la possibilité de l’erreur. Il existe en effet [...] dans l’Eglise un Magistère universel et authentique auquel on doit un assentiment interne et religieux, bien qu’il n’ait pas l’intention de définir quelque chose avec un acte d’autorité infaillible […]. Une doctrine enseignée authentiquement par l’Eglise avec ce degré mineur d’autorité, puisqu’elle est proposée par le Magistère universel, est appelée habituellement “doctrine catholique” au sens strict. Et une doctrine opposée à celle-ci peut être définie “erreur dans la doctrine catholique” (Doctrina Catholica stricte est ea quam universale Magisterium docet mere authentice, actu nempe doctrinalis veræ auctoritatis, sed non excludente possibilitatem erroris. Nam […] est in Ecclesia Magisterium universale et authenticum, cui debetur assensus internus et religiosus, etsi non intendat auctoritatis actu infallibili aliquid definire […]. Doctrina quæ hoc minori auctoritatis gradu ab Ecclesia authentice docetur, quia ab universali Magisterio proponitur, appelari consuevit Doctrina Catholica stricte. Contraria vero dici potest error in Doctrina Catholica).
[7] Mgr M. Lefebvre, Marie, Mère de l’Eglise, dans Lettres pastorales et écrits, Editions Fideliter, Escurolles 1989, p. 211-212. Cette citation, tirée de l’une des circulaires (« Avis du mois ») que Mgr Lefebvre, en sa qualité de Supérieur général des Pères du Saint-Esprit, envoyait mensuellement à ses confrères, date de 1965. Son ton d’éloge vis-à-vis du Concile ne doit pas surprendre et ne doit pas être mis en contradiction avec les critiques que, dès l’année suivante, l’Archevêque aurait avancées au sujet de plusieurs textes conciliaires : ces quelques lignes ne font que montrer une fois de plus que tant qu’il n’y eut, peu de temps après, la preuve du contraire, Mgr Lefebvre voulut encore espérer que le Concile apporterait les lumières et les fruits que, encore du temps de sa convocation et de son déroulement, il attendait de lui ; et aussi qu’il conserva toujours un jugement équilibré, en sachant distinguer dès le début les passages dans lesquels le Concile a réellement engagé son autorité magistérielle en se faisant l’écho de la Tradition, de ceux dans lesquels il s’en éloignait.
[8] Id., Après le Concile: l’Eglise devant la crise morale contemporaine (conférence tenue en 1969 à la Faculté Autonome d’Economie et de Droit de Paris), dans Mgr M. Lefebvre, Un évêque parle, Dominique Martin Morin, Paris 1974, pp. 104-105.
[9] « Afin qu’il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l’Église, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères (cf. Lc 22,32), que l’Eglise n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Eglise. » (n. 4)
[10] Il ne faut bien sûr pas confondre « magistériel » avec « infaillible ». Constater le caractère magistériel d’un texte est une chose, déterminer sa note théologique et, éventuellement, son infaillibilité, en est une autre.
[11] Mgr M. Lefebvre, Réflexions sur la question du magistère de l’Eglise, dans Cor Unum. Vinculum membrorum Fraternitatis Sancti Pii X, n. 101, p. 30. La phrase suivante, contenue dans un article de Fideliter (n. 46, juillet-août 1985, p. 4, note 1), qui avait suscité quelques polémiques, est à l’origine de la rédaction de ce texte: « A la différence de tous les conciles œcuméniques antérieurs, Vatican II s’est voulu “Concile pastoral” et n’a défini aucun point de doctrine au sens de définition irréformable et infaillible, par conséquent les documents de ce concile relèvent tout au plus du Magistère ordinaire de l’Eglise, dans lequel il n’est pas exclu de rencontrer des erreurs ». Mgr Lefebvre en prit la défense : « La phrase de Fideliter – écrit-il – n’est […] pas en soi incriminable, sauf si elle est dite du Magistère ordinaire et universel tel que le définit Vatican I. Il y a un Magistère ordinaire pastoral qui peut très bien contenir des erreurs ou exprimer de simples opinions ».
[12] Cf. la Notification faite par le secrétaire général du Concile au cours de la 123e congrégation générale, le 16 novembre 1964 : « On a demandé quelle devait être la qualification théologique de la doctrine exposée dans le schéma sur l’Église et soumise au vote. A cette question la commission doctrinale a donné la réponse suivante : “Comme il est en soi évident , le texte de Concile doit toujours être interprété suivant les règles générales connues de tous”. A ce propos, la commission doctrinale renvoie à sa déclaration du 6 mars 1964, dont nous transcrivons ici le texte : “Compte tenu de l’usage des conciles et du but pastoral du Concile actuel, celui-ci ne définit comme devant être tenus par l’Eglise que les seuls points concernant la foi et les mœurs qu’il aura clairement déclarés comme tels. Quant aux autres points proposés par le Concile, en tant qu’enseignement du magistère suprême de l’Eglise, chacun des fidèles doit les recevoir et les entendre selon l’esprit du Concile lui-même qui ressort soit de la matière traitée, soit de la manière dont il s’exprime, selon les normes de l’interprétation théologique. »
[13] Cela n’empêche, bien évidemment, qu’un Pape puisse enseigner magistériellement, dans un deuxième temps, une thèse à laquelle auparavant lui-même (ou un de ces prédécesseurs) n’avait adhéré qu’au titre d’opinion personnelle. Mais cela réclamerait justement un nouvel enseignement magistériel formel et, en tout cas, ne saurait pas concerner une opinion déjà clairement et définitivement condamnée par le Magistère.
[14] Les critères par lesquels on peut reconnaître avec une sécurité relative (c’est-à-dire tout en restant dans l’ordre de la simple certitude morale) si un acte est doté d’une telle autorité sont fondamentalement les suivants : il doit être promulgué par l’autorité légitime et compétente ; la matière doit être apte (à savoir qu’il s’agisse de doctrines sur la foi ou la morale, ou encore de vérités naturelles logiquement et intimement liées à celles-ci) ; le contexte et le public auquel il s’adresse ; la solennité qui accompagne la promulgation de l’acte ; le langage utilisé (celui qui a été utilisé, par exemple, par Jean Paul II dans la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis – pour laquelle cf. supra, note 9 – ne laisse pas de place au doute) ; et enfin (quoique, dans un contexte de crise ecclésiale généralisée, ce dernier point s’avère parfois plus difficile à appliquer) le consensus général de l’Eglise enseignante. On remarquera au passage que précisément ce consensus universel est manifestement absent dans le cas d’Amoris lætitia, qui est interprétée et appliquée selon des manières les plus disparates par les Episcopats des différentes nations.
[15] Aristote, Métaphysique, Γ, 3, 1005b 19-20.
[16] Ga 1,8.
[17] Il n’en reste pas moins vrai que, notamment en dehors des temps extraordinaires de crise dans l’Eglise, præsumptio stat pro auctoritate . Affirmer, par conséquent, que dans des situations extraordinaires un catholique peut, face à l’évidence, constater une contradiction entre les enseignements qui lui sont proposés par l’autorité légitime, n’exclut donc pas que, en principe, il faut bien sûr faire confiance à l’autorité, tant que l’évidence des choses ne convainc pas du contraire. Se mettre sur le même plan ou même au-dessus des représentants de l’Eglise enseignante reste une tentation à laquelle le catholique traditionaliste doit bien se garder de céder.
[18] Il convient par ailleurs de remarquer que l’ecclésiologie est la seule branche de la théologie catholique que saint Thomas d’Aquin n’a pas traité dans sa Somme théologique, ce qui, ajouté à la complexité de son objet, explique comment il est possible que, alors que pour étudier sérieusement des sujets comme l’Eucharistie ou la Trinité il suffit de s’inscrire dans le sillage de la Scolastique médiévale, l’ecclésiologie en revanche reste encore aujourd’hui, en partie, un chantier ouvert pour les théologiens. Cf. C. Journet, L’Eglise du verbe incarné, Desclée de Brouwer, Paris 1941, t. I, p. XII : « Il est extrêmement regrettable que le docteur angélique, qui avait une dévotion si délicate pour l’Eglise, et qui a formulé tous les principes qui en éclairent la structure intérieure, en parlant d’une part du Christ et d’autre part des sacrements, n’ait pas composé, dans un pareil cadre, un traité de l’Eglise, auquel il aurait pu donner d’emblée toutes ses dimensions ». Bien sûr nombreux furent, surtout dans la première moitié du XXe siècle, les excellents ouvrages de spéculation théologique sur l’Eglise : il suffit de penser, par exemple, aux grands traités de Ecclesia de Billot, Zapelena et Salaverri ou aux approfondissements de Journet lui-même. Mais, dans l’ensemble, le matériel dont on dispose aujourd’hui est, surtout à la lumière des développements (alors imprévisibles) des dernières soixante années, loin d’être exhaustif.
[19] Afin de justifier en partie cette aptitude simpliste, il convient toutefois de dire que c’est peut-être précisément l’exercice exemplaire que les Papes ont fait du Magistère pendant des nombreuses décennies ininterrompues (et non seulement dans son rôle définitoire et condamnatoire, mais aussi dans l’explication et l’approfondissement théologique des vérités de foi, comme le montrent les grandes encycliques des Papes comme Léon XIII et Pie XII) qui avait fait oublier à la plupart des catholiques l’existence de la possibilité que l’autorité se trompe. Et c’est probablement aussi la raison de la forte désapprobation, de la part du camp conservateur des années 70, de la position de ceux qui appliquaient cette distinction aux textes conciliaires. Sur ces bases on parvint même à accuser Mgr Lefebvre de faire, de par son aptitude, « pire que les modernistes ». Aujourd’hui, en revanche, cette thèse fait beaucoup moins peur. Dans ses grandes lignes, elle commence même à être soutenue par de nombreux théologiens (tous officiellement reconnus par la hiérarchie ecclésiastique) qui, en soi, n’ont jamais fait partie de la Fraternité Saint-Pie X (comme par exemple le regretté Mgr Brunero Gherardini, les quatre cardinaux des Dubia sur Amoris lætitia et les signataires de la Correctio filialis au pape François).
[20] Aux vérités enseignées directement par Jésus-Christ peuvent en effet aussi être assimilées celles que les apôtres ont promulguées sur son mandat et dont l’autorité est pour cette raison communément dénommée « divino-apostolique ».
[21] Cf. Mgr M. Lefebvre, Conférence donnée à Ecône le 10 janvier 1983 : « Pour moi – pour nous, je pense – dire qu’on voit, qu’on juge les documents du Concile à la lumière de la Tradition, cela veut dire évidemment qu’on rejette ceux qui sont contraires à la Tradition, qu’on interprète selon la Tradition ceux qui sont ambigus et qu’on accepte ceux qui sont conformes à la Tradition. »
[22] Si on s’en tient strictement aux textes, en effet, on peut dire que seulement « sur trois points, les enseignements doctrinaux du concile Vatican II nous semblent inconciliables avec la doctrine de la foi catholique, telle que déjà proposée dans les documents antérieurs du magistère ecclésiastique et donc inacceptables. Ces points sont les suivants. La doctrine sur la liberté religieuse, telle qu’elle s’exprime dans n° 2 de la Déclaration Dignitatis humanæ […] contredit les enseignements de Grégoire XVI dans Mirari vos et de Pie IX dans Quanta cura ainsi que ceux du pape Léon XIII dans Immortale Dei et ceux du pape Pie XI dans Quas primas. […] La doctrine sur l’œcuménisme et les religions non-chrétiennes, telle qu’elle s’exprime […] dans le n° 3 du Décret Unitatis redintegratio, ainsi que […] dans le n° 2 de la Déclaration Nostra ætate […] contredit les enseignements du pape Pie IX dans les propositions 16 et 17 du Syllabus et ceux di pape Pie XI dans Mortalium animos. […] La doctrine sur la collégialité telle qu’elle s’exprime dans le n° 22 de la constitution Lumen gentium […] met sérieusement en doute les enseignements du concile Vatican I sur l’unicité du sujet du pouvoir suprême dans l’Eglise, dans la constitution Pastor æternus » (abbé J.-M. Gleize, Vatican II en débat. Questions disputées autour du 21e concile œcuménique, Editions du Courrier de Rome, Versailles 2013, pp. 217-218). Ce n’est cependant pas uniquement leur nombre qui détermine la gravité et la portée des erreurs : il ne faut oublier que « une petite erreur dans les principes, devient grande dans les conséquences » (saint Thomas d’Aquin, De ente et essentia, Proème). Et en effet, en y regardant de plus près, la majeure partie des erreurs qui se sont diffusées à partir du dernier Concile ne sont que des conséquences ou des émanations de ces trois.