SOURCE - La Nef - Propos recueillis par Christophe Geffroy - 30 avril 2019
Le Père Paul-Marie Cathelinais est un dominicain de la province de Toulouse en mission au couvent du sanctuaire de la Sainte-Baume (Var). Il nous parle ici de la vocation dominicaine et du rayonnement de ce haut lieu dédié à sainte Marie-Madeleine.
Le Père Paul-Marie Cathelinais est un dominicain de la province de Toulouse en mission au couvent du sanctuaire de la Sainte-Baume (Var). Il nous parle ici de la vocation dominicaine et du rayonnement de ce haut lieu dédié à sainte Marie-Madeleine.
La Nef – Pourquoi êtes-vous entré chez les dominicains et comment caractériser cette vocation ?
Paul-Marie Cathelinais, op – Contempler et prêcher ! Les raisons pour lesquelles on entre dans l’Ordre des Prêcheurs sont aussi nombreuses que les frères qui le composent. Le R.P. Jean-Gabriel Ranquet aimait dire : « Vous avez vu un dominicain, vous n’en avez vu qu’un seul ! » On y cultive la singularité des personnes et toutes les sensibilités semblaient représentées. En tout cas j’avais trouvé dans cet Ordre une certaine liberté que donne sans doute l’amour du vrai au-delà des apparences. Sans couleur spécifique, en noir et blanc, il me semblait qu’on pouvait être tout à tous. Dans le corps de l’Église, Thérèse de Lisieux s’identifiait au cœur. Je dirai que les dominicains sont la bouche ! Pour sainte Catherine de Sienne, des trois degrés de la vie spirituelle pris sur le corps même de Notre Seigneur (le premier étant les pieds, le second, le cœur) la bouche est le degré des parfaits. Manifester, parler est en effet la mission du Verbe dans la Trinité. Bref, on rentre chez les dominicains parce qu’à l’évidence, ce sont les plus humbles !
Dans l’Évangile, le Christ loue son Père de s’être révélé aux « tout-petits » et non aux « sages » (Mt 11, 25 et Lc 10, 21) : quelle est la place du travail intellectuel et théologique dans le christianisme ?
Dans son commentaire de l’épître aux Galates, saint Thomas distingue deux intelligences : l’intelligence charnelle et l’intelligence spirituelle. Il y a celle que l’Esprit inspire et celle qu’une volonté mondaine dirige. L’intelligence a besoin de conversion mais pas de sa suppression. Elle est seconde mais pas secondaire, car le travail de l’intelligence permet d’aller plus vite au cœur du réel. Que ce réel soit naturel ou Dieu lui-même. En elle, l‘invisible se donne. Par elle, on se libère de la prison subjectiviste. De plus, beaucoup de fausses rumeurs intellectuelles (des idéologies aux hérésies) ferment les cœurs.
L’évangélisation se doit, en les dénonçant, de neutraliser ces verrous. Plus encore, le travail intellectuel est comme l’agriculture de l’esprit humain. Former en lui le goût du vrai, c’est l’éduquer à l’amour du Verbe qui est le Vrai. En manquant à l’étude, on anémie sa vie spirituelle et on appauvrit le message.
Pourriez-vous nous brosser l’histoire du sanctuaire de la Sainte-Baume ?
La tradition provençale veut que sainte Marie-Madeleine se retira dans cette grotte (baume en provençal) nichée au cœur d’une majestueuse falaise. Après avoir évangélisé Marseille, elle vécut ici trente années de contemplation. La forêt primaire, vieille de sept mille ans, est gardienne de ce silence. On y découvre, avec Marie-Madeleine aux pieds de notre Seigneur, la meilleure part de la vie contemplative. Quant à ceux qui demeurent plus longtemps, ils connaissent les combats qui annoncent la délivrance. C’est un lieu de réelle conversion. D’ailleurs, le roc de la Miséricorde, comme on l’appelle, continue la prédication de l’apôtre des Apôtres. « Que la Sainte-Baume me paraît douce », écrivait Charles de Foucauld, regrettant de ne pouvoir s’y rendre plus souvent.
Y a-t-il un « portrait type » du pèlerin qui vient à la Sainte-Baume et que recherche-t-il plus spécialement ?
Pas vraiment, mais on peut dire que beaucoup viennent par amour de la nature, des scouts aux simples randonneurs, en passant par ceux qui divinisent l’univers. Certains croient trouver en Marie-Madeleine des secrets que l’Église nous cacherait depuis deux mille ans. C’est l’occasion de discussions franches ! Sinon, tous y cherchent le silence, la beauté. C’est aussi un lieu très féminin. Il y a malheureusement quelques idolâtres du « féminin sacré » (sic), mais il y a aussi des femmes qui viennent réellement chercher le pardon de Dieu. Parfois les deux coïncident et c’est la joie du ciel ! On connaît aussi la Sainte-Baume pour son université d’été mais, en plus des sessions de théologie, nous organisons des sessions pour les familles, en particulier pour celles qui ont un enfant porteur d’une trisomie. On y prêche des retraites et même une session où l’on apprend à cuisiner chrétiennement ! Et c’est la joie des mets !
Vous êtes le responsable de l’École de Vie de la Sainte-Baume : pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
L’École de Vie a été fondée pour que des jeunes (entre 21 et 30 ans) puissent nous aider dans le service du sanctuaire. Il faut accueillir les pèlerins dans notre grande hostellerie ou faire une permanence à la grotte avec les frères. En échange de ce service, les jeunes reçoivent une formation spirituelle et intellectuelle. Nous les aidons en particulier à discerner leur future vie professionnelle. Nous voulons des chrétiens laïcs dont le métier et la vie soient conformes à la volonté de Dieu. Cette école est petite et peut donc s’adapter à chaque jeune, notamment par rapport au temps qu’ils peuvent nous consacrer. Nous pouvons faire du sur-mesure.
Il y a également à la Sainte-Baume un « chemin de consolation » : pourriez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
Avec l’association Mère de Miséricorde nous accueillons depuis longtemps des femmes qui ont vécu l’avortement. À l’occasion de ces sessions est née la possibilité d’un mémorial pour tous les enfants qui n’ont pas vu le jour (quelle que soit la cause du décès). On peut bénir et poser une plaque à leur nom. Depuis quatre ans, ce sont près de 800 plaques qui tapissent le mur de la grotte. Ainsi, aux yeux de tous, ces enfants existent. Pour leur maman, c’est l’espérance que leur enfant vit d’un bonheur éternel selon le vœu d’Evangelium vitae. En les offrant au Père, elles font un acte de vie. Pour nous, c’est bouleversant et pour elles, c’est une véritable consolation. Beaucoup de parents vivent, à cette occasion, de réelles conversions.
Vous-même accompagnez des couples et de jeunes vocations : quels sont leurs points faibles et leurs points forts ?
Je dirai que leurs points forts viennent des antidotes qu’ils ont créés en choisissant Jésus et l’Église malgré tous les obstacles dressés contre la vie chrétienne. Ils sont convaincus et pleins d’espérance. Leur point faible tient à une très grande sensibilité où l’émotion est exacerbée. Les passions y ont plus de pouvoir. L’espoir cohabite souvent avec l’angoisse. L’enthousiasme est grand comme l’accablement est fort. L’émotivité est la croix et le génie de cette génération. Cela dit, c’est un défaut de jeunesse…
Il vous arrive de célébrer la messe dans la forme extraordinaire : comment analysez-vous la situation liturgique aujourd’hui, vous semble-t-elle en voie d’apaisement ?
Oui, j’ai le sentiment que la situation est bien meilleure que celle que j’ai connue durant ma jeunesse, surtout chez les chrétiens laïcs. C’est évidemment long car la liturgie est une œuvre qui rend sensible ce qui nous tient le plus à cœur. C’est d’ailleurs en éduquant cette sensibilité que l’enrichissement mutuel voulu par Benoît XVI pourra se faire. Le sentiment seul ou la raison seule manquent très souvent leur objet. Je crois qu’en ces matières rien ne vaut une très belle liturgie expliquée dans la docilité de la foi. J’ai parfois l’impression, à l’inverse, en lisant telle ou telle critique d’esprits éclairés que leur pratique du rite qu’ils critiquent est fort limité. Curieusement, on a beaucoup reproché à l’application de la réforme liturgique l’esprit rationaliste qui l’aurait animé. On a bien raison d’ailleurs de le dénoncer. Rien ne vaut l’expérience du temps… Mais il arrive parfois qu’on prenne les mêmes défauts que celui qu’on critique. Le vide d’une expérience charnelle sur la durée est parfois comblé par des raisonnements verrouillés appauvrissant la richesse symbolique et théologique des rites. Mais c’est aussi un défaut de jeunesse…
Propos recueillis par Christophe Geffroy