SOURCE - Paix Liturgique, lettre 285 - 31 mai 2011
— Il faut, en effet, avoir une vision très globale. D’une part, en se souvenant que l’on vit un effacement sans précédent de l’Église en Occident, de sorte que tout ce qui favorise le relèvement du sacrifice de la messe, et donc du sacerdoce catholique, est pastoralement et du point de vue missionnaire très bénéfique, le Motu Proprio de 2007 et cette instruction d’application étant de cet ordre. Et d’autre part, une vision globale, en replaçant ce texte au sein d’une période de l’histoire de l’Église tout à fait atypique, celle qui a commencé avec Vatican II, où les textes valent désormais plus par le message qu’ils délivrent dans un sens d’« ouverture » ou inversement dans un sens de « restauration » (c’est le cas de ce texte), que par l’autorité réelle de leur contenu, dont tout le monde sait qu’elle est très faible. Cette Instruction, publiée le premier jour du 3e colloque romain consacré à la « forme extraordinaire », qui s’est tenu à l’Université pontificale Saint-Thomas-d’Aquin, dite Angelicum, à Rome, vaut surtout – l’Instruction mise en valeur par le colloque – par l’« événement » qu’elle constitue.
D’AUTANT QUE SON ÉLABORATION, DIT-ON, A ÉTÉ TRÈS DIFFICILE.
— Et très longue. Une instruction, canoniquement, est le décret d’application d’une loi (ici le Motu Proprio) destiné à aider ceux qui doivent appliquer le texte (la Commission Ecclesia Dei essentiellement). Il est publié par l’organisme compétent pour ce texte (généralement le même : ici la Commission présidée par le cardinal Levada) et approuvé ensuite par le Pape. Théoriquement, rien ne doit se trouver dans l’Instruction qui n’était déjà dans la loi. Mais la manière qu’a un décret de préciser peut, on le sait, élargir ou rétrécir la loi.
En l’espèce, il y a eu trois grandes étapes d’élaboration de cette petite souris de texte qui a accouché des montagnes de pressions et d’interventions :
a. Le « schéma » élaboré sous l’autorité du cardinal Castrillón, à partir de 2007, texte qui, malgré la très bonne volonté du cardinal, était un vrai pas en arrière.
b. Le schéma Pozzo-1, commencé dès que l’équipe très homogène du nouveau Secrétaire et patron réel de la Commission, Mgr Guido Pozzo, a été en place. Texte particulièrement extensif.
c. Et le texte Pozzo-2, le texte actuel, qui a eu lui-même toute une histoire : le schéma Pozzo-1, présenté devant la plenaria de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, en novembre 2010, a été un peu malmené pour diverses raisons qu’il serait trop long d’expliquer, repris, amendé dans le détail dans un sens, puis dans un autre. A partir de la mi-février 2011, lorsqu’un des blogs anglo-saxons traditionnels les plus lus dans le monde, Rorate Coeli, a sonné l’alarme sur les risques de rétrécissements, la fièvre a été maximale et a duré jusqu’à la sortie du texte et jusqu’aux ultimes retouches.
L’ensemble ou chaque détail ayant toujours, j’y insiste, une importance plus psychologique qu’effectivement normative. Et comme il faut toujours s’élever à une vue générale, je pense que le plus important à retenir est, qu’au cours de toutes ces vicissitudes, la Commission Pozzo s’est calée, comme on dit, sur une position qui, de norme implicite, est devenue explicite (nn. 24, 25) : les livres en usage en 1962 ne seront modifiés en rien, sauf l’ajout futur de nouveaux saints et l’usage possible de nouvelles préfaces. L’usus antiquior, « enrichissable » à la marge, restera inchangé en tout le reste, par exemple dans son lectionnaire dominical, invariable depuis pratiquement mille ans.
VOUS DOUTEZ DE LA PORTÉE EFFECTIVEMENT NORMATIVE DU TEXTE : N’EST-CE PAS UN TEXTE JURIDIQUE ?
— Bien sûr que si ! Sa forme montre même que ses maîtres d’œuvre – on pourrait le montrer dans le détail – sont plus à l’aise dans le domaine canonique que dans le domaine liturgique. Le plus important, à cet égard, est dans l’explicitation pointue que fait l’Instruction de ce montage très ingénieux et très particulier qu’est Summorum Pontificum : c’est une loi universelle (n. 2 de l’introduction), et non pas un indult, un privilège ; c’est en outre une loi spéciale qui fait que la liturgie qu’il rétablit en plein droit (celle en usage en 1962) ne peut être atteinte par les innovations postérieures qui lui sont incompatibles (n. 28), du moins lorsqu’elles sont purement liturgiques et non « disciplinaires » (l’incardination des clercs, n. 30, le jeûne eucharistique et autres, n. 27) ; c’est un droit général couvrant tous les livres liturgiques en usage avant les réformes de Paul VI (nn. 32, 35), et tous les livres propres aux religieux (n. 34 – avec un silence prudent sur les rites latins non romains) ; c’est enfin un droit radical qui est reconnu, car si la célébration publique de la liturgie ancienne doit répondre à certaines normes, la célébration privée est toujours permise à tout prêtre séculier ou religieux sans qu’il ait à demander quelque permission que ce soit (n. 23).
TOUT EST-IL AUSSI NET ?
— Non. Inutile de revenir sur la question du n. 19, dont Jean Madiran a déjà magistralement traité . En matière d’enseignement dans les séminaires, du latin, de la forme extraordinaire, la Commission prend beaucoup de gants (n. 21), quitte à ne formuler que des vœux pieux. Mais de cette piété les séminaristes pourront se saisir.
Quant aux ordinations diocésaines en forme extraordinaire, elles n’étaient pas expressément exclues par le Motu Proprio. L’Instruction opère ici un recul en les réservant, par le n. 31, aux instituts et sociétés usant des livres liturgiques anciens (sauf à préciser la définition de cet « usage », voire à discuter la légalité de cette novation de l’Instruction, sachant que de toute façon – c’est de droit commun – l’évêque diocésain pourra toujours demander un indult ponctuel ou général). Lors du colloque à l’Angelicum, des intervenants de poids, Mgr Schneider, Mgr Bux, ont d’ailleurs fortement manifesté l’attachement théologiquement fondé de toute une tendance, au sein des partisans officiels de la forme extraordinaire, vis-à-vis des ordinations selon l’usage traditionnel.
LE PLUS FORT DU TEXTE N’EST-IL PAS DANS LA DÉFENSE DES DROITS DES GROUPES DE DEMANDEURS ?
— C’est certain. C’est même le morceau de bravoure de l’Instruction : aucune mention de chiffre minimum pour le groupe de fidèles demandeurs, qui peuvent même se rassembler sur une paroisse en venant de plusieurs autres, voire d’autres diocèses (n. 15), demander la célébration du Triduum pascal à leur usage (n. 33), exister de manière ponctuelle pour une cérémonie ou un pèlerinage (n. 16). Et surtout, la Commission explicite ses propres pouvoirs : organe du Saint-Siège, elle est le « supérieur hiérarchique » des évêques (de fide ! n. 10 § 1). Elle (dotée d’un pouvoir ordinaire vicaire du Pape) tranche en dernier ressort les litiges qui peuvent survenir (n. 13), ses décisions (des « décrets ») intervenant dans l’ordre dit « administratif » et n’étant susceptibles de recours que devant la cour de cassation/conseil d’État du Saint-Siège, à savoir le Tribunal de la Signature apostolique.
Mais ne vous réjouissez pas trop vite en imaginant que la Commission va fulminer sur des évêques ou cardinaux terrassés des quantités de « décrets », que le cardinal Burke, Préfet de la Signature apostolique, s’empressera de confirmer si on le lui demande ! Je me garderais bien de dire que tout cela est un tigre de papier, mais il est clair que dans la période postconciliaire dont nous sommes loin d’être sortis, les hommes restent ce qu’ils sont (conciliaires et restaurateurs), et l’exercice de l’autorité ce que nous savons. Mais il y aura des avancées. En outre, l’Instruction, telle qu’elle se présente, constitue une affirmation supplémentaire de l’impossibilité d’un retour en arrière. Cependant, concrètement, ce sont les « groupes stables », l’ensemble des fidèles demandeurs, tous les clercs attachés à l’usage traditionnel, qui auront encore et toujours à agir, à presser, à demander… tout simplement leur droit. Jusqu’au jour où les évêques serviront d’eux-mêmes le meilleur vin sans qu’on ait à les implorer de le faire.
EN SOMME : « PROLÉTAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS ! »
— Vous voulez me faire dire bien plus que… Mais au fond, il y a de cela. En fait, si la messe traditionnelle, et « ce qui va avec », les catéchismes, la formation des prêtres, la prédication, etc., a été maintenue depuis 40 ans, c’est parce que, paradoxalement, Vatican II a été parfaitement entendu par ces « prolétaires » de l’Église conciliaires que sont les traditionnels : on a donné la parole aux laïcs, et… voilà qu’ils l’ont prise ! Et pas en faveur du fameux « esprit du Concile », mais pour restaurer la messe traditionnelle. A vrai dire, ils ont pris la parole de façon très « moderne ». Sans parler de la récente montée en puissance des médias internet que les mêmes traditionnels ont parfaitement investis. C’est ainsi. Et le Motu Proprio, dopé par l’Instruction, consacre étrangement, mais bien réellement, la légitimité du très moderne groupe de pression, sous l’appellation délicieusement surannée de coetus fidelium.
Au total, il y a désormais – notamment dans les nouvelles générations de clercs – un « esprit Motu Proprio », comme il y avait (mon usage de l’imparfait est volontariste !) un « esprit du Concile ». Je ne suis pas prophète, en tout cas pas davantage que les météorologues qui avouent leur incompétence à prévoir la pluie ou le beau temps à trois jours. Mais il me semble qu’on peut dire que le présent pontificat, qualifiable de « pontificat de transition », laissera surtout le souvenir d’avoir ouvert de fait et d’intention (fortement de fait, timidement d’intention) des brèches dans ce fameux « esprit du Concile » (le discours sur l’herméneutique du Concile, le recadrage pratique du dialogue œcuménique, le Motu Proprio). Sous cet aspect, l’affirmation apparemment modeste, mais définitive, que la liturgie antérieure à la réforme de Vatican II n’a jamais été abolie, est un des germes les plus précieux de la revitalisation à venir du catholicisme.
Propos recueillis par Olivier Figueras
Article extrait du n° 7359 du journal Présent du samedi 28 mai 2011
Nous remercions la rédaction du quotidien Présent de nous avoir donné l'autorisation de reproduire cet entretien de l'Abbé Claude Barthe avec Olivier Figueras, au sujet de la dernière Instruction publiée par le Saint-Siège à propos de la forme extraordinaire du rite romain.QUELLE ANALYSE GLOBALE FAITES-VOUS SUR L’INSTRUCTION UNIVERSAE ECCLESIAE, PUBLIÉE LE 13 MAI DERNIER ?
— Il faut, en effet, avoir une vision très globale. D’une part, en se souvenant que l’on vit un effacement sans précédent de l’Église en Occident, de sorte que tout ce qui favorise le relèvement du sacrifice de la messe, et donc du sacerdoce catholique, est pastoralement et du point de vue missionnaire très bénéfique, le Motu Proprio de 2007 et cette instruction d’application étant de cet ordre. Et d’autre part, une vision globale, en replaçant ce texte au sein d’une période de l’histoire de l’Église tout à fait atypique, celle qui a commencé avec Vatican II, où les textes valent désormais plus par le message qu’ils délivrent dans un sens d’« ouverture » ou inversement dans un sens de « restauration » (c’est le cas de ce texte), que par l’autorité réelle de leur contenu, dont tout le monde sait qu’elle est très faible. Cette Instruction, publiée le premier jour du 3e colloque romain consacré à la « forme extraordinaire », qui s’est tenu à l’Université pontificale Saint-Thomas-d’Aquin, dite Angelicum, à Rome, vaut surtout – l’Instruction mise en valeur par le colloque – par l’« événement » qu’elle constitue.
D’AUTANT QUE SON ÉLABORATION, DIT-ON, A ÉTÉ TRÈS DIFFICILE.
— Et très longue. Une instruction, canoniquement, est le décret d’application d’une loi (ici le Motu Proprio) destiné à aider ceux qui doivent appliquer le texte (la Commission Ecclesia Dei essentiellement). Il est publié par l’organisme compétent pour ce texte (généralement le même : ici la Commission présidée par le cardinal Levada) et approuvé ensuite par le Pape. Théoriquement, rien ne doit se trouver dans l’Instruction qui n’était déjà dans la loi. Mais la manière qu’a un décret de préciser peut, on le sait, élargir ou rétrécir la loi.
En l’espèce, il y a eu trois grandes étapes d’élaboration de cette petite souris de texte qui a accouché des montagnes de pressions et d’interventions :
a. Le « schéma » élaboré sous l’autorité du cardinal Castrillón, à partir de 2007, texte qui, malgré la très bonne volonté du cardinal, était un vrai pas en arrière.
b. Le schéma Pozzo-1, commencé dès que l’équipe très homogène du nouveau Secrétaire et patron réel de la Commission, Mgr Guido Pozzo, a été en place. Texte particulièrement extensif.
c. Et le texte Pozzo-2, le texte actuel, qui a eu lui-même toute une histoire : le schéma Pozzo-1, présenté devant la plenaria de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, en novembre 2010, a été un peu malmené pour diverses raisons qu’il serait trop long d’expliquer, repris, amendé dans le détail dans un sens, puis dans un autre. A partir de la mi-février 2011, lorsqu’un des blogs anglo-saxons traditionnels les plus lus dans le monde, Rorate Coeli, a sonné l’alarme sur les risques de rétrécissements, la fièvre a été maximale et a duré jusqu’à la sortie du texte et jusqu’aux ultimes retouches.
L’ensemble ou chaque détail ayant toujours, j’y insiste, une importance plus psychologique qu’effectivement normative. Et comme il faut toujours s’élever à une vue générale, je pense que le plus important à retenir est, qu’au cours de toutes ces vicissitudes, la Commission Pozzo s’est calée, comme on dit, sur une position qui, de norme implicite, est devenue explicite (nn. 24, 25) : les livres en usage en 1962 ne seront modifiés en rien, sauf l’ajout futur de nouveaux saints et l’usage possible de nouvelles préfaces. L’usus antiquior, « enrichissable » à la marge, restera inchangé en tout le reste, par exemple dans son lectionnaire dominical, invariable depuis pratiquement mille ans.
VOUS DOUTEZ DE LA PORTÉE EFFECTIVEMENT NORMATIVE DU TEXTE : N’EST-CE PAS UN TEXTE JURIDIQUE ?
— Bien sûr que si ! Sa forme montre même que ses maîtres d’œuvre – on pourrait le montrer dans le détail – sont plus à l’aise dans le domaine canonique que dans le domaine liturgique. Le plus important, à cet égard, est dans l’explicitation pointue que fait l’Instruction de ce montage très ingénieux et très particulier qu’est Summorum Pontificum : c’est une loi universelle (n. 2 de l’introduction), et non pas un indult, un privilège ; c’est en outre une loi spéciale qui fait que la liturgie qu’il rétablit en plein droit (celle en usage en 1962) ne peut être atteinte par les innovations postérieures qui lui sont incompatibles (n. 28), du moins lorsqu’elles sont purement liturgiques et non « disciplinaires » (l’incardination des clercs, n. 30, le jeûne eucharistique et autres, n. 27) ; c’est un droit général couvrant tous les livres liturgiques en usage avant les réformes de Paul VI (nn. 32, 35), et tous les livres propres aux religieux (n. 34 – avec un silence prudent sur les rites latins non romains) ; c’est enfin un droit radical qui est reconnu, car si la célébration publique de la liturgie ancienne doit répondre à certaines normes, la célébration privée est toujours permise à tout prêtre séculier ou religieux sans qu’il ait à demander quelque permission que ce soit (n. 23).
TOUT EST-IL AUSSI NET ?
— Non. Inutile de revenir sur la question du n. 19, dont Jean Madiran a déjà magistralement traité . En matière d’enseignement dans les séminaires, du latin, de la forme extraordinaire, la Commission prend beaucoup de gants (n. 21), quitte à ne formuler que des vœux pieux. Mais de cette piété les séminaristes pourront se saisir.
Quant aux ordinations diocésaines en forme extraordinaire, elles n’étaient pas expressément exclues par le Motu Proprio. L’Instruction opère ici un recul en les réservant, par le n. 31, aux instituts et sociétés usant des livres liturgiques anciens (sauf à préciser la définition de cet « usage », voire à discuter la légalité de cette novation de l’Instruction, sachant que de toute façon – c’est de droit commun – l’évêque diocésain pourra toujours demander un indult ponctuel ou général). Lors du colloque à l’Angelicum, des intervenants de poids, Mgr Schneider, Mgr Bux, ont d’ailleurs fortement manifesté l’attachement théologiquement fondé de toute une tendance, au sein des partisans officiels de la forme extraordinaire, vis-à-vis des ordinations selon l’usage traditionnel.
LE PLUS FORT DU TEXTE N’EST-IL PAS DANS LA DÉFENSE DES DROITS DES GROUPES DE DEMANDEURS ?
— C’est certain. C’est même le morceau de bravoure de l’Instruction : aucune mention de chiffre minimum pour le groupe de fidèles demandeurs, qui peuvent même se rassembler sur une paroisse en venant de plusieurs autres, voire d’autres diocèses (n. 15), demander la célébration du Triduum pascal à leur usage (n. 33), exister de manière ponctuelle pour une cérémonie ou un pèlerinage (n. 16). Et surtout, la Commission explicite ses propres pouvoirs : organe du Saint-Siège, elle est le « supérieur hiérarchique » des évêques (de fide ! n. 10 § 1). Elle (dotée d’un pouvoir ordinaire vicaire du Pape) tranche en dernier ressort les litiges qui peuvent survenir (n. 13), ses décisions (des « décrets ») intervenant dans l’ordre dit « administratif » et n’étant susceptibles de recours que devant la cour de cassation/conseil d’État du Saint-Siège, à savoir le Tribunal de la Signature apostolique.
Mais ne vous réjouissez pas trop vite en imaginant que la Commission va fulminer sur des évêques ou cardinaux terrassés des quantités de « décrets », que le cardinal Burke, Préfet de la Signature apostolique, s’empressera de confirmer si on le lui demande ! Je me garderais bien de dire que tout cela est un tigre de papier, mais il est clair que dans la période postconciliaire dont nous sommes loin d’être sortis, les hommes restent ce qu’ils sont (conciliaires et restaurateurs), et l’exercice de l’autorité ce que nous savons. Mais il y aura des avancées. En outre, l’Instruction, telle qu’elle se présente, constitue une affirmation supplémentaire de l’impossibilité d’un retour en arrière. Cependant, concrètement, ce sont les « groupes stables », l’ensemble des fidèles demandeurs, tous les clercs attachés à l’usage traditionnel, qui auront encore et toujours à agir, à presser, à demander… tout simplement leur droit. Jusqu’au jour où les évêques serviront d’eux-mêmes le meilleur vin sans qu’on ait à les implorer de le faire.
EN SOMME : « PROLÉTAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS ! »
— Vous voulez me faire dire bien plus que… Mais au fond, il y a de cela. En fait, si la messe traditionnelle, et « ce qui va avec », les catéchismes, la formation des prêtres, la prédication, etc., a été maintenue depuis 40 ans, c’est parce que, paradoxalement, Vatican II a été parfaitement entendu par ces « prolétaires » de l’Église conciliaires que sont les traditionnels : on a donné la parole aux laïcs, et… voilà qu’ils l’ont prise ! Et pas en faveur du fameux « esprit du Concile », mais pour restaurer la messe traditionnelle. A vrai dire, ils ont pris la parole de façon très « moderne ». Sans parler de la récente montée en puissance des médias internet que les mêmes traditionnels ont parfaitement investis. C’est ainsi. Et le Motu Proprio, dopé par l’Instruction, consacre étrangement, mais bien réellement, la légitimité du très moderne groupe de pression, sous l’appellation délicieusement surannée de coetus fidelium.
Au total, il y a désormais – notamment dans les nouvelles générations de clercs – un « esprit Motu Proprio », comme il y avait (mon usage de l’imparfait est volontariste !) un « esprit du Concile ». Je ne suis pas prophète, en tout cas pas davantage que les météorologues qui avouent leur incompétence à prévoir la pluie ou le beau temps à trois jours. Mais il me semble qu’on peut dire que le présent pontificat, qualifiable de « pontificat de transition », laissera surtout le souvenir d’avoir ouvert de fait et d’intention (fortement de fait, timidement d’intention) des brèches dans ce fameux « esprit du Concile » (le discours sur l’herméneutique du Concile, le recadrage pratique du dialogue œcuménique, le Motu Proprio). Sous cet aspect, l’affirmation apparemment modeste, mais définitive, que la liturgie antérieure à la réforme de Vatican II n’a jamais été abolie, est un des germes les plus précieux de la revitalisation à venir du catholicisme.
Propos recueillis par Olivier Figueras
Article extrait du n° 7359 du journal Présent du samedi 28 mai 2011