SOURCE - Mgr Jacques Masson, publié par le site Hermas - 30 septembre 2009
Lettre de protestation de Monseigneur Marcel Lefebvre au Cardinal Marty
+ Ecône le 17 octobre 1972
Fraternité Sacerdotale Saint Pie X
50 Route de la Vignettaz
1700 FRIBOURG
Tél. 037 / 24 51 91Eminence,
Par les voies du Secrétariat de l’Episcopat j’ai reçu une photocopie de la lettre que vous m’adressez concernant ma présence à Lourdes. J’avoue ma surprise, car je croyais jusqu’alors que les règlements de la Conférence prévoyaient la présence des Archevêques et Evêques autrefois résidentiels en France, à l’occasion de la Session Annuelle, et ce avec voix consultative et non délibérative.
Il est possible que je fasse erreur ou que les règlements aient été modifiés. Sinon, il s’agirait d’une grave injustice.
Mon intention était, je crois, légitime et très claire : sachant qu’une attitude de l’Episcopat devait être prise vis-à-vis de mon Œuvre qui, d’ailleurs n’en dépend aucunement, persuadé que beaucoup d’Evêques de France ont été mal informés par un rapport calomnieux et mensonger de Monsieur l’Abbé Clerc, mon premier collaborateur, il me semblait souhaitable qu’avant de porter un jugement, ils soient dûment informés. Je me présentais donc fraternellement à eux. Rien n’est odieux comme de juger d’une cause dont on n’est pas chargé et dont on est mal informé.
Je m’abstiens donc de venir à Lourdes si ma présence est « inopportune » et « impossible ». Mais si une injustice est commise à l’égard de mon Œuvre, qui est aussi, je l’espère, celle de Dieu et de l’Eglise, je n’hésiterai pas à répondre sur le terrain sur lequel elle serait attaquée, refusant de laisser attaquer impunément et injustement d’une manière publique les jeunes aspirants au sacerdoce qui me font confiance, français et non-français.
Pour votre information, je vous remets ci-joint une copie de la Lettre d’approbation du Cardinal Wright pour ma Fraternité Sacerdotale. J’ai pris soin, par ce même courrier, de la transmettre à tous les Evêques de France, puisque vous me demandez de ne pas les rencontrer à Lourdes.
Veuillez agréer, Eminence, l’expression de mes sentiments respectueux et fraternels en N.S. et N.D.
+ Marcel Lefebvre
Ancien Archevêque-Evêque de Tulle(la photocopie de l’original se trouve dans mes archives)
Quelques jours plus tard, je me trouvais dans la bureau de Monseigneur Lefebvre pour parler des problèmes du Séminaire, des études, des élèves et faire le point surs les travaux de construction.
Le téléphone sonne. LE CARDINAL MARTY au bout du fil. Mgr Lefebvre me fait signe de prendre l’écouteur. C’est bien le Cardinal Marty, reconnaissable entre mille par son accent. Je prends des notes !
Cardinal Marty : - « Excellence, j’ai reçu votre lettre, et c’est de cela que je veux vous parler pour que tout soit bien clair entre nous. Je dois vous parler clairement et franchement. Si je vous ai dit que votre venue était inopportune et impossible, ce n’est pas en raison d’un changement dans les Statuts de la Conférence Episcopale.
« Vraiment, votre venue à Lourdes pourrait être cause d’un scandale, car je vois mal les Evêques de France accueillir parmi eux, un de leurs confrères qui est en désobéissance avec Rome, en refusant d’accepter la Nouvelle Messe promulguée par le Pape Paul VI, en conformité aux désirs du Concile Vatican II. Et donc, votre visite est impossible, car cela donnerait l’impression que les Evêques de France cautionnent votre désobéissance ».
Monseigneur Lefebvre : - « Je vous remercie Eminence d’avoir eu la délicatesse de m’appeler directement. Mais je tiens à vous préciser que la Messe de Saint Pie V n’a jamais été interdite, même si le Novus Ordo a été étendu à l’Eglise Catholique [NdR : On sait que ce point a définitivement été clarifié par le Pape Benoît XVI]. De plus, je me permets respectueusement de vous faire remarquer que le Novus Ordo ne correspond pas à des désirs exprimés au Concile Vatican II. Si mes souvenirs sont exacts, et ils le sont – je cite de mémoire bien sûr – le Concile prévoyait le maintien des différents rites existant dans l’Eglise Catholique, et donc, nécessairement le rite tridentin ».
Cardinal Marty : - « Mais en maintenant unilatéralement la Messe de Saint Pie V dans votre séminaire et dans votre Fraternité, vous introduisez un élément de division dans l’Eglise, en faisant coexister deux rites, dont l’un est officiellement promu par le Pape, Successeur de Pierre ».
Monseigneur Lefebvre : - « Eminence, vous êtes en train de m’accuser de diviser l’Eglise, à propos de la célébration de la Messe tridentine, alors que des personnalités éminentes, comme le Cardinal Ottaviani ont émis des doutes sur l’opportunité de cette innovation. Et c’est de cela aussi que j’aurais aimé parler à Lourdes, surtout après les rapports mensongers publiés sur mon séminaire et sur la Fraternité Saint Pie X ».
« Si ma présence est inopportune et impossible, pourquoi la présence de chrétiens non-catholiques qui ne croient pas dans le Saint Sacrifice de la Messe, qui ne célèbrent donc pas le Nouvel Ordo promulgué par le Pape Paul VI, n’est-elle pas plus inopportune encore et plus impossible ? Ne serais-je pas, ou plus, un Evêque Catholique ? Il me semble que c’est la conclusion que je dois tirer de vos affirmations. Et je m’élève vivement contre cette injustice ».
« C’était pour vous, Eminence, comme pour tous mes confrères dans l’Episcopat, l’occasion de lever des équivoques, de mettre fin à des affirmations mensongères, de parler entre « frères dans l’épiscopat ». Je vois qu’il n’en est rien, et que l’attitude de l’Episcopat français à mon égard n’a pas changé depuis l’Assemblée des Archevêques et Evêques de France ».
« Je me sens blessé profondément dans ma fonction d’Evêque et de Successeur des Apôtres, et considéré comme un élément schismatique et hérétique ».
Cardinal Marty : - « Excusez-moi, Excellence, ce n’est pas exactement ce que j’ai voulu dire. Mais le problème de la Messe demeure : il introduit un élément grave de division chez les fidèles et dans l’Eglise. Et je vois difficilement comment cette question aurait pu être abordée à Lourdes sans susciter des polémiques enflammées de la part des Evêques de France. Nous ne pouvons donner au monde le spectacle d’une telle division. Je reconnais que c’est une question délicate dont il faudrait parler plus longuement, et notamment avec les Dicastères Romains compétents ».
« C’est pourquoi, pour éviter que des jugements erronés puissent être portés sur le Séminaire d’Ecône et sur la Fraternité Saint Pie X, qui vous amènerait, comme vous me l’écrivez à répondre en vous plaçant sur le même terrain, pour défendre vos séminaristes français et non-français, JE VOUS DONNE MA PAROLE D’HONNEUR DE PRESIDENT DE LA CONFERENCE ESPISCOPALE DE FRANCE QUE L’ON NE PARLERA PAS D’ECONE ET DE LA FRATERNITE SAINT PIE X A LOURDES ».
« Et je vous invite même, quand vous serez de passage à Paris, à venir partager mon repas, ce qui nous permettra de parler sereinement de toutes ces questions, sans soulever de polémique, pour faire ensemble le point, et nous efforcer de trouver une solution équitable au problème qui vous tient à cœur, la formation dans les séminaires, mais aussi la question délicate et épineuse de la Messe ».
Monseigneur Lefebvre : « Je vous remercie Eminence de ces dernières paroles, et je suis rassuré par la promesse que vous venez de me faire. Soyez assuré que, de mon côté, je veillerai à traiter cette question du rite de la Messe avec les Dicastères compétents à Rome. Mais je tiens tout de même à terminer en vous faisant remarquer, Eminence, que ni Monseigneur Adam, ni Monseigneur Charrière, ni même le Cardinal Journet, n’ont fait d’objection sur le maintien dans mon Séminaire et dans ma Fraternité, du rite dit de Saint Pie V ».
« Soyez assuré de mes sentiments fraternels dans le Christ et Notre-Dame ».
(à suivre)
Mgr J. MASSON