31 juillet 2014

[Rivarol] Abbé Anthony Cekada : “Bergoglio est un moderniste typique des années 1960-1970 !”

SOURCE - Abbé Anthony Cekada - Jérôme Bourbon - Rivarol - 31 juillet 2014

L’abbé Anthony Cekada a publié en 2010 une étude sur la nouvelle messe, intitulée Work of Human Hands, A Theological Critique of the Mass of Paul VI, aux éditions PhilotheaPress, disponible depuis le site www.SGGResources.org. Traduit en français, l’ouvrage est en cours d’édition en France. Quatre ans plus tôt, en 2006, feu Serge de Beketch avait invité l’abbé Cekada dans son Libre Journal sur Radio Courtoisie pour s’entretenir sur son étude érudite concernant l’invalidité des nouveaux sacres conciliaires de 1968.
RIVAROL : Pouvez-vous nous dire comment l’idée d’écrire un ouvrage sur la nouvelle messe vous est venue ? N’y a-t-il pas déjà une bibliographie abondante à ce sujet ?
Abbé Anthony CEKADA : Si bien sûr, mais j’ai vraiment écrit pour répondre à un besoin. J’avais 14 ans lorsque j’assistai aux changements apportés à la liturgie après Vatican II. J’en fus profondément choqué. Cette nouvelle liturgie me frappait par son manque de révérence, la messe n’était plus quelque chose de sacré. J’ai vécu avec ce sentiment plusieurs années avant de devenir traditionaliste et d’être ordonné prêtre par Mgr Lefebvre en 1977. Lorsque j’enseignais la liturgie au séminaire Saint-Pie-X dans le Michigan, j’ai cherché un texte qui expliquerait les différences entre la messe traditionnelle et la messe de Paul VI, mais je n’ai trouvé ni ouvrage ni article, dans aucune langue, qui l’explique suffisamment. J’ai donc entrepris de le faire moi-même. 

Pendant plusieurs années, j’ai rassemblé des documents de plusieurs sources différentes, et il m’a fallu encore des années pour écrire le livre, qui fut terminé en 2009. Je fais une comparaison entre le rite de saint Pie V et la nouvelle messe. Je ne parle pas des improvisations qui peuvent avoir lieu dans certaines paroisses, mais bien de la messe de Paul VI en latin, telle qu’elle peut être célébrée de la façon la plus fidèle possible au missel. Je traite non seulement du commun, mais encore du propre. J’étudie le rite de Paul VI du point de vue de la doctrine — sont-ce deux doctrines différentes qui sont enseignées dans les deux rites ? — et je m’interroge sur la manifestation, ou l’absence de manifestation, du sacré dans ce rite, ainsi je me demande lequel des deux rites est le plus digne. 

L’ouvrage est populaire dans le monde anglophone, j’ai eu des recensions favorables même parmi le clergémotu proprio américain. J’ai eu une recension positive également d’un membre de la commission chargée de la nouvelle traduction du missel de Paul VI en anglais, qui a été “promulguée” il y a 3 ans. Et le livre s’est bien vendu. Il existe en français une excellente traduction, mais elle n’a pas encore été publiée et j’espère qu’elle le sera prochainement.
R. : Vous insistez sur le fait que c’est l’Ordo Missae en latin que vous étudiez. Est-ce dans le but de montrer que les problèmes de la nouvelle messe ne viennent pas d’une mauvaise compréhension ou application du rite de Paul VI mais sont bien propres à ce rite ? Car beaucoup s’accordent à fustiger les abus auxquels on peut assister dans certaines paroisses, mais une grande partie du monde traditionaliste se refuse à condamner le rite en lui-même, et sans doute beaucoup ne refuseraient pas d’y assister si seulement il était dit en latin…
Abbé A. C. : Oui, précisément, car il faut bien comprendre que les problèmes qui sont apparus dans la nouvelle messe en langue vernaculaire sont en fait les résultats de la législation liturgique officielle, qui s’appuie sur l’Ordo missaede Paul VI. Je ne traite qu’en passant des abus. Je vous invite, pour vous faire une idée de mon étude, à regarder le petit résumé vidéo que je fais de chaque chapitre sur mon site[voir en fin d’interview, NDLR].
R. : Vous dites sur votre blog ou dans vos émissions de radio que vous savez déchiffrer le langage de Bergoglio car il est l’incarnation du modernisme des années 1960-1970 que vous connaissez bien. Quelle expérience avez-vous du modernisme ?
Abbé A. C. : En 1965, je suis entré au petit séminaire de l’archidiocèse de Milwaukee. En 1969, je suis entré au grand séminaire et j’y ai étudié durant quatre ans. Pendant le temps que j’étais au petit séminaire, et les premières années du grand séminaire, les changements du concile Vatican II commençaient d’être introduits. J’assistai depuis l’intérieur du séminaire aux effets dévastateurs du concile sur la liturgie, sur la vie des prêtres, et sur la doctrine catholique. Je voyais ce processus de près. Quand j’entrai au grand séminaire, j’avais beaucoup de professeurs modernistes. Il n’est pas un seul dogme de la foi catholique que je n’aie pas vu nié durant mes cours. La méthode des modernistes était d’opérer de façon insidieuse. Ils sapaient la doctrine catholique en mettant de côté l’enseignement de l’Eglise pour le “surpasser”. Leur grande idée était de prétendre que nous avions évolué, que nous étions allés au-delà de telle ou telle doctrine. 

De plus, les évêques à cette époque admettaient que l’Eglise adhérait à tel enseignement moral — à l’époque, il était beaucoup question de contraception — mais ils nuançaient cette remarque en disant que nous devions avoir une approche plus pastorale. En réalité, l’enseignement moral était nié dans la pratique. Pour les professeurs, il s’agissait de nous faire croire que la compréhension de tel ou tel enseignement avait évolué. L’évolution du dogme est une erreur que saint Pie X a condamnée et il avait mis en garde contre la duplicité des modernistes, qui faisaient mine d’accepter l’enseignement moral qui était nié dans la pratique…nihil novisub sole !
R. : Justement, à propos de cette « approche pastorale », vous disiez dans une émission récemment que le mot “pastoral” était presque un nom de code dans la bouche de Bergoglio. Qu’entendiez-vous par là ?
Abbé A. C. : Le langage de Bergoglio est le même que celui que j’entendais au séminaire dans les années 1960. Dès son élection, il m’a paru évident qu’il avait la mentalité des prêtres de cette époque. Le mot “pastoral” est selon moi un nom de code pour parler de négation pratique des enseignements moraux. Une autre expression clé de Bergoglio est « le peuple de Dieu », employée pour parler de l’Eglise. 

L’Eglise n’est pas vue dans sa structure hiérarchique, mais comme une assemblée de fidèles. La détestation de Bergoglio pour la théologie systématique qu’il qualifie de sèche, d’abstraite, d’idéologie, est typique. Il a tout un arsenal de termes qui viennent tout droit des années 1960.
R. : Que pensez-vous des évènements qui ont mené à l’“élection” de Bergoglio ? Personne ne s’attendait à la “renonciation” de Benoît XVI, et son successeur se situe sur une ligne bien différente, comme si Ratzinger avait été poussé vers la sortie pour qu’un élément plus progressiste prenne sa place. Pensez-vous que Bergoglio a été élu sur un programme précis ?
Abbé A. C. : Je ne pense pas qu’il y ait eu un complot, si c’est cela que vous voulez dire. Ratzinger voyait simplement ses forces décliner. Il était rattrapé par les années et ne pensait plus être utile. Mais l’on peut dire que le “conclave”, en choisissant Bergoglio, a voulu essayer autre chose que ce que Ratzinger offrait. Ratzinger avait essayé, avec l’herméneutique de la continuité et son image plus conservatrice, de ramener les gens dans l’Eglise. Il n’y est guère parvenu. 

Le “conclave” a sans doute vu en Bergoglio quelqu’un qui pourrait essayer un programme diamétralement opposé. Dès le début, il a annoncé le changement, dès son entrée sur le balcon. Le fait de mettre avec Ratzinger un vernis conservateur sur Vatican II ayant échoué, Bergoglio a simplement proposé de mettre complètement Vatican II en pratique.
R. : Le changement vient aussi du nouveau mode de communication de Bergoglio qui use et abuse des interviews, et même des conversations téléphoniques privées qui sont ensuite rapportées et décortiquées sur les réseaux sociaux, tout cela en prenant le risque de ne plus être audible. Pensez-vous que les interviews données par Bergoglio puissent être considérées comme faisant partie du « magistère conciliaire » ? D’aucuns, pour justifier des propos a priori scandaleux, se lancent dans de véritables exégèses de la parole de l’occupant du siège de Pierre, ou les rejettent paisiblement en prétendant qu’il ne s’agit pas de déclarations magistérielles et que par conséquent elles peuvent être ignorées.
Abbé A. C. : Le sujet est très pertinent. Bergoglio comprend l’usage des media modernes. Lorsqu’il donne ces interviews, qu’il fait des déclarations désinvoltes qui deviennent finalement publiques, il est en fait en train d’enseigner et il a bien l’intention d’enseigner. Ce n’est pas un hasard s’il a voulu faire tous les jours une homélie retransmise depuis la maison Sainte-Marthe, par exemple. Dans ses interviews, il est évident qu’il montre aux catholiques ce qu’ils doivent penser de tel ou tel enseignement de l’Eglise. Donc toutes ces déclarations sont censées devenir partie intégrante du magistère. Car c’est un homme reconnu comme pape qui délivre cet enseignement. 

Ce qu’il dit change pour toujours la façon dont les catholiques considèrent certains sujets, et je ne suis pas le seul à le dire : des éditorialistes de tous bords l’ont fait remarquer, le professeur De Mattei, par exemple, ou même, récemment, un commentateur duNew York Times. Aux Etats-Unis, et je suis sûr que c’est le cas aussi en France, ses paroles sont citées constamment, et elles ont un véritable impact, elles sont prises en compte dans le débat public. Il est donc bien en train d’enseigner. Les gens qui le reconnaissent comme pape doivent considérer son enseignement comme faisant autorité car pour eux c’est le chef de l’Eglise qui parle.
R. : Et les sujets brûlants sont légion. Qu’en est-il du “synode” sur la famille ? Faut-il s’attendre selon vous à un changement doctrinal assumé ?
Abbé A. C. : Le thème central de ce “synode” sera évidemment la question de l’accès aux sacrements des divorcés-remariés. Bergoglio lui-même paraît très déterminé à faire évoluer la pratique, il l’a dit à plusieurs reprises. Ce sera le grand changement à faire voter. Bergoglio l’a dit clairement à travers les “cardinaux” Kasper (pour qui il faut « tenir le binôme de la fidélité aux paroles du Christ et à la miséricorde de Dieu ») et Maradiaga (qui déclarait « Nous devons reconnaître les signes du temps de 2014 comme il avait été fait en 1963, 1964 et 1965 pendant le Concile Vatican II »). 

Les modernistes introduiront un changement d’une façon qui semblera laisser intact l’enseignement sur l’indissolubilité du mariage. Ils insisteront sur le fait que cette doctrine n’est pas négociable. Mais ils la réduiront à néant dans la pratique, et appelleront cela une « application pastorale » de l’enseignement sur l’indissolubilité. Autrement dit, ils nieront, dans les faits, l’enseignement traditionnel. 

Mais une autre possibilité de contourner l’indissolubilité se fait jour dans des interviews. Il s’agirait de faciliter les annulations des mariages. Ce serait une façon de déguiser le divorce. Autrefois, les annulations étaient très rares. Il s’agissait de constater que le mariage n’avait pas été contracté entre deux personnes, par exemple dans le cas où le consentement a été obtenu par la violence. Une fois le mariage annulé, les deux personnes peuvent se marier puisque l’Eglise reconnaît qu’elles n’ont jamais été engagées dans un mariage. L’on voit comment une loi de bon sens peut être détournée afin de satisfaire à la modernité. Kasper a ainsi déclaré dans une interview donnée à une publication jésuite américaine que « le Saint Père croit que 50 % des mariages actuels sont invalides », en raison du manque de connaissance des époux sur ce qu’implique le sacrement de mariage. Cela est extrêmement choquant ! Ce n’est qu’un prétexte pour permettre de plus en plus d’annulations et saper l’enseignement de l’Eglise sur l’indissolubilité du mariage.

L’autre thème qui pourrait être abordé au “synode” est celle du mariage des prêtres. Bergoglio a parlé de cette possibilité à une certain nombre de prélats, qui en ont parlé à la presse. Il a invité les conférences épiscopales à lui soumettre des propositions à ce sujet. Il est possible que ce soient les deux points centraux. D’autres questions seront soulevées, mais celles-là seront cruciales. 

Le troisième thème évoqué par Bergoglio est la question de ce qu’il appelle la “synodalité”, la gouvernance de l’Eglise au moyen des synodes, c’est-à-dire les assemblées d’évêques. Il en a parlé très favorablement dans l’avion de retour du Brésil. Cela est la mise en pratique de la collégialité de Vatican II. Ce sera un changement structurel très important car il modifiera la vision qu’ont les catholiques de la fonction pontificale. 

Selon lui, beaucoup de questions qui sont gérées par le pape et la curie devraient être déléguées aux conférences épiscopales des différents pays. S’il réussit à mettre cela en place, il institutionnalisera la révolution de Vatican II au niveau local. Cela changerait radicalement la compréhension qu’ont les gens de la nature de l’Eglise, de la façon dont elle doit être gouvernée, et de la fonction pontificale, qui s’en trouverait affaiblie. Le programme de Bergoglio a d’ailleurs été constamment de diminuer la papauté.
R. : Vous dites que le “synode” fera en sorte de rendre la validité des mariages douteuse en posant la question des consentements, mais ne pensez-vous pas qu’en effet, certains mariages sont célébrés sans que les époux sachent réellement ce à quoi ils s’engagent, soit que l’indissolubilité du mariage ne soit plus enseignée, soit qu’elle ne soit pas véritablement crue par des gens qui se marieraient à l’église sans réelle conviction ? Et l’on peut alors légitimement se demander si de tels mariages sont valides.
Abbé A. C. : Absolument pas ! La législation traditionnelle sur le consentement des époux, sur leur compréhension de leur engagement, n’est pas du tout exigeante. On n’a pas besoin d’avoir une connaissance exhaustive du sacrement pour contracter validement un mariage, sinon ce serait très difficile pour les gens d’être sûrs d’avoir reçu le sacrement ! Ce que les modernistes essaient de faire est de « mettre la barre plus haut » pour rendre très difficile, à leurs yeux, la validité du sacrement, afin qu’ensuite, le mariage puisse être annulé plus facilement. 

Bien que les gens puissent avoir des idées confuses, dans ce monde moderne où le mariage n’est pas considéré comme une institution très importante, cela n’exclut pas la présomption que lorsque vous contractez mariage, vous avez au moins l’intention minimale de faire ce que veut l’Eglise.
R. : Le rapport de Bergoglio aux homosexuels n’est-il pas un autre exemple de son « approche pastorale » ? Il a déclaré « qui suis-je pour juger les gays ? »,on le voit sur des photos tenir la main d’un prêtre favorable aux homosexuels, Luigi Ciotti, embrasser celle d’un autre prêtre, Michele de Paolis (voir photo ci-dessus), qui est militant LGBT et pour qui l’homosexualité est un don de Dieu (il a écrit un article sur le site de son association, Agedo Foggia : « Ce n’est pas vrai que vous êtes dans le péché, parce que Dieu vous aime et il a mis en vous cette tendance : c’est un don qu’il vous a fait. C’est votre nature, qui doit être acceptée et respectée. Vous n’êtes pas malades, vous n’avez pas à guérir de cette tendance. »). Il va très loin dans ce domaine. Comment l’expliquez-vous ?
Abbé A. C. : Comme vous le dites, cela est l’approche pastorale des années 1960. Bergoglio se dit fils de l’Eglise et affirme adhérer à son enseignement. Mais dans la pratique, il laisse entendre que ces activités sont acceptables en recevant chaleureusement ces gens, en prétendant ne pas vouloir juger. Cette dernière phrase a bouleversé et a véritablement changé la perception de certains catholiques vis-à-vis de l’homosexualité. 

En Illinois, un Etat qui compte une large population catholique, un débat a eu lieu pour légaliser le “mariage” homosexuel. Les catholiques s’y étaient opposés pour des motifs religieux. Le président de la Chambre des Représentants de l’Illinois, Michael Madigan, a paraphrasé les mots de Bergoglio en disant : « qui suis-je pour juger que [les unions gays] devraient être illégales ? », tandis qu’un autre représentant, Linda Chapa La Via, n’a plus hésité à voter en faveur du “mariage” gay en déclarant : « je suis Jésus et le pape, et il est évident pour moi que le cœur de la doctrine catholique est l’amour, la compassion et la justice ». Vous voyez que les paroles de Bergoglio ont des conséquences.
R. : Bergoglio aime aussi les gestes symboliques. Il a pour habitude de demander des bénédictions à d’autres chefs religieux.
Abbé A. C. : C’est l’œcuménisme de Vatican II en action ! L’idée est de faire accroire que la foi catholique n’est pas la seule vraie foi. Si le supposé pape demande des bénédictions aux hérétiques, cela veut dire que les différences doctrinales n’ont pas d’importance, qu’une religion est aussi bonne qu’une autre. Par ces gestes théâtraux il montre de façon concrète que tout ce qui compte c’est la bonne volonté et un sentiment général de charité envers son prochain, sentiment qui n’est pas informé par la foi. Mais il y a plus. 

Dans la personne de Bergoglio, c’est l’office pontifical qui est diminué, humilié. Le fait que celui qui se prétend le Vicaire de Jésus-Christ s’agenouille et demande la bénédiction de quelqu’un qui professe une fausse religion est à l’opposé de ce que doit être la papauté. La papauté, c’est la colonne de vérité dans le monde. Cependant, Bergoglio se plie aux préjugés de notre société moderne et sécularisée selon lesquels toutes les religions se valent, une société qui aime les gestes théâtraux, symboliques comme ceux-ci. 

Aux Etats-Unis, on a beaucoup parlé d’une petite vidéo envoyée par Bergoglio à un groupe protestant dont le chef prêche un évangile que même nous qualifierons de très américain. L’idée est que la pratique de la religion peut apporter une prospérité matérielle. Bergoglio, dans un court message, a loué le fait qu’ils soient charismatiques, a même appelé un membre du groupe son « frère dans l’épiscopat » ! Cette secte n’a pas d’ordres valides, et l’homme n’est donc pas évêque. Tout comme l’archevêque de Cantorbéry, par qui Bergoglio s’est aussi fait bénir. Léon XIII a tranché infailliblement la question des ordres anglicans, et nous savons qu’ils ne sont pas valides. C’est choquant, que Bergoglio appelle “évêque” un simple laïc. La secte pentecôtiste à laquelle je fais référence est connue pour parler en langues, pour prêcher cet évangile de la richesse, pour faire des supposées guérisons… Cette vidéo était stupéfiante, sans parler du « câlin spirituel » que Bergoglio y adressait à ses “frères”. C’était humiliant pour l’Eglise et la notion de papauté. 
R. : Et en ce qui concerne ses relations avec les représentants des autres religions, ne va-t-il pas plus loin que ses prédécesseurs ?
Abbé A. C. : Je pense que Bergoglio continue ce que Jean-Paul II et Benoît XVI faisaient déjà. Ils allaient déjà très loin, tout le monde se souvient de Jean-Paul II devant le Mur des Lamentations. Bergoglio applique les même principes, mais d’une façon plus émotionnelle et plus concrète. Je ne pense pas qu’il soit plus radical, c’est seulement sa façon de faire qui est différente.
R. : Et il s’est montré très complaisant envers l’Islam, il a encouragé à lire le coran, des prières musulmanes ont été dites au Vatican, il était allé à Lampedusa pour accuser l’Europe de ne pas accueillir assez généreusement les immigrés mahométans.
Abbé A. C. : Oui, j’ai entendu parler de cette prière et je n’étais pas surpris. L’Islam se propose de s’imposer en Europe grâce à l’immigration. Les immigrants musulmans font des enfants, et il y aura nécessairement substitution de culture car les adeptes de Vatican II, eux, n’ont généralement pas de famille nombreuse. 

Vatican II est très permissif dans l’ordre pratique sur la contraception, il permet de vivre égoïstement, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il y ait une résistance des catholiques conciliaires à cette immigration musulmane. D’ailleurs, ce n’est absolument pas la préoccupation de Bergoglio. Il est indifférent à cette menace pour la culture européenne et la foi catholique. Et pourquoi s’en soucierait-il ? L’Islam n’est-il pas, à ses yeux, une religion aussi bonne que le catholicisme ?
R. : Avec un prélat si progressiste, pensez-vous qu’il y a moins de possibilité qu’avec Ratzinger de voir une « normalisation canonique » de la FSSPX ?
Abbé A. C. : J’ai suivi les négociations entre la FSSPX et le Vatican de très près du temps de Benoît XVI. Il est vrai que la situation a changé. D’abord, Bergoglio n’a pas d’attrait pour la liturgie traditionnelle, ni pour les groupes traditionalistes. Nous l’avons dit, son programme, c’est encore plus de Vatican II. Il a d’ailleurs pris des mesures contre des groupes comme les Franciscains de l’Immaculée, à qui il a interdit de célébrer la messe de saint Pie V, on peut donc penser que les temps ne sont pas propices à un accord.

Cependant Bergoglio met les « bonnes intentions » d’une personne avant le fait d’adhérer à la vraie religion. C’est pourquoi il ne sera pas comme Benoît XVI attaché à la signature d’un accord doctrinal avec la FSSPX. L’accord proposé par Mgr Fellay a finalement mené à une annulation des négociations avec le Vatican, ce qui me fait dire que, paradoxalement, l’accord pourrait être plus facile avec Bergoglio. 

L’actuel occupant du siège de Pierre l’a dit : le Chemin néocatéchuménal a son interprétation de Vatican II, comme le mouvement Communion et Libération, comme les congrégations traditionalistes. Pour Bergoglio, finalement, la FSSPX est aussi catholique que n’importe quel autre mouvement. Si Bergoglio ne se sent pas séparé des anglicans ou des pentecôtistes, on ne voit pas d’après quel principe il pourrait laisser les traditionalistes au ban de son Eglise. Pour lui en effet, les questions doctrinales ne doivent pas diviser.

Il ne serait pas étonnant non plus qu’il tolère les critiques de prêtres de la FSSPX à son endroit, qu’il tolère des critiques de Vatican II. Ce serait sa façon de résoudre le problème : les réintégrer sans même demander de contrepartie. En tout cas, ce serait cohérent avec les principes qu’il a énoncés jusqu’ici. Ce sera passionnant de voir ce qui va se passer.
R. : Ne pensez-vous pas que l’éviction en octobre 2012 de Mgr Williamson, qui n’a jamais renié ses propos révisionnistes — et qui vient de fonder le 15 juillet au couvent d’Avrillé une Union Sacerdotale Marcel Lefebvre (USML) qui réunit les opposants lefebvristes à Mgr Fellay —, soit un préalable, une condition sine qua non à un accord?
Abbé A. C. : Je crois que le Vatican ne connaissait pas les opinions de Mgr Williamson avant la levée des excommunications. Si je me souviens bien, elle a eu lieu avant que cette interview fasse surface. Ils n’étaient pas bien informés. Il est évident que si le Vatican avait eu vent de l’interview plus tôt, ce début de réconciliation n’aurait pas été possible.
R. : C’est une condamnation sans appel que vous faites de Bergoglio. Que répondez-vous à ceux qui invoquent l’indéfectibilité de l’Eglise ?
Abbé A. C. : Je crois qu’il ne faut pas avoir peur de tirer des conclusions. Un catholique constate sans peine que ce que dit Bergoglio n’est pas catholique, qu’il s’agisse de la doctrine ou de la morale. Et cependant, nous savons que la doctrine catholique nous enseigne que la hiérarchie de l’Eglise ne peut pas nous induire en erreur ou nous pousser au mal. Nous sommes devant un problème : nous croyons que l’Eglise et le Pape, en vertu de l’infaillibilité, ne peuvent pas errer ; mais force est de constater qu’il ne faut pas suivre Bergoglio pour rester catholique. La seule façon d’expliquer cette contradiction est de se rendre à l’évidence : nous n’avons pas en face de nous une hiérarchie catholique. Ces gens ne sont pas investis de l’autorité de Jésus-Christ.

Au seul mot de sédévacantisme, en France du moins, les traditionalistes sont effrayés, dégoûtés même comme beaucoup de gens le sont dès qu’on prononce le mot révisionnisme. Pourtant, cette conclusion que le siège est vacant, occupé par un imposteur, est la conséquence logique de l’enseignement catholique d’une part, de l’hérésie de Bergoglio et de ses prédécesseurs depuis la mort de Pie XII d’autre part. Le sédévacantisme est seulement une explication. La théologie catholique nous dit que si l’Eglise est indéfectible, les individus, eux, peuvent faire défection. C’est la conclusion logique aux maux que nous voyons de nos propres yeux. Maux qui ne peuvent pas venir de l’Eglise ! Dire que la nouvelle messe vient de l’Eglise catholique reviendrait à dire que ce rite, que même la FSSPX considère comme blasphématoire, et selon les circonstances invalide, nous a été donné par Jésus-Christ. 

Je suis conscient qu’il est très difficile d’imaginer l’horrible réalité de ce que nous vivons. Pendant longtemps, j’ai défendu l’autorité de Paul VI. J’étais de ceux qui disaient que l’on déformait les propos du “pape”, qu’il était mal entouré, mal obéi. Mais c’était s’aveugler. En étudiant, j’ai découvert que Paul VI était bien au fait de tous les changements doctrinaux et liturgiques de Vatican II. J’ai réalisé que les erreurs venaient directement de celui qui prétendait être le chef visible de l’Eglise. Dès lors, j’ai dû résoudre ce problème d’autorité, et le sédévacantisme est à mon sens la seule façon catholique de le résoudre.
R. : Vous pensez donc que Bergoglio est un hérétique formel, mais ne faut-il pas une déclaration de l’Eglise pour l’affirmer ?
Abbé A. C. : Quand Bergoglio dit que Dieu n’est pas catholique, qu’on ne peut pas avoir de certitude sur la doctrine, que les athées peuvent aller au ciel, et beaucoup d’autres hérésies encore ; quand il nie en pratique l’indissolubilité du mariage, tout cela est public. On fait souvent des confusions au sujet de l’hérésie formelle. On entend en effet que pour déclarer que quelqu’un est hérétique, il faut une déclaration de l’Eglise. En fait, c’est le cas pour le crime d’hérésie, qui est affirmé après des mises en garde de l’autorité ecclésiastique ; mais ces sanctions ne sont pas nécessaires pour affirmer et reconnaître le péché d’hérésie, et donc pour être un hérétique formel. Pour Bergoglio, je parle de péché d’hérésie ; rappelons que Bergoglio a été au séminaire, on ne peut guère plaider l’ignorance, par conséquent sa culpabilité est aisément présumée. 

De plus l’hérésie formelle n’est pas nécessaire pour séparer quelqu’un de l’Eglise, l’hérésie matérielle et publique est suffisante, c’est ce qu’enseignent les auteurs, par exemple Van Noort (DogmaticTheology 2 : 153) si bien que même sans remplir nécessairement les conditions de l’hérésie formelle, un hérétique matériel qui prononce publiquement des hérésies se met hors de l’Eglise. Et il est évident que quelqu’un qui est hors de l’Eglise ne peut pas en être le chef. Il ne s’agit pas ici de faire du sentiment, ou de craindre de perdre un certain confort, en particulier à Paris, où les traditionalistes ont le choix entre différentes mouvances traditionalistes. Un catholique doit avant tout agir en accord avec sa foi, loin de toute considération matérielle.

Je suis conscient que cela est difficile, et même qu’une telle imposture est impensable. Mais les lecteurs de RIVAROL sont sans doute plus ouverts d’esprit que les autres, eux qui sont conscients des nombreux mensonges officiels, en particulier dans le domaine de la recherche historique. 

Dans le domaine de la théologie, comme dans celui de l’histoire, quand de nouveaux éléments sont mis en lumière — qu’il s’agisse de faits, ou de principes généraux — on ne doit pas hésiter à ré-examiner et, si nécessaire, rejeter des conclusions, quand bien même on les aurait toujours tenues pour vraies.

Propos recueillis par Jérôme BOURBON
----------
Pour les anglophones, signalons que sur le site portail, SGGResources.org, on peut retrouver des articles et des vidéos de l’abbé Cekada, ainsi que l’édition en anglais de son livre sur la nouvelle messe, Work of Human Hands. Il tient aussi un blog appelé Quidlibet à l’adresse fathercekada.com

RIVAROL daté du jeudi 31 juillet 2014 (numéro 3152), 82 boulevard Masséna, Tour Ancône, 75013 Paris. Abonnement : 114 euros par an (ordre des Editions des Tuileries).

30 juillet 2014

[Notions Romaines] Le pontificat bergolien facilitant la réconciliation entre la FSSPX et Rome?

SOURCE - Notions Romaines - 30 juillet 2014

Dans une entrevue à un magasine français relayée sur TradiNews, un prêtre sédévacantiste américain, M. l’abbé Anthony Cedaka énonce avec clarté le caractère paradoxal du pontificat du pape François et les conséquences que cela pourrait avoir pour la Fraternité sacerdotale saint Pie X (FSSPX). Bien que nous ne partageons pas son point de vue sédévacantiste, sa réflexion ici n’est pas inintéressante.

Rares sont ceux qui pensent que la primauté de la pastorale sur le doctrinal chez le Pape puisse faciliter une réconciliation entre la FSSPX et Rome. En revanche, c’est cette absence de rigidité et une ouverture sans précédent aux groupes et sectes protestantes qui pourraient amener les différentes parties à un accord, plutôt une réconciliation sans accord.

Toutefois, nous tenons à apporter les mêmes réserves que nous avions apportées en mai lors de la controverse de la rencontre entre Mgr Fellay et le Pape à la Domus Sanctae Marthae. Nous disions à l’époque que «les deux inquiétants synodes, extraordinaire à l’automne, ordinaire en 2015, sur la famille qui selon la forte rumeur apporteront des changements »pastoraux », aiguiseront la prudence de la FSSPX (et avec raison).»

Voici l’extrait de l’entrevue:
«L’actuel occupant du siège de Pierre l’a dit : le Chemin néocatéchuménal a son interprétation de Vatican II, comme le mouvement Communion et Libération, comme les congrégations traditionalistes. Pour Bergoglio, finalement, la FSSPX est aussi catholique que n’importe quel autre mouvement. Si Bergoglio ne se sent pas séparé des anglicans ou des pentecôtistes, on ne voit pas d’après quel principe il pourrait laisser les traditionalistes au ban de son Eglise. Pour lui en effet, les questions doctrinales ne doivent pas diviser. 
Il ne serait pas étonnant non plus qu’il tolère les critiques de prêtres de la FSSPX à son endroit, qu’il tolère des critiques de Vatican II. Ce serait sa façon de résoudre le problème : les réintégrer sans même demander de contrepartie. En tout cas, ce serait cohérent avec les principes qu’il a énoncés jusqu’ici. Ce sera passionnant de voir ce qui va se passer.»

[Sandro Magister] Le cardinal Pell est le numéro un de la nouvelle Curie, mais dit la messe ancienne


SOURCE - Sandro Magister - version française via le Forum Catholique - 30 juillet 2014

Du 23 au 25 octobre aura lieu le troisième pèlerinage à Rome organisé par le Cœtus Internationalis Summorum Pontificum, réseau mondial des associations et réalités ecclésiales engagées, chacune dans sa région, pour l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum, par lequel Benoît XVI, en 2007, a accordé la pleine citoyenneté au Missel préconciliaire promulgué par saint Jean XXIII en 1962.

Le programme provisoire de l’événement comprend la participation de deux évêques et de trois cardinaux.

Les évêques sont le Français François Bacqué, qui a été nonce apostolique, et l’Italien Guido Pozzo, secrétaire de la commission pontificale Ecclesia De, en charge des communautés liées à ce qui a été défini comme forme extraordinaire du rite romain.

En ce qui concerne les cardinaux, la participation de d’entre eux connus pour être proche du monde traditionaliste l’Américain Raymond L. Burke (qui présidera le pontifical du samedi 25 octobre à Saint-Pierre) et l’Allemand Walter Brandmüller (qui célébrera le dimanche 26 dans la communauté de bénédictins de Nursie la solennité du Christ Roi), n’a rien de surprenant.

Moins évidente, mais pas étonnante, est la participation d’un troisième cardinal, l’Australien George Pell, qui célèbrera, le soir du vendredi 24, une messe pontificale dans l’église romaine de la Trinité-des-Pèlerins. Le cardinal Pell, en fait, est lui aussi l’un des cardinaux les plus liés au monde traditionaliste.

Pendant le pontificat de Benoît XVI, Pell a été à deux reprises en passe d’être nommé à un poste de la plus haute importance dans la Curie romaine. En 2005, il était dans la terna des candidats possibles pour être Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (le troisième, après William J. Levada, qui a été nommé de fait, et Tarcisio Bertone, qui a été nommé en revanche Secrétaire d’État). En 2010, sa nomination comme Préfet de la Congrégation pour les évêques était pratiquement faite, mais la crainte qu’il puisse être impliqué dans une histoire de couverture d’abus sexuels commis par des prêtres dans son diocèse de Sydney a conduit au choix de Marc Ouellet, du Canada.

Mais c’est finalement le pape François, certainement pas suspect de sympathies traditionalistes, qui a promu à Rome le conservateur Pell. Il l’a fait à sa manière, c’est-à-dire en lui confiant des charges de grande importance, mais dans lesquelles Pell peut déployer au mieux ses compétences organisationnelles et son style de commandement direct et expéditif, plutôt que sa propre sensibilité doctrinale ou liturgique.

François en a fait l’un des neuf cardinaux qui le conseillent pour la réforme de la Curie et il en fait aussi le « tsar » de l’appareil économico-financier du Vatican, en le mettant à la tête du puissant Secrétariat pour l’économie qui vient de naître.

Pell, cependant, arrivant à Rome n’a pas laissé à la maison sa sensibilité liturgique. Ainsi a-t-il pensé qu’il était bon de choisir comme secrétaire particulier un prêtre australien, le Père Mark Withoos de Melbourne, qui avait travaillé à la Commission Ecclesia Dei.

Et il a donné son accord pour célébrer la messe selon l’ancien rite lors du prochain pèlerinage organisé par le Cœtus Internationalis Summorum Pontificum, pèlerinage qui a pour délégué général le juge Giuseppe Capoccia, procureur adjoint à Lecce et coordinateur Summorum Pontificum dans les Pouilles, la Campanie et la Basilicate. L’aumônier en est le prêtre français Claude Barthe, et le secrétaire général, le laïque Français Guillaume Ferluc.

29 juillet 2014

[Paix Liturgique] Pour le retour à la manière traditionnelle de communier

SOURCE - Paix Liturgique - lettre 450 - 29 juillet 2014

Lors du dernier pèlerinage Summorum Pontificum à Rome, en octobre 2013, Mgr Schneider avait présenté son dernier ouvrage aux pèlerins de langue italienne. Ce livre, sorti aux Éditions Vaticanes et intitulé Corpus Christi, fait suite à Dominus est dont les éditions Tempora publièrent en 2008 la traduction française. Après avoir insisté, dans Corpus Christi, sur la présence réelle de Notre Seigneur Jésus-Christ dans la sainte Eucharistie et le respect qui lui est dû, Mgr Schneider, plaide aujourd’hui, avec encore plus de vigueur et clarté, pour l’abandon de la pratique de la communion dans la main, née comme une tolérance, un indult, mais qui s’est abusivement généralisée et est devenue la « règle » depuis les années 70, selon un processus bien connu de la subversion des normes. 

Renaissance catholique, qui publie la version française de ce petit (116 pages) mais précieux ouvrage de Mgr Schneider aux éditions Contretemps, a tenu à demander au cardinal Burke, Préfet du Tribunal de la Signature apostolique, une préface spécifique pour cette édition française. Mgr Schneider et le cardinal Burke, qui l’appuie ainsi de tout son autorité morale, se placent courageusement dans la ligne de Mgr Juan Rodolfo Laise, alors évêque de San Luis en Argentine, qui avait écrit un livre sur ce sujet, La communion dans la main. Documents et histoire, publié en français par le Centre International d’Études Liturgiques (1999).

C’est le texte de cette préface que nous vous proposons cette semaine en vous invitant chaleureusement à vous procurer le livre de Mgr Schneider et à en faire la promotion dans vos paroisses.
Corpus Christi – La communion dans la main au cœur de la crise de l’Église,
Éditions Contretemps pour Renaissance catholique Publications,
116 pages, 13 euros.
En vente sur le site de Renaissance catholique ou sur demande au 01 47 36 17 36.

Préface du cardinal Raymond Leo Burkepour l’édition française du livre de Mgr Athanasius Schneider,Corpus Christi – La communion dans la main au cœur de la crise de l’Église
Rien n’est plus important dans la vie d’un catholique que la sainte Eucharistie. Le décret sur la vie et le ministère des prêtres du IIe concile du Vatican, s’inspirant d’un texte de saint Thomas d’Aquin, déclarait : « La sainte Eucharistie contient tout le trésor spirituel de l’Église, à savoir le Christ Lui-même, notre Pâque, le Pain vivant, Lui dont la chair, vivifiée et vivifiant par l’Esprit Saint, donne la vie aux hommes, les invitant et les conduisant à offrir, en union avec Lui, leur propre vie, leur travail, toute la création. » (1) Ce même texte continue ainsi : « On voit donc alors comment l’Eucharistie est bien la source et le sommet de toute l’évangélisation : tandis que les catéchumènes sont progressivement conduits à y participer, les fidèles, déjà marqués par le baptême et la confirmation, trouvent en recevant l’Eucharistie leur insertion plénière dans le Corps du Christ » (2).

La sainte Eucharistie est le mystère par excellence de la Foi. À travers l’action de la sainte Messe, le Christ, assis en gloire à la droite du Père, descend sur les autels des églises et des chapelles du monde entier pour rendre à nouveau présent son sacrifice sur le Calvaire, sacrifice unique par lequel l’homme est sauvé du péché et parvient à la vie dans le Christ grâce à l’effusion du Saint-Esprit. C’est par la sainte Eucharistie que la vie quotidienne d’un catholique reçoit à la fois inspiration et force. 

Uni de cœur avec le Christ dans le sacrifice eucharistique, le catholique fervent est appelé à n’être qu’un avec Lui à chaque instant de chacune de ses journées, portant la Croix et participant ainsi au travail incessant et sans prix de son Amour pur et généreux pour tous les hommes, au-delà de toute frontière. Recevant du Cœur Eucharistique de Jésus l’aliment céleste de son Corps, de son Sang, de son Âme et de sa Divinité, nous sommes fortifiés pour vivre de façon extraordinaire les circonstances ordinaires de la vie quotidienne. C’est pourquoi, au-delà de l’obligation grave de participer chaque dimanche au Saint Sacrifice de la Messe, les catholiques sont invités à participer à la sainte Messe tous les jours, lorsque cela est possible (3).

À partir du moment où l’on a compris la réalité de la sainte Eucharistie – c’est-à-dire, qu’il s’agit du Corps, du Sang, de l’Âme et de la Divinité du Christ donnés à l’homme comme pain céleste pour le soutenir spirituellement dans son pèlerinage terrestre et comme gage de sa destinée aux noces célestes de l’Agneau (Ap XIX, 9), – l’on commence aussi à comprendre la profonde révérence qu’il faut pour traiter et recevoir la sainte Eucharistie. Ainsi, au long des siècles, les fidèles ont fait la génuflexion en arrivant devant le Saint Sacrement et se sont agenouillés en adoration devant la Présence Réelle de Notre Seigneur dans la sainte Eucharistie. De la même façon, sauf circonstances extraordinaires, seul le prêtre ou le diacre touchait la sainte Hostie ou le calice contenant le Précieux Sang. Une des impressions les plus frappantes de mon enfance est cette grande délicatesse envers le Saint Sacrement que m’ont enseignée mes parents, notre curé et les religieuses de nos écoles catholiques. Je me souviens particulièrement des avertissements minutieux qui m’ont été donnés, avant d’être admis à aider le prêtre comme servant de messe, sur la révérence due à la Présence Réelle.

Les signes de Foi eucharistique se manifestaient également dans la beauté de l’architecture et de l’ameublement des églises et des chapelles, dans la qualité des ornements, vases et linges servant au sacrifice eucharistique, et dans la langue et la musique spéciales – ou plutôt sacrées – employées dans le Culte divin. Dans l’attention réservée au Corps et au Sang du Christ, l’Église s’est toujours souciée d’imiter davantage l’exemple de Marie, sœur de Lazare, qui a oint Jésus avec de l’huile très précieuse juste avant sa Passion et sa Mort. Alors que Judas le traître contestait ce geste de profonde vénération et d’amour, comme un gaspillage de ressources qui auraient pu être utilisées pour s’occuper des pauvres, Notre Seigneur répondit que Marie avait agi d’une manière juste et noble, témoignant de la révérence à son Corps, qu’il devait sacrifier pour accomplir le salut éternel du genre humain (Jn XII, 1-8).

Dans ce sens, j’ai toujours été très inspiré par l’exemple de saint François d’Assise qui a pratiqué les plus grandes austérités dans sa vie religieuse de consacré, tout en insistant pour que le plus grand soin fût apporté à honorer le Saint Sacrement, même de façon somptueuse, et à n’utiliser que les matériaux les plus précieux pour le culte eucharistique. Saint François n’a pas hésité à avertir les prêtres (que leur office oblige d’abord à rendre honneur au Très Saint Sacrement), à propos de leurs manques d’égard envers cette réalité sacrée entre toutes (4).

Parmi tous les riches aspects de la Foi et de la pratique eucharistiques, primordiale est certainement la manière dont les fidèles reçoivent le Corps du Christ dans la sainte Communion. Au moment de la sainte Communion, le fidèle, bien conscient de son indignité et se repentant de tous ses péchés, se présente devant le Seigneur qui, dans son amour sans fin et sans mesure, offre son Corps comme aliment céleste pour que nous le recevions. Je me rappelle bien, dans mon enfance, la diligence dont faisaient preuve mes parents, ainsi que les prêtres et les religieuses de l’école catholique, pour préparer les enfants à recevoir pour la première fois la sainte Communion. Je me souviens aussi des fréquents rappels à la révérence et à l’amour qu’il nous fallait démontrer en recevant la sainte Communion et en faisant notre action de grâces immédiatement après la réception du sacrement.

À l’époque de ma Première Communion, le 13 mai 1956, la sainte Hostie se recevait à la Sainte Table, sur les lèvres et à genoux, les mains recouvertes d’une nappe. Cette manière de recevoir la sainte Communion m’a toujours frappé comme étant l’expression la plus haute de l’enfance spirituelle enseignée par Notre Seigneur (Mt XVIII, 1-4), et dont sainte Thérèse de Lisieux est l’une des figures les plus remarquables (5). À cette même époque de ma vie, mon père était gravement malade et il devait rester alité à la maison : il mourut au mois de juillet 1956. Je me rappelle la grande préparation et l’attention qu’il manifestait chaque fois que le prêtre venait lui porter la sainte Communion. L’on dressait une petite table à côté de son lit avec un crucifix, des cierges et une nappe spéciale. L’on accueillait le prêtre en silence à la porte avec un cierge allumé et, même si mon père ne pouvait pas se lever, tous restaient à genoux pendant la cérémonie. 


Des années plus tard, en mai 1969, la pratique de recevoir la Communion dans la main a été autorisée, au jugement des Conférences épiscopales, en parallèle avec la pratique multiséculaire de recevoir la communion directement sur les lèvres (6). L’un des arguments avancés pour introduire cette deuxième option était l’existence d’un usage antique de recevoir la sainte Communion dans la main (7). Dans le même temps, l’instruction de la Congrégation pour le Culte Divin, qui permettait la pratique de la réception de la sainte Communion dans la main, soulignait le fait que la tradition multiséculaire de recevoir la Communion sur la langue devait être préservée en raison du respect des fidèles envers la sainte Eucharistie qu’exprime cette pratique (8). En ce sens, il est intéressant de noter que le Pape Paul VI (durant le pontificat duquel la permission de recevoir la sainte Communion dans la main a été donnée), dans sa lettre encyclique Mysterium Fidei sur la doctrine et le culte du Très Saint Sacrement promulguée quatre années avant la concession de cette permission, se réfère à un usage antique des moines vivant dans la solitude, ainsi que des chrétiens persécutés, selon lequel ils prenaient la sainte Communion avec leurs propres mains. Néanmoins, le Pape ajoute aussitôt que cette référence à un usage d’autrefois ne remet pas en question la discipline qui s’est répandue par la suite concernant la manière de recevoir la sainte Communion (9).

La pratique traditionnelle est mieux comprise à la lumière de l’herméneutique de la réforme dans la continuité, opposée à l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture, dont a parlé le Pape Benoît XVI dans son discours de Noël 2005 à la Curie romaine. Dans l’herméneutique de la continuité, l’unique Église « grandit dans le temps et (…) se développe, restant cependant toujours la même. » (10) Ainsi, la pratique traditionnelle de recevoir la sainte Communion manifeste-t-elle une croissance et un développement tant de la Foi eucharistique que de l’expression de révérence envers le Très Saint Sacrement. L’on pourrait dire par rapport à la manière traditionnelle de communier ce que le Pape Benoît XVI disait par rapport à l’Adoration eucharistique dans son Exhortation Apostolique post-synodale Sacramentum Caritatis : « L’Adoration eucharistique n’est rien d’autre que le développement explicite de la célébration eucharistique, qui est en elle-même le plus grand acte d’adoration de l’Église. » (11)

Malheureusement, l’entreprise de rétablissement de l’antique usage survint précisément à un moment où de nombreux abus liturgiques avaient gravement diminué la révérence et la dévotion dues au Saint Sacrement. En outre, l’époque était à une sécularisation et à un relativisme croissants, dont les effets furent dévastateurs dans l’Église. Qui plus est, la “restauration” de cette pratique fut incomplète, puisqu’elle se borna à la réception de la Communion dans la main sans toutefois incorporer les autres détails très riches de l’usage antique. À la suite de cela, la réception de la sainte Communion est devenue l’occasion de négligences – voire même d’irrévérences effectives – et, dans quelques cas particulièrement déplorables, le Saint Sacrement reçu dans la main n’est pas consommé mais au contraire soumis à des formes d’abus, jusqu’au cas extrême où des personnes emportent le Corps du Christ pour Le profaner plus tard au cours d’une « messe noire ». Dans ma propre expérience pastorale, les cas où la sainte Hostie est laissée dans un livre de chants ou en d’autres endroits, ou même emportée à la maison pour la dévotion privée – cela me déplaît de devoir le signaler –, n’ont pas été rares. Il est également attristant d’avoir vu assez fréquemment des communiants arracher littéralement l’Hostie de mes mains plutôt que de recevoir le Corps du Christ de manière convenable. 

Mgr Athanasius Schneider, pasteur d’âmes exemplaire, a fait face avec un amour courageux à la situation actuelle quant à la réception de la sainte Communion dans le rite romain. Puisant en sa propre et riche connaissance de la foi et de la pratique eucharistiques en un temps de persécution dans son pays natal, il a été poussé à étudier en profondeur cet antique usage de recevoir la sainte Communion dans la main, ainsi que son actuelle restauration. De façon claire et soignée, il explique le soin qu’avait la pratique antique d’éviter tout ce qui peut suggérer l’auto-communion – en soulignant l’aspect infantile de la Communion – ; et d’empêcher que même une seule parcelle ne soit perdue, et ainsi sujette à profanation. Il décrit aussi brièvement les étapes de l’introduction de l’usage actuel, qui diffère de manière importante de la vieille pratique de l’Antiquité.

Il présente ensuite soigneusement les conséquences les plus graves de la pratique actuelle de réception de la communion dans la main : 1) la réduction ou la disparition de tout geste de révérence et d’adoration ; 2) l’emploi pour la réception de la sainte Communion d’un geste habituellement utilisé pour la consommation des aliments ordinaires, d’où résulte une perte de Foi en la Présence Réelle, surtout parmi les enfants et les jeunes ; 3) la perte abondante de parcelles de la sainte Hostie et leur profanation consécutive, surtout en l’absence de plateau lors de la distribution de la sainte Communion ; et, 4) un autre phénomène qui se répand de plus en plus : le vol des saintes Espèces. 

Prenant en considération toutes ces conséquences, Mgr Schneider dit à bon droit que la justice, – c’est-à-dire le respect du droit du Christ d’être reçu dans la sainte Communion avec la révérence et l’amour convenables, et de celui des fidèles de recevoir la sainte Communion d’une manière qui exprime au mieux l’adoration révérencielle, – exige que la pratique actuelle concernant la réception de la sainte Communion dans le rite romain soit sérieusement étudiée en vue d’une réforme dont le besoin se fait lourdement sentir.

Un aspect tout à fait impérieux de la présentation de Mgr Schneider regarde le droit du Christ, le ius Christi. En nous rappelant l’humilité totale de l’amour du Christ qui se donne à nous dans la petite Hostie, fragile par nature, Mgr Schneider nous remet à l’esprit la grave obligation de protéger et d’adorer Notre Seigneur. En effet, dans la sainte Communion, il se fait, en raison de son amour incessant et incommensurable pour l’homme, le plus petit, le plus faible, le plus délicat d’entre nous. Les yeux de la Foi reconnaissent la Présence Réelle dans les parcelles, même les plus petites, de la sainte Hostie et nous conduisent ainsi à l’Adoration amoureuse. 

Il ne me reste qu’à remercier Mgr Athanasius Schneider pour sa minutieuse étude de la question de la réception de la sainte Communion, expression prééminente de la foi eucharistique. Son étude est remplie du plus profond amour de Jésus Eucharistie, amour dans lequel il a été formé à une époque où l’Église était sous le coup de la persécution dans son pays. J’espère que l’étude présentée par ce volume inspirera une Foi eucharistique toujours plus profonde et plus ardente chez le lecteur. J’espère aussi que ce livre servira d’occasion pour renouveler le mode de réception de la sainte Communion, discipline qui dispose le communiant à reconnaître pleinement le Corps, le Sang, l’Âme et la Divinité du Christ et, ainsi, à recevoir Jésus Eucharistie avec une révérence et une adoration amoureuses. C’est dans cette réception révérencielle et amoureuse de Notre Seigneur dans la sainte Communion que nous devons puiser la force de transformer et renouveler nos vies personnelles et notre société, avec la force de l’Évangile, comme le faisaient les premiers chrétiens.

Puisse l’étude du livre de Mgr Schneider amener les fidèles, au moment de la sainte Communion, à reconnaître la Présence Réelle du Seigneur ressuscité et à faire leurs les paroles de saint Jean l’Évangéliste à saint Pierre, lorsque le Seigneur ressuscité apparut aux disciples sur les bords du lac de Tibériade au cours de la pêche miraculeuse : « C’est le Seigneur ! » (Jn XXI, 7). 

Raymond Leo Cardinal BURKE
Rome, le 7 juin 2014, Vigile de la Pentecôte
----------
(1) « In Sanctissima enim Eucharistia totum bonum spirituale Ecclesiae continetur, ipse scilicet Christus, Pascha nostrum panisque vivus per Carnem suam Spiritu Sancto vivificatam et vivificantem vitam praestans hominibus, qui ita invitantur et adducuntur ad seipsos, suos labores cunctasque res creatas una cum Ipso offerendos. » Concile œcuménique Vatican II, Décret Presbyterorum Ordinis, « De Presbyterorum ministerio et vita », 7 décembre 1965, Acta Apostolicae Sedis 58 (1966), 997, n. 5. Traduction française : « Concile Vatican II. Les Documents » (Paris, Médiaspaul, 2012), p. 361, n. 5.

(2) « Quapropter Eucharistia ut fons et culmen totius evangelizationis apparet, dum catechumeni ad participationem Eucharistiae paulatim introducuntur, et fideles, iam sacro baptismate et confirmatione signati, plene per receptionem Eucharistiae Corpori Christi inseruntur. » Ibid., 997, n. 5. Traduction française : Ibid., p. 361, n. 5.

(3) Pie XII, Lettre encyclique Mediator Dei et hominum, « De Sacra Liturgia », 20 novembre 1947, Acta Apostolicae Sedis 39 (1947), pp. 564-565; et Paul VI, Lettre encyclique Mysterium Fidei, « De doctrina et cultu SS. Eucharistiae », 3 septembre 1965, Acta Apostolicae Sedis 57 (1965), 771.

(4) « Epistola ad Clericos », Fontes Franciscani, ed. Stefano Brufani, Enrico Menestò et al. (Assisi: Edizioni Porziuncula, 1995), pp. 59-60 (Recensio prior) et 60-61 (Recensio posterior).

(5) Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, Œuvres complètes (Paris, Les Éditions du Cerf et Desclée De Brouwer, 1992), pp. 219-221. 

(6) Sacrée Congrégation pour le culte divin, Instruction Memoriale Domini celebrans, « De modo Sanctam Communionem ministrandi », 29 mai 1969, Acta Apostolicae Sedis 61 (1969), 541-547.

(7) Ibid., 542.

(8) Ibid., 543.

(9) Paul VI, Lettre encyclique Mysterium Fidei, « De doctrina et cultu SS. Eucharistiae », 3 septembre 1965, Acta Apostolicae Sedis 57 (1965), 770.

(10) « … cresce nel tempo e si sviluppa, rimanendo però sempre lo stesso, … » Benoît XVI, discours « Ad Romanam Curiam ob omina », 22 décembre 2005, Acta Apostolicae Sedis 98 (2006), 46. 

(11) « … adoratio eucharistica non est aliud quam evidens beneficium eucharisticae Celebrationis, quae in se ipsa est Ecclesiae actio adorationis maxima. » Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale Sacramentum caritatis, « De Eucharistia vitae missionisque Ecclesiae fonte et culmine », 22 février 2007, Acta Apostolicae Sedis 99 (2007), 155, n. 66.

[Alexis Favre - LeTemps.ch] Piratage informatique chez les fous de Dieu

SOURCE - Alexis Favre - LeTemps.ch - 29 juillet 2014
Des cadres de la Fraternité Saint-Pie X sont accusés d’usurpation d’identité. Ils cherchaient à confondre des prêtres intégristes dissidents 

Fidèle de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX) – dont fait partie le séminaire d’Ecône –, l’encaveur valaisan Dominique Giroud a défrayé la chronique cet été pour avoir tenté de pirater les ordinateurs de journalistes qui enquêtaient sur lui. 

Il apparaît aujourd’hui que les plus hautes instances de la Fraternité traditionaliste ont eu recours à des méthodes similaires dans une tout autre affaire. Comme l’a appris Le Temps, des responsables de la FSSPX ont usurpé l’identité de l’un de leurs prêtres sur Internet, et piraté la boîte mail de l’un de ses confrères, dans le cadre de procès ecclésiastiques ouverts à leur encontre en 2013 pour «actes de sédition», sur décret du supérieur général de la FSSPX, le Valaisan Bernard Fellay. Le dossier serait désormais entre les mains de la justice française, les deux prêtres – Français tous les deux – ayant porté plainte. 

L’affaire a fait l’objet d’un livre autoédité en 2014 par l’abbé François Pivert, défenseur de l’un des prêtres jugés. Un ouvrage qui rassemble les actes du procès intenté à l’abbé P.*, et dont la publicité n’a pas dépassé le cercle des initiés. 

Le litige trouve son origine dans la crise que traverse la FSSPX depuis plusieurs années. Fondée en 1970 par l’évêque Marcel Lefebvre, elle n’est plus reconnue par Rome depuis 1976, date à laquelle le fondateur est suspendu pour son opposition aux réformes du Concile Vatican II. En 1988, Marcel Lefebvre et quatre évêques qu’il a ordonnés contre l’avis du Saint-Siège – dont Bernard Fellay et le négationniste Richard Williamson – sont excommuniés. 

La rupture entre Rome et la FSSPX est complète jusqu’en 2009, quand l’excommunication des évêques est levée. S’ensuit une période de discussions en vue d’une réconciliation avec Rome, au cours de laquelle Bernard Fellay met un peu d’eau dans son vin de messe intégriste. En substance, il considère que Vatican II pourrait être acceptable, si les réformes sont interprétées à la lumière de la Tradition. Le rapprochement échoue mais c’en est déjà trop pour les ultras: ils contestent désormais l’autorité du supérieur général, à qui ils reprochent de mettre la Fraternité en danger en pactisant avec les «modernistes» du Saint-Siège. 

Sous le couvert de l’anonymat, plusieurs prêtres membres de la FSSPX multiplient alors les appels à la démission de Bernard Fellay au moyen de lettres anonymes ou via des sites internet «résistants». Le 28 février 2013, la «Lettre ouverte des 37 prêtres FSSPX à Mgr Fellay » est diffusée sur ces canaux. Les signataires anonymes accusent Bernard Fellay de «nuire au bien commun de notre société», lui reprochent de dire «tout et son contraire». Pour eux, «la droiture évangélique a été perdue». 

Cette lettre ouvre la voie au procès ecclésiastique. Le 7 mars 2013, par circulaire, l’abbé T., secrétaire général de la FSSPX, informe ses ouailles qu’une «entreprise de subversion vient d’être mise au jour au sein de la Fraternité». L’abbé T. écrit que, en «étroite collaboration avec Mgr Williamson, M. l’abbé R. est le maître d’œuvre de cette entreprise d’insubordination, de concert avec M. l’abbé P. et M. l’abbé S.» L’abbé T. annonce que ces trois prêtres ont été «relevés de tout ministère» et qu’ils ont «à se rendre dans des prieurés distincts. Un procès ecclésiastique sera instruit contre eux». 

Le 7 mars toujours, un «décret pénal» signé par Bernard Fellay ordonne à l’abbé P. «de se rendre, dans les 72 heures […], au prieuré de Jaidhof (Autriche) et d’y demeurer jusqu’à la conclusion du procès pénal ecclésiastique». L’abbé R. est sommé, lui, de se rendre au prieuré de Wil, en Suisse, et l’abbé S. doit se rendre à Albano (Italie). Le 18 mars 2013, Bernard Fellay érige un tribunal ecclésiastique. Supérieur du district de Suisse, l’abbé W. est nommé juge et l’abbé Q., professeur de morale à Ecône, est nommé assesseur. 

L’abbé R. ne sera jamais jugé, préférant quitter la Fraternité. Les abbés S. et P. seront tous deux reconnus coupables d’actes séditieux, relevés de leur ministère et astreints à résidence forcée: 4 mois au prieuré d’Albano pour l’abbé S. (il en a alors déjà purgé deux) et 8 mois à Jaidhof pour l’abbé P. (une peine déjà purgée dans l’attente de sa sentence). 

Les actes de piratage et d’usurpation d’identité par les animateurs de ces procès canoniques apparaissent au détour de l’acte d’accusation de l’abbé P. Rédigée par l’abbé Q., la première pièce du dossier d’accusation, dite «narration des faits», ne fait aucun mystère: «L’abbé W. [supérieur du district de Belgique] créa une adresse e-mail fictive au nom de l’abbé P. et s’en servit entre trois et cinq fois pour piéger des confrères ou laïcs impliqués dans la rébellion. L’abbé R. fut le premier visé… et le premier à mordre et à se dévoiler. Mgr Williamson fut aussi pris au piège.» Pour ferrer les dissidents, les auteurs du piège n’ont pas hésité à signer certains des messages envoyés du nom de l’abbé P. 

Plus loin, l’abbé Q. explique comment l’abbé W. s’est introduit dans la boîte mail de l’abbé R., à son insu: «En allant sur la page Yahoo, M. l’abbé W. suivit la procédure indiquée lors de l’oubli du mot de passe. Et là, deux demandes furent formulées: 1. le prénom du père de l’abbé R., qu’une petite recherche sur les Pages blanches révéla sans difficulté; 2. et ensuite le nom du professeur préféré. Après quelques hésitations, et aidé par M. l’abbé T. [secrétaire général de la FSSPX], le mot «Faurisson» permit d’accéder facilement à la boîte mail, un peu comme on trouverait les clefs d’un coffre, mal dissimulées à l’alentour.» 

Selon nos informations, l’abbé R. et l’abbé P. ont saisi la justice française. Le premier pour atteinte à la vie privée et le second pour usurpation d’identité. A croire le site Lasapinière.info, les adresses IP des «hackers» auraient été localisées en Belgique et dans le canton de Zoug. 

Entrés en dissidence, l’abbé R. et l’abbé P. n’ont pas pu être contactés parLe Temps, pas plus que l’abbé François Pivert. Impossible donc de savoir ce qu’il est advenu de leurs plaintes pénales. Contactée, la FSSPX rappelle que les procès qui leur ont été intentés relèvent de la justice ecclésiastique. «Nous ne nous érigeons pas au-dessus de la loi civile, que nous cherchons à respecter», écrit d’ailleurs l’abbé T. en réponse à nos questions. Et d’affirmer que «quant à l’abbé P., les éléments qui ont servi dans la procédure le concernant ne sont pas issus d’un procédé […] où l’on aurait usurpé son identité». 

A la lecture des actes du procès, il apparaît en effet que les informations obtenues grâce à la fausse adresse e-mail n’ont pas été exploitées par l’accusation. En revanche, l’exploitation du contenu de la boîte mail de l’abbé R. – «tous les documents reçus et envoyés» – a été «laissée à la Maison généralice [le siège de la FSSPX, à Menzingen (ZG)]». 

Pour l’avocat genevois Nicolas Capt, spécialiste en criminalité des nouvelles technologies, la justice française pourrait entrer en matière. Même si les actes de piratage semblent avoir été commis en Belgique et en Suisse, la loi pénale française s’applique si «la victime d’un délit passible d’emprisonnement est de nationalité française», explique-t-il. 

En l’espèce, le Code pénal punit l’usurpation d’identité d’une peine maximale de 1 an de prison, y compris lorsque les faits ont été commis sur Internet. «Cela vise à mon sens les courriels écrits à des tiers par le «faux» abbé P. ainsi que, possiblement, les tentatives de récupérer le mot de passe de l’abbé R.», précise l’avocat.
----------
* Noms connus de la rédaction

27 juillet 2014

[FSSP] Vendredi 1er août 2014, jour de prière pour les chrétiens persécutés d’Irak, de Syrie et du Moyen-Orient

SOURCE - FSSP - 27 juillet 2014
La FSSP demande à tous ses apostolats à travers le monde de consacrer le vendredi 1er août prochain comme un jour de prière et de pénitence pour les chrétiens qui souffrent une terrible persécution en Irak, en Syrie et au Moyen-Orient.
 
Le 1er août est cette année à la fois le premier vendredi du mois et la fête de Saint-Pierre-aux-liens, qui est célébrée comme une fête de troisième classe dans les maisons et apostolats de la FSSP. A l'occasion de cette fête, nous nous souvenons du grand pouvoir de la prière persévérante des membres de l’Eglise : « Tandis que Pierre était gardé en prison, la prière incessante de la communauté montait vers Dieu pour lui » (Ac 12,5, épître de la Messe).
 
Que cette fête de notre patron soit une invitation pour les fidèles à se joindre aux divers Heures Saintes ou prières pénitentielles organisées pour implorer de la Sainte Trinité que ces membres du Corps mystique persévèrent dans la foi et que, comme saint Pierre, ils soient délivrés de cette terrible persécution. Que ce jour soit pour nous le rappel du fort contraste qui existe entre nos jours de vacances d’une part et leur combat quotidien pour survivre ou partir en exil d’autre part.

26 juillet 2014

[Mgr Williamson] La France Bouge

SOURCE - Mgr Williamson - 26 juillet 2014

Nombreux parmi vous savent que les mardi et mercredi de la semaine dernière eut lieu au couvent des Dominicains d’Avrillé, près d’Angers dans l’ouest de la France, une réunion de prêtres de partout où la « Résistance » est en marche et fonctionne, mais principalement de la France. Ce fut la troisième réunion semblable de prêtres français tenue à Avrillé depuis le début de l’année et elle fut la plus importante. Cette fois-ci ils commencèrent à coordonner et à organiser leurs activités en France, pays dont l’action a souvent été décisive pour l’Église de façon ou d’autre.

Le mérite de la convocation de ces réunions revient au Prieur d’Avrillé, le Révérend Père Pierre-Marie. Depuis de nombreuses années Avrillé offre un appui et un refuge aux prêtres de la Fraternité Saint Pie X qui ont vu leur ministère sacerdotal devenir de plus en plus difficile sous leurs chefs actuels dont la poursuite d’une réconciliation avec la Néo-église à Rome, malgré le camouflage et les dénégations, est implacable. Il y a seulement quelques semaines le Deuxième Assistant de la Fraternité aurait dit : « Le train est en partance pour Rome et ceux qui voudront en descendre, en descendront ». Aussi longtemps qu’il fut possible, le R.P. Pierre-Marie évita de rompre les relations avec la FSPX officielle, mais dans les premiers mois de cette année vint un ultimatum de Monseigneur Fellay signifiant leur rupture. Cela était inévitable tant qu’Avrillé ne voulait pas le suivre dans la trahison de la Tradition.

A l’origine, c’est pour les prêtres français que le R.P. Pierre-Marie avait organisé cette réunion, mais je lui ai suggéré que des prêtres résistants hors de France pourraient également être invités pour une double raison : Ces derniers seraient encouragés de voir la « Résistance » s’organiser en France où elle n’avait jusqu’alors été le fait que d’un petit nombre de prêtres, et à leur tour les prêtres français se rendraient compte qu’il n’y a pas qu’en France qu’on résiste. Le R.P. Pierre-Marie accepta ma suggestion et c’est ainsi qu’environ 18 prêtres se réunirent.

La réunion se déroula très bien, sans aucune amertume. On y regarda fort peu en arrière et beaucoup vers l’avenir. La première journée de travail fut réservée surtout aux prêtres qui sont en France. Ils commencèrent par nommer comme leur coordinateur l’abbé de Mérode, un prêtre de Belgique qui a 30 ans d’expérience dans la FSPX dans plusieurs parties du monde. Ensuite, pour leur organisation naissante, ils choisirent le nom de « Union Sacerdotale Marcel Lefebvre », nom qui annonce clairement son orientation. Et finalement l’abbé de Mérode commença à organiser un réseau de centres de Messes dans toute la France – retour aux années 1970, mais dans des conditions plus dures et avec des moyens très limités, du moins pour le moment.

La deuxième journée de travail fut réservée aux affaires internationales pour la défense de la Foi et là, bien sûr, a surgi la question des consécrations épiscopales, car je n’aurai pas été le seul à vouloir connaître l’avis des prêtres présents. Il fut relativement unanime. Nos lecteurs se sentiront encouragés en apprenant que même si on pensait que le moment pour les consécrations n’est pas encore arrivé, il ne peut néanmoins être très éloigné. En effet, on n’imagine pas pour l’instant comment l’un des trois évêques encore dans la FSPX voudrait entreprendre une consécration sans l’accord de Rome, et il est impossible d’imaginer comment la Rome néo-moderniste approuverait un candidat anti-moderniste ! Patience.

Vos prières sont en tout cas nécessaires à la fois pour la tranquille réussite de l’Union Sacerdotale qui vient de naître, et pour que Dieu nous donne, au bon moment, les nouveaux évêques nécessaires à la défense de la Foi.

Kyrie eleison.

[Falk Van Gaver - La Nef] Dimitte nobis ?

SOURCE - Falk Van Gaver - La Nef - juillet/août 2014
Les familiers du latin liturgique sauront tout de suite de quoi je parle : la Vulgate, plus proche du grec évangélique que notre fade version française, porte : « Et dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. » En bon français : « Et remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs. » Ce que chacun entend en rite vernaculaire, dans une traduction qui est autant une émasculation qu’une spiritualisation : « Et pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Alors que la nouvelle traduction liturgique de la Bible porte justement : « Remets-nous nos dettes, comme nous-mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs » (Mt 6, 12). Tout laisse cependant penser que nous ne réciterons pas ainsi la prière dominicale avant longtemps.

Dans cet écart entre l’original christique et la prière liturgique, il y a davantage qu’une simple sensibilité ni même qu’une spiritualité : c’est de toute une anthropologie qu’il s’agit. L’introduction d’une philosophie spiritualiste et spiritualisante, issue entre autres du « cogito ergo sum » de René Descartes, a largement imprégné le christianisme occidental – catholique comme protestant –, depuis passablement désincarné et désincorporé, en quelque sorte. Et ce partant, désocialisé et dépolitisé. Si le « Remets-nous nos dettes » comprend et l’acception littérale – et donc politique et sociale – et l’acception spirituelle, le « Pardonne-nous nos offenses » gomme la première dimension – pourtant centrale dans la doctrine sociale de l’Église, comme le rappelle son Compendium avec les préceptes bibliques de l’année sabbatique et de l’année jubilaire qui constituent une doctrine sociale « in nuce » : « Parmi les multiples dispositions qui tendent à rendre concret le style de gratuité et de partage dans la justice inspirée par Dieu, la loi de l’année sabbatique (célébrée tous les sept ans) et de l’année jubilaire (tous les cinquante ans) se distingue comme une orientation importante — bien que jamais pleinement réalisée — pour la vie sociale et économique du peuple d’Israël. En plus du repos des champs, cette loi prescrit la remise des dettes et une libération générale des personnes et des biens : chacun peut rentrer dans sa famille d’origine et reprendre possession de son patrimoine » (24).

Donc, contre une traduction appauvrie qui nous permet d’être catholiques pratiquants le dimanche et athées pratiques la semaine (en société, en politique, en économie…), comprenons toujours le « dimitte nobis » comme il se doit, comme l’injonction à remettre toutes les dettes. 
 
Et peut-être pourrait-on alors enrichir l’« Ite missa est » d’un « Gratis accepistis, gratis date » : « Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement » (Mt 10, 8).

[Notions Romaines] La réalité a rattrapé l’optimisme post-conciliaire à Montréal

Église Saint-Jude, avant et après
Source: National Post
SOURCE - Notions Romaines - 26 juillet 2014

Un article du journal anglophone National Post, il est fait état de la transformation des églises catholiques vides et de leur seconde vie en tant que spa, salle de conférence ou encore centre d’entraînement. La réalité semble avoir – durement – rattrapée l’optimiste avec lequel l’aggiornamento conciliaire ouvrait ses bras pour embrasser le monde.

Avec quelle empressement l’Église québécoise s’est-elle débarrassé de son rôle immense en éducation et en santé pour se contenter de vagues promesses du gouvernement laïcisant du Québec. Des ordres religieux entiers, actifs et dédiés à la fois à l’éducation et aux soins de santé des hommes aussi bien que de leurs âmes se sont effondrés après leur remplacement dans un premier temps par des aumôniers, qui sont vite disparus pour ainsi laisser place à des laïques qui eux aussi ont disparu dans les années 2000, remplacés par le nouveau cours d’éthique. 

C’est avec cette même naïveté que beaucoup de diocèses vivent au crochet du gouvernement pour maintenir leurs lieux de culte via le Conseil du patrimoine religieux. Cela peut paraître très surprenant pour un pays comme la France, où religion et État sont strictement séparés. Cette incongruité, ce «partenariat naïf» avec le laïcisme est typiquement québécois. Mais alors que moins de 60% des Québécois s’identifient comme catholique (ils étaient 83% il y a quelques années seulement), ce partenariat ne pourra durer comme y fait allusion l’article dont nous avons traduit un extrait:
«Mais après 18 ans et 371 millions de dollars investis par le gouvernement, le Conseil reconnaît que cela n’a plus beaucoup de sens de réparer des édifices seulement pour les faire tenir debout. Ils doivent être occupés et les églises ont de plus en plus de difficulté à le faire. Le problème a changé, a dit Denis Boucher, un responsable des projets du Conseil. Aujourd’hui l’on parle plus de trouver des occupations pour ces bâtisses.»
Néanmoins, nous tenons à souligner le rôle de l’archevêque de Montréal , Mgr Christian Lépine, un évêque plus conservateur que le libéral qui l’a précédé (le cardinal Turcotte) qui stoppa la vente hâtive d’églises. L’article en fait mention:
«La poussée pour préserver les églises en leur donnant une nouvelle mission rencontra un obstacle avec l’arrivée de Christian Lépine comme nouvel archevêque catholique romain de Montréal en 2012. Peu après sa nomination, il déclara un moratoire sur la vente des églises, inquiet de ce que les fidèles perdent leur église de quartier.»

23 juillet 2014

[Paix Liturgique] Cardinal Antonio Cañizares : 2ème partie : ouvrir le trésor liturgique de l'Eglise à tous les fidèles

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 449 - 22 juillet 2014

En exclusivité, nous vous proposons la suite de la préface donnée par le cardinal Cañizares, préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, à la thèse que vient de publier le père Alberto Soria Jiménez, un bénédictin espagnol, sur les principes d'interprétation du Motu ProprioSummorum Pontificum. Cette thèse en droit canon, soutenue devant l'université ecclésiastique San Dámaso de Madrid, étudie l'évolution du cadre juridique de la célébration selon le missel de 1962 sous Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI, puis se penche sur la signification de « forme extraordinaire du rite romain » et, enfin, envisage l'unité du rite romain à la lueur de la pensée de Benoît XVI.

Dans cette partie de sa préface, le cardinal Cañizares répond efficacement à une série d'objections soulevées contre le Motu Proprio par ceux qui se prétendent les gardiens « de l'esprit du Concile », et salue le nécessaire œcuménisme intra-catholique permis par le texte de Benoît XVI.
***
Ceux qui veulent voir, dans la distinction que fait le Motu Proprio entre cum et sine populo, une restriction à la forme extraordinaire, oublient qu'avec le missel de Paul VI aussi, l'autorisation du curé ou du recteur de l'église est nécessaire pour célébrer cum populo.

D'autre part, la possibilité, envisagée expressément dans le Motu Proprio – et qui a provoqué plus d'une saillie de la part de ceux qui ont critiqué le document –, que la présence spontanée de fidèles à une messe sine populo soit admise, n'a fait que mettre un terme à la situation étrange qui voyait cette messe interdite à la participation des fidèles même quand elle était célébrée par un prêtre en situation canonique régulière, au seul motif de la forme liturgique utilisée et ce alors même que celle-ci était pleinement reconnue par l'Église. Il a ainsi été évité de rééditer la situation des années 70 quand des prêtres qui ne pouvaient apprendre le nouveau missel pour des raisons d'âge ou de santé, se voyaient condamnés à ne plus pouvoir célébrer l'Eucharistie pour la communauté, aussi réduite soit-elle. Une situation qui, avec la sensibilité actuelle, serait perçue comme discriminatoire. Enfin, limiter la pratique de la forme extraordinaire à la messe sine populo, contredirait les termes et les intentions de la constitution conciliaire : « Chaque fois que les rites [...] comportent une célébration communautaire avec fréquentation et participation active des fidèles, on soulignera que celle-ci, dans la mesure du possible, doit l’emporter sur leur célébration individuelle et quasi privée » (Sacrosanctum Concilium 27).

Il est hors de doute qu'au milieu du XXème siècle un approfondissement et une rénovation de la vie liturgique aient été nécessaires. Mais, par bien des aspects, cela n'a pas été une opération parfaitement réussie. Il a été opéré une « réforme », un changement des formes, mais pas une vraie rénovation comme le souhaitait Sacrosanctum Concilium. Parfois le changement a été réalisé avec un esprit superficiel, le critère ayant semblé être de s'éloigner à tout prix d'un passé perçu comme totalement négatif et dépassé ; comme s'il s'agissait de créer un abîme entre l'avant et l'après Concile, dans un contexte où le mot « préconciliaire » était utilisé comme une insulte. Cependant, le véritable esprit du document conciliaire n'était pas d'aborder la réforme comme une rupture avec la tradition mais, au contraire, comme une confirmation de la Tradition en sa signification la plus profonde.

Une preuve de cela nous est donnée par le grand liturgiste Josef Jungmann, l'un des inspirateurs de la réforme liturgique, commentant l'article 23 de la constitution conciliaire : « La réforme de la liturgie ne peut pas être une révolution. Elle doit tenter de saisir le sens réel et la structure fondamentale des rites transmis par la tradition et, en valorisant prudemment ce qui existe déjà, le développer ultérieurement de manière organique, allant à l'encontre des exigences pastorales d'une liturgie vivante. » Ces paroles lumineuses indiquent les idéaux qui « doivent servir de critère pour toute réforme liturgique » et dont Jungmann a dit : « Ce sont les mêmes que ceux qui ont animé tous ceux qui ont œuvré avec justesse pour le renouveau liturgique. » Certains de ces principes sont universels, nous dit la constitution conciliaire : « Parmi ces principes et ces normes, il en est un certain nombre qui peuvent et doivent être appliqués tout autant aux autres rites qu’au rite romain » (Sacrosanctum Concilium 3). De façon logique, la célébration de la forme extraordinaire du rite romain devrait, elle aussi, être éclairée par les dix premiers paragraphes de la constitution conciliaire, où sont exposés les principes universels de la liturgie.

Ainsi, le Concile affirme que le Seigneur n'a pas seulement envoyé les apôtres « proclamer l'Évangile à toute créature et annoncer que le Fils de Dieu, par sa mort et sa résurrection, nous a délivrés du pouvoir de Satan ainsi que de la mort et nous a conduits au royaume du Père » mais aussi « afin qu'ils exercent cette œuvre de salut qu'ils annonçaient par le sacrifice et les sacrements autour desquels gravite toute la vie liturgique » (Sacrosanctum Concilium 6). Il enseigne aussi que la finalité de la célébration liturgique est la gloire de Dieu et le salut et la sanctification des hommes puisque dans la liturgie « Dieu est parfaitement glorifié et les hommes sanctifiés » (Sacrosanctum Concilium, 7). N'oublions pas, par ailleurs, que les vrais adorateurs de Dieu, les réformateurs profonds du monde, les témoins du monde futur qui ne passera pas, ce sont les saints qui sont sanctifiés en Lui.

Comme le rappelait l'alors cardinal Ratzinger (discours sur l'ecclésiologie de Lumen Gentium, 27 février 2000) : « Rétrospectivement, on doit dire que, dans l’architecture du Concile, cela a un sens précis : au commencement il y a l’adoration, et donc Dieu. Ce commencement répond à la parole de la règle bénédictine : ''Operi Dei nihil praeponatur'' (On ne préférera rien à l’œuvre de Dieu, règle de saint Benoît 43, 3). » L'Église, par nature, dérive de sa mission de glorifier Dieu et, pour cela, est irrévocablement liée à la liturgie, dont la substance est la révérence et l'adoration envers Dieu, présent et agissant dans l'Église et par l'Église. Une certaine crise qui a pu affecter de façon importante la liturgie et l'Église elle-même depuis les années succédant au Concile jusqu'à aujourd'hui, est due au fait que son centre n'est plus Dieu et Son adoration mais les hommes et leur capacité à « faire ».

« Certainement, ajoutait le Cardinal, dans l’histoire de l’après-Concile, la Constitution sur la Liturgie ne fut plus comprise à partir de ce primat fondamental de l’adoration, mais plutôt comme un livre de recettes sur ce que nous pouvons faire avec la liturgie. […] Mais plus nous la faisons pour nous-mêmes, moins elle est attirante, et cela parce que tous ressentent clairement que l’essentiel est toujours davantage perdu. » Quand se produit ce que décrivait le cardinal Ratzinger, c'est-à-dire que c'est nous qui « faisons » la liturgie et que cela se généralise, alors les fidèles et les communautés se dessèchent, s'affaiblissent et déclinent.

Pour cela, il est absolument infondé de dire que les prescriptions de Summorum Pontificumconstitueraient une « atteinte » au Concile : une pareille affirmation manifeste une grande ignorance du Concile lui-même, dès lors qu'offrir la possibilité de permettre à tous les fidèles de connaître et d'apprécier les nombreux trésors de la liturgie de l'Église est précisément ce que désirait ardemment cette grande assemblée : « Obéissant fidèlement à la Tradition, le saint Concile déclare que la sainte Mère l’Église considère comme égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus, et qu’elle veut, à l’avenir, les conserver et les favoriser de toutes manières » (Sacrosanctum Concilium 4).

De la même façon, nous observons que lorsque sont dénoncées des attitudes ou des positions de « refus du Concile », c'est toujours à sens unique, c'est-à-dire à propos de ceux qui n'acceptent pas l'état actuel de la liturgie alors que, la plupart du temps, les comportements et pratiques qui provoquent ce refus ne viennent pas du Concile en soi, pas plus qu'il ne s'agit de mises en œuvre de ses principes mais, au contraire, de comportements et de pratiques qui le trahissent en ce qu'ils sont diamétralement opposés à ce qu'exprima l'assemblée conciliaire. Personne ne parle, en revanche, ou alors avec bien moins de sévérité, de la désobéissance et du « refus », malheureusement si fréquents, opposés aux grands principes clairement exposés par le Concile. C'est pour cela que l'alors cardinal Ratzinger en arriva à dire que « l'obstacle majeur à l'acceptation pacifique du renouvellement de la structure liturgique réside dans le fait que la liturgie a été abandonnée à l'inventivité de chacun ». Ailleurs, il expliquait, parlant de la libéralisation de la célébration de la liturgie traditionnelle, qu'il « ne s'agit pas d'une attaque contre le Concile mais d'une mise en œuvre de celui-ci, encore plus fidèle, si j'ose dire, que celle que l'on nous présente habituellement ».

Un autre aspect sur lequel ce livre que nous introduisons attire notre attention et qu'il est important de ne pas perdre de vue, c'est l'impact négatif que nos discussions intra-ecclésiales peuvent avoir sur l'œcuménisme. Souvent, nul ne prête attention au fait que les critiques faites au rite hérité de la tradition romaine touchent aussi les autres traditions, en particulier celle orthodoxe : presque tous les aspects liturgiques fortement attaqués par ceux qui s'opposent à la conservation de l'ancien missel romain sont précisément ceux que nous avons en commun avec la tradition orientale ! Une preuve nous en est donnée par les réactions extrêmement positives arrivées du monde oriental lors de la publication du Motu Proprio. Ce document revêt ainsi une valeur cruciale pour la « crédibilité » de l'œcuménisme dès lors que, selon l'expression du président du Conseil pontifical pour l'unité des chrétiens, le cardinal Kurt Koch, « il promeut, en réalité, si l'on peut dire, un œcuménisme intra-catholique ». Nous pourrions dire, par conséquent, que la prémisse « ut unum sint » suppose le « ut unum maneant » de sorte que, comme l'écrit le Cardinal, « si l’œcuménisme intra-catholique échoue, la controverse catholique sur la liturgie s’étendra aussi à l’œcuménisme ».


Par son décret, Benoît XVI manifesta son amour paternel et sa compréhension envers ceux qui sont spécialement liés à la tradition liturgique romaine et qui couraient le risque de se retrouver de façon permanente à la marge de l'Église ; c'est à leur sujet qu'il rappela avec clarté que « nul n'est de trop dans l'Église », démontrant une sensibilité qui annonçait la préoccupation du pape François pour les « périphéries existentielles ». Tout ceci représente sans aucun doute un signe fort pour nos frères séparés.

Le Motu Proprio a en outre donné lieu à un phénomène surprenant pour beaucoup et qui représente un vrai « signe des temps » : l'intérêt que la forme extraordinaire du rite romain suscite chez les jeunes qui ne la connurent jamais comme forme ordinaire. Cet intérêt manifeste une soif de « langages » qui sortent de l'ordinaire et qui nous entraînent vers de nouvelles frontières que de nombreux pasteurs n'avaient jamais envisagées. Ouvrir le trésor liturgique de l'Église à tous les fidèles a rendu possible la découverte des richesses de notre héritage à ceux qui les ignoraient, cette forme liturgique suscitant de nombreuses vocations sacerdotales et religieuses à travers le monde, prêtes à donner leur vie au service de l'évangélisation. Cela s'est reflété de façon concrète lors du pèlerinage organisé à Rome en novembre 2012, en action de grâce pour les cinq ans du Motu Proprio, qui a rassemblé sous le vocable suggestif « Una cum Papa nostro » des pèlerins du monde entier. Par son envergure mais surtout par l'esprit qui animait les participants, ce pèlerinage a été la confirmation palpable de la justesse de cette législation, fruit de plusieurs décennies de maturation.

L'impression la plus forte qui demeure après la lecture de ce travail est que le cadre juridique créé par le Motu Proprio, qui se fonde sur des principes théologiques et liturgiques permanents, n'est pas seulement une réponse à un problème limité dans le temps mais la création d'une situation juridique solide et bien définie qui libère l'argument des fluctuations de l'opinion comme des décisions arbitraires. De cette façon, alors que pour les uns comme les autres le problème et le débat ont tourné pendant des années à un jugement sur ce qui, en définitive, appartient à l'histoire, Benoît XVI, au-delà de la discussion théorique, a voulu mettre en évidence la nécessité de cohérence théologique et, surtout, parvenir à un important résultat pastoral.

Nous souhaitons que ce livre puisse participer d'une meilleure connaissance et apporter ainsi des éléments pour une correcte application de la sage contribution de Benoît XVI à la réconciliation liturgique au sein de l'Église.

[…]

Antonio Cañizares Llovera
Cardinal Préfet de la Congrégation pour le Culte divin
et la Discipline des Sacrements
Rome, 25 juillet 2013
En la fête de saint Jacques le Majeur, patron de l'Espagne