30 juin 2009

[France Soir] Ordination - Les intégristes catholiques défient le Vatican | Actualités au quotidien France-Soir

SOURCE - Guillaume Rameaux - 30 juin 2009

Alors que le Vatican tente d’ouvrir le dialogue avec la Fraternité saint Pie X, celle-ci a procédé hier à l’ordination de huit nouveaux prêtres intégristes. Une cérémonie jugée « illégitime » par Benoît XVI.

Les intégristes font la sourde oreille, pendant que le Vatican ferme les yeux. Une messe solennelle pour les ordinations en latin de huit prêtres intégristes, appartenant à la Fraternité saint Pie X, a eu lieu hier matin à Ecône, en Suisse. Une cérémonie que Benoît XVI avait pourtant déclaré « illégitime » il y a deux semaines.

Le rappel à l’ordre n’a donc visiblement pas eu l’effet escompté. Contestant les décisions du concile Vatican II qui a modernisé les rites ecclésiastiques catholiques, la Fraternité saint Pie X, fondée en 1970 par Mgr Lefebvre, procède tous les ans à des ordinations le 29 juin. Le contexte est néanmoins un peu différent cette année.

Le pape, qui souhaite avant tout éviter l’installation durable d’un schisme, a proposé l’ouverture de discussions dans la perspective d’une réconciliation. Le 21 janvier dernier, Benoît XVI avait déjà fait un geste envers la Fraternité, en lançant la levée de l’excommunication qui frappait quatre évêques, dont l’ordination, sans l’accord du Vatican, avait conduit en 1988 à sa marginalisation.

La présence du négationniste Richard Williamson parmi ces évêques et ses déclarations sur les chambres à gaz avaient suscité de nombreuses réactions indignées. Le principe de discussions théologiques a été admis par les deux parties mais elles n’ont pas encore commencé.

La condition d’un rapprochement est l’adhésion de la Fraternité aux décisions de Vatican II, ce qui ne semble pas encore acquis. Celle-ci considère en effet que c’est au Vatican de revenir sur certains points du concile, et non à elle de faire allégeance. Dans ce contexte, l’homélie du supérieur d’Ecône, Mgr Bernard Fellay, était très attendue.

Près de trente ordinations cette année

Sous une tente blanche extérieure face à quelque 2.500 fidèles installés en plein air, il s’est dit « étonné du chahut fait autour » de ces ordinations, « alors que dans beaucoup de pays, l’Eglise (romaine) manque de prêtres ».

Il a souligné que la Fraternité procédait cette année à 27 ordinations de prêtres « alors que des pays de tradition catholique comme la France ou l’Allemagne, n’arrivent même pas à en ordonner une centaine » (voir France-Soir du 29/06). Evoquant le rapprochement initié par le Vatican, Mgr Fellay a expliqué que la Fraternité était « dans une situation intermédiaire, forcément imparfaite ».

Le Vatican est « un peu comme un médecin qui vient d’enlever un plâtre à son patient puis lui demanderait de courir un 100 m », a-t-il estimé. Sur un mode plus acerbe, il a parlé de « mesquinerie » à propos de la place donnée à la Fraternité, tenue en dehors de l’Eglise catholique alors que celle-ci traverse une crise.

« C’est comme voir uniquement une tache sur la tenue du soldat alors qu’on est au milieu de la bataille », a-t-il déclaré. Suivant le cérémonial traditionnel d’avant Vatican II, les huit candidats au sacerdoce, dont sept Français et un Belge, âgés de 24 à 30 ans, se sont ensuite étendus face contre terre au pied de l’autel, alors que résonnaient les prières en latin, reprises avec grande ferveur par l’assistance. La voix du Vatican aura beaucoup de mal à leur parvenir.


En opposition depuis près de quarante ans

La querelle ne date pas d’hier entre le Vatican et les lefebvristes. C’est en 1970 que la Fraternité saint Pie X a été fondée par Mgr Marcel Lefebvre. Cette communauté intégriste refusait les principales décisions du concile Vatican II (1962-65), comme le dialogue interreligieux.

Les intégristes étaient également opposés à la célébration de la messe en langue courante. Un point sur lequel ils ont eu satisfaction avec le motu proprio (décret papal), rétablissant le droit de célébrer la messe en latin, en juillet 2007. La Fraternité saint Pie X est réellement en marge du Vatican depuis que Mgr Lefebvre a ordonné quatre évêques en 1988, ce qui leur a valu l’excommunication, une mesure que le pape Benoît XVI a annulée par un décret daté du 21 janvier 2009. La Fraternité, dont le siège est à Menzingen (Suisse), ne peut en effet pas être négligée par Rome.

Présente dans le monde

Si son église la plus connue est Saint-Nicolas du Chardonnet, à Paris (Ve), elle revendique également quelque 165 districts et maisons dans le monde, cinq séminaires (dont celui d’Ecône en Suisse), 159 prieurés, 725 centres de messes, deux instituts universitaires, 88 écoles et sept maisons de retraite pour personnes âgées. Elle dit compter dans ses rangs 510 prêtres, 150 séminaristes, 90 frères, et 150 sœurs.

Elle est implantée dans 31 Etats, mais déclare réunir 150.000 fidèles dans une soixantaine de pays, particulièrement au Brésil et en France, où ils seraient entre 25.000 et 35.000. Le nom de la Fraternité fait référence à Giuseppe Melchiore Santo (1835-1914), élu pape sous le nom de Pie X en 1903, et considéré comme très conservateur.

Il avait notamment imposé aux prêtres de prononcer le « serment antimoderniste », ce qui a été aboli en 1967 par Vatican II. Une partie des catholiques traditionalistes n’a pas suivi Mgr Lefebvre dans sa rupture avec Rome. Le total des intégristes et des traditionalistes dans le monde serait donc de l’ordre de 600.000.


Edition France Soir du mardi 30 juin 2009 page 10

[Le Figaro] Les intégristes démentent toute «provocation»

SOURCE - Jean-Marie Guénois à Écône (Suisse) - 30 juin 2009

Après l'ordination controversée de huit prêtres et dix diacres en Suisse lundi, le supérieur de la Fraternité Saint Pie X, Mgr Fellay, a confirmé que les discussions doctrinales avec Rome commenceront à l'automne.

Lente cérémonie. En Suisse, on prend son temps et à Écône, encore plus. L'ordination de huit prêtres et dix diacres, lundi matin, conférée par le supérieur de la Fraternité Saint Pie X, Mgr Bernard Fellay, a duré quatre heures et demie.

Dans le chœur établi sous une vaste tente blanche, posée en contrebas du séminaire où repose Mgr Marcel Lefebvre, il y avait un absent de taille, Mgr Richard Williamson. Il fut l'un des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre en 1988, mais il a été mis au ban à la suite de ses déclarations négationnistes sur la Shoah.

Mgr Fellay était donc assisté par le Français Mgr Bernard Tissier de Mallerais et l'Espagnol, Mgr Alfonso de Galarteta. Et par près de deux cents prêtres, autant de religieuses, une trentaine d'enfants de chœur en soutane rouge et surplis blanc et trois mille fidèles environ, tous plongés dans un abîme de recueillement.

Lenteur, mais aussi détermination tranquille. Dans son homélie de plus d'une demi-heure, Mgr Fellay s'est étonné du «chahut» médiatique entourant le caractère «illégitime», selon le Vatican, de ces ordinations. Il a alors invoqué l'argument de la «nécessité» : «On voit tant d'âmes mourir de soif spirituelle alors que l'on manque de prêtres.» Sans manquer de se féliciter : «Un total de trente ordinations, cette année, pour une petite famille comme la Fraternité, alors que des pays, autrefois catholiques, comme la France et l'Allemagne, n'arrivent même pas à une centaine !»

«Tolérance tacite»

Quant à la situation canonique de la Fraternité, il a eu recours à une image : «Après le décret de levée des excommunications, nous sommes dans une situation intermédiaire qui est forcément imparfaite. Réclamer la perfection canonique me fait penser à un médecin qui demanderait à son patient dont il vient de plâtrer la jambe de courir le 100 mètres !» D'autant, a-t-il ajouté ensuite devant les journalistes, que Rome - avec qui il a des «contacts» - a fait preuve d'une «tolérance tacite» quant à ces ordinations. Il n'a «pas reçu d'ordre explicite» de renoncer. Elles ne sont donc «pas une provocation».

Les discussions doctrinales devraient même démarrer cet automne avec le Vatican. Mgr Fellay se dit «très optimiste», car «le Pape a la volonté d'aboutir». Le motu proprio qui organise ces rencontres devrait être bientôt publié, mais après l'encyclique sociale.

Protégés des médias, et donc peu accessibles, les jeunes prêtres et diacres ordonnés - à qui Mgr Fellay a demandé d'avoir «l'obsession du salut des âmes» et de «contribuer à la restauration de l'Église par la restauration du sacerdoce catholique» - étaient entourés de leurs familles et amis.

Un monde plutôt serein, d'ailleurs. L'affaire Williamson semble loin et les tribulations présentes n'impressionnent pas ce père de famille, venu d'Auvergne pour l'ordination diaconale du troisième de ses douze enfants : «Les oppositions ne nous tracassent pas. Nous sommes habitués. Le Christ est signe de contradiction.»

Louis, un jeune séminariste de 19 ans, apprécie toutefois le nouvel état d'esprit depuis la levée des excommunications : «Je suis heureux que cette étiquette injuste soit tombée. Les gens viennent à nous plus facilement.» Une mère de sept enfants, dont un des diacres ordonnés, se dit « pleine d'espérance » pour parvenir à un accord avec le Vatican. «Cela demandera beaucoup de temps», prévient Mgr Fellay. Ce Suisse n'est décidément pas un homme pressé.

[Le Monde] Les intégristes passent outre l'avis du Vatican - Europe - Le Monde.fr

SOURCE - 30 juin 2009

La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX) a ordonné, lundi 29 juin, à Ecône (Suisse), huit nouveaux prêtres devant 2 500 fidèles et religieux. Le Vatican a répété dans la journée que ces ordinations effectuées par le courant catholique intégriste créé en 1970 par Mgr Lefebvre étaient "illégitimes", sans toutefois les interdire.

En procédant à cette célébration annuelle sans tenir compte du contexte actuel, la Fraternité a apparemment choisi de défier le Vatican. Le supérieur général de la Fraternité, Mgr Bernard Fellay, s'est pourtant étonné "du chahut fait autour" de ces ordinations. S'il a reconnu que la Fraternité se trouvait encore dans une "situation canonique imparfaite", il a estimé bénéficier d'une "tolérance tacite" du Vatican dans cette phase "intermédiaire".

Rome et le courant schismatique sont depuis plusieurs mois engagés dans un processus de rapprochement initié par Benoît XVI, dont une des priorités est de parvenir à "l'unité de l'Eglise" par la réintégration des fidèles et des prêtres lefebvristes dans le giron de l'Eglise. La levée de l'excommunication des quatre évêques intégristes en janvier constituait, avec la libéralisation de la messe en latin en juillet 2007, les préalables exigés par la Fraternité pour envisager des discussions théologiques et doctrinales. Celles-ci devraient s'engager, côté Vatican, sur la base de la reconnaissance par les intégristes des enseignements du concile Vatican II (1962-1965) et du magistère des papes qui se sont succédé depuis son lancement. Mais, outre la "liturgie moderniste", les lefebvristes rejettent l'oecuménisme, le dialogue interreligieux et la liberté religieuse inscrits dans le concile.

MGR FELLAY "OPTIMISTE"

Loin de considérer les ordinations récentes comme une provocation ou un obstacle au processus de rapprochement qui s'annonce long, Mgr Fellay s'est dit "très optimiste" sur l'issue des discussions. "Je vois chez le pape une volonté d'aboutir et là où il y a une volonté, il y a un chemin", a-t-il déclaré. Traditionnellement, les responsables intégristes invoquent "l'état de nécessité" pour ordonner des prêtres afin de faire vivre leurs communautés à travers le monde. Il y aurait désormais quelque 510 prêtres intégristes sur tous les continents pour une population de fidèles estimée à 150 000 personnes.

Mettant en avant la vitalité de ses troupes, la Fraternité établit un rapprochement entre les 27 ordinations de 2009, et les 90 nouveaux prêtres ordonnés cette année en France pour l'ensemble des diocèses. "Voilà la sécularisation en marche !", déclare, sur le site de la Fraternité, l'abbé Alain Lorans, l'un des responsables intégristes en France.

Stéphanie Le Bars

[La Vie] La Fraternité Saint Pie X prête pour discuter à l’automne

SOURCE - Joséphine Bataille - 30 juin 2009

INTÉGRISME. A l’occasion des ordinations à Ecône, le supérieur de la FSSPX a envisagé l’ouverture imminente des « discussions théologiques » qui conditionnent l’évolution du statut de la Fraternité. 

Les ordinations de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X (FSSPX) ont eu lieu. Comme prévu, et comme chaque année. Sept Français et un Belge, ­âgés de 24 à 30 ans, sont devenus prêtres, et dix autres, diacres, au fil de longues et solennelles processions, à grands renforts d’encens, de dentelles, d’or et de pourpre. Ces ordinations du lundi 29 juin ont attiré au séminaire international d’Ecône, en Suisse, plus de 2500 fidèles, prêtres et religieux de la communauté. Rien que de très habituel, pour les disciples de Mgr Lefebvre, dont c’est le grand rassemblement annuel. A un détail près : aux côtés de Mgr Fellay, le célébrant, se trouvaient les évêques Tissier de Mallerais et Galaretta, mais manquait Richard Williamson. Dont le supérieur général a concédé, plus tard dans la journée lors d'un « point presse », qu’on pouvait considérer qu’il était « au coin », en résidence à Londres depuis qu’il a été démis de ses fonctions en Argentine.
Pour des raisons indépendantes, toutefois, des frasques de l’évêque négationniste, ces ordinations, avaient fait l’objet d’une relative dramatisation. Bien que le pape ait levé le 21 janvier dernier les peines d’excommunication des évêques de la FSSPX, ceux-ci ne peuvent conférer les ordres sacrés que de façon illicite, car le Saint-Siège ne leur reconnaît toujours aucune charge dans l’Eglise. Le 17 juin, le bureau de presse du Saint Siège rappelait que les ordinations étaient « illégitimes » : « tant que la Fraternité n’a pas de statut canonique dans l’Eglise, ses ministres non plus n’exercent pas de ministères légitimes dans l’Eglise ».

« A ce moment là, c’est à chaque messe que nous célébrons qu’il faut rouspéter, et pas seulement pour les ordinations », a répondu Mgr Fellay aux journalistes. Car selon le supérieur général de la Fraternité, qui s’est plu à banaliser l’événement, le nouveau « contexte » ne change pas fondamentalement la donne. « Certes nous sommes dans une situation d’imperfection canonique, mais quand on voit la situation de l’Eglise, notre position aujourd’hui reste totalement justifiée. Quant à arrêter de faire des prêtres, nous ne le pouvons pas, car nous sommes une société sacerdotale ». Il s'est félicité de voir la FSSPX « donner des prêtres à l’Eglise » au moment même où le pape ouvrait une « année sacerdotale ». Une façon de relever le dynamisme de sa communauté, face à une Eglise que les Lefebvristes n'ont de cesse de décrire comme moribonde.

Evoquant le statut « bancal » de la FSSPX - levée d’excommunications sans restauration de la pleine communion -, Mgr Fellay va même plus loin : en l’absence « d’interdiction formelle » émise par le Vatican, il mise sur la « tolérance tacite » de Rome à voir conférer le sacrement de l’ordre.
En fait, la question n’est déjà plus celle de ces ordinations, mais encore et toujours celle des « discussions » théologiques qui doivent se tenir entre le Vatican et les représentants de la Fraternité sur le fond, à savoir l’acceptation du Concile Vatican II. Lundi, Mgr Fellay affirmait que les échanges avec Rome restaient intenses et réguliers, et il pensait pouvoir annoncer le début des débats pour l’automne. « Je vois chez le Pape une vraie volonté d’aboutir ; et là on l’on veut arriver, il y a un chemin. J’attends du Pape qu’il fasse le travail de clarification qui aurait dû être fait au moment du Concile, et qu’il en fournisse une grille de lecture. Le problème est que les textes du Concile puissent donner lieu à des interprétations qui ne peuvent pas coexister. »

Reste à voir si Benoît XVI, qui a néanmoins réaffirmé en mars que la Fraternité devrait « accepter Vatican II et le magistère post conciliaire des papes », sera aussi conciliant que Mgr Fellay veut bien l’espérer.

29 juin 2009

[Le JDD] Les intégristes narguent le Vatican

SOURCE - Soazig Quemener - 29 Juin 2009

A Ecône, le ballet des soutanes a repris. Tous les ans, à la fin juin, dans ce fief du traditionalisme catholique, au coeur du Valais suisse, des séminaristes préparent avec une constance inébranlable des ordinations jugées "illégitimes" par le Vatican. Lundi, huit hommes seront ainsi faits prêtres par Mgr Fellay, le supérieur général de la Fraternité Saint-Pie-X.

Venus de toute l'Europe, 2 000 fidèles sont attendus. A 100 m de là, Marcel Lefebvre veille sur les opérations depuis son tombeau, un sourire au coin des lèvres. Parce qu'il refusait les concessions à la modernité du concile Vatican II (1962-1965) et voulait perpétuer l'enseignement traditionnel, l'ancien évêque de Tulle a fondé en 1970 cette "fraternité". La communauté compte désormais 150 000 fidèles dans le monde. Plus fort encore, lui "le schismatique", "l'intégriste", peut prétendre, dix-huit ans après sa mort, au titre de revenant de l'année 2009.

"La religion juive est périmée... L'islam, est une fausse religion"

Après avoir autorisé le retour de la messe en latin en mai 2007, le pape Benoît XVI a en effet levé en janvier dernier l'excommunication des quatre évêques ordonnés par Lefebvre en 1988, sur cette même prairie d'Ecône. Quelques jours plus tard, on apprenait que Mgr Williamson, l'un des quatre hommes choisis par le père fondateur pour perpétuer son oeuvre, avait tenu des propos négationnistes. La polémique mondiale qui s'en est suivie a étouffé une réalité que l'abbé Benoît de Jorna, le supérieur d'Ecône, est désormais bien aise de contempler, du haut de la maison des chanoines du Grand-Saint-Bernard, le coeur du séminaire. "Avant, les gens n'osaient pas s'approcher, ils pensaient que nous étions atteints d'une maladie contagieuse. Depuis le début de l'année et la levée des excommunications, il est désormais de bon ton de passer par ici.

On a même vu des membres de la hiérarchie catholique faire le détour", expose-t-il, goguenard. Le directeur d'Ecône ouvre volontiers les portes du berceau du lefebvrisme. Un ensemble assez disgracieux de bâtiments hétéroclites. Des ailes en béton ont été ajoutées à la maison originelle qui date du début du XXe siècle. A gauche, donc, le caveau de Marcel Lefebvre. En face, le réfectoire, où l'on prend ses repas en silence. A droite, l'église consacrée à la Vierge. On s'y presse tous les soirs de semaine pour une messe basse à l'ancienne. Liturgie en latin, prêtre dos à une assemblée agenouillée, femmes coiffées d'une mantille. Non content d'ouvrir grand les portes de son séminaire, l'abbé Benoît de Jorna écarte avec jubilation celles de son âme. Sans surprise, l'abbé fustige la messe moderne. Ses vues extrémistes sur le dialogue interreligieux font en revanche frémir. "La seule religion vraie est le catholicisme. Il y a deux mille ans, Jésus- Christ est venu dire que la religion juive était périmée. Quant à l'islam, c'est une fausse religion."

L'âge d'or selon l'abbé de Jorna ? "Le XIIIe siècle, l'époque de saint Louis." Celui des croisades également... Il condamne aussi "la liberté religieuse": "De M. Sarkozy jusqu'au dernier-né des Français, tout le monde doit être catholique." Peut-il espérer un jour voir ses idées prospérer? "Qui aurait pu affirmer que le pape allait autoriser à nouveau l'ancienne messe?" rétorque-t-il. Les séminaristes l'écoutent sans ciller. Ainsi Louis- Marie Carlhian. Ce grand brun plutôt timide prononcera son voeu de chasteté en avril prochain.Il pourrait être ordonné prêtre dans deux ans. En attendant, il étudie la philosophie et la théologie à la sauce Saint-Pie X. Un enseignement soigneusement expurgé. Ici, l'existentialisme, Husserl, Heidegger, Nietsche et Kant n'ont pas droit de cité.

En voie de réhabilitation à Rome, les intégristes comptent désormais en nombre dans une Eglise qui peine à susciter des vocations. Samedi, dix prêtres "classiques" ont été ordonnés en la cathédrale Notre-Dame de Paris. Quatre-vingts autres devraient l'être en France cette année. Tout en bravant l'autorité de Rome, la Fraternité peut se targuer de produire elle 11 prêtres en Europe (trois ont été ordonnés hier à Zaitzkofen en Bavière) et 13 en Amérique du Nord. Elle peut aussi mettre en exergue la jeunesse de ses 510 ministres du culte répartis dans le monde: ils ont 40 ans de moyenne d'âge. Ainsi que la fraîcheur de ses fidèles. Benoît de Jorda insiste: "Observez nos messes: les enfants pullulent!"

[Catholica] L’es­pace li­tur­gique re­tour­né - Marc Levatois

SOURCE - 29 juin 2009

[une version plus courte de cet entretien a été publié dans le numéro 104 – été 2009 – de la revue. Les propos recueillis par le P. Jean-Paul Maisonneuve]

CATHOLICA – En matière religieuse, on s’attend à ce que le géographe observe la place des édifices du culte dans l’espace territorial d’une ville ou d’un pays. Il est plus inattendu de le voir s’intéresser à l’aménagement intérieur du lieu de culte, ce qui surprendrait moins de la part d’un architecte. Pouvez-vous expliquer votre choix et le justifier du point de vue de la méthode propre à votre discipline ?

Marc Levatois – La géographie, pour ce qui est de la France, notamment, a trouvé sa place à l’université à la fin du XIXe siècle, dans une ambiance rationaliste et naturaliste peu propice à la prise en compte du fait religieux. Il a fallu attendre le lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour voir publier un livre tout entier consacré à l’étude géographique du fait religieux, sous la plume de Pierre Deffontaines, et encore avec la revendication de « réduire le point de vue religieux à ses seuls éléments visibles et physionomiques, laissant délibérément de côté le domaine majeur de la vie intérieure » [1] . C’est plus tard, dans un développement de l’approche culturelle au sein de la géographie humaine, pour lequel l’impulsion de Paul Claval a été décisive [2] , que le phénomène religieux a pu être étudié non seulement dans ses manifestations paysagères mais encore par son rôle structurant dans la perception et l’organisation de l’espace. Dans ce cas, on parle plus volontiers de « géographie religieuse » que de « géographie des religions » [3] . L’inspiration est ici en grande partie venue, comme le montre la vision synthétique de Paul Claval elle-même, des Américains, notamment de Yi-Fu Tuan pour la compréhension symbolique du positionnement corporel [4] . Il faut aussi faire référence à l’apport un peu plus ancien, dans l’anthropologie culturelle, d’Edward-T. Hall, dont l’ouvrage le plus connu, La dimension cachée, traduit en français dès le début des années soixante-dix [5] , expose l’influence de l’organisation spatiale de l’environnement humain sur les structures de la communication mais aussi son rôle possible dans un conditionnement culturel ou, plus généralement, dans une éducation. En France, cette dernière interaction avait été soulignée jusqu’à la caricature, avec une assimilation contemporaine et facile entre éducation et répression, par le Michel Foucault de Surveiller et punir [6] . Il ressort de ces quelques références qu’il n’est pas insensé de chercher à comprendre non seulement la signification de l’organisation spatiale intérieure des églises mais encore le sens propre, également dans ses influences directes ou indirectes sur les mentalités croyantes, du bouleversement majeur et généralisé du retournement des autels, vers le milieu des années soixante. Il est aussi possible d’avancer la légitimité de la géographie à s’engager dans cette interprétation.
Privilégier l’espace intérieur des églises, c’est donc prendre le parti de s’attacher d’abord à la dimension intime des représentations et du culte mais ce n’est pas un repli, un renoncement à constater la sécularisation généralisée de l’ancienne catholicité, visible dans le refus, imposé ou voulu, de la visibilité extérieure du lieu sacré chrétien. La sécularisation de l’environnement culturel et social, en Occident, peut aisément être associée à un mouvement contemporain de désacralisation – quelles qu’en soient les évaluations – comme le montre la grande synthèse d’Alphonse Dupront, appliquée notamment au catholicisme [7] . Il est également possible d’évoquer un rapport d’échelle entre la sécularisation extérieure de l’espace, notamment dans les villes nouvelles, et le mouvement vers un espace liturgique intérieur moins différent de l’espace humain environnant, c’est à dire moins sacré, dans la mesure où le sacré est aussi fondamentalement différence et s’avère plus ou moins irréductible à la rationalisation technicienne, telle qu’elle a été décrite – et dénoncée – par Jacques Ellul dans Les Nouveaux possédés [8] . Les deux processus, de sécularisation et d’atténuation de la sacralité visible intérieure et extérieure des églises, sont contemporains ou presque, même si des exceptions existent, notamment pour certaines créations urbaines monumentales, visibles non seulement à Brasília mais encore à Yamoussoukro. Ne faudrait-il pas chercher, en fait, au moins en Europe, plus dans l’attitude des autorités épiscopales que des administrations civiles, l’élément le plus déterminant sur la présence architecturale visible de l’Eglise dans la ville ? Il est alors possible d’opposer le défi du futur Jean-Paul II, archevêque de Cracovie dans les années soixante, pour doter d’une église la ville nouvelle communiste de Nowa Huta, et les fortes réticences initiales de Mgr Herbulot d‘accepter le projet de la cathédrale d’Evry, projet pourtant soutenu par les autorités civiles [9] . L’évolution des églises nouvellement construite est parallèle aux mutations des anciennes. Si la cathédrale d’Evry, inaugurée par le Pape en 1997, marque le relatif déclin d’un enfouissement volontaire promu depuis le milieu du siècle, il faut aussi concevoir cet enfouissement dans une atmosphère intellectuelle de négation du sacré. Le brûlot du P. Antoine publié dans les célèbres Etudes en 1967, au lendemain de Vatican II, revendiquait à la fois l’abdication du caractère sacré des églises et leur remplacement par des lieux neutres, indifférenciés et festifs, au premier rang desquels il érigeait en modèle le stade ou la salle de meeting [10] .

Catholica - La place accordée aux symboles religieux, et avant tout aux lieux de culte, dans la société traditionnelle et celle qui leur revient dans la société actuelle sont en claire opposition, soit que ces symboles et lieux disparaissent purement et simplement, soit qu’ils s’adaptent à l’enfouissement qui leur est réservé et qui est accepté au nom de certaines théories (alignement des formes architecturales sur le décor urbain) soit encore qu’ils se montrent, mais dénaturés par la recherche d’une esthétique pleine d’ambiguïté, répondant aux requêtes d’un « sacré » totalement immanent. Quant à l’intérieur des églises, des plus vénérables aux plus récentes, une rupture est intervenue massivement depuis quarante ans, qui constitue l’objet principal de votre livre, donnée comme le signe immédiatement visible d’un vaste changement de perspective : le retournement des autels, ou plus exactement leur doublement (l’autel d’avant, celui d’après, dos à dos).
Pensez-vous que l’on puisse suggérer un parallélisme avec l’opposition précédente, et jusqu’à quel point ? Et si cela est possible, en quoi et de quelle manière l’immédiate visibilité du « retournement » et le caractère insolite du dédoublement peuvent-ils être perçus par des observateurs pas nécessairement au fait des réalités du culte chrétien et de l’histoire catholique récente ?

Il y a bien un parallélisme certain entre l’évolution de l’architecture extérieure des églises et celle de leur organisation spatiale intérieure. D’une façon générale, le monument sacré est habituellement ce qui donne son identité religieuse à l’espace environnant, lui-même profane (car tout ne peut être sacré) mais traditionnellement dans une situation de dépendance à l’égard du sacré. Ces signes sont l’église, l’oratoire ou la croix des chemins pour la ville ou la campagne, auxquels répondent le crucifix ou l’icône pour l’espace domestique. Avec leur dimension dynamique, les processions ont aussi cette vocation d’affirmation identitaire, particulièrement celle de la Fête-Dieu, ce que montrent a contrario d’une façon convergente, en France, l’hostilité des municipalités anticléricales à l’encontre du « culte public », à la fin du XIXe siècle [11] , et l’abandon généralisé des processions, voire des sonneries de cloches, par le clergé de la seconde moitié du XXe, quels que soient devenus les impératifs de la circulation automobile. La force du rapport entre le dehors et le dedans est évidente dans l’évolution de l’orientation des églises, même bien avant Vatican II, dès l’époque classique. En Europe, encore à la fin du Moyen-Age, l’orientation des églises était une orientation réelle, astronomique, l’autel et l’ensemble du vaisseau architectural étant tournés vers le levant, vers l’orient au sens strict. A la fin du XIIIe siècle, Guillaume Durand dut même trancher, dans le Rational des divins offices, sur une incertitude qui existait entre le levant du solstice et celui de l’équinoxe. C’est l’orient équinoxial qui fut choisi. L’orientation astronomique était alors un principe presque absolu qui s’étendait au monde profane, même jusqu’aux représentations cartographiques, environ jusqu’au XIIIe siècle. Avant que l’usage de la boussole ou compas magnétique n’impose la référence du nord, les cartes étaient orientées vers l’est. Le mouvement de transformation intérieure des églises après le concile de Trente, avec une ouverture nouvelle du chœur, liée à la volonté explicite d’une plus grande visibilité des cérémonies, mise en lumière par Bernard Chédozeau [12] , est très exactement contemporain d’un abandon pratique de l’orientation astronomique. Le vieux principe de l’abside au levant est toujours affirmé mais il perd son caractère obligatoire. Les églises nouvelles ou reconstruites sont, surtout en ville, alors alignées sur les façades sur rue, selon le projet urbain, comme le montre la situation parisienne dès les premières décennies du XVIIe siècle. L’orientation est comme intériorisée : l’orientation commune du célébrant et de l’assemblée reste une évidence claire mais déconnectée de sa concordance réelle avec l’orient des points cardinaux. L’église est toujours tournée intérieurement vers le maître-autel mais c’est désormais généralement le retable monumental et non plus la verrière ouverte sur le soleil levant qui manifeste cette orientation. Doit-on traduire cette évolution des âges classiques dans le sens d’une atténuation de la sacralité des églises ? Le point est délicat. Une divergence de fait se manifeste avec l’Orient byzantin, qui conserve l’orientation astronomique et un isolement net du sanctuaire marqué par l’iconostase mais le maître-autel des âges classiques est aussi un trône pour le Saint-Sacrement, avec l’installation visible de la réserve eucharistique en son centre, dans un tabernacle devenu monumental. La sacralité de l’espace liturgique s’affirme alors plus nettement eucharistique, ce qui peut légitimer ici l’usage de l’expression Contre-Réforme, face aux conceptions des Réformés sur la présence réelle.
Pour la seconde moitié du XXe siècle, l’idée d’une atténuation volontaire du caractère sacré de l’espace liturgique peut être avancée avec certitude ; les témoignages le permettent, dans une contestation qui se poursuit au moins jusqu’au milieu des années soixante-dix [13] . Le parallélisme entre l’intérieur et l’extérieur est alors, bien sûr, toujours évident, avec une évolution ultime de l’orientation vers son abandon total, non seulement pratique mais aussi théorique, alors que la bâtiment lui-même de l’église devient de plus en plus homogène à la réalité architecturale profane qui l’environne, tant à l’intérieur, par son registre décoratif qu’au dehors, par la réduction des volumes extérieurs, la renonciation au clocher ou l’abandon de tout signe distinctif. La concomitance des évolutions monumentales et liturgiques n’est pas ici absolue, dans la mesure où des libertés plus grandes ont sans doute été accordées aux maîtres d’œuvre et au clergé sous les pontificats de Pie XII et Jean XXIII, dans l’organisation des volumes architecturaux, alors que les commissions d’art sacré veillaient encore strictement sur le caractère propre de l’espace de l’action proprement liturgique, le lieu de l’accomplissement du sacrifice eucharistique. On peut ainsi évoquer des édifices annonçant les nouvelles formes architecturales et pourtant construits encore pour la célébration tridentine, à la veille du concile Vatican II. J’ai personnellement été particulièrement frappé par l’opposition entre le caractère révolutionnaire de l’architecture de Le Corbusier et la structure liturgique traditionnelle de la chapelle de Ronchamp qu’il a construite, sous le contrôle actif de la commission diocésaine d’art sacré. Dans les premières années de Ronchamp, la célébration était strictement orientée, l’oratoire extérieur étant seul conçu pour la messe face au peuple à l’occasion des grands pèlerinages estivaux. Depuis, le tabernacle dessiné par Le Corbusier a été désolidarisé de l’autel et installé à proximité, selon les recommandations d’Inter Oecumenici, pour permettre le retournement de la célébration au maître-autel. Il y a ainsi une certaine déconnexion entre le registre esthétique ou décoratif des église modernes à la veille de Vatican II et la permanence, toute proportion gardée, des règles d’organisation spatiales héritées de la pratique classique. Peut-on parler d’exception pour la basilique souterraine St-Pie X de Lourdes, inaugurée dans les derniers mois du pontificat de Pie XII, dont la forme d’ellipse, déconcertante et sans orientation réelle, peut être aussi liée à son accessibilité par les voitures des handicapés. On peut même se demander en quelle mesure la remise en cause de l’orientation commune est réellement envisagée au moment où débute le concile Vatican II. Il faut, en effet, rappeler que la constitution sur la liturgie est la première de celles qui ont été votées et qu’elle correspond au schéma de la commission préparatoire au concile [14] . Cette constitution, Sacrosanctum concilium, aborde le thème du sacré dans le cadre de l’art, définissant l’art sacré comme « sommet de l’art » [15] mais sans associer ce concept à l’espace. De plus, il n’est nullement question de la structure architecturale des églises, au-delà du registre décoratif, dans un texte où se lit le souvenir d’un débat récent sur le renouvellement de l’art sacré, débat dans lequel le Claudel de « La messe à l’envers » avait fait le choix des « modernes ». On peut penser que si une transformation de telle ampleur, devant toucher presque toutes les églises de la catholicité, avait été envisagée au moment des débats conciliaires, elle aurait fait l’objet au moins d’une mention dans la constitution sur la liturgie. Le caractère massif du retournement des autels demeure étonnant, que ne parviennent totalement à expliquer ni les recommandations affirmées d’Inter Œcumenici, en 1964, ni l’exemple télévisé des célébrations pontificales de Paul VI, à partir de 1965.

On peut, il est vrai, dans la plupart des cas, parler de dédoublement plus que de retournement des autels, l’autel ancien ayant été le plus souvent conservé, mais il faut voir ici un aménagement de la norme qui suppose l’unicité du maître-autel de l’église. A Gênes, le cardinal Siri avait mis en avant cette norme pour atténuer le mouvement de retournement de la célébration dans son diocèse, au lendemain du concile. En général, comme pour garder sauve l’unicité de l’autel, l’ancien maître-autel est déchu de son statut d’autel, dépouillé souvent de ses chandeliers, voire de sa nappe, même quand son tabernacle renferme encore la réserve eucharistique. Ce dédoublement, en effet, place les autels et les deux façons de célébrer matériellement dos à dos, ce qui est d’autant plus visible que le chœur de l’église est petit. Pour gagner de la place, dans certaines églises, le maître-autel a été amputé de sa table, réduit au retable. Ce fut le cas, cette année, dans la cathédrale-basilique de Saint-Denis où l’ancien autel est devenu estrade pour le trône épiscopal, curieusement dominé, désormais, par la croix et les six chandeliers monumentaux. Le dispositif spatial nouveau montre clairement, en effet, une réorientation de la liturgie à la fois vers l’assemblée et vers la célébration de la parole, ce qui a été mis en avant au moment de la réforme liturgique, selon le parallélisme, depuis classique, entre la liturgie de la parole et celle de l’eucharistie proprement dite. De la même façon, l’adoption rapide de la langue courante pour la célébration est liée à son retournement, qui souligne le caractère dialogué de la messe, d’autant plus renforcé que, depuis 1969, le célébrant fait varier les formules. Dans certains cas, quand c’était possible, le nouvel autel a été avancé vers l’assemblée, qui peut alors parfois l’entourer, surtout dans certains oratoires de semaine, adaptés à de petits effectifs ou lors de certaines célébrations du Jeudi saint. Il n’y a plus du tout, dans ce cas, d’orientation, de direction, mais un centre. Cette avancée ultime de l’autel a pu également permettre de conjurer partiellement la vacuité de l’abside quand l’ancien autel a été déchu ou détruit. Elle atténue aussi, en empiétant sur la nef, le vide créé par la diminution numérique de l’assistance dans les terres déchristianisées. La signification de cette disposition « avancée » peut-elle être interprétée dans le sens de la promesse évangélique : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18, 20) ? Toutefois, la présence eucharistique, promise elle aussi, a-t-elle pour fonction d’objectiver cette autre présence, liée à l’assemblée priante ? N’est-elle pas tout autre ? La réponse, sans doute claire, appartient ici plus aux théologiens qu’aux géographes. L’orientation de la célébration eucharistique ne permet-elle pas, de son côté, à la fois l’accueil et l’attente ? le mouvement et la marche de l’Eglise ? C’est le sens que lui donne le futur Benoît XVI dans l’Esprit de la liturgie [16] .

La « messe à l’envers », corrélative du retournement-dédoublement des autels, implique une série de transformations dans la compréhension de l’action liturgique, qu’une analyse en termes de gestion de l’espace doit permettre de mieux saisir. On peut essayer de comprendre le poids symbolique des deux géométries différentes impliquées par ce changement fondamental : dans la disposition antérieure, une hiérarchisation peuple, ministre du Christ (médiateur dans les deux sens), Trinité est parfaitement perçue ; dans la nouvelle disposition : une assemblée célébrante sous la présidence d’un prêtre qui l’anime laisse voir (ou cherche à faire voir) une place très grande accordée aux textes sacrés, et met au pinacle l’actualité – ambiguë – de la communauté réunie autour d’une table de partage symbolique. Il ne va pas de soi que cette animation ait un sens purement immanentiste (autocélébration du groupe), bien que ce soit souvent la déviation produite, mais la topologie introduite induit pour le moins une focalisation sur le groupe et sa « communion ».

La transformation spatiale du chœur des églises, depuis les années soixante, est complexe, dans la mesure où elle fait effectivement succéder à une structure hiérarchisée, dominée par l’autel où trônent la croix et le tabernacle, une structure polycentrique, toujours revendiquée comme telle [17] . Une importance équivalente est tout d’abord conférée à l’autel et au pupitre des lectures, en lien direct avec la valorisation de la liturgie de la parole. A ces deux pôles, s’ajoute le siège de la présidence du célébrant, qui remplace la simple banquette d’autrefois qui, hors du rite pontifical, devait s’effacer devant la majesté de l’autel. La célébration face au peuple a aussi déplacé, de fait, le tabernacle, qui constitue un quatrième pôle dans le chœur, quand il n’a pas été installé dans un oratoire annexe où lui est rendu un culte désormais seulement privé. Pour la même raison pratique de visibilité du célébrant, la croix peut elle-même créer un autre point majeur à côté de l’autel, parfois associée à une icône ou une statue, autre point focal, surtout dans les églises de pèlerinages. A un niveau moindre mais renforçant le polycentrisme, doivent être aussi mentionnés le pupitre du laïc animateur de chants, parfois le cierge pascal installé à demeure, ainsi que la dispersion des chandeliers et vases de fleurs, autrefois réunis sur l’autel. A cette longue liste, il faudrait aussi ajouter le cas des églises où la vasque des baptêmes, désormais presque toujours célébrés dans le chœur, est installée elle aussi à demeure. Ce polycentrisme a été certes voulu par les promoteurs d’Inter Œcumenici, en 1964 [18] , mais il a été notablement accentué depuis. Il est sans doute, à mon avis, une des raisons de l’appel récent à des architectes ou des artistes de renom pour les réaménagements liturgiques, dans la mesure où les pasteurs sont confrontés à la délicate nécessité de trouver un lien qui refasse l’unité entre ces multiples pôles. Le polycentrisme étant un principe accepté, il faut chercher ce lien, hors du symbolisme liturgique classique, du côté des matériaux, des effets de perspectives, des jeux de lumière, etc. Cela donne un résultat généralement soumis à une interprétation complexe, parfois même compliquée.
Les dispositions spatiales liturgiques envisagées par le cardinal Ratzinger avant l’élection de 2005 et partiellement mise en œuvre ensuite dans les célébrations pontificales depuis, visent à atténuer le polycentrisme, notamment en restaurant la position éminente de l’autel, soulignée à nouveau par les chandeliers et, au centre, par la croix. L’existence du pôle second que représente le pupitre des lectures n’est, toutefois, pas remise en cause. Ce pôle est même valorisé et, dans L’esprit de la liturgie, c’est son existence qui permet au cardinal Ratzinger de revendiquer un retour à l’orientation commune pour la partie proprement eucharistique de la messe [19] .

La multiplication des pôles de la célébration au chœur et l’association marquée des laïcs – en tenue civile le plus souvent – à cette célébration, notamment pour les lectures, soulignent une importance spatiale plus grande donnée à l’assemblée, en lien aussi avec la « participation active ». Quelle que soit la délicate interprétation de cette notion célèbre et malgré cet accent nouveau, l’assemblée peut, à certains égards et paradoxalement, paraître aujourd’hui plus spectatrice, moins « mobile » qu’autrefois. Les fidèles n’ont souvent plus à se déplacer en groupe qu’à la communion, depuis la raréfaction des processions, et les attitudes corporelles sont désormais limitées aux deux stations debout et assise. Avec le transfert – parfois permanent – des fonts baptismaux dans le chœur, ce dernier voit un regroupement de tous les lieux de la célébration publique, qui donne à nos églises d’aujourd’hui une configuration spatiale qui les rapproche de la salle de spectacle. L’esthétique parfois recherchée des sièges y signale une destination particulière mais les agenouilloirs ont disparu. En dehors du chœur, sauf quand un oratoire est dévolu aux messes de semaine, il n’y a plus de piété que privée. Seul le renouveau récent du chemin de la croix, qui n’est pas une pratique sacramentelle, traduit ponctuellement un réinvestissement de l’ensemble de l’espace par l’assemblée priante. Je préfère laisser, ici encore, aux théologiens la parole, pour évaluer la part d’immanence qui s’oppose à la transcendance dans l’organisation spatiale contemporaine de la célébration. Beaucoup a été dit sur le nouvel accent mis sur la dimension de repas, aux dépens de la dimension sacrificielle, que suppose le retournement de l’autel. De notre point de vue contemporain, le rapport ne peut être établi que dans la référence à nos propres repas. Le P. Bouyer a montré, tout au long de son livre Architecture et liturgie [20] la difficulté de définir avec certitude l’organisation spatiale initiale du culte chrétien mais surtout de la Cène originelle. De plus, si une assimilation critique a été souvent rapportée avec le modèle réformé, depuis le « vague tréteau recouvert d’une nappe qui rappelle douloureusement l’établi calviniste » de Paul Claudel en 1955 [21] , le maintien fréquent de l’orientation commune dans les églises luthériennes pose problème.
Devenue luthérienne dans le cadre du concordat au XIXe siècle, l’église des Billettes est à Paris l’une des seules de la capitale avec un autel demeuré dans l’orientation commune – ici exacte vers le levant – et dominé par la croix et les six chandeliers.

L’autel nouveau présente dans la quasi-totalité des cas une difficulté d’ordre esthétique, qui n’est certainement pas sans signification (en dépit du peu de réactions conscientes de la part des pratiquants qui l’ont accepté plutôt passivement). Il arrive fréquemment que même là où il y a très peu d’espace, l’ancien autel, même très précieux, soit doublé par un autre, ordinairement nettement moins esthétique. Dans les édifices les plus riches, un nouvel autel peut remplacer l’ancien, mais il est dans ce cas généralement tributaire d’une esthétique en rupture avec le principe de l’autel traditionnel, rupture manifestée de plusieurs façons différentes. Par exemple, l’abbaye de Saint-Maurice, en Suisse, possède un cube de marbre entièrement noir et dépourvu de quelque accessoire que ce soit, au centre de l’édifice ; on peut en rapprocher l’autel de N.-D. de l’Arche d’Alliance à Paris, carré de marbre, blanc cette fois mais aussi dénudé. Ailleurs, et fréquemment, ce sont de modestes planches sur tréteaux (ce que certains ont surnommé méchamment les « tables à repasser »), voire des tables à roulettes, ou des tables de camping, ou encore d’immenses plaques circulaires de contre-plaqué autour de laquelle peut se réunir l’assemblée entière et pas seulement le célébrant et ses acolytes… Ces différences, mais aussi ces ressemblances dans la distinction d’avec l’ancien autel, ont-elles un sens particulier dans le nouvel aménagement de l’espace cultuel ? Cela signifie-t-il que l’on ait voulu passer de l’autel du Sacrifice à la table du repas de communion, ou bien peut-on suggérer d’autres interprétations – on peut penser à la cathédrale d’Evry, dont la structure interne ne paraît pas devoir entrer dans l’un des deux termes de cette alternative.

On est passé, depuis les années soixante, de l’autel provisoire à des constructions qui revendiquent désormais d’atteindre à la pérennité. Il y a ici un enracinement certain d’une pratique désormais plus que quarantenaire dans la plupart des cas, avant laquelle remontent seuls les souvenirs d’anciens qui, par lassitude ou avec enthousiasme, se sont adaptés. Tant et si bien que c’est, face à la nouvelle tradition instaurée après Vatican II, le retour à l’orientation antérieure qui peut être qualifié de « messe à l’envers ». Plusieurs témoignages en ce sens ont été rapportés ces dernières années ! Faut-il voir dans la façon récente de « monumentaliser » l’organisation contemporaine du sanctuaire la volonté de la défendre, en la dotant d’une valeur patrimoniale, au moment où ressurgit le débat à son sujet ? Cela implique-t-il la mise en œuvre d’une esthétique nécessairement novatrice ? Quelle est ici la part de décision des architectes des monuments historiques, résolus peut-être à reprendre une initiative dont ils ont été parfois un peu dépossédés par le clergé affectataire, il y a quelques décennies ? La réponse à ces questions ne va pas de soi. Au-delà d’un esthétisme possible mais coûteux pour nos diocèses, l’appel réalisé à des artistes et architectes de renom pour ces travaux est sans doute, on peut le répéter, également destiné à restaurer une unité disséminée par le polycentrisme. Il s’agit aussi vraisemblablement de mettre en lumière la cohérence liturgique propre, autonome, de cet ensemble de nouveaux meubles dans un cadre qui n’a pas été conçu pour lui. Une des solutions pour souligner cette cohérence peut être de déconnecter nettement le nouveau mobilier de son cadre environnant, par une rupture consciente du registre décoratif. Ces affrontements esthétiques sont aussi dans l’air du temps depuis les années quatre-vingt, avec leur part d’incongruité voulue, de l’opéra de Lyon aux exemples parisiens de la Pyramide du Louvre ou des colonnes de Buren, dans le péristyle classique du Palais-Royal. Parallèlement, d’autres exemples montrent, surtout dans des église neuves, la recherche d’une certaine harmonie. Somme toute, l’organisation intérieure de la cathédrale d’Evry est beaucoup moins déconcertante que son aspect extérieur. Elle traduit une esthétique plus consensuelle, avec une lisibilité plus classique des symboles décoratifs choisis, à l’image du consensus qui a accompagné sa réalisation finale.
Les autels cubiques, de plus en plus fréquents, dans des édifices anciens ou dans des églises nouvelles comme Notre-Dame de l’Arche d’Alliance à Paris, posent en effet un problème, surtout celui d’un autel réduit à son centre, sans côté droit ni côté gauche, même inversés. Il n’y a certes plus de distinction entre le côté de l’épître et celui de l’évangile dans la « forme ordinaire du rite romain » mais il est aussi possible, quels que soient les vestiges d’autels paléochrétiens étroits connus, d’envisager cette indifférenciation actuelle comme rupture avec les représentations sacrales qui pouvaient animer les Anciens, même si le christianisme a été une libération du déterminisme spatial des auspices [22] . Dans l’orientation liturgique antérieure à Vatican II, surtout quand elle correspondait à l’orient géographique, les quatre points cardinaux avaient tous leur signification. Romano Guardini l’a développé dans Les signes sacrés : « L’espace naturel comporte les trois dimensions, car il n’est point chaos […] L’église s’oriente de l’Est à l’Ouest, du levant au couchant. C’est le soleil qui donne la direction à son vaisseau. Les premiers rayons du jour doivent la caresser, et les derniers. Dans le monde des âmes, le soleil, c’est Jésus : vers lui toujours on doit s’orienter, car nos actes et nos cœurs prennent ainsi valeur d’éternité. Pour lire l’Evangile, on transporte le missel de droite à gauche, c’est à dire vers le Nord car l’autel fait face à l’Orient […] Le Sud est la patrie de la lumière éblouissante, signe de la clarté des cieux ; et le Nord, le pays des horizons froids et gris. L’Evangile vient du pays de la lumière […] Il y a enfin une troisième dimension qui va de bas en haut. Le prêtre qui prépare la victime, élève vers le ciel la patène et le calice ; ses yeux et ses mains montent de profundis vers la divinité car Dieu est en haut […] Ainsi s’oriente le monde religieux. » [23] De la même façon, le narthex de l’église, très développé au début du Moyen Age, soulignait la signification propre de la façade occidentale. L’ouest a eu aussi, très tôt, un rôle propre dans les cérémonies du baptême, pour opposer, comme l’a rappelé le cardinal Daniélou dans les années cinquante, la renonciation à Satan (vers l’ouest) et l’adhésion au Christ (vers l’est) [24] . Dans le rituel traditionnel du baptême, le déplacement initiatique du catéchumène, de l’extérieur de l’église vers les fonts, traduit encore cette dimension, abandonnée quand toute la cérémonie se déroule dans le chœur. La multiplication des autels cubiques a sans doute aussi partie liée avec le développement de la concélébration eucharistique, puisque l’autel cubique permet une disposition des prêtres concélébrants en arc de cercle, pour souligner leur unité. Il limite aussi l’effet paradoxal de barrière de l’autel face au peuple qui, alors qu’il est censé rapprocher le célébrant des fidèles, les sépare de fait, réduisant le célébrant à un homme-tronc. Plus que la forme de l’autel, il faut sans doute insister sur la disposition spatiale de la célébration qu’elle implique. Historiquement, les deux ne coïncident pas toujours. Il y a, en effet, des autels anciens aux lignes curieuses, surtout à l’époque baroque, correspondant à une forme très classique de célébration. On peut, dans cet ordre d’idées, évoquer le maître autel semi-circulaire de la cathédrale de Noyon, construit à la croisée du transept au XVIIIe siècle, sans instauration d’une particularité locale dans la célébration.

L’aménagement de l’espace intérieur ne concerne pas que la disposition de l’autel. Il comporte bien d’autres transformations depuis la fin du Concile : entre autres, la disparition de la chaire remplacée par l’ambon, celle très fréquente des agenouilloirs, de la table de communion, un usage distinct des « degrés » de l’autel, abandonnés mais assez souvent remplacés par les gradins d’une estrade. Les confessionnaux ont souvent disparu (ou sont utilisés comme placards), de même souvent que les « stations » du chemin de croix. Sont apparus, en revanche, les grands panneaux revêtus de mots d’ordre, éventuellement les affiches représentant certains personnages offerts en modèles (comme un temps Martin Luther King, Ozanam, l’abbé Pierre… à Notre-Dame de Paris). Quelle signification accorder à ce genre de modifications ?

L’orientation n’est pas le seul trait distinctif de sacralité d’un bâtiment. Tout aussi nette, peut-être plus, est la distance sacrée. Le sacré est, en effet, séparation ; l’espace sacré est par essence distinct de l’espace profane. Il s’agit ici de la séparation de l’église d’avec le monde environnant, lisible dans le rituel de la dédicace, mais aussi, par gradation, de la clôture interne à l’église, qui délimite l’espace propre de l’action liturgique, le sanctuaire. Il faudrait accorder également une place particulière à la clôture monastique dans les édifices des ordres religieux. De la même façon, le silence du canon a pu être assimilé à une mise à distance de l’action eucharistique, équivalent occidental de la clôture matérielle de l’iconostase en Orient [25] . Si la signification des témoignages archéologiques sur l’orientation de la célébration aux premiers siècles chrétiens a pu donner naissance, ces dernières décennies, à des débats houleux, il y a au moins un accord sur l’idée d’un mouvement vers la généralisation de l’orientation commune du célébrant et des fidèles, nette en Occident avec l’époque carolingienne, sans doute beaucoup plus précoce et systématique en Orient. Il y a aussi accord plus certain pour admettre l’existence, très tôt, d’une délimitation interne du sanctuaire dans les églises, quelle que soit la forme de cette clôture, qu’il s’agisse d’un portique, comme celui de l’ancienne basilique romaine de Saint-Pierre, connu par des représentations picturales, ou de la claustra qui entoure l’autel de l’église de Tyr et dont Eusèbe de Césarée décrit la réalisation au début du IVe siècle : « Ensuite, il disposa au milieu le saint autel des saints mystères ; et, pour qu’il demeurât inaccessible à la multitude, il l’entoura de barrières en bois réticulé qui, jusqu’au sommet, étaient travaillées avec un art délicat […] » [26] . A l’époque classique, une volonté d’ouverture du chœur a succédé à la période d’élévation de la clôture qui avait marqué l’érection de jubés monumentaux, à la fin du Moyen Age, parallèle à la montée de l’iconostase en Orient. Toutefois, l’idée d’une clôture du chœur n’était pas alors abandonnée, ne serait-ce que par la classique grille de communion, omniprésente jusqu’au début des années soixante. Une ouverture totale du chœur a résulté de la disparition de cette dernière dans la très grande majorité des églises, en lien avec la distribution de la communion debout – autre modification de la position corporelle des fidèles – mais aussi avec les mouvements devenus fréquents des laïcs entre la nef et le sanctuaire, pour leur participation à l’action liturgique. La volonté d’une communication directe et totalement ouverte entre l’autel et l’assemblée n’est pas seulement issue d’un souci pratique et le statut du podium d’aujourd’hui n’est plus celui du sanctuaire d’autrefois. La liberté de son accès est telle que, en dehors des cérémonies, dans les grandes églises fréquentées par les touristes, on y dépose la plupart du temps une pancarte pour indiquer que ce n’est pas un lieu autorisé à la visite. Cette ouverture, qui atténue sans doute le caractère sacré du lieu de la célébration est aussi éminemment moderne, dans la mesure où la libre communication de l’espace est un caractère notable en ce sens. Il est possible de faire référence ici à cette critique filmée de la modernité du milieu du XXe siècle qu’est Mon oncle, de Jacques Tati, tourné à la fin des années cinquante. L’archétype de la modernité technicienne et fonctionnelle est représenté, dans le film, par la villa de la famille Arpel. Quand Madame Arpel fait visiter sa villa, elle prononce immanquablement la phrase rituelle : « C’est moderne ; tout communique ».
Cette homogénéité, devenue manifeste, de l’espace intérieur des églises se traduit également dans un caractère de plus en plus homogène avec le monde profane environnant. L’église a sans doute été longtemps, surtout en campagne, un espace quasi-domestique où se projetait l’assemblée des fidèles, d’autant plus qu’elle était très habituellement fréquentée. Le goût du XIXe siècle pour les représentations un peu doucereuses de l’artisanat sulpicien a pu être associé à cette attitude, à ce mode d’investissement de l’espace de l’église par le quotidien des fidèles. Sans doute aurait-il été au moins aussi fort à l’ère des confréries et corporations. Les ex-voto sont aussi traditionnellement une présence du monde extérieur dans l’église mais, quelle que puisse être la part de vanité de certains, l’intention et l’idée qu’ils apportent dans l’église ne sont pas d’essence profane. Aujourd’hui, la relation avec l’espace de la vie quotidienne est d’un autre ordre, issue d’un mouvement de nature opposée : il s’agit d’une présence – plus ou moins évidente – du monde profane en tant que profane dans l’église. Sans doute faudrait-il évoquer la difficulté de nombre de nos contemporains à dépasser leur propre « vécu », notamment lors des célébrations de mariages ou d’obsèques, d’autant plus que la cérémonie est parfois centrée sur ce vécu. De la même façon, l’introduction de la « prière universelle » tous les dimanches, dans les années soixante, a vu souvent la multiplication des intentions reliées à l’actualité la plus immédiate. Il n’est pas alors étonnant, d’autant que la montée de l’Action catholique renforçait les engagements dans le monde, que les images de ce monde, avec ses joies et ses peines mais aussi ses mots d’ordre, aient pénétré de plus en plus dans l’église. Parallèlement, ce qui donnait sons sens sacré à l’espace intérieur des églises, en dehors du chœur, a été plus ou moins évacué depuis le « nettoyage » (terme parfois alors revendiqué ) des années soixante : autels secondaires, confessionnaux (démontés ou transformés), moins souvent statues et stations du chemin de croix.
Le cas de la chaire est plus délicat, dans la mesure où sa disparition (au moins sa relégation) est aussi liée à la sonorisation, contemporaine du retournement, qui renforce l’homogénéité nouvelle de l’église par une diffusion totalement égale des paroles et des chants, quel que soit leur lieu d’origine. Toutefois le maintien fréquent actuel de la chaire chez les réformés, y compris dans le calvinisme, tend à montrer que l’explication technique n’est pas suffisante. La chaire n’a pas été vaincue par le micro mais sans doute par le désir d’un rapport différent à l’enseignement, en rupture avec une conception hiérarchisée dont la domination spatiale du prédicateur pouvait apparaître symbolique. Le passage du sermon d’autrefois au style plus libre de l’homélie, la disparition des prières du prône dominical ont sans doute tenu un rôle mais le refus d’une situation spatialement dominante, liée à la distance verticale, a été sans doute l’élément déterminant. Il est vrai que l’implantation acoustique de la chaire dans les grandes églises supposait que la moitié de l’assemblée ait le prédicateur derrière soi. Certes, mais les chaires disposées à l’entrée du chœur, voire les ambons monumentaux des reconstitutions paléochrétiennes du début du XXe siècle ont aussi été abandonnés. C’est bien le refus de la domination spatiale de l’enseignant qui a surtout joué, à une époque où des évolutions analogues, accentuées avec Mai 1968, transformaient l’école et l’université, de l’abolition des estrades professorales à une conception plus conviviale des cours.

Le « retournement » postconciliaire est intervenu alors qu’on n’était pas encore entré dans la transvaluation des valeurs caractérisant la postmodernité. Aujourd’hui que c’est le cas, comment estimez-vous les effets de ce changement : est-il désormais usé sous l’effet d’un décalage d’époque, ou bien au contraire pourrait-il être considéré, après-coup, comme ayant été en avance sur cette décomposition du « grand récit » chrétien ?

Le retournement des autels est un mouvement complexe, engagé dans une Eglise qui n’est déjà plus la nôtre, marquée alors par un clergé encore puissant et nombreux. C’est d’une mise en œuvre cléricale qu’il s’agit, même si elle a été largement suivie par les mouvements d’action catholique de la jeunesse d’alors, eux-mêmes très encadrés par le clergé. Il y a ici un principe d’autorité, l’affirmation d’une règle, d’autant plus sûre d’elle qu’elle ne repose sur aucune obligation écrite émanant de Rome et nullement sur la constitution conciliaire sur la liturgie, malgré l’invocation continue des décisions conciliaires à son sujet. A mon sens, le retournement des années soixante est plus moderne que postmoderne, même s’il aboutit plus, au bilan, à déconstruire qu’à construire, surtout au moment des installations initiales, souvent bricolées. On peut sans doute évoquer la postmodernité pour une période plus récente, avec de nouvelles habitudes de piété, dans le cadre notamment des communautés nouvelles. La réforme des années soixante est beaucoup plus tournée vers la transformation du monde et le « christianisme adulte » au nom duquel ont été rejetées des attitudes corporelles jugées infantilisantes, comme l’agenouillement. La réforme est aussi à visées rationalisantes, ce qui transparaît même, d’une certaine façon, dans le texte de la constitution conciliaire, avec l’intention répétée de supprimer tout ce qui, fêtes ou rites, est redondant et fait double emploi. C’est aussi à la part de rationalité liée à l’intelligibilité que l’on peut rattacher le recours – partiel au départ – à la langue courante, explicite et compréhensible par tous. Moderne aussi est spécifiquement la réforme de l’espace liturgique dans son souci de fonctionnalité. D’une certaine façon, la multiplication des pôles de la célébration est issue de l’attribution à différents lieux des diverses fonctions (présidence, rite eucharistique, lectures…), ce qui peut la rapprocher – toutes proportions gardées – de la dissociation spatiale des différentes fonctions urbaines dans le projet de ville moderne défini par la Charte d’Athènes, publiée en 1943 et mise en œuvre après guerre, notamment dans les grands ensembles.Que la réforme, notamment dans sa restructuration spatiale, soit d’essence moderne est assez généralement admis [27] . Au moment où s’affirme cette victoire de la modernité dans l’Eglise à la fin des années soixante, pointe déjà la postmodernité. Les géographes se sont intéressés à la postmodernité, dans la mesure où, tout autant et peut être plus que la modernité, elle repose sur un cadre spatial. C’est ce que souligne Paul Claval : « La condition post-moderne se caractérise à la fois par la mondialisation des échanges et des relations, et par la fragmentation de l’expérience vécue : elle naît d’une restructuration de l’espace. Cela explique la place qu’accordent pour la première fois les sciences sociales à la dimension géographique des réalités collectives [28] . » Il est notable que l’un des géographes les plus investis dans cette recherche sur la postmodernité, quels que soient les présupposés de ses études, David Harvey, place son premier avènement au début des années soixante-dix, avec la première remise en cause réelle du modèle urbain moderne par la première démolition d’un grand ensemble en 1972, à Saint-Louis, aux Etats-Unis [29] . La réforme de l’espace liturgique s’affirme donc presque au moment où la postmodernité commence à se manifester. Pour la suite, il est délicat d’adapter le thème de la postmodernité à l’espace intérieur des églises, dans la mesure où, si certains éléments de déconstruction sont lisibles dans la réforme, celle-ci est bien d’inspiration initiale moderne. De plus, depuis Inter Oecumenici, en 1964, il n’y a eu aucune tentative de remise en cause du modèle spatial fondamental alors établi, avant la réflexion du futur Benoît XVI, hormis la montée du traditionalisme et le recours, plus limité, de certains à la liturgie orientale. Le développement des communautés charismatiques, centrées à nouveau sur la piété mais avec des formes nouvelles, ainsi que les grandes assemblées des JMJ ont fait varier les expressions de la prière liturgique, avec, entre autres, un retour de l’adoration eucharistique et un accent remis sur la dimension corporelle de la prière, mais sans remettre en cause de façon décisive le modèle mis en place dans les années soixante.
La revendication traditionaliste, dans laquelle se manifeste l’attitude la plus tranchée à l’égard du modèle spatial liturgique postconciliaire peut-elle être comprise dans une relation à la postmodernité ? La question peut paraître incongrue. Elle est toutefois sous-jacente à plusieurs des réflexions menées lors des rencontres liturgiques de Fontgombault, sous la présidence du cardinal Ratzinger, en juillet 2001, telle que le reconnaît Dom Courau, dans sa préface aux actes du colloque, en jouant sur la signification du concept de devotio moderna (« premier usage du mot moderne », rappelle-t-il) : « La réflexion de ces journées m’a paru s’orienter vers une devotio postmoderna renouant avec la devotio antiqua, sans remettre en cause les apports de la théologie spirituelle du deuxième millénaire. [30] » Lors du colloque, Roberto de Mattei a même envisagé ici un risque de dérive, bien que, selon lui, la postmodernité s’applique sans doute plus à certaines formes de créativité ou d’inculturation dans la nouvelle liturgie : « A l’intérieur de cet horizon de “tribalisme liturgique”, on pourrait donc aussi prévoir la création d’un “ghetto” traditionaliste reconnu canoniquement comme Eglise locale de ceux qui veulent rester “inculturés” au passé. Cependant, ce “multiritualisme” postmoderne n’a rien à voir avec la pluralité des rites reconnue traditionnellement par l’Eglise à l’intérieur d’une même unité de foi et d’une seule lex credendi dont les différents rites sont l’expression [31] . »
De fait, la promotion du modèle d’orientation commune de la célébration, qu’il est possible de qualifier de préconciliaire dans l’Eglise latine, dépasse la revendication traditionaliste, matérialisée dans la référence à la « forme extraordinaire du rite romain ». C’est ainsi dans une perspective plus globale, associant également le missel de Paul VI, que se situe la réflexion du cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI. Quel que soit son dessein d’une « réforme de la réforme », sa lecture de l’espace liturgique peut-être selon moi regardée avant tout comme la réintroduction de l’espace dans la réflexion liturgique, ce que manifeste notamment une longue attention portée à l’espace, plus qu’au temps, dans la deuxième partie de L’esprit de la liturgie, sous le titre « Le temps et l’espace dans la liturgie », alors que plusieurs éléments de la quatrième partie consacrés à l’attitude corporelle peuvent lui être aussi rattachés. Cette dominante spatiale et corporelle est sans doute également un fil directeur permettant, depuis l’élection de 2005, de mettre en perspective quelques-unes unes des mesures souvent rappelées concernant les cérémonies pontificales, comme la réintroduction de l’agenouillement à la communion ou la restitution de la croix et de chandeliers sur l’autel. Parmi les décisions, il faut aussi rappeler la restauration, pour le Carême 2009, de la liturgie stationnale à Rome, élément spécifiquement spatial, selon la succession traditionnelle des stations dans les église romaines. Il y a aussi quelques explications données lors des audiences du mercredi où domine la référence, chère au Pape, à la « liturgie cosmique », définie précédemment dans Un chant nouveau pour le Seigneur [32] , comme dernièrement, le 7 janvier 2009, dans une longue méditation sur le culte selon saint Paul. Quelles que soient les évolutions du sacré dans la liturgie, elles devront, prendre corps dans nos églises, dans les lieux sacrés, loca sacra, tels que les définit le code de droit canonique [33] et où se forme la piété du peuple chrétien, dans son espace propre.

1: P. Deffontaines, Géographie et religions, Gallimard, 1948, p. 10.

2: Paul Claval, Religion et idéologie, Perspectives géographiques, PUPS, 2008.

3: Jean-Bernard Racine, Olivier Walther, « Géographie et religions : une approche territoriale du religieux et du sacré », L’information géographique, n° 3, 2003, p. 193-221.

4: Yi-Fu Tuan, Topophilia, A study of environmental perception, attitudes and values, New-York, Columbia University Press, 1990, 260 p.

5: Edward-T. Hall, La dimension cachée, Seuil, 1971, 253 p.

6: Michel Foucault, Surveiller et punir, naissance de la prison, Gallimard, 1975, 318 p.

7: Alphonse Dupront, Du sacré. Croisades et pèlerinages. Images et langages, Paris, Gallimard, 1987, 541 p. et Puissances et latences de la religion catholique, Paris, Gallimard, 1993, 116 p.

8: Jacques Ellul, Les nouveaux possédés, Paris, Mille et une nuits, 2003, 348 p.

9: Claire de Galembert, « Cathédrale d’Etat ? Cathédrale catholique ? Cathédrale de la ville d’Evry ? Les équivoques de la cathédrale d’Evry », Archives de sciences sociales des religions, n° 107, juil-sept 1999, p. 115

10: Pierre Antoine, « L’église est-elle un lieu sacré ? », Etudes, vol. 326, mars 1967, p. 432-447

11: Jacqueline Lalouette, L’Etat et les cultes (1789-1905), La découverte, 2005, 124 p.

12: Bernard Chedozeau, Chœur clos, chœur ouvert. De l’église médiévale à l’église tridentine (France XVIIe-XVIIIe siècles), Cerf, 1998.

13: Philippe Rouillard, « Liturgie », in Catholicisme hier, aujourd’hui, demain, encyclopédie publiée sous la direction du Centre interdisciplinaire des facultés catholiques de Lille, Letouzey et Ané, 1975, col. 891-892.

14: Pierre-Marie Gy, « Situation historique de la constitution » in Jean-Pierre Jossua et Yves Congar (dir.), La liturgie après Vatican II, Bilan, études prospectives, Cerf, 1967, p. 122.

15: Constitution Sacrosanctum concilium, n° 122.

16: Sabine de Lavergne, Art sacré et modernité, Les grandes années de la revue « L’art sacré », Namur, Culture et vérité, 1992.

17: Joseph Ratzinger, L’esprit de la liturgie, Ad Solem, Genève, 2001, p. 68.

18: Bernard-Dominique Marliangeas, « Quand Vatican II s’incarne dans l’espace liturgique »,in Chantiers du Cardinal, n. 182, juin 2008, pp. 4-7.

19: Cf. « L’instruction Inter oecumenici du 26 septembre 1964 », texte et commentaire de P. Jounel », in La Maison Dieu, n. 80, 1964, pp. 7-125.

20: Joseph Ratzinger, L’esprit de la liturgie, op. cit., p. 69.

21: Rééd. Cerf, 2009.

22: Paul Claudel, Supplément aux œuvres complètes, Tome premier, L’Age d’homme, Collection du centre Jacques Petit, Lausanne, 1990, p. 294.

23: Michel Meslin, L’homme romain : des origines au premier siècle de notre ère, Complexe, Bruxelles, 2001, pp. 88-90.

24: Romano Guardini, Les signes sacrés, Spes, 1930, pp. 72-73.

25: Jean Daniélou, Bible et liturgie, La théologie biblique des sacrements et des fêtes d’après les Pères de l’Eglise, Cerf, 1951, pp. 38-39 et 43-44.

26: I. -H. Dalmais, P. Dourthe, P.-M. Gy, J.-Y. Hameline, « Comment la liturgie est elle célébrée dans son espace, Table ronde de liturgistes », La Maison-Dieu, n° 193, 1993, p. 114-116.

27: Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, Livres VIII-X, texte grec, traductions et notes par Gustave Bardy, Cerf, coll. Sources chrétiennes n. 55, 1958, p. 96.

28: Cf. entre autres : Aidan Nichols, Regards sur la liturgie et la modernité, Ad Solem, Genève, 1998 ; David Torevell, Losing the sacred, Ritual, modernity and liturgical reform,T&T Clark, Edimbourg, 2000, p. 1.

29: Paul Claval, « Postmodernisme et géographie », Géographie et cultures, n. 4, 1992, p. 15.

30: David Harvey, The condition of Postmodernity, Blackwell, Cambridge-Oxford, 1989, p. 39.

31: Autour de la question liturgique avec le cardinal Ratzinger, Actes des Journées liturgiques de Fontgombault, 22-24 juillet 2001, Abbaye Notre-Dame de Fontgombault, 2001, p. 4.

32: Roberto de Mattei, « Considérations sur la réforme liturgique », ibid. p. 169.

33: Joseph Ratzinger, Un chant nouveau pour le Seigneur, Paris, Desclée-Mame, 2005, pp. 233-234.

34: Jean Werckmeister, Petit dictionnaire de droit canonique, Paris, Cerf, 1993, p. 132.

[Le Temps] Ordinations chez les intégristes, "optimistes" sur leur relations avec Rome

SOURCE - 29 juin 2009

ECÔNE (Suisse), 29 juin 2009 (AFP) Plus de 2.500 personnes ont assisté lundi à Ecône à l'ordination de 6 prêtres et 10 diacres intégristes de la Fraternité Saint Pie X, dont le supérieur s'est dit "très optimiste" sur l'avenir des relations avec le Vatican.

La messe, dite en latin selon le rite d'avant Vatican II cher à la communauté intégriste, a duré plus de quatre heures en plein air dans une ferveur sans faille et un grand déploiement de pourpre et d'or, de surplis en dentelle et d'encens.

S'adressant aux fidèles, le supérieur Mgr Bernard Fellay s'est dit "étonné du chahut fait autour" de ces ordinations, "alors que dans beaucoup de pays, l'Eglise (romaine) manque de prêtres".

Il a souligné que la Fraternité procédait cette année à 27 ordinations de prêtres (en Suisse, en Allemagne et aux Etats Unis) "alors que des pays de tradition catholique comme la France ou l'Allemagne, n'arrivent même pas à en ordonner une centaine" (90 en France cette année, ndlr).

Parlant plus tard aux journalistes, Mgr Fellay s'est dit 'très optimiste" sur l'issue des conversations théologiques que la Fraternité doit engager avec Rome en vue de la réintégration de la communauté fondée en 1970 par Mgr Lefebvre.

"Je vois chez le pape un désir d'aboutir (à une réconciliation) et là où il y a une volonté, il y a un chemin", a-t-il dit.

Pour Mgr Fellay, Rome fait de fait preuve d'une "tolérance tacite" à propos des ordinations intégristes, les qualifiant d'illégitimes" mais sans les interdire formellement.

Interrogé par l'AFP à Rome, le porte-parole du Vatican le père Federico Lombardi, a à nouveau qualifié lundi ces ordinations d'"illégitimes".

Mais, estime Mgr Fellay, le pape ne considère pas la cérémonie comme une provocation à l'égard des autorités catholiques romaines, faisant valoir que les relations sont devenues "plus sereines". De plus, a-t-il ajouté, les ordinations ont lieu tous les ans à la même date, le 29 juin, qui correspond à la fête de Saint Pierre et Saint Paul.

Toutefois, il est resté vague sur sa position vis-à-vis du concile Vatican II (1962-65) dont la reconnaissance a été posée comme condition au rapprochement avec Rome.

"On ne dit pas que le concile Vatican II est tout noir", a poursuivi Mgr Fellay, "il y a de belles pages sur la Vierge, sur le sacerdoce (...) mais il faut clarifier les textes pour éviter les interprétations".

Malgré tout, le motu proprio (décret papal) lançant les conversations théologiques entre Rome et la Fraternité, devrait être publié "bientôt", selon Mgr Fellay; il n'a toutefois pas donné de date, estimant que le Vatican publierait d'abord l'encyclique sociale.

Interrogé sur le fait d'avoir choisi les intégristes plutôt que l'église vaticaniste, un des jeunes nouveaux diacres, Jacques Peron (22 ans), défend énergiquement la messe en latin, la "messe de toujours (...) comprise par les chrétiens du monde entier".

Il ne se sent pas "en rupture" avec l'Eglise, convaincu d'être dans le vrai.

Après la cérémonie, les nouveaux prêtres et diacres sont allés en procession poser pour la photo-souvenir, les mains jointes et revêtus de leurs chasubles rouge et or, au pied de la statue du fondateur Mgr Marcel Lefebvre.

Le séminaire d'Ecône, où la formation dure 5 ans, héberge actuellement 57 séminaristes.

[AFP] Le Vatican réaffirme que les ordinations de lefebvristes sont "illégitimes"

SOURCE - 29 juin 2009

Le Vatican réaffirme que les ordinations de lefebvristes sont "illégitimes"

Le porte-parole du Vatican a qualifié à nouveau d'"illégitimes" les ordinations célébrées lundi à Ecône, en Suisse, de six prêtres et dix diacres intégristes au sein de la Fraternité Saint Pie X.

"Je répète ce que j'ai déjà dit: ces ordinations sont illégitimes et il n'y a donc rien à ajouter par rapport à nos prises de position antérieures" sur ces ordinations, a indiqué à l'AFP, le père Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Vatican.

Le père Lombardi avait publié le 17 juin dernier un communiqué pour condamner par avance l'ordination de nouveaux prêtres par Mgr Bernard Fellay, le chef de cette communauté intégriste.

Le communiqué rappelait la lettre du pape Benoît XVI à l'ensemble des évêques publiée le 10 mars dernier après la polémique soulevée par la levée, fin janvier, de l'excommunication des quatre évêques intégristes ordonnés par Mgr Lefebvre, dont le négationniste Richard Williamson.

"Tant que la Fraternité n'a pas une position canonique dans l'Eglise, ses ministres non plus n'exercent pas de ministères légitimes dans l'Eglise", avait déclaré Benoît XVI.

"Les ordinations doivent donc être encore considérées comme illégitimes", avait alors affirmé la salle de presse.

La Fraternité Saint-Pie X à ordonné lundi de nouveaux prêtres et diacres comme elle le fait chaque année à l'occasion de la fête de Saint Pierre et Saint Paul.

[Le Figaro] Les intégristes bravent le Saint-Siège

SOURCE - Jean-Marie Guénois - 29 juin 2009

Contre l'avis de Rome, lundi matin à Ecône, à quelques pas de la tombe de Mgr Lefebvre, Mgr Bernard Fellay a ordonné huit nouveaux prêtres.

Une partie sans fin se joue entre Rome et Ecône. Entre le Vatican et les disciples de Mgr Marcel Lefebvre, plus connus sous le nom d'«intégristes». Opposés à la réforme du concile Vatican II (1962-1965), ils ont fait de la messe en latin le symbole de leur combat. Lundi matin encore, dans cette vallée suisse, ils bravent le Saint-Siège.

À quelques pas de la tombe de leur fondateur, au séminaire d'Ecône, son successeur, Mgr Bernard Fellay - un évêque dans la force de l'âge - a ordonné huit nouveaux prêtres. Six Français, un Belge et un religieux capucin. Au sein de la «Fraternité saint Pie X», nom de leur congrégation, ces hommes viennent grossir les rangs d'un ensemble de 450 prêtres, essentiellement répartis en France, Allemagne, Suisse, États-Unis et Amérique latine. En soi, ces ordinations n'ont rien d'extraordinaire. Elles sont annuelles, mais prennent aujourd'hui un relief médiatique particulier parce que le Vatican les a qualifiées d'«illégitimes» le 17 juin dernier.

Sans oublier les secousses encore sensibles de la retentissante levée des excommunications décidée par le Pape, le 24 janvier 2009. En ont bénéficié les quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre en 1988 - dont Mgr Fellay -, mais aussi le tristement célèbre Mgr Richard Williamson, négationniste de la Shoah. Dans ce contexte, ces sept ordinations presbytérales d'Ecône lundi matin sont donc symboliques de la haute tension que suscite ce dossier dans les milieux catholiques.

Précaution diplomatique

Mais elles interviennent à un point de basculement de toute l'affaire intégriste. Tant en interne, où Mgr Fellay est critiqué pour son dialogue avec Rome, que dans l'Église catholique, où Benoît XVI est peu suivi pour cette main tendue à ce «groupuscule» qui représente 0,1 % des prêtres catholiques. Ce ne sont pas en effet les querelles de latin ou de soutanes qui sont en jeu mais un problème de fond qui divise l'Église catholique : quelle orientation doit-elle prendre ? Plus ouverte ou plus classique ? Avec le Pape, certains estiment que l'application du concile Vatican II, dont ils énumèrent les «dérives», passe par la réconciliation avec les racines traditionnelles de l'Église catholique. Contre lui - et de plus en plus ouvertement -, d'autres estiment que Vatican II a tourné une page définitive. Ils refusent tout «retour en arrière sur les acquis du concile».

Ultime symptôme de ce malaise, le retard pris à Rome par la publication d'un décret, un motu proprio, qui doit justement faciliter le dialogue avec les lefebvristes. Ce texte devait sortir le 20 juin. Aux dernières nouvelles, Rome attend de connaître le ton, lundi matin, de l'homélie de Mgr Fellay à Ecône, lors de la cérémonie d'ordinations, avant de publier ce motu proprio.

Précaution diplomatique qui ne changera toutefois pas le fond, car Benoît XVI a pris la décision - et depuis longtemps - d'avancer pour trouver une solution et éviter l'installation d'un schisme.

L'équilibre du communiqué du Vatican qualifiant, le 17 juin, d'«illégitimes» les ordinations d'aujourd'hui l'indique clairement. «Illégitimes» ne signifie pas interdites ou invalides.

D'autant que ce rappel du droit canonique est aussitôt suivi d'un paragraphe assurant de la publication «prochaine» du motu proprio «pour lancer le dialogue» avec les responsables de la Fraternité saint Pie X. D'un côté, donc, un rappel formel déjà connu, de l'autre, la confirmation d'une volonté expresse de sortir de ce conflit malgré les conséquences pourtant graves pour l'image de l'Église de l'affaire Williamson.

Ce rapprochement a été pensé depuis au moins dix ans. Il a même été, d'une certaine manière, planifié. C'est Mgr Fellay lui-même qui l'a expliqué dans deux conférences publiques qu'il a données en 2005 à Bruxelles et à Paris pour évaluer les conséquences possibles de l'élection de Benoît XVI.

Il explique que le cardinal Ratzinger, devenu Benoît XVI, a toujours vécu comme un échec la consécration des évêques à Ecône par Mgr Lefebvre, en 1988. Les deux hommes avaient discuté et trouvé un accord.

Mgr Lefebvre l'avait même signé pour finalement se rétracter et décider de consacrer finalement des évêques au risque de la sanction de l'excommunication.

Depuis, le cardinal Ratzinger a toujours cherché à maintenir le contact en visitant régulièrement les milieux traditionalistes. Sa sensibilité liturgique personnelle va d'ailleurs dans ce sens. Il se dit même, à Rome, que Benoît XVI célébrerait en privé le matin la messe en latin, selon le missel de Paul VI.

En 2000, assure Mgr Fellay, ces contacts informels et la volonté de Rome de trouver une solution ont conduit la Fraternité saint Pie X à poser ses propres «conditions» pour la reprise d'un dialogue organisé : le rétablissement de la messe en latin d'une part, selon la dernière édition du missel de Jean XXIII, et la levée des excommunications d'autre part.

Un rendez-vous décisif

Vient ensuite l'année 2004. Mgr Fellay révèle qu'une importante réunion se déroula à Rome alors que Jean-Paul II, qui décédera en avril 2005, donnait des signes de faiblesses. «Un groupe de cardinaux conservateurs, raconte-t-il, s 'est réuniavec l'idée de faire quelque chose pour la tradition». Groupe, constate-t-il, qui jouera, selon lui, un rôle capital dans l'élection de Benoît XVI. «Ce n'est pas une supputation, lance-t-il. Benoît XVI a été élu en opposition au progressisme.»

De fait, en août 2005, quatre mois après son élection, le nouveau pape reçoit en audience Mgr Bernard Fellay.

Ce rendez-vous est décisif. Le chef de file des lefebvristes se méfie de Benoît XVI. Il lui reproche dans ces conférences «d'avoir une tête mal formée par une philosophie moderne, libérale, parfois moderniste, et un cœur conservateur », mais il le voit commencer à «réfléchir» aux deux conditions reformulées à cette occasion pour ouvrir un dialogue : la liberté de la messe en latin et la levée des excommunications. Exigences qui seront en effet actées. En juillet 2007, avec le rétablissement comme rite «extraordinaire» de l'ancienne messe en latin. En janvier 2009, avec la levée des excommunications pour les quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre.

Après le rendez-vous d'août 2005, Mgr Fellay écrit à Benoît XVI pour le remercier de sa «bienveillance» mais sent que l'accord sera difficile. Dans sa conférence, il relate : «Il était bienveillant (le Pape) pendant l'audience et je voyais clairement qu'il cherchait une solution, mais en même temps je voyais la pierre d'achoppement qu'est le concile (…). J'ai donc estimé devoir lui exprimer clairement que je n'étais pas d'accord sur ce point. Il l'a mal pris.»

Une liste des «objections sur le concile»

Cette lettre de Mgr Fellay, mal reçue par le Pape parce qu'il remettait en cause le concile Vatican II, donnera finalement lieu à une transaction. Rome accepterait le principe de discuter sur une liste des «objections sur le concile» formulée par les disciples de Mgr Lefebvre.

En attendant, donc, les ordinations de ce jour à Ecône et la publication à Rome du motu proprio pour lancer un dialogue sur le concile Vatican II, les deux parties en sont là.

Face à cette liste d'objections et en vue des discussions, les quinze cardinaux «membres» - et donc «conseillers» - de la congrégation pour la Doctrine de la foi ont consacré les deux dernières réunions mensuelles du mercredi pour finaliser un texte de quatre pages qui explicite, selon une source bien informée, «les positions catholiques fondamentales sur le magistère et le concile Vatican II». Il n'est pas question, pour la majorité d'entre eux, de faire des concessions sur le concile.

Même vigilance, mais dans un autre sens, autour de Mgr Fellay. On ne lui épargne rien : certains l'accusent publiquement «d'abandonner le combat de la foi». L'épisode des deux versions d'un même communiqué de Mgr Fellay, le 24 janvier dernier, au moment de la levée des excommunications, en donne une idée précise. Dans l'un, il écrivait : «Nous acceptons et faisons nôtres tous les conciles jusqu'à Vatican II, au sujet duquel nous émettons des réserves.» Dans le communiqué rectificatif, daté du même jour, il écrivait : «Nous acceptons et faisons nôtres tous les conciles jusqu'à Vatican I. Mais nous ne pouvons qu'émettre des réserves au sujet du concile Vatican II.»