15 mars 2005

[chemere.org] Seize questions au prieur de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier

SOURCE - chemere.org - mars 2005

Seize questions au prieur de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier (1)
1. Comment est née la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier ?
La Fraternité est née d’un appel du Christ à une consécration dans la radicalité des conseils évangéliques, et d’un choc : la rencontre avec l'une des grandes misères de notre monde contemporain, l'ignorance religieuse.

Embrasser la Croix que le monde fuit et nous consacrer à la prédication de la Vérité évangélique dans une société marquée par le relativisme : tel a été notre projet de vie, concrétisé en septembre 1979 par la fondation du Couvent Saint-Thomas-d'Aquin à Chémeré-le-Roi, en Mayenne. Actuellement nous sommes quinze religieux, dont huit prêtres et un diacre.
2. Pourquoi une fondation nouvelle ?
Nous avons voulu vivre le charisme de cette vie apostolique avec les moyens éprouvés que nous lègue la tradition. Notre projet ayant mûri en contexte de crise, nous n'avons pas frappé à la porte de l’Ordre des Prêcheurs. La vague des remises en cause – crise liturgique, sécularisation, doutes sur la doctrine de saint Thomas d'Aquin, déviations doctrinales – déferlait sur l’Eglise et atteignait aussi les provinces dominicaines… Une large enquête fut confirmée par ce qu’un Père, qui devait ensuite accéder à de hautes charges dans l’Eglise, m’écrivait en 1977 : « Aucune des options possibles n’offre une vie dominicaine parfaite. La vocation dominicaine devrait être assez forte pour pouvoir la vivre malgré certaines misères actuelles ; tout comme on devient prêtre aujourd’hui souvent malgré les séminaires, mais parce qu’on cherche le sacerdoce ». Nous avons donc tenté de vivre le charisme de saint Dominique dans une fondation nouvelle. Nous avions conscience du statut non canonique de notre entreprise. Dans l’attente d’une régularisation, nous n’avons prononcé que des voeux privés. Partie prenante de la réaction « traditionaliste », nous avons rédigé des travaux sur la crise dans l'Eglise, notamment sur la liberté religieuse. Dès 1980, nous avons multiplié les contacts avec évêques et théologiens. Il nous paraissait capital d'approfondir les questions en débat, et de travailler à l'unité dans la vérité.
3. Quel a été l'aboutissement de ce travail ?
Après des recherches approfondies, nous avons été conduits en 1987 à un changement de position sur la liberté religieuse. Nous nous étions trompés sur un point de notre critique. Le magistère n’a pas promulgué quelque chose de contradictoire avec les enseignements antérieurs, comme nous le pensions auparavant et comme continuent à l'affirmer des opposants des deux bords. La Déclaration du Concile sur ce sujet est « faible, équivoque, dangereuse, mais non pas erronée en son enseignement principal ». On peut, sans dissidence et sans néo-modernisme, être en communion avec le Magistère authentique de l'Église. Le Catéchisme de l'Église Catholique, des encycliques de Veritatis splendor à Ecclesia de Eucharistia confirment une continuité substantielle.
Cela n'exclut pas la possibilité de points de désaccord. Une part du discours et de la pastorale actuels en matière d’oecuménisme, de dialogue interreligieux, de rapports avec la société civile, de collégialité, de liturgie, contribue à la crise d’identité que traverse le catholicisme. Les fidèles ont « le droit et même le devoir » (canon 212 § 2) d’attirer l’attention, dans un esprit constructif, sur les aspects négatifs. Nous l’avons fait respectueusement — par des mémoires au Saint-Siège ou des articles — à propos d’Assise, des repentances, du statut de la messe traditionnelle. Nous sommes conscients qu’il revient à l’autorité un rôle décisif pour dénouer la crise. Des éclaircissements dogmatiques, précisant ceux des textes qui ont donné lieu aux interprétations erronées, nous paraissent notamment nécessaires.
Cette attitude n’a pas été considérée par le Saint-Siège comme un obstacle à notre reconnaissance. Malgré notre petit nombre, la Commission Pontificale Ecclesia Dei nous a érigés, deux mois après notre demande, en Institut de droit pontifical. Dans une audience privée, le Pape nous a félicités de notre étude sur la liberté religieuse qui, tout en montrant la continuité avec le magistère antérieur, affirmait les limites de la Déclaration et les droits du Christ-Roi. Nos Constitutions ont été approuvées définitivement dans un délai très bref, en avril 1995.
4. Et les dominicains ?
Les autorités de l'Ordre des Prêcheurs (dont nous ne dépendons pas canoniquement) ont plutôt mal pris notre reconnaissance par la hiérarchie. Un dialogue a été noué pour étudier la possibilité d'entrer dans la Famille dominicaine. Cette formule reconnaîtrait notre parenté, sans nuire à l'autonomie juridique et au charisme spécifique. Il faudra du temps pour que les choses aboutissent, en particulier pour que notre spécificité liturgique soit ressentie comme légitime. Nous avons déjà reçu d’un Maître de l’Ordre la participation aux biens spirituels de l’Ordre. Les contacts sont nombreux avec des pères de diverses provinces. Ce sont des dominicains qui prêchent habituellement nos retraites de communauté. Des Pères nous ont dit retrouver dans notre Couvent la vie qu’ils avaient connue avant la crise.
5. Pourquoi votre Institut est-il sous le patronage de saint Vincent Ferrier ?
Parce que c'est une sorte « d'apôtre des temps difficiles ». Dans un temps où s'accumulent les catastrophes — guerres, peste et Grand Schisme —, saint Vincent (1350-1419) fait rayonner les facettes de la grâce de saint Dominique : aspects intellectuel, spirituel et apostolique. C'est de lui qu'est cette sentence d'une vérité brûlante en nos temps de misère liturgique : « La Sainte Messe est l'acte le plus haut de la contemplation »2. Sa prédication des perspectives eschatologiques, sa conception de la chrétienté, son énergie sont une leçon pour la modernité occidentale, qui glisse dans le suicide de civilisation par matérialisme et désespoir.
6. Quelle est la spiritualité de votre communauté ?
Le coeur de cette vocation dominicaine est contemplatif. La finalité est « la prédication et le salut des âmes ». Ce n'est pas uniquement une vocation d'intellectuel. Les moniales, les frères convers, les missionnaires, les artistes sont de véritables dominicains ! Tous abordent les choses sous l'angle de la lumière de la vérité. Sainte Catherine de Sienne, dans son magnifique Dialogue – qui est comme la charte de la spiritualité dominicaine –, dit que l'aspect spécifique de la charité cultivé par Dominique, c'est le « salut des âmes par la lumière de la science »3.
Outre l'étude de la vérité sacrée, la vie dominicaine comprend les observances conventuelles et la célébration solennelle de la liturgie. L'idée de Dominique était d'amener par ces moyens les religieux à être pénétrés du dépôt révélé et à le communiquer par une « prédication découlant de l’abondance de la contemplation ».
Dans cette atmosphère de joie caractéristique du « Patriarche apostolique », nous nous efforçons de vivre un approfondissement marial de la spiritualité dominicaine : « Contempler et communiquer aux autres la vérité contemplée... par Marie ».
7. D'où vient cette note mariale spécifique ?
D’une nécessité pour les temps actuels : celle de la présence de la Vierge Marie, dont saint Louis-Marie de Montfort et saint Maximilien Kolbe ont perçu l'importance pour les âmes en quête de salut dans le désarroi du monde moderne. II nous a semblé très important d'expliciter cette note mariale présente dans la vocation dominicaine : que toute notre vie soit dans l'ambiance mariale, que notre prédication manifeste le rôle de Marie dans l'économie du salut.
L'instrument pédagogique qui rend cela possible, c'est le saint Rosaire. C’est saint Dominique qui en a reçu de Marie l’intuition primordiale. Dès les origines, le Rosaire a été non seulement une méthode de prière, mais aussi une formule d'apostolat. Le père Vayssière, un grand contemplatif dominicain qui fut longtemps gardien de la Sainte-Baume en Provence, disait que le Rosaire est « un enchaînement d’amour de Marie à la Trinité »4. Nous mettons en oeuvre cette pédagogie, qui conduit de Marie à la Trinité, notamment dans les « retraites du Rosaire ».
8. Comment expliquez-vous aux retraitants le rôle de la Sainte Vierge dans la rédemption ?
Dostoïevski a eu cette sentence étonnante : « La beauté sauvera le monde » 5. Sa pensée doit être entendue sur le plan spirituel : c'est le Christ qui sauve les âmes, mais c'est Marie qui les amène au Christ. Aller à Dieu par Marie est plus facile, parce que la Vierge est le condensé maximum de la beauté divine dans la création, et que la beauté est attirante. Marie est certes une pure créature, elle est notre soeur. Mais elle est aussi « la Femme revêtue du soleil » de la Trinité (cf. Ap 12, 1). Bernanos dit qu’elle est « plus jeune que la race dont elle est issue, et bien que Mère par la grâce, Mère des grâces, la cadette du genre humain »6, car elle est d’avant le péché dont la Rédemption du Christ la préserve. C’est pourquoi elle nous amène au mystère de Dieu avec une douceur et une profondeur inégalables. La retraite du Rosaire a pour but précisément de nous concentrer sur ce rôle salvifique de la Sainte Vierge.
En nos temps troublés où le démon est déchaîné, il est réconfortant de contempler cette créature transparente qui, selon le mot magnifique du cardinal dominicain Cajetan — célèbre commentateur de saint Thomas d’Aquin au XVIe siècle. —, « touche aux confins de la divinité »7. Il est bon de nous laisser enfanter par elle à la grâce et à la gloire. Saint Louis-Marie Grignon de Montfort l’exprime dans son fameux Traité de la vraie dévotion à Marie : « Le Saint-Esprit, par l'entremise de la Sainte Vierge, réduit à l'acte sa fécondité, en produisant en elle et par elle Jésus-Christ et ses membres »8. Cette attention au rôle de Marie est une note spirituelle propre de notre Fraternité, reconnue par le Saint-Siège dans notre décret d'érection.
9. Avez-vous d'autres caractéristiques spécifiques ?
La différence avec l'Ordre des Prêcheurs n'est pas dans la finalité, mais dans les moyens. D’après saint Thomas, cela légitime la différence des Instituts religieux. Un exemple est donné par l’Ordre des Chartreux et la Fraternité des Moines de Bethléem et de l’Assomption, à qui les Chartreux ont reconnu la « paternité de saint Bruno ». Pour nous, nous tâchons de vivre le charisme de saint Dominique :
  • dans une vie contemplative structurée par les moyens traditionnels de la vie religieuse (clôture, silence, port de l’habit, observances monastiques) ;
  • par une étude de la pensée de saint Thomas d’Aquin, pour sa valeur de vérité et non uniquement d’un point de vue historique ;
  • avec, pour la Messe et l’Office, une liturgie propre tirée de la tradition dominicaine (livres liturgiques en vigueur jusqu'à la réforme postconciliaire).
Ces trois « points saillants » sont reconnus dans notre décret d’érection.
Nous tenons à la sagesse des anciens qui nous ont précédés. II y a là un défi lancé à notre médiocrité. Dans la poursuite de la sainteté, nous sommes invités à un esprit de docilité vis-à-vis des moyens de la vie religieuse légués par la tradition. Cette piété filiale n'empêche pas l'ouverture et l'adaptation. Elle ouvre le coeur à la joie du sacrifice, et nous aide à devenir « amoureux de la beauté spirituelle »9. Concrètement, une vie régulière et une liturgie qui viennent du Moyen-Age ne sont pas incompatibles avec les outils techniques de la modernité, comme Internet et le TGV, ni avec l’intérêt pour les sciences modernes ou les questions d’actualité brûlante !
10. Pouvez-vous nous dire un mot du rit dominicain ?
C ‘est une des formes traditionnelles du rit latin. Elle était en vigueur depuis longtemps lorsque saint Pie V (qui était dominicain) unifia en 1570 les variantes en usage dans les diocèses. Il voulut que les rits qui avaient plus de deux siècles d'ancienneté puissent se maintenir. C'est ainsi que certains diocèses (Lyon, Tolède, Milan) et certains ordres religieux (Chartreux, Carmes, Dominicains) ont gardé leur rit propre. Remarquons que ces religieux disaient toujours la messe dans le rit de leur Ordre, même dans le ministère paroissial. Le rit dominicain est assez proche à la messe lue, de la messe romaine traditionnelle. Il en diffère toutefois pour les prières préparatoires, le rit de l'offertoire en une seule présentation des oblats, l'écartement des bras après la consécration, le baiser de paix, la communion du prêtre. Les usages dominicains sont dans l'ensemble plus anciens que ceux de la messe romaine. C'est un rit très beau dans sa sobriété. La messe solennelle est splendide. Elle diffère notablement de la messe romaine, surtout par le rôle accru du diacre et du sous-diacre (avec des lavabos après certaines de leurs fonctions), les amples mouvements symétriques des ministres, le remplissage du calice à la banquette. L'ensemble fait partie des trésors de l'Église d'Occident.
11. Comment se déroule une journée dans votre couvent ?
Nous avons la Messe quotidienne (chantée les jours de fête) ; les offices divins de laudes, sexte, vêpres (chantées les jours de fête) et complies (chantées tous les jours) ; le silence dans les « lieux réguliers » ; le chapitre des coulpes une fois par semaine ; les jeûnes de l'avent et du carême ; deux demi-heures d'oraison silencieuse.
 
Les étudiants ont quatre ou cinq heures consacrées à l'étude (Écriture sainte, philosophie, théologie, liturgie, droit canonique, histoire, …). Les frères convers étudient la doctrine catholique, selon ce qui est nécessaire à leur vocation. Le reste de la journée est consacré à la préparation des divers apostolats, à la rédaction d’une revue trimestrielle et aux « obédiences », c’est-à-dire les tâches pratiques nécessaires à la vie commune, selon des « spécialités » variées : jardin, cuisine, bricolage, arts, accueil... Sans oublier les temps de vie fraternelle, les deux récréations quotidiennes, le sport et les promenades.
12. Quel est votre programme d’étude ?
La formation des novices est répartie sur deux ans : compléments catéchétiques, étude des Constitutions de la Fraternité, spiritualité, Ecriture sainte, latin, chant grégorien – le « chant propre de la liturgie romaine » 10. Pour l'art chrétien et la culture générale, nous bénéficions d'intervenants de qualité.
 
Les frères convers (qui ne se destinent pas au sacerdoce) complètent leur formation technique ou artistique (chant, orgue, reliure, menuiserie...) et les frères étudiants abordent la philosophie, avec l’IPC (Faculté libre de Philosophie). L'accent est mis sur l'étude des textes du Docteur commun, notamment ses Commentaires d’Aristote, le caractère « architectonique » de sa sagesse, son originalité par rapport aux divers systèmes philosophiques.
 
Le cycle de théologie est suivi au couvent sous forme des sessions de dogme et de morale données par des professeurs extérieurs.
 
Certains pères acquièrent des diplômes universitaires : à la Sorbonne pour la philosophie, à l'Université catholique d'Angers ou à l’Université de Fribourg en Suisse pour la théologie. Cela nous permet de constater deux choses. Premièrement, saint Thomas donne une formation féconde, qui manque à beaucoup d'universitaires actuels. Deuxièmement, cette formation thomiste habilite à discerner les erreurs et à saisir les éléments de vérité de la culture moderne. Elle permet une ouverture paisible de l'esprit, sans crispation... et sans complexe.
 
Tout cela dans la visée apostolique de l’étude voulue par saint Dominique : « Notre étude doit tendre par principe, avec ardeur et de toutes nos forces, à nous rendre capables d'être utiles à l'âme du prochain ».
13. Comment se traduit cette dimension apostolique de votre vie ?
Notre existence est marquée par l'alternance de la vie conventuelle et des sorties apostoliques. Celles-ci sont plus ou moins fréquentes et prolongées, selon les nécessités, et selon le tempérament de chacun des frères. Dans la vie dominicaine, que Catherine de Sienne qualifiait de « religion toute large, toute joyeuse et toute parfumée »11, il y a place pour un large éventail au sein d'une même angoisse pour le salut des pécheurs et d'un même enthousiasme apostolique.

Les frères étudiants sont associés à l’apostolat dès la profession. Chacun est prêcheur à sa façon. Tel frère convers, à qui Dieu a donné un talent artistique, prêchera par la beauté qui attire à la vérité. N'oublions pas que Fra Angelico, le patron des artistes, est dominicain ! Ceux qui restent au couvent soutiennent la parole de ceux qui sortent par la prière. L'apostolat est le fait de tout le couvent, l'orientation pour le salut des âmes marque la tonalité de nos travaux conventuels et de notre contemplation.
14. Quels sont les axes principaux de votre apostolat ?
1. L'approfondissement de la vie chrétienne par les Retraites du Rosaire, ouvertes à tous à partir de dix-huit ans, ou prêchées à des communautés religieuses. Ces retraites constituent, dans la ligne de notre note mariale, l’un de nos apostolats spécifiques. Il y a aussi des récollections et des pèlerinages, comme ceux de la Pentecôte à Chartres ou les camps d'été en France et à l'étranger (jusqu'en Europe de l'Est et au Moyen-Orient). Nous insistons spécialement sur les richesses de la vie de la grâce.
 
2. La formation doctrinale : aider les chrétiens à avoir une culture religieuse au niveau de leur culture profane, notamment par notre revue Sedes Sapientiæ. Trimestrielle, elle traite de façon abordable de philosophie et de théologie, mais aussi d’actualité religieuse, d’art chrétien, de liturgie, de spiritualité. Nous publions aussi la collection « Classiques spirituels », assurons l’aumônerie de collèges, animons des cafés-caté dans le Quartier latin. Enfin nous aidons l’Association Scoutisme et Résurrection (ASR) et le Rassemblement des Jeunes Catholiques (RJC), et nous participons aux JMJ (Juventutem pour 2005).
 
3. Une aide à la famille, première cellule de la vie chrétienne : catéchèse pour enfants et adultes ; sessions de fiancés ; accompagnement de foyers (Domus Christiani) ; camps canoë (garçons de 16-17 ans) ; camps-vélo (garçons de 12-15 ans) ; aumôneries scoutes (notamment Europa-Scouts). Nous n’oublions pas les célibataires suivis dans le Cercle des Célibataires Chrétiens.
15. Pouvez-vous nous parler de l’histoire et de l’esprit de votre revue ?
Sedes Sapientiæ est une revue de culture générale catholique. Elle a eu des débuts très modestes, sous la forme d’un petit bulletin ronéotypé qui contenait un article de spiritualité, un texte d’initiation thomiste, et les nouvelles de notre communauté. A l’été 1987, elle prend sa forme actuelle imprimée, de format modeste, comptant 64 à 112 pages par livraison. L’éditorial de ce numéro 21, la « Lettre à un ami », souligne trois caractères de la publication : – primat de l’intelligence, pour l’approfondissement doctrinal de la foi ; – rigueur contre l’erreur, selon la fonction du sage dessinée par l’Aquinate au début de la Somme contre les Gentils 12 ; – « l’esprit catholique qui est un esprit d’analogie et d’intégration »13, selon les belles paroles de l’abbé Victor-Alain Berto.
 
Au début essentiellement réalisée par les frères, Sedes Sapientiæ a vu le nombre et la qualité des contributions extérieures grandir, jusqu’à représenter aujourd’hui plus des deux tiers : universitaires, chercheurs, spécialistes de l’art, philosophes, chroniqueurs, historiens, religieux et théologiens, sans compter quelques cardinaux ou évêques.
 
L’esprit dans lequel veut travailler la revue est celui de saint Thomas d’Aquin : souligner l’harmonie de la foi et de la raison, cultiver la piété filiale envers l’être historique de l’Eglise, adhérer au Magistère vivant, sans dissentiment qui s’érige en magistère parallèle, sans « la complaisance d’esprit, qui tend à faire de l’autorité, dans des matières de soi soumises à la raison et à la conscience, la règle de la vérité »14.
 
Sedes Sapientiæ n’hésite pas à aborder des sujets brûlants dans l’Eglise et la cité, faisant notamment régulièrement le point sur la situation de la mouvance Ecclesia Dei. La revue s’efforce constamment de concilier la rigueur et la clarté sur les enjeux avec le respect des personnes dans la controverse. Elle s’attache surtout à donner la formation de fond aujourd’hui plus indispensable que jamais. Notre public est loin de se réduire au milieu traditionaliste, et atteint des personnes très diverses : étudiants, éducateurs, parents, prêtres, séminaristes, communautés religieuses, professionnels, bibliothèques. Des lecteurs nous disent que la revue est en passe de devenir dans certains milieux un instrument de référence. En tout cas, un haut dignitaire de l’Eglise nous encourageait récemment en nous écrivant : « Votre engagement à diffuser l’enseignement de l’Eglise est un précieux service rendu à la foi ».
16. Quels types de vocations trouve-t-on dans la vie dominicaine ?
On a dit à juste titre qu'il avait fallu trois saints pour manifester la richesse de la grâce de Dominique. Catherine de Sienne la contemplative, Pierre de Vérone l'apôtre et Thomas d'Aquin le savant : trois rayons sortant de « la grâce unique de notre Père »15. Catherine de Sienne n'est pas une intellectuelle, et réduire la vie dominicaine à l’étude est contraire à la vérité historique.
 
Dans la vie d'un couvent, il y a les pères, qui étudient et qui prêchent, chacun selon les modalités qui conviennent à ses aptitudes : homélies, retraites, articles, cours, conférences, confessions, directions spirituelles, aumôneries d’écoles, scoutisme, accompagnements de pèlerinage, etc. Les étudiants qui se préparent à la prêtrise ou au diaconat. Et les frères convers, qui ont la même profession religieuse que les pères. C’est grâce à eux que le couvent est cette « maison de la contemplation » qu'a voulue saint Dominique, et non une résidence de gens affairés ou de remueurs d'idées. Les pères et les étudiants ont un besoin vital de la présence de ces frères au scapulaire noir. Ils participent à l'office choral, s’investissent dans un art ou une technique utile à l’apostolat, collaborent à l’apostolat (catéchisme, accompagnement de camps de jeunes), et le rendent possible par leurs travaux. 
 
Cette complémentarité a été voulue dès les origines. La diversité des dons au service de la prédication nourrit l'affection que la Règle de saint Augustin nous recommande : « Vivez unanimes dans la maison, ayant une seule âme et un seul coeur ». Les frères convers rappellent que la fécondité de l'apostolat découle de la vie cachée en Dieu et du sacrifice de la croix.
Fr. Louis-Marie de Blignières
mars 2005

1 Cet entretien est paru dans le numéro 91 de Sedes Sapientiæ (mars 2005) et en version abrégé dans L' homme nouveau, n° 1337 du 2 janvier 2005.
2 « Missa est actus altius contemplationis quod possit esse », Quadragesimale, sermo 39, Sabbato post Oculi, Sancti Vincentii Ferrerii Opera, studio Caspari Erhard, Augustæ Vindelicorum, MDCCXXIX, p. 124 D.
3 Dialogue, ch. 158, trad. Hurtaud, t. 2, Paris, Téqui, 1976, p. 273.
4 Marcelle Dalloni, Le Père Vayssière, biographie et textes spirituels, Paris, Alsatia, 1957, p. 166.
5 L’Idiot, IIIe partie, ch. 5, Paris, Hachette, 1972, t. 2, p. 100 ; cité par Jean-Paul II, Lettre aux artistes du 4 avril 1999, in La Documentation catholique, n° 2204, p. 458, note 25.
6 Journal d’un curé de campagne, Paris, Plon, 1936, p. 259.
7 Thomas de Vio Cajetan, Commentaire sur la Somme de théologie de saint Thomas d’Aquin, in IIam IIæ, q. 103, a. 4.
8 Traité de la vraie dévotion à Marie, n° 21.
9 Règle de saint Augustin.
10 Concile Vatican II, Constitution Sacrosanctum Concilium sur la liturgie, n° 116.
11 Dialogue, ch. 158, op. cit., p. 275.
12 Somme contre les Gentils, I, 1.
13 Pour la sainte Eglise romaine, Paris, éd. du Cèdre, 1976, p. 24.
14 Abbé V.-A. Berto, Principes de la direction spirituelle, Paris, éd. du Cèdre, 1951, renvoyant à la Somme de théologie, II II, q. 104, a. 5, ad 2.

8 mars 2005

[Petrus - Le Forum Catholique] Le retour de flammes

SOURCE - Petrus - Le Forum Catholique - 8 mars 2005

Finie. La pénitence a assez duré. Petrus est de retour et va cracher du feu. Je ne vais quand même pas me laisser dévorer tout cru par le FSSPX Circus, non?

Je poursuivrai donc dans les prochains posts l'offensive tous azimuts contre les déviations doctrnales et canoniques de la FSSPX et Dieu sait qu'il y a matière car tout ce que l'organisation écônienne touche, elle le souille immanquablement : [cette partie du message de Petrus constituant une grave offense à l'encontre du Souverain Pontife, elle a été modéreée.] le catéchisme falsifié en enseignant qu'il est tout à fait licite de désobéir au pape en matière de foi, la nature monarchique et hiérarchique de l'Eglise parodiée par Menzingen et ses sujets, avec sa commission saint Charles Borromée annulant (de manière évidement invalide car elle n'a aucune juridiction pour cela) les mariages et les voeux religieux, avec ses évêques supplétoires, le dogme de l'infaillibilité ponticale vidée de sa substance.

On nous dit aujourd'hui que la hiérarchie de la FSSPX ne respecte pas le code de droit canon. Mais quand l'a-t-elle jamais respecté? Elle s'en est toujours moquée comme de sa première chemise. En 1975, Mgr Lefebvre considérait illégale la suppression de la FSSPX par Mgr Mamie, évêque de Fribourg. Or, vingt-sept ans après (mieux vaut tard que jamais), dans sa biographie du prélat d'Ecône, Mgr Tissier de Mallerais reconnaît à demi-mot que l'argumentation juridique et canonique du fondateur de la FSSPX ne tenait pas la route. Etant une oeuvre de droit diocésain autorisée pour une durée de six ans, la FSSPX pouvait parfaitement être supprimée à tout moment par l'évêque diocésain qui avait tout pouvoir pour le faire. Ce qu'il a d'ailleurs fait dans les formes, en parfait accord avec le Saint-Siège.

La seule solution logique aurait été de dire : on ne vous obéit pas puisque vous n'avez aucune autorité. Vous êtes évêque de la Contre-Eglise de Vatican d'Eux et non de la Sainte Eglise catholique.

Mais comme Mgr Lefebvre avait signé absolument tous les documents du conciliabule VII, y compris celui sur la liberté religieuse, il lui aurait fallu renier publiquement sa signature. C'était beaucoup lui en demander. Remarquez par la suite il a fait croire contre l'évidence qu'il n'avait jamais signé ni Dignitatis humanae ni Gaudium et Spes. Là aussi, une génération après, Mgr Tissier rétablit la vérité. Douloureuse à entendre, il est vrai.

En effet, demander à la direction passée (et plus encore) présente de la FSSPX d'être courageuse,logique et conséquente dans ses choix et ses décisions, c'est comme demander à un footballeur professionnel de parler correctement le français : ça n'arrive jamais!

On n'est jamais déçu avec les [ mot modéré constituant une injure] ; ça se passe comme ça, non pas à Mac Donald's comme dit la pub' mais à la FSSPX! Avec elle c'est tous les jours Guignol, le sourire, la compétence et le talent en moins, la suffisance en plus !

A la place de Paul VI et de Jean-Paul II j'aurais rêvé d'avoir de tels opposants, je les aurais financés au besoin. Pensez ! Voilà des gens qui reconnaissent publiquement mon autorité de vicaire du Christ et chassent impitoyablement de leur sein ceux qui logiquement la rejettent, qui admettent la validité de la nouvelle messe et des nouveaux sacrements, qui acceptent même Vatican II à la lumière de la Tradition et qui brûlent de trouver un accord, au moins pratique, avec moi. C'est t'y pas merveilleux des opposants pareils! Des agneaux, on vous dit! Mais on en créerait sur mesure des loustiques pareils!

D'aileurs, regardez l'abbé DVD, il nous dit que si Jean-Paul II a embrassé publiquement le Coran, c'est par un trop plein d'amour pour les musulmans. Même certains conciliaires n'auraient pas osé, qu'importe, l'abbé DVD , lui l'a fait! Chapeau bas, l'abbé! Si avec ça, on ne vous trouve pas une petite incardination bien proprette dans un diocèse bien tranquille, c'est à désespérer, n'est-il pas?

Voilà où mènent trente-cinq ans de FSSPX : en arriver à défendre ou en tout cas à minimiser le geste infâme de Jean-Paul II.

Ah ils sont beaux nos défenseurs de la foi! L'oeuvre bénie de Dieu qu'on vous dit. Celle qui va sauver l'Eglise.

T'as qu'à croire, Grégoire!

Petrus.

A Morgane : sincèrement désolé pour dimanche mais, de vous à moi, j'ai été malade comme un chien toute la journée et je vous asure que je ne mens pas. Quoi? J'entends des liseurs qui disent que c'est bien fait. Pas sympas, les gars mais je vous pardonne. C'est Carême, quoi!

6 mars 2005

[Aletheia n°72] Jean-Paul II et la "séparation" - et autres textes - par Yves Chiron

Aletheia n°72 - 6 mars 2005

JEAN-PAUL II ET LA “ SEPARATION ”

En date du 11 février, Jean-Paul II a adressé une Lettre apostolique aux évêques français. Après la visite ad limina des évêques de France, et à l’occasion du 100e anniversaire de la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat, cette Lettre apostolique veut “ réfléchir sur l’histoire religieuse en France au cours du siècle écoulé ”.

Deux affirmations du texte apparaissent comme une évolution de la doctrine sociale de l’Eglise.

D’une part, la Lettre apostolique, s’adressant aux évêques de France, affirme : “ Le principe de laïcité, auquel votre pays est très attaché, s’il est bien compris, appartient aussi à la Doctrine sociale de l’Eglise. Il rappelle la nécessité d’une juste séparation des pouvoirs (cf. Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise, nn. 571-572), qui fait écho à l’invitation du Christ à ses disciples : ”Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu” (Lc 20, 25) ”.

D’autre part, dépassant le cas français, la Lettre pose en principe : “ la non-confessionnalité de l’Etat, qui est une non-immixtion du pouvoir civil dans la vie de l’Eglise et des différentes religions, comme dans la sphère du spirituel, permet que toutes les composantes de la société travaillent au service de tous et de la communauté sociale. ”

La “ séparation ” de l’Eglise et de l’Etat (le mot est dans le titre de la loi de décembre 1905) est, pour la première fois dans un document pontifical, qualifiée de “ juste ” et de nécessaire ( “ nécessité ”). La “ non-confessionnalité de l’Etat ” est perçue positivement, comme une liberté pour l’Eglise, et non plus négativement, comme une liberté de l’Etat (au sens où l’Etat se libéralise, s’affranchit de la religion).

Émile Poulat, dans un balancement auquel le lecteur doit être attentif, approuve la volonté affirmée d’apaisement, mais note aussi que la Lettre pontificale fait l’impasse sur le fond (les questions conjointes de la liberté, de la vérité et de la conscience) :

C’est un texte qui va faire date. Un texte de référence. Une page est tournée. Le ton est bon, conciliateur, bienveillant. Il n’y a rien de nouveau sur le fond mais c’est un développement presque inédit du thème de la “ saine et légitime laïcité ” définie par Pie XIII. Il faudra suivre de près la réception de ce texte par la presse et par les politiques. Toute la question reste cependant de savoir ce que les évêques vont en faire car il y a une part de langage codé. Le Pape y fait part d’une préoccupation interne. En ce sens, il ne faut pas penser que cette lettre atteigne automatiquement son objectif. C’est maintenant aux évêques de la digérer, puis de réagir. L’autre problème de ce document – qui commet au passage une erreur sur la date du Concordat – vient du fait qu’il part d’une fausse problématique, celle des relations Eglise-Etat. Or, le problème de fond n’est plus là. Les vraies questions sont celles du pouvoir de l’Eglise sur la société et de la liberté de conscience absolue revendiquée par les partisans de la laïcité. Et c’est bien sur ce point qu’ils attendent l’Eglise. L’Eglise admet certes la liberté de conscience, mais pas de façon absolue. Il y a donc un malentendu qui reste à résoudre.[1]

Un nouveau “ ralliement ” ?

Jean Madiran, en lecteur attentif des textes pontificaux, voit, pour sa part, dans cette Lettre apostolique “ une grande nouveauté ” :

Pendant un siècle, la doctrine de l’Eglise rejetait la séparation entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, elle enseignait leur distinction et prônait leur union. Néanmoins le terme de “ séparation ” était admis et couramment employé (par inadvertance, par ignorance doctrinale, ou bien par insolence délibérée) dans les milieux les plus à gauche de la mouvance politique dite démocrate-chrétienne. Mais pour trois et disons quatre générations de familles catholiques militantes, “ la Séparation ” a été et demeure le mal, la honte, la défiguration de la fille aînée de l’Eglise, le reniement qui justifie le reproche adressé un certain jour à la France :

Qu’as-tu fait des promesses de ton baptême ?

Le ralliement à la séparation dans le vocabulaire pontifical était ouvertement en préparation. On avait bien remarqué que l’exhortation apostolique Ecclesia in Europa ne rejetait plus la “ séparation ” mais seulement la “ séparation hostile ”, suggérant en somme d’imaginer une séparation amicale. Cependant le discours pontifical du 12 janvier 2004 en revenait au terme traditionnel de “ distinction ”, disant :

“ Le principe de laïcité [est] en soi légitime s’il est compris comme la DISTINCTION entre la communauté politique et les religions. ”

Dans la récente lettre pontificale, le pas est franchi, la notion de “ séparation ” est acceptée et elle est déclarée “ juste ”, cette qualification surprenante pouvant d’ailleurs être comprise comme une limitation tout autant qu’une promotion […].

Mais cette séparation des pouvoirs est présentée comme une collaboration entre eux, comme une association, comme un partenariat.[2]

La “ juste séparation ” admise par la Lettre apostolique de février 2005 semble donc contredire les enseignements pontificaux précédents, historiques désormais. Il est à remarquer que la Lettre apostolique signée Jean-Paul II est datée du 11 février, soit exactement la même date que celle de l’encyclique Vehementer nos (11 février 1906) par laquelle saint Pie X condamnait la loi française de Séparation de l’Eglise et de l’Etat. Est-ce une coïncidence ?

À quelque cent années de distance, le discours pontifical a bien changé. En 1906, saint Pie X, dans Vehementer nos, affirmait : “ Qu’il faille séparer l’Etat de l’Eglise, c’est une thèse absolument fausse, une très pernicieuse erreur ”. En 1924, par l’encyclique Maximam gravissimam, Pie XI, acceptant l’institution d’Associations diocésaines, avertissait encore “ ce que Pie X a condamné, Nous le condamnons de même ; et toutes les fois que par ”laïcité” on entend un sentiment ou une intention contraires ou étrangers à Dieu et à la religion, Nous réprouvons entièrement cette ”laïcité” et Nous déclarons ouvertement qu’elle doit être réprouvée ”.

Le cas chilien (1925)

Pie XI a été un des papes contemporains qui a signé le plus grand nombre d’accords avec les Etats de son temps. On a pu relever dix-sept concordats, conventions et accords avec des Etats signés durant son pontificat (1922-1939)[3]. Mais il est à noter que ce pape, si adversaire du laïcisme, s’est accommodé d’un régime de séparation de l’Eglise et de l’Etat imposé par le Chili en 1925. Il s’en est accommodé non sans sauvegarder le principe :

En dépit des excellentes relations qui existaient antérieurement et qui existent encore entre elle et le Saint-Siège, la République du Chili a décrété l’application du régime dit de séparation. À la lumière de la foi catholique, ce régime n’est certainement pas conforme à la doctrine de l’Eglise, non plus qu’à la nature des hommes ou de la société civile. Cependant, il est appliqué d’une manière tellement amicale que, loin d’être une séparation, il semble plutôt une union amicale (amicus convictus). Aussi, nous l’espérons, l‘Eglise catholique n’en continuera pas moins d’exercer son influence et son action sur la vie morale de ce pays qui nous est cher, et pour son plus grand bonheur. [4]

Il resterait à étudier les circonstances dans lesquelles s’est établie cette “ séparation ” au Chili et les conséquences qu’elle a eues sur la vie sociale, morale et politique du pays. Et l’ “ union amicale ” dans la séparation, que Pie XI voyait à l’œuvre au Chili, a-t-elle quelque analogie avec la situation actuelle de la France (la “ séparation amicale ” qu’évoque Jean Madiran) ? La question mérite d’être posée.

On relèvera encore que Pie XI attendait que l’Eglise catholique continue à “ exercer son influence et son action sur la vie morale ” du Chili. Aujourd’hui, Jean-Paul II attend des fidèles qu’ils fassent “ rayonner les valeurs évangéliques et les fondements anthropologiques sûrs dans les différents domaines de la vie sociale ”.

La différence essentielle entre le Chili de 1925 et la France de 2005 reste que le régime de séparation est jugé différemment : “ non conforme à la doctrine de l’Eglise ” dit Pie XI, “ nécessité d’une juste séparation des pouvoirs ” dit Jean-Paul II.

“ Questions autour d’une lettre ”

Pour en revenir à la lettre de Jean-Paul II, on ne sera pas inattentif aussi à ces observations de Denis Sureau dans Chrétiens dans la Cité :

…cette lettre doit être située dans le contexte de la fin du pontificat de Jean-Paul II. Ce n’est plus un secret : son état de santé ne lui permet plus de maîtriser nombre de décisions et publications soumises à sa signature. Comme nous le confie un membre de la Curie, les différentes congrégations romaines s’affrontent discrètement. Ces circonstances expliquent probablement le décalage substantiel de ce texte avec les mises en garde répétées de la papauté contre le laïcisme en France et en Europe. Et avec l’inquiétude croissante des personnalités de l’Eglise de France – notamment les cardinaux Lustiger et Barbarin – face à l’hostilité grandissante des pouvoirs publics et la multiplication des discriminations de toutes sortes dont souffrent les catholiques. Il est étrange que ces perceptions de l'archevêque de Paris et du Primat des Gaules soient absentes d’une lettre conçue comme un écho à leur venue à Rome. [5]

Trois livres sur la Séparation

1905, la séparation des Eglises et de l’Etat. Les textes fondateurs, Perrin, collection de poche “ Tempus ”, 476 pages, 10 euros.

Publié avec le concours du Ministère de l’Intérieur, et préfacé par Dominique de Villepin (flamboyant et lyrique à son habitude : “ la loi de 1905, fondatrice de notre identité républicaine, indissociablement laïque et libérale ”), l’ouvrage vaut surtout par les nombreux documents qui y sont publiés, parfois dans leur texte intégral. Choisis et présentés par Yves Bruley, on y trouve des dizaines de textes. La loi de Séparation de décembre 1905, bien sûr, mais aussi, en aval, le débat sur la liberté et la laïcité qui a parcouru tout le XIXe siècle (les catholiques libéraux, Pie IX, Gambetta, Jules Ferry). D’autres parties montrent “ la République en marche vers la Séparation ” (notamment la loi de 1901 sur les congrégations, des extraits des débats dans les Chambres, des articles de journaux). Puis viennent les épisodes de la loi de Séparation elle-même et la situation ainsi créée. On sait gré à Yves Bruley de n’avoir pas opéré une sélection réductrice. Défenseurs de l’Eglise et adversaires de la Séparation sont autant représentés que les partisans de la Séparation et les anticléricaux. D’où, face à Combes, Waldeck-Rousseau, etc., des textes de Péguy, Maurras, Mgr Turinaz, Lyautey, d’autres encore et, bien sûr, les allocutions et encycliques de saint Pie X. Une source documentaire précieuse.

• Jean Sévillia, Quand les catholiques étaient hors la loi, Perrin, 323 pages, 21 euros.

Jean Sévillia publie une chronique bien informée sur la politique anticléricale de la IIIe République. Son “ histoire de la révolution laïque ” est articulée en sept chapitres, de Léon Gambetta à la loi de Séparation de l’Eglise, et s’achève sur une longue réflexion intitulée “ Quand la laïcité ne suffira plus à dire qui nous sommes ”.

Jean Sévillia note justement (mais en parlant au passé) : “ la laïcité, dans l’esprit et la pratique de ses fondateurs, ne signifiait nullement la neutralité religieuse de la puissance publique : c’était alors une œuvre militante, une œuvre de combat contre le catholicisme et son influence en France ”.

De Gambetta (programme de Belleville de 1869 qui réclame la séparation de l’Eglise et de l’Etat et une école laïque) aux lois scolaires de Jules Ferry (1879-1882), il y a une continuité parfaite. Ce même Gambetta qui proclamait aussi en 1871 : “ Je désire de toute la puissance de mon âme non seulement qu’on sépare les Eglises de l’Etat, mais qu’on sépare les écoles de l’Eglise ”. Puis qui lançait à la Chambre des députés, le 4 mai 1877 : “ Le cléricalisme, voilà l’ennemi ”.

Des lois Ferry à la loi sur les congrégations de Waldeck-Rousseau (1901) et à la loi sur la Séparation (1905), même continuité encore. En 1901, Waldeck-Rousseau déclarait en tant que chef du gouvernement : “ L’anticléricalisme est une manière d’être constante, persévérante et nécessaire aux Etats ; il doit s’exprimer par une succession indéfinie d’actes et ne constitue pas plus un programme de gouvernement que le fait d’être vertueux, ou honnête, ou intelligent. ”

• Paul Airiau, Cent ans de laïcité française. 1905-2005, Presses de la Renaissance, 286 pages, 18 euros.

Paul Airiau livre une réflexion qui s’inscrit la une longue durée. Il qualifie la séparation de l’Eglise et de l’Etat de “ sécularisation de l’Etat ” (ce qui n’est peut-être pas adéquat, car l’Etat, même en régime de chrétienté, a toujours été séculier, sauf dans les théocraties ou états cléricaux, ce que n’a jamais connu la France). On sera davantage d’accord avec la définition de la laïcité comme “ une libéralisation, au détriment des religions ” (p. 283).

À juste titre aussi, Paul Airiau voit l’origine institutionnelle de ce vaste mouvement de laïcisation dans la Déclaration des droits de l’homme adoptée en 1789 : “ le religieux est désabsolutisé. Il n’est plus qu’une opinion, et perd son statut de vérité absolue. Une opinion n’est pas un jugement, elle n’est que relative. Ainsi, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen opère une triple mutation qui fait brutalement basculer la France du principe de catholicité au principe de laïcité, pour reprendre l’expression d’Emile Poulat. Elle procède à une privatisation, une abstraction et une relativisation du religieux qui entend lui retirer son rôle de principe organisateur de la vie sociale ” (p. 186). C’est cela même que l’Eglise ne peut accepter, hier comme aujourd’hui.

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NOTES

[1] La Croix, 14 février 2005.

[2] Présent, 16 février 2005.

[3] Cf. notre Pie XI, Perrin, 2004, 417 pages (disponible à Aletheia, 23 euros franco).

[4] Allocution consistoriale du 14 décembre 1925, Actes de S.S. Pie XI, t. III, p. 109.

[5] Chrétiens dans la Cité, n° 162, 27 février 2005 (17 re Manessier, 94130 Nogent-sur-Marne), 3 euros le numéro.

[Abbé de Tanoüarn - Cercles de Tradition de Paris] Allocution à l'issue de la quatrième conférence de Carême

Abbé de Tanoüarn - Cercles de Tradition de Paris - 6 mars 2005 – Paris

Je voudrais vous dire simplement que je n’ai aucune aigreur de ce qui s’est si mal passé ces derniers mois, je ne vais pas en refaire la genèse pour la n-et-unième fois, je crois que le passé est le passé. « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas digne de moi », comme dit le Christ. J’étais en train de vous dire que du mal peut sortir un bien, par la charité. Je crois donc que ce qui arrive à la Fraternité aujourd’hui est un défi. Bien entendu d’abord pour moi, pour beaucoup, qui partagent mon infortune : l’abbé Laguérie, l’abbé Héry, l’abbé Aulagnier aussi (applaudissements), et je crois que ce mal est un défi pour toute la Tradition, et une sorte de mise en demeure d’avoir à montrer une véritable maturité dans les difficultés. Il me semble que nous commencions, si vous voulez, à être un peu comme ces juifs dont parle le prophète Jérémie, qui, alors que tout va mal, se contentaient de répéter « le Temple du Seigneur, le Temple du Seigneur, le Temple du Seigneur », c’est-à-dire : Nous avons Jérusalem, nous avons le Temple, rien ne peut nous arriver. Nous avons la Fraternité Saint Pie X nous sommes les meilleurs, nous sommes au-dessus de ce que souffre l’Eglise, rien ne peut nous atteindre. Eh bien je crois que ce qui nous atteint montre que nous ne sommes pas au-dessus de ce qui arrive à l’Eglise, que nous participons à notre manière à cet immense malaise que traverse le Corps mystique du Christ, que nous partageons les souffrances de ce Corps mystique. Il ne faut pas en faire tout un plat, c’est normal. Mais aussi que, eh bien, nous trouverons sûrement dans cette épreuve, une et plusieurs, je dirais mille et une opportunités pour rebondir. Car enfin, oui, allez, je le dis : il y a une vie après la Fraternité Saint Pie X. (applaudissements) Pour être plus précis, et pour éviter que cette parole soit éventuellement colportée et simplifiée, je dirais qu’il y a une vie après la Fraternité Saint Pie X mais qu’il n’y a pas de vie sans elle. Et que le service signalé qu’elle a rendu à l’Eglise de Dieu doit demeurer toujours dans nos mémoires, avec, pour moi en tout cas qui n’y suis plus, pour vous qui assistez – pour beaucoup d’entre vous- aux offices, avec un infini respect pour ce que cette Fraternité représente. Mais, je crois vraiment, que le monopole que la Fraternité avait de fait, va devoir aujourd’hui se transformer. Les hommes étant les hommes, les difficultés de gouvernement ayant été ce qu’elles ont été ces derniers mois, je crois qu’il y aura simplement une offre plus riche, je suis désolé d’utiliser peut-être un terme trop directement lié à notre vie quotidienne et économique, mais enfin, cet enrichissement de l’offre dans le monde de la Tradition ne peut être, me semble-t-il, à court terme, que bénéfique. Il ne s’agit donc pas de se lamenter, mais d’agir, et de savoir que si nous agissons avec force, Dieu confortera notre cœur. Viriliter agite et confortetur cor vestrum. La confiance en Dieu est vraiment ce qui doit nous faire entreprendre, pour la gloire de Sainte Eglise, et pour le salut d’un nombre toujours plus grand d’âmes, qui se sauveront pas la parole de Dieu transmise. (applaudissements)

3 mars 2005

[Abbé Patrick de La Rocque - Communiqué de la FSSPX] L’« affaire de Bordeaux » - Les enjeux d'une crise

SOURCE - Abbé Patrick de La Rocque - Communiqué de la FSSPX - 3 mars 2005

Le temps a souvent raison des passions. De même, les mois qui s’écoulent laissent s’écrouler les prétextes. Ainsi en est-il de cette crise qui depuis plusieurs mois secoue le District de France de la Fraternité Saint-Pie X. L’été passionné s’en est allé, du moins c’est à espérer ; l’automne a fait tomber les masques, c’est évident ; reste à regarder avec recul la situation, avant que le froid paralysant de l’hiver ne vienne à tout jamais figer des situations aussi regrettables que dangereuses.
 
Loin de se poser en juge des événements (laissons juger Celui qui sait faire miséricorde) et encore moins des personnes (toutes nous sont chères), ces lignes n’entendent que dégager les enjeux profonds d’une crise, préalable nécessaire pour qui veut sereinement et sûrement se positionner. Ces enjeux sont en effet trop importants pour qu’une simple attache affective ou un quelconque penchant de l’âme ne détermine notre attitude en cette bourrasque capable d’en emporter plus d’un.
 
Car, il faut commencer par le reconnaître : la supposée affaire des séminaires ne fut que prétexte. Les carences nombreuses et ignorances profondes du fameux rapport envoyé à quelque trente-cinq prêtres, le fait que son signataire n’en soit même pas le rédacteur, tout cela prouve à satiété que celui qui a assumé ces lignes n’était guère au courant de la situation exacte des séminaires. Son jugement s’en trouve d’autant invalidé, et davantage encore les remèdes proposés. D’ailleurs, bien peu parlent désormais de cet aspect des choses, tandis que les jours s’écoulent paisibles à Ecône… Tout cela, donc, ne fut que prétexte ou occasion. L’automne a mis bas les masques, et les véritables motifs de ces dissensions apparaissent désormais au grand jour. Ils sont strictement internes à la Fraternité mais, puisque la contestation occupe depuis plusieurs mois la place publique, il importe de les exposer aussi simplement que possible : eux seuls sont capables d’expliquer le différend qui oppose certains prêtres aux supérieurs de la Fraternité Saint-Pie X. 
1) Les reproches faits aux supérieurs de la Fraternité
Un joug lourd à porter
A dire vrai, le malaise est ancien. Depuis plusieurs années, les prêtres aujourd’hui en porte-à-faux éprouvaient une certaine difficulté à se situer au sein la Fraternité Saint-Pie X ; non point qu’ils remettaient en cause la nature du combat mené, mais ils ne se retrouvaient pas dans le mode de vie propre à ladite Fraternité. Autrement dit, le malaise n’est pas d’ordre doctrinal, mais moral : esprit d’indépendance par trop marqué, refus de résidence, ou tout simplement peine à porter les petits renoncements inhérents à la vie de communauté. Ces confrères, s’appuyant sur l’argument du zèle apostolique, en vinrent à considérer les Statuts de la Fraternité – sa règle religieuse – comme un carcan qui étouffe l’activité missionnaire plutôt que comme un mors qui la dirige et en concentre la puissance afin de la démultiplier. Ravalés au rang de moyens, et qui plus est de moyens quelques peu inadaptés aux nécessités de l’apostolat moderne, ces Statuts furent non seulement considérés comme facultatifs, mais plus encore comme une entrave, un repli sur soi empêchant d’accéder aux foules d’âmes étrangères à la Tradition, mais sûrement assoiffées d’Amour divin. Dès lors, tout recentrage des Supérieurs en la matière risquait fort d’être interprété tour à tour comme surnaturalisme jansénisant, uniformisation aux dépens des charismes personnels, ou plus simplement repli puritain au détriment de l’expansion du règne divin.
La question des séminaires
C’est dans ce malaise allant s’aggravant depuis longtemps que se situe la supposée crise des séminaires. Depuis quelques années émerge chez les prêtres en charge de ces maisons de formation un constat allant grandissant : une relative inadaptation de notre séminaire francophone à la jeunesse qui désormais s’y présente. Souvent issue de la Tradition mais aussi d’un monde toujours plus éloigné des valeurs ne seraient-ce que naturelles, cette jeunesse d’aujourd’hui ne peut en effet être identifiée à celle qui voici trente ans franchissait les portes d’Ecône, d’où la nécessité d’affiner le mode de formation des candidats au sacerdoce. En 1983 déjà, Mgr Lefebvre lui-même avait ainsi procédé à une première révision, qui s’était concrétisée par l’ajout d’une année de formation. Cette nécessité d’adaptation fut jugée tout autrement par certains confrères, peut-être trop influencés par un éclat survenu voici quelques années. Un séminariste au tempérament affiché, tout aussi amoureux des cigares et bonnes tablées qu’il était dédaigneux du règlement de son séminaire, se vit alors remercié de la Fraternité après moult avertissements, ce qui n’eut pas l’heur de plaire à ces confrères. Constatant, mais de l’extérieur seulement, la relative inadaptation du séminaire d’Ecône à certains jeunes qui s’y présentaient, ils la jugèrent trop rapidement à l’aune de ce premier cas. Aussi en reprochèrent-ils le fait au directeur dudit séminaire puis au Supérieur général lui-même, tous deux accusés de rigidité janséniste ou de fixation excessive sur les Statuts. Ce qui fit tristement sourire ceux qui, de par leurs fonctions, étaient au fait de la situation précise pour chacun des départs, spontanés ou sollicités…
 
Quoi qu’il en soit de ces cas particuliers sur lesquels il serait tout aussi fastidieux qu’indécent de revenir, l’enjeu profond de la crise que nous traversons se situe en amont des séminaires. Il réside tout entier dans la place qu’il revient d’accorder aux Statuts de la Fraternité : simple moyen apostolique dont on peut se dédouaner dès lors qu’on les juge inefficaces à remplir les églises ? Mais en ce cas, peut-on toujours se réclamer en toute honnêteté d’une société religieuse dont on méprise si ouvertement les constitutions ? Telles sont les questions aujourd’hui posées.
2) Quelle place pour les Statuts ?
L’exemple des sociétés humaines
Pour qui sait prendre un tant soit peu de recul, les choses ne peuvent qu’être claires. Saint Thomas a suffisamment répété que toute société humaine se définit profondément par sa constitution ; c’est là son essence, ce que le philosophe appellerait sa cause formelle. A titre d’exemple, c’est dans sa constitution monarchique et catholique que, pendant des siècles, la France s’est reconnue. Attenter à cet ordre fondamental revient à ébranler la société elle-même, à menacer son identité et pourquoi pas son existence. Aussi serait-on en droit de taxer d’esprit révolutionnaire ou subversif celui qui, quelles que soient ses intentions subjectives, aurait de telles visées.
Ce qu’est une société religieuse
Ce qui est vrai du domaine politique l’est également des sociétés religieuses. Celles-ci se définissent par leurs constitutions – dénommées “Statuts” dans le cas de la Fraternité Saint-Pie X. C’est là leur colonne vertébrale. Ce sont ces constitutions que Rome reconnaît, ce sont encore elles qui lient le sujet à son ordre religieux : c’est en échange de son engagement à respecter cette constitution que l’Ordre accepte de compter ce sujet parmi ses membres. On ne peut toucher à cet ordre des choses sans remettre en cause l’identité même de ladite société. La vie de notre fondateur le prouve suffisamment. C’est pour n’avoir pas accepté la modification de ses constitutions que Mgr Lefebvre a démissionné de sa charge de Supérieur général des Pères du Saint-Esprit : il préféra se retirer plutôt qu’attenter à sa Congrégation en avalisant de sa signature des menées révolutionnaires désireuses d’évincer une règle religieuse jugée inadaptée au monde moderne.
 
La place des Statuts dans la Fraternité est donc des plus claires : ils ne sont pas un simple moyen (parmi d’autres) en vue de l’apostolat, ils relèvent de la définition même de la Fraternité, ils en sont sa colonne vertébrale.
Des reproches inconséquents
Ces principes étant posés, on ne peut qu’être saisi d’effroi en entendant certains confrères ou anciens confrères taxer de surnaturalisme les Supérieurs qui veillent au respect desdits Statuts. Sans doute ne saisissent-ils pas tout l’enjeu de leur attitude. Comment peuvent-ils reprocher à notre Fraternité un moralisme jansénisant, alors qu’il ne s’agit pour elle que d’une simple correspondance à son être ? Il importe au contraire de reconnaître à nos Supérieurs le droit qu’ils ont d’attendre de chacun de nous l’application prudente (c’est-à-dire adaptée aux circonstances) de ces Statuts : nous nous y sommes engagés publiquement, qui plus est devant le Saint-Sacrement. C’est d’ailleurs sur ce respect habituel des Statuts que s’enracinera la confiance des Supérieurs à l’endroit de leurs subordonnés. Comment pourraient-ils en effet accorder crédit à quelqu’un qui chaque jour renierait sciemment et avec pertinacité la parole donnée ? Car ne l’oublions pas : mépriser les Statuts, c’est aussi mépriser sa propre parole lorsque l’on s’est engagé à les respecter…
 
Plus encore : nos Supérieurs attendent davantage de leurs prêtres, surtout lorsqu’ils sont responsables d’une Maison. Parce que toute loi laissée à elle-même est ô combien desséchante (une colonne vertébrale inanimée n’est que squelette cadavérique) les Supérieurs, outre la loi, ne peuvent que réclamer l’esprit de la loi ; en notre cas, l’esprit de la Fraternité, tel que Mgr Lefebvre l’a tracé par ses écrits de 1981/82, ou encore lors de la retraite pascale qu’il prêcha à Ecône en 1988. Réclamer ces fondamentaux n’est en rien faire du surnaturalisme : en posant ces rappels, les Supérieurs n’entendent pas en effet minimiser l’importance du zèle missionnaire, ni même délaisser les qualités humaines. Celles-ci sont bien évidemment nécessaires pour qui se destine à être pasteur d’âmes. Mais, si indispensables soient-elles, ces qualités de tempérament ne seront jamais suffisantes à elles seules, quelle que soit leur éminence : rien n’est plus dangereux et inutile que l’énergie d’un cheval indompté, rien n’est plus à craindre pour un corps d’armée qu’un franc-tireur sans règles.
3) Quelle place pour la Fraternité Saint-Pie X ?
Une triste conception de la Fraternité
Délaisser ainsi les Statuts ne va pas sans poser de graves difficultés. Si véritablement ils sont le constitutif intime de notre société religieuse (sa cause formelle), que deviendrait la Fraternité si ses Statuts relevaient du facultatif, ou étaient simplement relégués au second plan ? Elle ne serait plus alors qu’un corps sans âme, une matière sans forme ; autrement dit, un simple agrégat de membres (ses prêtres) sans plus aucun principe d’unité intrinsèque. La société religieuse, qui tire sa force de son unité, cèderait ainsi le pas à une simple alliance de prêtres qui se ligueraient pour tenter de mener plus efficacement le combat de la foi. Faute d’unité intrinsèque (donnée par la cause formelle), c’est seulement un but commun qui les unirait (simple unité extrinsèque), en l’occurrence le combat de la Tradition. Telle est la triste conception que ces prêtres dissidents se font de la Fraternité, sans doute sans vraiment le réaliser. C’est du moins ce qui commence à poindre dans le Mascaret de novembre 2004.
Une conception erronée du prêtre
On y lira que le prêtre est avant tout l’homme de la Mission. Le ton est donné : pour délaisser la raison formelle des choses, on ne peut que se cantonner à l’aspect de la finalité. Encore faut-il que celle-ci soit justement considérée : car s’il est vrai que le sacerdoce est finalisé premièrement par le bien de l’Eglise et non par celui du sujet, on ne peut en déduire que l’apostolat est la fin propre du prêtre, et par là même la voie principale de sa sanctification. Car il y a deux grands moyens, pour le médiateur qu’est le prêtre, de concourir au bien de l’Eglise : par sa médiation ascendante (prier Dieu au nom du peuple) dont l’acte suprême est le saint Sacrifice de la Messe ; puis par voie de médiation descendante (donner Dieu aux âmes) ce en quoi consiste l’apostolat. C’est le premier aspect de la médiation qui, sans exclure le second, définit fondamentalement le prêtre. Saint Thomas d’Aquin, à la suite de l’épître aux Hébreux, l’affirme très clairement. Définir le prêtre par le deuxième aspect de cette médiation – l’apostolat – c’est reprendre à son compte les vieux poncifs de l’ouvrage France pays de mission, c’est faire sienne l’erreur de perspective du concile Vatican II : on y définit le prêtre par son pouvoir sur le Corps mystique du Christ qu’est l’Eglise (l’accroître par l’apostolat) et non plus premièrement sur son Corps physique (l’Eucharistie). Il est évident que le programme de sainteté sacerdotale qui en découle peut de premier abord paraître beaucoup moins exaltant. Le prêtre ne s’y sanctifie plus premièrement en se taillant un empire – fût-il apostolique – mais, ainsi que le rappelle le rite de l’ordination sacerdotale, en reproduisant à l’intime de son être ce qu’il réalise à l’autel : « imitamini quod tractatis, reproduisez en vous ce que vous faites (à l’autel) ».
Une conception partielle et partiale de la juridiction
Vatican II, en définissant le prêtre par son pouvoir sur le Corps mystique du Christ, rappelait tout au moins que ce pouvoir n’existait que dans la dépendance de l’Ordinaire, autrement dit de l’évêque du lieu ou du Supérieur majeur dans le cas d’une congrégation religieuse. La chose n’a rien que de très normale. Outre le fait qu’un prêtre laissé à lui-même risque les plus graves dérives, cette dépendance est constitutive de l’exercice même de son apostolat. Il n’agira sur le corps mystique du Christ comme prêtre, c’est-à-dire comme ministre de l’Eglise, qu’en tant qu’il est représentatif de celle-ci et missionné par elle. La représentativité découle de ce que l’on appelle l’incardination, sorte de lien de vassalité qui lie un prêtre à son Ordinaire, tandis que la juridiction détermine la mission concrète conférée au ministre sacré. Cette simple définition suffit à prouver qu’il ne peut y avoir exercice habituel de la juridiction, fusse-t-elle de suppléance, sans incardination préalable.
 
Ces quelques distinctions auraient été d’un précieux apport aux rédacteurs du Mascaret. S’appuyant sur la crise que traverse l’Eglise et de laquelle découle, effectivement, la juridiction de suppléance sur les fidèles, ils semblent, en leurs lignes, s’estimer autosuffisant d’un point de vue juridictionnel. D’après leurs dires, la situation présente conférerait à tout prêtre, du fait même qu’il est prêtre et indépendamment de toute incardination, une juridiction de suppléance de par le cas de nécessité. La Fraternité Saint-Pie X ne serait alors que ce conglomérat plus haut décrit, regroupant des prêtres autosuffisants pour exercer leur apostolat de suppléance. Telle est la conception qu’avance, sans le réaliser, l’ancien prieur de Bordeaux lorsqu’il répond à ceux qui lui reprochent d’exercer un ministère désormais illicite : « Dire que le ministère d’un prêtre est illicite, c’est dire qu’il n’a pas de juridiction. Alors, de deux choses l’une ; ou l’on entend par là qu’il n’a pas de juridiction personnelle qui descend du pape aux évêques, aux curés, aux vicaires. Mais alors aucun prêtre de la Tradition n’a celle-là et c’est pousser les prêtres à la rechercher… Ou l’on entend qu’il s’agit de celle que confère le droit dans le cas de nécessité (juste demande des fidèles) et la refuser à l’un c’est la refuser à tous les autres, car elle dépend des circonstances données, égales pour toutes.»
 
« De deux choses l’une » : non, les choses ne sont pas si simples. Parce que la Fraternité Saint-Pie X a été officiellement reconnue par l’Eglise, parce que tous nous avons jugé sa suppression aussi inique qu’infondée et donc invalide, tous – et Mgr Lefebvre le premier – nous avons reconnu à la Fraternité Saint-Pie X le pouvoir d’incardiner, selon l’indult qui aurait normalement dû lui être accordé par la Sacrée Congrégation des religieux (cf. Statuts, ch. IV, art. 2). Tant que la cause n’aura pas été rejugée droitement et légalement par Rome, il existe donc bien, au sein de notre Fraternité, une juridiction ordinaire qui descend du Pape (même à son corps défendant) au Supérieur général pour lui permettre, entre autres, l’incardination de ses membres. Cette juridiction ordinaire, non territoriale mais personnelle, ne s’exerce nullement sur les fidèles (c’est alors la juridiction de suppléance qui est invoquée) mais sur les seuls membres de notre Fraternité, à l’instar de celle qui existe dans tous les ordres religieux. C’est dans le cadre et le respect de cette incardination préalable – ou de tout autre, comme celle d’un prêtre diocésain ou religieux démis injustement au motif de son choix pour la Tradition – qu’un prêtre, pris individuellement, peut exercer de manière habituelle la juridiction de suppléance que lui accorde l’Eglise au profit des fidèles en raison des circonstances présentes. Oublier cela, c’est oublier que l’Eglise a toujours eu en horreur le prêtre vagus (sans incardination), au point de l’excommunier ipso facto dans le passé. Il est donc impossible de considérer que chaque prêtre de la Tradition possède par lui-même et de façon égale avec ses autres confrères une juridiction de suppléance, et que la Fraternité n’est qu’une simple association conventionnelle de ces prêtres, destinée à fédérer leur apostolat au profit de la cause “Tradition”.
Des revendications nouvelles
Soyons clairs. Cette conception du prêtre et de la Fraternité Saint-Pie X ne fait que poindre sur les lèvres de nos anciens confrères. Des années durant, ils ont eux-mêmes dénoncé ce statut de vagus et l’ont considéré comme le pire état qui puisse être pour un prêtre. Leur conduite depuis quelques mois n’est donc pas la résultante d’une divergence de fond sur ces questions. La vérité se situe dans un rapport inverse : la nouvelle conception qu’ils esquissent est la résultante d’une conduite toujours plus en décalage avec les Statuts de la Fraternité. Elle n’est qu’un essai de légitimation théorique – et sans doute ponctuelle, c’est à espérer – d’une attitude pratique peut-être plus enracinée. Quoi qu’il en soit du jugement à porter sur les méthodes employées par ces anciens confrères, vouloir imposer au sein des séminaires et de la Fraternité tout entière ces conceptions aussi nouvelles qu’erronées est destructeur : c’est programmer, à moyen terme, l’éclatement de la Fraternité Saint-Pie X.
4) Un retour aux années d’après-guerre ?
Pour se convaincre du caractère destructeur de ces revendications, il suffit de jeter un bref coup d’œil sur l’histoire récente du clergé français. Car les reproches adressés par nos confrères à la Fraternité ne sont pas nouveaux. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, ils étaient sur les lèvres de ces prêtres qui, habitués à un apostolat éclectique et autonome pendant les trop longues années de la Résistance, se retrouvaient dans le cadre normal de la vie diocésaine et paroissiale. La mentalité de ces prêtres nous est rapportée par Paul Vigneron, auteur autorisé en la matière. Dans son ouvrage intitulé Histoire des crises du clergé français contemporain, il commence par décrire l’état d’esprit général de ce nouveau clergé : « Dans la clergé français qui jusque là faisait de l’obéissance à la hiérarchie catholique une vertu essentielle et de l’acceptation des humbles tâches paroissiales une féconde mortification, se répand très vite dès la fin de la guerre une attitude frondeuse et parfois une tendance à la désobéissance caractérisée. » L’auteur utilise alors quatre caractéristiques pour décrire les principes de ce clergé frondeur :
 
1°) Reprochant aux communautés chrétiennes de mener une vie sclérosée, d’étouffer dans des cadres par trop atrophiant, ces nouveaux apôtres revendiquent un christianisme libre, “baroque” (du portugais : hors normes), seul capable de rejoindre l’homme d’aujourd’hui.
 
2°) Aussi faut-il “sortir des ghettos”, dépasser le cercle restreint des amis pour atteindre les foules que l’on imagine beaucoup plus généreuses et assoiffées de Dieu que nos propres fidèles. Cinquante ans après, on lira dans le Mascaret : « “Il nous a ordonné pour prêcher au peuple”, dira saint Pierre (Act 10, 42), et non à un cercle restreint d’amis, de purs ou d’initiés. La sainteté du prêtre, c’est l’exercice de sa charge de miséricorde auprès des foules d’âmes qui ont soif de l’amour du Christ ou qui l’ignorent ». Sortir des ghettos, donc ; Paul Vigneron ira jusqu’à décrire l’attitude concrète de ce clergé : « La grande tentation pour ces pionniers sera alors de scandaliser systématiquement les bien-pensants, de critiquer la hiérarchie et, dans le désir de rendre le message chrétien plus accessible aux infidèles, de desserrer ou de rompre les liens avec l’institution. »
 
3°) L’effort apostolique, parce que trop humain, se fera alors souvent par séduction, elle-même souvent réduite au mimétisme : « Quand les milieux déchristianisés verront des prêtres mimant leurs attitudes, travaillant manuellement comme eux, parlant un langage volontiers argotique, alors la conversion des masses deviendra possible », écrit Paul Vigneron. Cela s’étend évidemment à tout un mode de vie concret, bien peu compatible avec un projet de vie proposé par quelques Statuts que ce soit, diocésain ou religieux.
 
4°) L’ultime critère permettant finalement d’évaluer l’action du prêtre est l’efficacité apostolique. Sa sainteté n’est pas ailleurs. Une telle affirmation invalide d’autant, au moins de manière implicite, les vertus dites “passives” ; elle provoque l’affaiblissement de la prière, le délaissement de la mortification. Aussi, lorsque le Mascaret fait de l’apostolat la source de sanctification du prêtre (« de toute évidence, on ne sanctifiera le sacerdoce qu’en l’exerçant »), il ne peut que rappeler les tristes lignes qu’écrivait le Père Chenu, de ténébreuse mémoire, pour invalider le traité de Dom Chautard. C’était en 1947 : « Aujourd’hui, l’apostolat est un témoignage évangélique sanctifiant par lui-même, et non juxtaposé à la vie intérieure. Sans doute la dose d’action qu’il comporte peut toujours être occasion d’activisme ; mais c’est là défaillance per accidens et non ce quasi déterminisme auquel on ne résisterait qu’en s’arc-boutant contre. » En un mot, résume Vigneron « Dom Chautard, avec sa méthode de vie intérieure, voulait surtout nous “arc-bouter” contre le danger des œuvres ; il n’est plus utile de se raidir ainsi aujourd’hui. » N’est-ce pas, d’un trait, le grand message qu’en un moment de déraison nos anciens confrères voulaient adresser aux Supérieurs de la Fraternité Saint-Pie X ?
 
On sait les fruits délétères véhiculés par de tels principes. L’enthousiasme éphémère qu’ils provoquèrent n’était dû qu’à la voie de facilité qu’ils légitimaient, tandis que leur seul effet durable fut de préparer les foules à l’aggiornamento de Vatican II.
5) Conclusion : la Fraternité de toujours
C’est précisément par opposition à cette conception erronée du prêtre, fort répandue après-guerre, que Mgr Lefebvre voulut centrer la Fraternité Saint-Pie X sur le saint Sacrifice de la Messe. Le prêtre n’est apôtre que parce qu’il est d’abord l’homme de la Messe : « Parce que la Messe est apostolique » écrit-il dans nos Statuts. Retrouver et vivre ce regard vrai sur le prêtre était, d’après Mgr Lefebvre, l’indispensable condition pour féconder surnaturellement l’apostolat, et donc pour avoir raison du modernisme désormais omniprésent. Nos Supérieurs actuels n’ont pas d’autres convictions. Il est donc simplement faux de dénoncer une déviance de la Fraternité, comme il est profondément injuste de taxer de jansénisme les Supérieurs qui lui gardent ce cap. Laissons plutôt ces mêmes Supérieurs accomplir leur mission, ainsi que le délicat ajustement de la formation sacerdotale qui peut-être à nouveau s’impose.
 
En ces temps de lutte où le Malin s’essaye à semer la division en nos propres rangs, ne nous laissons pas circonvenir par des agitations qui n’ont d’autres conséquences que de détourner des vrais combats. S’il est évident que l’imperfection est inhérente à toute société humaine et que, par là même, la Fraternité Saint-Pie X n’en est pas exempte, il serait inconséquent de s’emparer de ces faiblesses, qui plus est de les majorer, pour laisser libre court à ses passions. Celles-ci hélas ont trop parlé, mêlant à leurs fibres des enjeux sans doute insoupçonnés, mais néanmoins bien réels.
 
Dès la fin du premier siècle, saint Clément de Rome eut à intervenir auprès des fidèles de Corinthe pour y régler un différend à peu de choses semblable au nôtre. Les mots qu’alors il leur adressa nous sont aujourd’hui destinés : « Vos scissions en ont détourné beaucoup, elles en ont jeté beau¬coup dans le découragement, beaucoup dans le doute, et nous tous dans le chagrin. Intercédons pour ceux qui ont succombé à quelques faiblesses, afin que leur soient données bonté et humilité, et qu'ils suivent non plus leurs penchants, mais la volonté de Dieu. Quant à ceux qui ont jeté les fondements de la discorde, qu’ils se soumettent et se laissent corriger en esprit de repentance, fléchissant les genoux de leur cœur.»
 
Abbé Patrick de LA ROCQUE +

2 mars 2005

[Petrus - Le Forum Catholique] Les causes de la crise de la FSSPX (suite mais pas fin!)

SOURCE - Petrus - Le Forum Catholique - 2 mars 2005

Puisqu'il est de nouveau autorisé de reparler de la FSSPX et de la crise que cette société sacerdotale connaît depuis six mois, je me permets de réintroduire un post que j'avais déjà envoyé au début du Carême mais qui, semble-t-il, a curieusement disparu des archives du FC alors même qu'il me semble plutôt moins sulfureux et moins saignant que nombre de messages pétruciens.

Comme à l'époque il n'avait suscité quasiment aucune réaction des liseurs, je me permets donc de le soumettre à nouveau à votre sagacité et à votre réflexion critique. Car il me semble que tout n'a pas encore été dit sur la crise actuelle, ses causes profondes et son ssens véritable. Toute critique, même radicale, est la bienvenue. Ce n'est pas moi qui répugne à la bataille et au conflit.

Voici donc ce post en intégralité :

Chose promise chose due. Voici donc le nouveau post pétrucien sur la crise de la FSSPX. Vous ne voulez pas que j'aborde encore cette question, chers liseurs! Que m'importe, je vais me gêner! On ne change pas une équipe qui gagne.

Je sais bien, vous auriez voulu, chers amis liseurs, qu'en cette sainte période quadragésimale, je vous parle de spiritualité, de sanctification, de vie intérieure, de l'Imitation de Jésus-Christ, du Combat spirituel mais je n'ai pas cette grandeur d'âme. En journaliste (puisque, d'après ce cher Eti, je suis journaliste, je ne vais pas le contredire. Au fait, mon cher Eti, merci de votre gentillesse mais n'en faites pas trop, restez prudent, on risquerait de vous refuser la communion à la FSSPX pour proximité avec le sédévacantisme, le crime absolu pour Menzingen! On est schismatique pour elle, ne l'oubliez pas!), en journaliste de caniveau, dis-je, je ne m'intéresse qu'aux brèves de comptoir, au superficiel, au rien, ou si peu, bref au Petipeu.

Ah si j'avais l'élévation d'âme du conciliaire Kamate qui le pousse à étaler sa science rugbystique en plein Carême (remarquez, quand Kamate nous parle du ballon ovale, il ne se croit pas obligé de nous dire son amour pour Jean-Paul II et son mépris pour les sédévacantistes, c'est toujours ça de gagné!), mais je n'ai pas cette magnifique disposition d'esprit!

Ah si pendant quarante jours je quittais le FC comme certains liseurs pour me consacrer aux saints exercices pénitentiels de la sainte quarantaine mais je n'ai pas ce courage!

Justin a raison : mon dada, ma passion, mon petit lapin blanc, c'est la FSSPX. Chacun son truc après tout. Comme dit la chanson qui a longtemps été en tête du Top 50 : "chacun sa vie, chacun son destin".

Pour certains, leur passion, c'est le loto ou le jeu de l'oie, le tiercé ou le quinté, les chevaux ou le ski, les femmes ou la moto, le rock ou le reggae, pour moi, c'est la crise de la FSSPX.

Je sais, chers amis, vous êtes déçu : faut-il avoir une âme vile et un esprit étroit pour s'intéresser passionnément à cette fracture? J'en conviens avec vous, chers compagnons du FC, mais que voulez-vous, j'aime beaucoup Dallas et son univers impitoyable. Ah JR et Sue Ellen, et le gentil Bobbie! Il faut avoir été enfant à l'orée des années quatre-vingt pour comprendre! Après avoir vu chaque samedi soir sur TF1 ce feuilleton qui n'en finissait plus, avec questions-réponses chaque semaine dans Télé 7 jours (mais qui a tiré sur JR? qui sauvera Sue Ellen de l'alcoolisme?), comment ne pas être marqué à vie? De toute façon on n'avait pas le choix, sinon c'était Drucker sur la 2, merci bien!

Enfin bref, tout ça pour vous dire, chers amis, que la crise de la FSSPX avec sa haine, ses rancoeurs, ses mensonges et ses coups tordues, c'est tout un parfum de jeunesse qui remonte à la surface. C'est la madeleine de Proust.

Allez, assez galéjé, passons au vif du sujet : la crise de la FSSPX. Il faut bien que vous en ayez pour votre argent.

Quinzième séquence. Top, c'est parti!

Avec l'éviction annoncée de l'abbé de Tanoüarn, la crise qui secoue (comme le disco!) depuis six mois la FSSPX atteint un paroxysme. La fracture qui avait atteint la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre à l'automne 1999 avait été, elle aussi, particulièrement violente et cruelle mais la vérité oblige à dire que la crise actuelle de l'organisation écônienne est dix fois, cent fois plus inhumaine, pour reprendre l'expression lepénienne à propos de l'occupation allemande en France.

La crise de la FSSP avait pu être résolue, les deux parties acceptant bon gré mal gré l'arbitrage de Rome. Ce qui me rend plus pessimiste sur l'issue de la fracture à l'intérieur et aux marges de la FSSPX, c'est qu'il n'est aucune autorité morale en son sein pour ramener l'ordre, la paix, le calme et la discipline. La confiance en Suresnes et Menzingen a fondu comme neige au soleil tandis que les fellayso-cacqueraysiens sont convaincus d'avoir affaire à des prêtres mutins et rebelles qui veulent s'emparer des commandes de la FSSPX et de son trésor de guerre. C'est dire que la réconciliation n'est pas près d'intervenir entre deux camps désormais antagoniques d'autant que pour se réconcilier il faut être deux et que jusqu'à ce jour la direction de la FSSPX n'a pas montré de signes allant dans le sens de l'apaisement, bien au contraire. C'est un vent de folie qui souffle sur l'oeuvre fondée par Mgr Lefebvre et dont témoignent des faits particulièrement significatifs : le chantage aux sacrements (l'hostie confisquée en novembre, le refus de la confession à un organisateur du congrès sur la laïcité en février), l'intervention auprès des associations s'inscrivant dans la mouvance de feu le prélat d'Ecône, les communiqués cinglants, les notes juridiques et canoniques, l'appel à la justice républicaine et maçonnique pour obtenir l'expulsion manu militari du prieuré de Bruges des abbés jugés dissidents.

1)La crise actuelle qui frappe par sa brusquerie, sa durée, son degré de haine et d'inhumanité, sa raideur technocratique montre d'abord l'incompétence notoire de Mgr Fellay qui cherche à compenser son absence d'envergure et d'autorité naturelle par un autoritarisme de mauvais aloi, suicidaire et dévastateur. Les gouvernements faibles sont souvent injustes, maladroits et cruels, précisément parce qu'ils ne sont pas sûrs de leur autorité et sont donc enclins à croire que l'on cherche à les déstabiliser voire à les renverser. Le paradoxe de l'affaire, c'est que, si au début de la crise, personne sans doute ne pensait à remettre en question l'autorité de Mgr Fellay, les maladresses, les bêtises et les injustices de la maison généralice sont telles que beaucoup de laguéro-tanoüarniens se posent désormais ouvertement la question du remplacement du supérieur général de la FSSPX, ainsi d'ailleurs que du supérieur du district de France.

Notre société décomposée, atomisée, déchristianisée ne sécrète plus des chefs de qualité, c'est un fait que l'on peut aisément constater. C'est pourquoi lorsque l'on s'engage dans un mouvement politique ou une oeuvre religieuse ou autre, l'on est assez rapidement déçu voire désabusé. Etre un chef demande des qualités exceptionnelles que notre monde moderne, par l'éducation relâchée qu'il donne, ne connaît plus. J'ajoute que le sédévacantiste que je suis considère qu'à partir du moment où il n'y a plus de vrai pape à la tête de l'Eglise, il est assez logique que toutes les hiérarchies vacillent et que tout soit sens dessus dessous. On ne dira jamais assez les bienfaits de la papauté. Les brochures de Mgr Gaume sur le pape, la peur du pape sont à cet égard très éclairantes.

2) Deuxième explication de la crise, déjà souvent soulignée : la différence de tempérament, de caractère, de personnalité et donc de conception du sacerdoce, de vision de la vie et de l'apostolat, de mode de vivre et de penser entre les deux camps en présence. Il y a les décontractés et les coincés, les prêtres ouverts, volubiles, sympathiques, gais, meneurs d'hommes et les clercs réservés, renfermés, prudents voire parfois pusillanimes, plus enclins au respect scrupuleux des ordonnances des prêtres de la FSSPX (version de 1997) qu'à l'apostolat et à la prise d'églises. Ce qui ne veut pas dire que les seconds soient forcément moins estimables que les premiers, loin de là, mais humainement il faut reconnaître qu'il est plus agréable d'aller boire un verre ou de converser avec les premiers qu'avec les seconds. C'est un simple constat. De même qu'il est objectivement plus agréable de bavarder avec un Mgr Williamson qui est ouvert et humain, malgré ses côtés fantasques, qu'avec un Mgr Fellay qui est un glaçon directement tombé du haut des montagnes helvétiques.

Pendant des années les deux camps ont cohabité dans une même structure. Tout bien réfléchi, avec des personnalités si opposées, il n'est pas étonnant que l'union n'ait pas résisté au temps, comme l'alliance entre le technocrate Mégret et le tribun de la plèbe Le Pen n'a pas tenu plus d'une dizaine d'années. Il n'est d'aileurs pas excessif de dire que, de 1988 à 1998, au moment où Mégret dirigeait la délégation générale du Front national, il y avait en quelque manière deux Fronts en un seul. De même, pendant des années, il y a eu deux FSSPX en une seule : la hiérarchie crispée, prudente, terne et réservée et les initiatives personnelles, souvent intempestives voire brouillonnes, parfois géniales, parfois beaucoup moins inspirées, des abbés Aulagnier, Laguérie, Héry ou de Tanoüarn. Entre la crispation et le bouillonnement, entre le terne et le brillant, entre la transparence et le panache, entre les apparatchiks et les hommes de terrain, il n'est pas étonnant qu'à un moment donné l'alliance craque. On ne mélange pas impunément l'huile et le feu. Ou alors il faut un doigté exceptionnel, ce qui demande des chefs d'une grande valeur, ce qui nous renvoie à la première raison de la crise.

3)Troisième explication de la crise, après l'incapacité chronique de Mgr Fellay, une forte tendance de la FSSPX à se prendre pour sa propre fin. Eti Lène, qu'il en soit ici remercié, a bien perçu, du haut de ses vingt-quatre ans (chapeau, l'artiste!) que la direction de la FSSPX n'avait qu'un but : se survivre à elle-même, se continuer. Ce qui compte, c'est la structure et surtout le pouvoir de ses dirigeants et non la doctrine et l'élan missionnaire.

Henry Coston aimait à répéter : "on crée un journal pour défendre des idées, puis on trahit les idées pour défendre le journal". Ce jugement est cruel mais ô combien vrai pour qui connaît un tant soit peu l'histoire et les dessous de la presse écrite. Or, ce qui est vrai d'un journal l'est aussi d'une oeuvre, d'une société, d'un parti qui ont tendance, je dirai presque naturellement, à devenir matérialiste, c'est-à-dire à faire passer l'intérêt immédiat de la structure devant la sauvegarde des principes et la cohérence doctrinale. C'est un phénomène que l'on observe un peu partout mais qui, je crois, est accentué à notre époque par cette forme de relativisme et de libéralisme qui nous atteint tous plus ou moins.

Au risque de me faire à nouveau des ennemis parmi les fidèles de la FSSPX, très nombreux sur le FC, il me semble que c'est depuis toujours le principal grief que l'on peut faire à cette société sacerdotale : avoir voulu faire passer la survie de l'oeuvre au-delà, au-dessus du droit canon, des lois de l'Eglise et de la doctrine parce que l'on était sincèrement convaincu que la FSSPX était l'oeuvre bénie de Dieu, la société miraculeuse qui allait sauver l'Eglise, rétablir la chrétienté, "ramener Rome à la Tradition" pour reprendre l'expression favorite de Mgr Lefebvre. C'est ce qui explique un état d'esprit, des méthodes et des discours que l'on ne comprendrait pas si l'on faisait abstraction de cette donnée essentielle.

En effet, si la FSSPX est l'oeuvre providentielle envoyée par Dieu pour continuer la Tradition et amener la Rome moderniste à se convertir au vu des fruits merveilleux que ne manqueraient pas de produire la FSSPX, ses prêtres, ses séminaires, ses écoles, ses prieurés, ses fidèles, ses missions, alors l'on n'a pas à ménager spécialement ceux qui, à un moment donné, ne pensent pas ou plus comme vous (les "ralliés", les sédévacs, les prêtres indépendants, les esprits libres), l'on n'a pas à transiger sur une autorité, certes de suppléance, mais qui vient directement de Dieu et de l'Esprit saint. Ne sachant pas justifier les sacres de 1988 contre la volonté formelle de Jean-Paul II, Mgr Tissier de Mallerais confiait à Rivarol en 2002 à l'occasion de la sortie de son livre sur la vie du prélat d'Ecône : "Mgr Lefebvre a été conduit, a été inspiré. Nous avons eu la grâce de le suivre". Nous ne sommes plus là dans le raisonnement, dans le rationnel mais dans le charismatisme et l'illuminisme. Un homme, Mgr Lefebvre, a vu clair, il faut le suivre inconditionnellement, les yeux fermés. D'où ce paradoxe : l'infaillibilité et l'inconditionnalité déniées au pape, on les réaffirme, et avec quelle vigueur, en faveur d'un simple évêque qui n'est même plus évêque diocésain.

En se montrant si sourcilleux sur son autorité, Mgr Fellay s'inscrit tout à fait dans le sillage de Mgr Lefebvre contrairement à ce que je lis ici ou là. Charlier l'a très bien expliqué : l'ex-archevêque de Dakar était doux et délicieux avec ceux qui pensaient comme lui et qui lui obéissaient mais il savait se montrer cruel et sans pitié pour ceux qui, à un moment donné, lui résistaient. Les ralliés et les sédévacantistes en savent quelque chose alors que dans les deux cas il s'agissait souvent de gens sincères qui avaient été séduits et convaincus par une partie des discours et des actes de Mgr Lefebvre et qui méritaient donc un minimum de respect, ce qui ne fut pas le cas. Dans un prochain post, je raconterai certaines anecdotes révélatrices d'un état d'esprit qui, je suis désolé de le dire, existait déjà du vivant de Mgr Lefebvre. D'ailleurs, la rétractation, la crispation, la sectarisation que l'on voit de nouveau à l'oeuvre depuis six mois ressemble étrangement à ce qui s'est passé dans les mois qui ont suivi les sacres de 1988 où il faut se souvenir du degré de haine déversée contre les communautés Ecclesia Dei et les prêtres qui avaient "trahi" alors que, je le répète, Mgr Lefevre avait lui-même signé le 5 mai 1988 un protocole d'accord négocié par celui qui n'était encore que l'abbé Tissier de Mallerais, lequel était d'ailleurs contre les sacres à l'époque mais il a obéi inconditionnellement à Mgr Lefebvre. D'ailleurs, l'attitude très cléricaliste de Mgr Lefebvre en personne vis-à-vis de Renaissance catholique en 1990 prélude étrangement à la crispation fellaysienne face au congrès du 6 février 2005 organisé précisément pour l'essentiel par des laïcs.

C'est cette conviction très ancrée d'appartenir ou d'adhérer à une oeuvre bénie par Dieu qui explique tant de contradictions et de revirements chez Mgr Lefebvre et ses successeurs. Ce qui compte, c'est l'intérêt immédiat de la structure, lequel intérêt peut à tout moment changer en fonctiondes circonstances, du baromètre. En 1988, l'abbé Aulagnier était favorable à des sacres sans mandat pontifical car il fallait des évêques "à nous" pour maintenir la messe et le sacerdoce sachant que Rome n'allait pas assez loin dans les concessions. Depuis 2000, il est pour la régularisation canonique car Rome propose un statut canonique beaucoup plus avantageux (l'administration apostolique), un meilleur statut également pour la messe tridentine (la facultas et non le simple indult) et que les quatre évêques sont déjà là. Ce n'est donc pas que l'abbé Aulagnier voire l'abbé Laguérie aient vraiment changé sur le fond. Comme ce sont des praxistes, des situationnistes, eux diraient des pragmatiques, par dépassement dialectique, ils considèrent que l'intérêt de la structure FSSPX est aujourd'hui de trouver un arrangement bien ficelé avec Rome alors que hier au contraire il était de faire quatre consécrations épiscopales au nez et à la barbe de l'homme reconnu par eux comme le vicaire du Christ.

On voit donc bien que l'intérêt partisan de la structure passe avant l'intransigeance et la cohérence doctrinale et qu'il est honnêtement difficile d'aller plus loin dans le mépris du sens de l'Eglise, du respect dû à sa hiérarchie légitime. peut-on adopter une attitude plus moderne, plus soixante-huitarde, plus révolutionnaire que celle-là. C'est le paradoxe et en même temps le talon d'Achille de la FSSPX : elle prétend défendre la Tradition contre une Rome et un épiscopat moderniste et révolutionnaire mais elle ne se rend même pas compte qu'elle même est révolutionnaire et empreinte de modernisme. D'ailleurs, on se demande si la FSSPX a compris ce qu'était un moderniste. Elle croit que c'est un catholique de bonne foi qui s'égare. Alors que le moderniste est un ennemi de l'Eglise qui est consciemment dans l'Eglise pour détruire l'Eglise. Il faut relire Pascendi. Si elle avait compris ce qu'était le modernisme, elle ne brûlerait pas, à intervalles réguliers, de conclure un accord avec la Contre-Eglise antéchristique de Vatican d'Eux où l'on baise publiquement le Coran, où l'on renie la doctrine sociale du Christ-Roi et où l'on est acquis d'avance à toutes les aberrations, tous les reniements, toutes les apostasies.

Cependant, l'obession de la survie de la structure, c'est, à mon sens, ce qui empêche depuis trente ans la FSSPX soit de se rallier, soit de devenir ouvertement sédévacantiste. Car elle sait qu'en prenant une des deux positions elle irait à l'éclatement, toute une partie des prêtres et des fidèles refusant de s'engager dans l'une ou l'autre des deux voies qui seraient pourtant, à mon sens, les deux seules cohérentes et dignes intellectuellement.

4)Car qui ne voit, et c'est la quatrième raison de la crise, à mon sens la plus profonde, que grandie dans la désobéissance, la FSSPX s'amenuise et périt dans la désobéissance, que construite sur une praxis évoluant au gré des vents et non sur une doctrine sûre, elle dépérit et sombre dans le n'importe quoi, dans le sordide et le grotesque ? C'est triste pour les prêtres et les fidèles qui ont tant donné de leur temps, de leur énergie, de leur argent, parfois de leur santé mais, comme disait le barbu Lénine, les faits sont têtus. Tragiques mais têtus.

En effet, la FSSPX qui se voulait "le roc sur lequel s'édifie l'avenir de l'Eglise" (abbé Aulagnier dans La Tradition sans peur) est un champ de ruines ; la société à laquelle "le Bon Dieu (devait) donner l'Arche d'Alliance du Nouveau Testament" (Mgr Lefevre cité par l'abbé de Cacqueray dans la préface de Vatican II et l'Evangile de l'abbé de Tanoüarn) prend l'eau de toutes parts, l'oeuvre, qui, au contraire de l'église officielle, avait, selon Mgr Lefebvre les quatre notes d'unité, de sainteté, de catholicité et d'apostolicité (conférence en 1988) sombre dans la division, la haine, la mesquinerie et le chantage aux sacrements, l'organisation dont le fondateur devait sauver l'Eglise, selon la Sainte Vierge à Quito (dixit Mgr Lefebvre dans son homélie le jour des sacres à Ecône) n'en finit pas de mourir sous nos yeux dans de douloureuses et pitoyables convulsions. Et l'église Saint-Nicolas que Mgr Lefebvre appelait "la paroisse-phare de la tradition" se divise autant qu'elle se vide.

Telle est la terrible réalité. Il me semble qu'il faut s'aveugler volontairement pour ne pas la voir. Tant d'orgueil et d'inconséquence sont aujourd'hui atrocement châtiés. Quand le Bon Dieu s'y met, il ne fait pas les choses à moitié. Tant d'illusion sur soi-même et sur l'Eglise est en train de prendre fin.

J'ajoute qu'il y a quelque chose de pathétique à voir les deux camps évoquer ad nauseam l'obéissance et la désobéissance lorsque depuis trente ans on désobéit en tout et constamment à une autorité que l'on reconnaît publiquement comme légitime. Or, il est quand même plus grave de désobéir au pape qu'à Mgr Fellay ou à l'abbé de Cacqueray à ce que je sache. Je vois poindre ici l'objection : oui, mais dans le cas du pape, c'était pour sauver la foi, tandis que dans le cas présent, c'est seulement disciplinaire. Ce à quoi je réponds : mais comment le pape qui est la règle prochaine et vivante de la foi et auquel aucune autorité n'est supérieure et qui ne peut être jugé par personne (Vatican I) peut-il mettre en danger la foi et détruire l'Eglise? Ou alors c'est qu'il n'est pas pape. On en revient toujours au même point qui est le point nodal de la question qui nous occupe.

Il est également assez surréaliste de voir les fellaysiens et les laguéristes s'envoyer à la figure des notes canoniques et juridiques. Comme si la FSSPX depuis 1975 respectait le code de droit canon. Il est quand même hallucinant de voir les lefebvristes avoir tout à coup la couture sur le pli du pantalon concernant le respect scrupuleux du code de droit canon (et qui plus est celui de 1983, donc de Jean-Paul II dont elle a pourtant souvent dit tout le mal qu'elle pensait mais il est vrai qu'elle n'en est pas à une incohérence près, surtout quand ça l'arrange!) alors que, pendant trente ans, violant toutes les règles canoniques, tant d'ailleurs celles de 1917 que de 1983, on a ordonné des prêtres et sacré des évêques contre la volonté formelle du pape, ouvert des prieurés, des chapelles, des écoles sans l'autorisation de l'ordinaire, distribué les sacrements de mariage et de confession sans accord du curé de paroisse ni de l'évêque diocésain. Bref, quand a vécu dans l'illégalité la plus complète, dans le règne du "sauvage" et du bricolage tout en reconnaissant l'autorité légitime, il est proprement incroyable que d'un seul coup on se veut plus royaliste que le roi, plus canoniste que le chanoine Naz. Refusant d'obéir à une autorité reconnue comme légitime (Jean-Paul II), une partie des lefebvristes refuse aujourd'hui d'obéir à une autorité interne reconnue aussi comme légitime (Mgr Fellay). La rébellion entraîne la rébellion, la transgression appelle la transgression.

A noter d'ailleurs que dans la note canonique des maîtres Turot et Triomphe dont je ne doute nullement de la compétence ni même de l'excellence, il y a un aveu de taille passé inaperçu : "On ne peut avoir la qualité de curé que si l'on est nommé par l'évêque diocésain. Ce que confirme le canon 523, selon lequel "la provision de l'office de curé revient à l'Evêque diocésain". On voit qu'aucun des prêtres de la FSSPX ne détient un office de curé. L'abbé Laguérie n'est pas curé, ni de ND de Bon Conseil (qui n'est même pas une église paroissiale d'ailleurs), ni même de Saint-Eloi, car on ne sache pas que Mgr Ricard l'y ait nommé. Il n'y a pas de curé au sein de la FSSPX"

Maîtres Turot et Triomphe ont évidemment parfaitement raison. Mais comment se fait-il alors que l'abbé Laguérie se fasse officiellement appeler curé de Saint-Eloi, comme il signait dans Le Chardonnet curé de Saint-Nicolas et comme ses successeurs, les abbés Bouchacourt puis Beauvais, continuent à se faire appeler "curé de Saint-Nicolas"?

Et ce n'est pas pour rire, car lorsque l'on va dans la sacristie de Saint-Nicolas il y a la porte pour monsieur le curé et la porte pour son premier et son second vicaire. Mais de qui se moque-t-on? Qui les a nommés? C'est de l'usurpation de titre, c'est pourquoi l'abbé Sélégny a une sacrée audace de dénoncer l'apostolat "illicite" des abbés Laguérie et Héry (communiqué du 21 octobre). Tout est illicite dans la FSSPX, de la base au sommet, du toit aux fondations.

Quand j'en parle à des amis et relations lefebvristes et que je me scandalise de cette usurpation du titre de curé et de vicaire qui est d'autant plus odieuse qu'elle est inutile (ils sont prêtres, cela suffit!), on me rit au nez ou l'on me dit que ce n'est pas bien grave. Il est vrai que quand je leur dis qu'il est quand même important de savoir si Jean-Paul II est pape ou non, car s'il est pape il faut lui obéir, ils me répondent invariablement : peu importe qu'il soit pape ou pas; de toute façon le pape, c'est René Coty dans l'Eglise; l'important c'est de garder la foi. Le pape, ce n'est pas si important; il ne faut pas être papolâtre. Mais que fait-on alors de la célèbre maxime de Saint-Ambroise : "Là où est Pierre, là est l'Eglise : ubi Petrus, ibi Ecclesia"?

Alors, vous comprenez, quand j'entends de tels discours relativistes et où, je l'avoue, j'ai du mal à voir la bonne foi et l'honnêteté intellectuelle, je fatigue vraiment. Vraiment beaucoup.

Mais à mon tour, chers amis, de ne plus vous importuner. Je m'éclipse (comme l'Eglise militante depuis Vatican d'eux); je vais sédévaquer à mes occupations.

A bientôt, chers amis liseurs et bon Carême à tous.